Chapitre 13 [2/2] ~ La Suite de l'Histoire
- Précédemment -
— Comment oses-tu ?! fulmina Stelleüm.
— Orbis ? demanda Iryanä le plus calmement possible.
Semblant sur le point de se liquéfier, le Triménium se courba si bas face à la Lumière qu'il effleura le sol avec son crâne dégarni.
— Que les dieux me pardonnent, mon roi, ma reine. La charte de Drakkä stipule qu'un membre du Conseil exigeant un Vote Royal ne peut que voir sa requête accordée...
— Très bien, trancha Stelleüm. Soit. Demande ton vote.
Furibond, il se leva de sa chaise, puis lança un regard noir à sa fille.
— Puisque tu as fait appel à la charte, tu assumeras ton choix jusqu'au bout. Le vote aura lieu à la nuit tombée.
Les drakkiens du Consulat se levèrent et inclinèrent la tête tandis que le roi se dirigeait vers la sortie.
— La réunion est terminée, annonça-t-il avant de disparaître derrière l'embrasure de la porte.
D'abord hésitant, Rödz, son garde personnel, finit par le rejoindre. Tous les regards pivotèrent dès lors vers Iryanä, qui paraissait mystérieusement satisfaite.
— Es-tu sûre de toi... ? l'interrogea sa mère.
La princesse de Glace acquiesça.
— Je suis persuadée que les disparitions ont un lien avec ce que ces inconnus racontent.
— De quelles disparitions parles-tu ? lui demanda Noà, piqué par la curiosité.
— Rien qui ne puisse vous concerner, tes amis et toi.
— Ouch, ricana Töm à l'oreille de son ami. Aussi froide que son élément...
Frustré, Noà lui asséna un coup de coude. Il scruta Orbis après qu'il le vit parler à voix basse avec la reine.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— En temps de crise, tant que la menace n'est pas ouvertement dévoilée, l'objectif est de garder cette quête secrète aux yeux des habitants, répondit Ylærä. Semer le chaos et la panique sur Drakkä est la dernière chose dont nous avons besoin. Nous pensons, de ce fait, qu'il est plus judicieux que vous restiez dans le château jusqu'au vote de ce soir.
Elle se tourna vers la rangée des commandants d'escadron.
— Préparez vos équipes au cas où le pire venait à arriver. Prétextez un entraînement, une simulation d'examen impliquant une montée en grade... ce que vous voulez, mais que personne ne sache ce qui vient d'être discuté.
— Vous allez encore nous enfermer dans une chambre ? s'indigna Aria. Vous ne pouvez même pas nous faire confiance si on vous certifie qu'on ne parlera à personne ?
— Il est vrai que ces élémentaires méritent un traitement plus adéquat, répliqua Orbis à la place de la reine. Kalyö, jusqu'à quand as-tu demandé à Sélianh de te remplacer ?
— Encore une heure ou deux, répondit le commandant, les sourcils arqués. Pourquoi ?
— Fais donc visiter le royaume à nos nouveaux pensionnaires. Menace ou non, ils sont des drakkiens, désormais. Les familiariser avec les lieux ne pourra que leur être bénéfique. Assure-toi qu'ils ne parlent à personne. Oh, et Iryanä t'accompagnera, afin qu'elle puisse prendre la relève lorsque tu devras retourner à ton poste.
— Pardon ? s'exclama l'héritière. Mais, je...
— Je viens avec vous ! ajouta Maxwell.
— Vous voyez ? Un volontaire pour remplacer Kalyö. J'ai des choses plus importantes à faire.
— Iryanä ! protesta la reine en la voyant se diriger vers la sortie. N'ose même pas...
Mais à peine eut-elle le temps de terminer sa phrase que la silhouette de la princesse disparut dans les couloirs du château. Harassée, Ylærä conclut pour de bon le Conseil et ordonna à tous ses membres de reprendre leur travail. Sans un mot, les xomythois rejoignirent Kalyö et Maxwell. Ce dernier semblait avoir perdu, en l'espace de quelques secondes, tout l'entrain qui l'avait fait se porter volontaire, mais Noà ne chercha pas à comprendre pourquoi.
— Bon, c'est parti alors, annonça Kalyö d'un ton faussement enjoué. Mais avant ça... quelqu'un a faim ?
Kalyö emmena en premier temps ses hôtes au réfectoire du château. Déjà occupé par plusieurs dizaines de drakkiens, il était si vaste que Noà eut l'impression qu'il pouvait accueillir l'entièreté du royaume. Agencées de façon à laisser un passage sur les côtés et au centre de la pièce, de longues tables reposaient sur un sol au carrelage céladon. À son extrémité, un buffet géant proposait divers types de viandes, poissons, féculents, boissons, fruits et légumes, si bien que Noà en eût rapidement l'eau à la bouche.
Depuis leur départ d'Azikru, les jumeaux et lui avaient dû limiter leurs rations afin d'éviter de manquer de nourriture. Il ne se souvenait d'ailleurs même plus de la fois où il avait pu manger à sa faim.
— On... on peut se servir comme on veut ? demanda Töm avec retenue, immobile face au buffet.
— À condition que vous ne gaspillez pas, oui, lui répondit Kalyö. Faites-vous plaisir, c'est à mon compte.
Quelques minutes plus tard, les ustralois se posèrent sur une des tables, les mains chargées d'assiettes remplies de ragoût de cerf, de tranches de lard fumé, de galettes de riz, de quartiers de fruits et de jus de pälampe. Devant l'air ébahi des deux drakkiens, Noà s'efforça de prendre son temps, même s'il avait l'impression que son appétit grandissait à mesure qu'il mangeait. Jamais n'avait-il goûté pareilles victuailles et jamais ne s'était-il senti aussi mal à l'aise de ne pas parvenir à contrôler sa faim.
— Comment ça se fait que tous les habitants portent des armures ? demanda finalement Töm entre deux bouchées.
— La majorité des guerriers qui appartiennent aux escadrons de Drakkä n'ont pas de logement, répliqua Maxwell. Ils vivent dans la Caserne, où le toit leur est offert. C'est ici qu'ils viennent se ravitailler. En contrepartie, bien sûr, ils remboursent ce que le royaume leur offre en se battant pour lui, en proposant leurs services. Il ne doit y avoir qu'une petite centaine de soldats qui bénéficient d'une résidence. En général, ce sont les mêmes qui vivent avec leur famille.
L'heure passa en flèche. Kalyö profita de la situation pour expliquer aux xomythois la façon dont Drakkä fonctionnait ; ses lois, sa vie en communauté, ainsi que les différents secteurs qui faisaient du royaume l'un des plus réputés d'Ustral.
Le ventre plein, Noà, Töm et Aria suivirent ensuite le commandant en dehors du réfectoire. Il les emmena à l'extérieur du château et leur expliqua le programme :
— En fonction du temps de libre que j'ai, nous pouvons commencer par le dôme d'entraînement, continuer avec la caserne et terminer par l'amphithéâtre. On pourra peut-être faire un arrêt devant la forge, mais je ne vous garantis rien.
Seulement, après avoir traversé la longue allée aux statues d'or, Maxwell l'interpella :
— Tu peux leur faire la visite seul ? Je viens de me rappeler que je dois faire quelque chose...
— Pas de souci, mais je dois reprendre mon service dans pas longtemps.
— Je peux vérifier si un de mes soldats est disponible.
— Un de tes soldats ? répéta Kalyö d'un ton sarcastique. Matharach t'a offert son poste ?
— Tu as compris ce que je voulais dire...
— Justement. J'ai très bien compris ce que tu voulais dire.
Les deux garçons se toisèrent plusieurs secondes. Une atmosphère pesante traversa l'infime espace qui se trouvait entre eux.
— Ne te préoccupe pas, reprit Kalyö. Je demanderai à Naély de te remplacer.
— Super, conclut Maxwell avant de tourner les talons et retourner à l'intérieur du château.
— Il n'avait pas l'air de s'éclater, indiqua Noà.
— Maxwell reçoit des nouvelles recrues au moins deux fois par lune, expliqua-t-il. C'est souvent lui qui s'occupe des visites. Faire ça de temps en temps, d'accord, mais aussi fréquemment que lui, je comprends qu'il finisse par chercher des excuses pour en éviter une.
— Mais... il avait l'air tellement motivé quand la reine vous a demandés, à Iryanä et toi, de nous faire découvrir le royaume...
— Oh, il l'était, ricana Kalyö. Jusqu'à ce qu'Iryanä décide de refuser. Si elle était avec nous, vous pouvez être certains que Maxwell n'aurait eu aucun empêchement.
Noà comprit aussitôt son sous-entendu.
— Et... elle... Iryanä ne lui a jamais porté d'intérêt ?
— Elle n'a jamais porté d'intérêt à personne ! Du moins à partir du moment où... enfin.
— Elle a parlé d'une Garä, au Conseil, intervint Töm. C'était sa sœur, hm ?
— Garyä, oui, précisa le guerrier. Et jusqu'à ce que nous ayons une confirmation de sa mort, elle l'est toujours.
— Ça fait longtemps qu'elle a disparu ?
Hésitant d'abord à répondre, Kalyö prit une grande inspiration et baissa la tête.
— C'est un sujet assez tabou dans le royaume, indiqua-t-il. Drakkä est touché depuis plusieurs lunes par une série de disparitions. Elles surviennent aléatoirement, sans que personne ne s'aperçoive de quoi que ce soit. Garyä a été l'une des premières... et depuis ce tour, Iryanä n'est plus que l'ombre d'elle-même.
— Elle n'a pas toujours été comme ça, alors ? demanda Noà, un minimum rassuré.
— Pas du tout. C'était l'une de mes premières amies. Iryanä débordait de joie et de sympathie envers les habitants. Toujours prête à rendre service, à jouer des tours à sa sœur et ses parents... je ne compte même plus le nombre de fois où Stelleüm a dû l'envoyer dans sa chambre à cause d'une cuisine dévastée, d'un lustre brisé ou d'un garde qui s'était cassé le bras en glissant sur un sol qu'elle avait volontairement gelé.
À cette simple pensée, Noà ne put s'empêcher de sourire. Il se revoyait sur Xomythe, aux côtés d'Isach, prêt à effrayer son père ou à embêter sa mère jusqu'à ce qu'elle ne le supportât plus et les envoyât dans leur chambre.
— Elle ne voulait même pas du trône, poursuivit Kalyö. Nous passions notre temps libre ensemble, à nous confier sur nos craintes et nos perspectives d'avenir. Elle rêvait de quitter Drakkä, de voyager et découvrir le monde. J'aspirais à m'engager dans l'armée et devenir commandant d'escadron. Le destin aura au moins souri à l'un d'entre nous...
— Et le roi n'a jamais cherché à enquêter ? À envoyer des équipes pour retrouver ces personnes disparues ?
— Bien sûr que si. Malheureusement, aucune d'entre elles n'a été retrouvée. Et selon Iryanä, ses parents ont cessé les recherches beaucoup trop tôt. Dès l'instant où on lui a confirmé l'arrêt de l'enquête, tout s'est brisé en elle. Garyä était la véritable héritière, son modèle. Suite à cela, elle a commencé à se renfermer, à devenir hautaine, à refuser toute aide que les drakkiens lui proposaient. Puis, elle a fini par prendre ses distances avec moi, ainsi que tous ceux qui pouvaient lui porter un minimum d'affection. Nous sommes toujours amis, mais la situation est très différente.
— Tu veux dire que... elle et toi ? commença Aria.
— Oh, non, je l'ai toujours considérée comme une amie, une sœur. Et puis, jusqu'à quelques cycles, j'avais ma petite-amie, Zénaë... qui a disparu de la même façon que Garyä et les deux autres drakkiens. En dépit de tout ce qui lui est arrivé, Iryanä a su être là pour moi, me réconforter et me donner de l'espoir. L'espoir de croire qu'elle est encore vivante, quelque part, et qu'elle m'attend.
— Je suis vraiment désolé, murmura Noà. Ça explique pourquoi Iryanä voit un lien entre la destruction de notre village et ces disparitions. C'est pour cela qu'elle souhaite participer à cette quête.
— Oui, et je la comprends. Il y a de quoi avoir des doutes en écoutant votre histoire. Sur les quatre drakkiens disparus, trois d'entre eux étaient des Lumières. Mais Iryanä se trompe. Zénaë n'en était pas une, et si la personne qui commet ces atrocités recherche vraiment la descendance d'Adràzyde, je refuse de croire qu'elle a été enlevée à tort. Elle...
Il se stoppa soudainement, puis ferma les yeux.
— Nous avions un avenir tracé ensemble. Je venais de décrocher le poste de commandant du troisième escadron, elle passait son ultime formation pour devenir guérisseuse dans l'armée. La veille de sa disparition, nous réfléchissions même à voyager, à découvrir Aquobermudes, le royaume des naïades, au-delà de la Mer des Ondes, mais tout est parti en fumée. En me réveillant le matin suivant, elle n'était plus là.
— Comment c'est possible ? s'exclama Töm. Avec votre système de sécurité, les ponts, vos gardes, personne a vu quoi que ce soit ? Et puis, cette Garyä, c'était l'héritière ! Comment elle a pu sortir ou se faire enlever sans se faire remarquer ?
— Plusieurs hypothèses ont été évoquées. Nous pensons qu'il est impossible de quitter Drakkä sans se faire apercevoir. Alors soit les disparus se trouvent toujours quelque part, à l'intérieur du royaume, enfermés, séquestrés, soit la personne qui les enlève est bien renseignée sur nos défenses et a su tromper tout le monde, et ce, à cinq reprises...
Déconcertés, les xomythois se contentèrent de marcher dans les rues du royaume en silence. Aria, qui décida d'y mettre un terme, ajouta :
— Pendant le Conseil, tu as dit au roi que tu te portais volontaire pour nous accompagner et apporter ton soutien dans la quête. Tu espères faire d'une pierre deux coups, n'est-ce pas ?
Kalyö acquiesça.
— En plus d'empêcher l'Ombre de récupérer les vers de la prophétie de l'Oracle du Temps, tu espères obtenir des informations sur les disparitions qui touchent le royaume...
— Si ces deux problèmes sont liés, oui, confirma-t-il. Dans tous les cas, je refuse de laisser tomber, tout comme Iryanä fera tout son possible pour être élue ce soir et avoir les réponses à ses propres questions.
— Tu penses l'être, toi, élu ? lui demanda Töm.
— Je l'espère.
— Aurons-nous le droit de vote ? l'interrogea Noà.
— Je ne sais pas, tout dépend de votre décision. Si vous souhaitez participer à cette quête, je pense que Stelleüm et Ylærä ne pourront pas vous refuser ce privilège. Pourquoi ?
Les trois rescapés de Xomythe se dévisagèrent pendant un long moment. Noà croisa le regard de Töm, toujours aussi déterminé à laisser d'autres habitants prendre sa place. Mais lorsqu'il posa les yeux sur ceux d'Aria, il y décela une étincelle ; une lueur qui brillait dans ses iris saphir et qui lui faisait comprendre que, peu importait son choix ou les risques que cette quête représentait, elle le suivrait n'importe où.
— Tu peux déjà compter sur nos voix, répondit-il finalement à Kalyö. Si tu nous promets de donner le meilleur de toi-même pour venger mon frère, ma mère... ainsi que les innocents de Xomythe assassinés à tort, on te promet en retour de faire tout notre possible pour que vous retrouviez vos amis disparus.
Un sourire jovial au coin des lèvres, Kalyö lui tendit la main, prêt à sceller le pacte le plus délicat de sa vie :
— Je vous le promets.
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Audiomachine ~ Breaking Through ♫
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