Chapitre 12 [3/3] ~ Réunion du Conseil Royal

- Précédemment -

     Töm se tourna sur le côté afin de lui faire face. Noà serrait nerveusement le bracelet de son frère dans ses doigts.

— T'auras aucun souci à te faire si tu reprends la route, tu sais ?

     Il posa sa main sur le filament de cuir.

Il sera toujours à tes côtés, peu importe où tu iras.

     Le sourire aux lèvres, Noà inspira profondément et ferma les paupières. Il imaginait Isach le regarder de son habituel air farceur, ses iris émeraude briller de malice tandis qu'il lui ébouriffait les cheveux avec le poing. Noà l'avait toujours méprisé pour ça, mais à cet instant, il aurait donné sa vie pour revivre ce moment.

— Merci.

     D'un accord commun, Töm et lui mirent un terme à leur conversation et tentèrent de s'endormir. Désormais apaisé, Noà se sentit peu à peu sombrer, jusqu'à ce que le sommeil l'atteignît enfin.

***

— Hé.

     Noà ouvrit les yeux et distingua deux lumières incandescentes s'agiter au-dessus de sa tête. Croyant d'abord qu'il s'agissait de Töm, il eut un mouvement de recul quand il se rendit compte que ce n'était pas lui.

     Le jeune homme d'une vingtaine d'années, aux cheveux noirs emmêlés et aux orbes ardents, portait une armure en acier sur laquelle était forgé le symbole de l'Exhadràlûm. Il posa au bout du lit des vêtements neufs, puis retourna devant la porte d'entrée.

— La réunion du Conseil Royal démarre dans vingt minutes, leur dit-il d'une voix assurée. Le roi m'a chargé de vous escorter jusqu'au Consulat.

     Émergeant à son tour de son sommeil, Töm se redressa, le crâne parsemé d'épis et les yeux encore à moitié fermés. Aria, elle, était déjà levée et attendait que le chevalier quittât la pièce pour se changer.

     Une fois apprêtés, les xomythois le rejoignirent. Le drakkien les fit passer dans les couloirs du château sans leur adresser le moindre mot, et Noà se demanda d'emblée si ceci était volontaire ou s'il s'agissait d'un ordre de Stelleüm. Ils finirent par arriver devant une énième porte, que le soldat ouvrit sans patienter.

     Des murmures et des exclamations résonnaient déjà à l'intérieur de la pièce. Dès l'instant où Noà, Töm et Aria s'engagèrent, ceux-ci s'évaporèrent. Dix paires d'yeux les observaient dans un silence pesant. Certains les fixaient avec dédain, d'autres avec une curiosité impossible à masquer. Noà identifia rapidement le roi, la reine, Kalyö et Orbis dans l'assemblée, mais tous les autres lui étaient inconnus. Un homme d'une quarantaine d'années, bâti comme un roc, aux cheveux grisonnants coupés en brosse ; un deuxième, un peu plus jeune, dont le visage pâle et cerné trahissait cruellement son manque de sommeil. Chaque élémentaire, bien que différent, dégageait une aura dans le regard qui inspirait le respect. L'insigne de l'Exhadràlûm resplendissait sur leur armure d'acier. Puis, en tournant la tête vers un coin de la pièce, Noà la vit, certain de savoir de qui il s'agissait.

     D'une beauté ineffable, voire troublante, elle avait la peau d'une pâleur angélique, de longs cheveux blancs lumineux détachés et les lèvres fines. Bien qu'il fût difficile pour Noà de les observer correctement, ses yeux semblaient renfermer l'âme de Boréale. Un bleu glacier – presque transparent – les habitait, et il était persuadé de n'en avoir jamais vu des plus purs, des plus translucides de sa vie. Quand elle se tourna vers lui, Noà put discerner dans son regard cristallin un feu ardent, une lueur sombre qui lui fit baisser la tête.

     Ne sachant pas quoi dire ni quoi faire, les trois visiteurs furent rapidement rejoints par Kalyö, qui les escorta jusqu'à une large table ronde faite de bois blanc.

— Je vous présente les dix personnes les plus importantes de Drakkä, leur murmura-t-il avec un sourire farceur. Détendez-vous, tout va bien se passer.

     Noà, Aria et Töm prirent place sur les chaises vides en tâchant de rester silencieux. Les derniers drakkiens encore debout s'assirent à leur tour, à l'exception de Stelleüm, qui s'assura d'être visible et entendu par tous.

— Bonjour, annonça-t-il de sa voix puissante. Avant toute chose, votre reine et moi-même tenions à nous excuser pour cet imprévu. Nous tâcherons d'aller à l'essentiel afin qu'aucun retard ne soit pris dans vos emplois du temps.

     Il désigna du doigt Noà et les jumeaux.

— Ces élémentaires sont arrivés hier, en fin d'après-midi, avec de sinistres informations. Avant qu'Orbis ne prenne la parole, je pense qu'il serait plus convenable de faire les présentations. Maxwell ?

     Le chevalier aux yeux rouges qui avait escorté les survivants de Xomythe jusqu'au Consulat se leva. Il hocha la tête, puis rétorqua :

— Je m'appelle Maxwell et je remplace Matharach, le commandant du premier escadron, le temps de son absence, dit-il à ses hôtes. Vous connaissez déjà le roi et la reine, ainsi qu'Orbis, l'oracle du royaume et membre des Triméniums.

     Il se tourna sur sa droite, vers l'homme à la carrure impressionnante.

— Voici Cûrtiss, commandant du deuxième escadron. À ses côtés, Kalyö, commandant du troisième, puis Raliénä, Xolân et Létä, commandants respectifs du quatrième, cinquième et sixième. À ma gauche, vous avez Rödz, garde personnel de la famille royale, et enfin...

     Il désigna la fille aux cheveux blancs, assise aux côtés de Stelleüm et Ylærä.

— ... Iryanä Luxiòr, héritière de Drakkä.

     La princesse de Glace ne prit aucune peine à saluer les xomythois. Au lieu de ça, son regard, froid et réducteur, alternait sur chacun d'entre eux.

— Bien, merci, reprit Stelleüm d'un signe de tête. Vu les circonstances ayant amené ces jeunes ustralois jusqu'à nous, il m'est primordial de vous rappeler que tout ce qui se dira dans cette pièce n'en sortira pas. Entendu ?

— Les circonstances ? l'interrogea Cûrtiss en guise de réponse. Les naïades ont décidé de quitter leurs océans ?

     Des rires fusèrent rapidement du groupe des commandants d'escadron. L'expression du roi les calma aussitôt.

— Ces élémentaires se sont échappés de leur village il y a quatre tours et en sont peut-être les derniers survivants, ajouta-t-il, ce qui eut pour effet d'engendrer un nouveau silence. Il a été attaqué et anéanti par une troupe de nortox. Si leur récit est exact, ce qu'Orbis croit sans l'ombre d'un doute, ces créatures étaient accompagnées par Tòphios, l'ancienne entité hybride, serviteur du fils de Sâtomb durant la Guerre des Lumières.

     Devant l'expression des membres du conseil, Noà constata qu'ils avaient du mal à croire aux propos du roi. Seule Iryanä, ayant relevée la tête, observait son père avec une curiosité beaucoup trop apparente.

— Était-il seul à mener l'attaque ? demanda Maxwell à son tour. Ses deux frères l'accompagnaient-il ?

— De ce que nous savons, non, répondit la Lumière. Nous n'avons aucune certitude qu'il s'agisse de lui. Seulement, il a bel et bien mentionné ses nortox, ainsi qu'une ombre se répandant sur Ustral, et aucune personne ici présente n'a besoin d'un cours d'histoire pour se rappeler quelle entité ces créatures ont servi dans le passé...

— C'est impossible, murmura une femme aux yeux orageux qui appartenait au groupe des commandants. Vous insinuez qu'Arkalax...

— Bien sûr que c'est impossible, affirma sèchement Iryanä. Arkalax a été détruit après l'imploradiation de Glawar à l'issue de la Guerre des Lumières. Il a entraîné ses trois serviteurs hybrides dans sa chute. Si ces élémentaires étaient vraiment tombés face à l'un d'entre eux, il ne se serait pas pris la peine de les épargner.

— C'est justement parce que nous sommes retombés face à l'un d'entre eux qu'il nous a épargnés, intervint Aria d'une voix aussi glaciale que la princesse. Il voulait que nous informions les royaumes de son existence, de son armée de nortox, de l'Ombre qui se répand. Alors n'essaye pas d'émettre le moindre jugement parce que tu n'y étais pas. Tu nous considères comme des menteurs ?

— Vous, non. Mais ce monstre que vous avez rencontré, qui vous dit que ce n'est pas un hybride fanatique qui cherche à instaurer un sentiment de peur en s'attribuant le nom d'un démon du passé ?

— Pourquoi, y a-t-il eu beaucoup d'armées dans l'Histoire d'Ustral dont les soldats ressemblaient à des cadavres vivants ? Dont les yeux, bien que luminescents, dégageaient une aura de mort ? Aux os pourris ? À la chair putride ?

— Peu importe de qui il s'agit, la question n'est pas de savoir comment ils se sont enfuis, mais pourquoi cette armée a attaqué leur village, fit remarquer Cûrtiss en interrompant les deux élémentaires.

     Il se tourna vers les concernés :

— De quel village venez-vous, d'ailleurs ?

— De Xomythe, lui répondit Töm, prenant la parole pour la première fois.

— Cela soulève donc un problème encore plus grand. Réunir une armée pour envahir un village mineur nordique et tuer ses habitants, à quoi cela rime-t-il ?

     Dans un effort désespéré, Orbis se leva de sa chaise et interrompit les murmures.

— Ces jeunes élémentaires m'ont annoncé, hier, que Tòphios recherchait un oracle, dit-il après s'être raclé la gorge. Même si je ne peux en avoir la certitude, les récents évènements me laissent penser qu'il essaye de mettre la main sur le gouverneur de l'assemblée dont je fais partie : Kraskènyd, l'Oracle du Temps.

— Par tous les dieux... murmura Maxwell. Kraskènyd n'a pas été aperçu sur Ustral depuis plus de deux cent ans. Qu'est-ce qui vous fait penser que ces démons le recherchaient ?

— Si nos théories sont exactes, je parierais ma vie que Tòphios et ses sbires ont eu pour mission de trouver notre seigneur dans le but de s'accaparer l'unique attribut qu'il serait en mesure de leur offrir.

— Une prophétie, devina Kalyö, dont la voix ne put trahir son inquiétude.

     Le vieil homme hocha la tête.

— Les prophéties mettant en jeu la sécurité d'Ustral ne sont interceptées que par mes frères et moi-même, et ce, depuis le tour de notre naissance. Dès l'instant où les dieux nous ont accordés l'immortalité afin de guider les futures générations dans leurs odyssées et les prévenir des éventuelles menaces, un pacte a été scellé, stipulant qu'aucune prophétie ne serait dissimulée par l'un d'entre nous. Ce pacte a été respecté pendant trois mille trois cent trente-quatre ans.

     Il ferma les yeux, puis se laissa retomber sur sa chaise.

— Il y a de cela dix-huit années, notre gouverneur a reçu un message stellaire différent des autres. À la seconde où ses vers lui sont parvenus, il les a bloqués dans son esprit et a coupé contact avec ses frères... avec moi. Aucun Triménium n'a eu de nouvelles depuis.

     Personne n'osa effectuer le moindre geste, ni même se manifester par un quelconque soupir. Bien qu'il eût du mal à tout assimiler, Noà avait le sentiment qu'Orbis venait d'annoncer au monde qu'il était perdu.

— Le fait qu'une vingtaine d'années plus tard, une armée de nortox ressurgisse et anéantisse un pauvre village septentrional à la recherche d'un oracle, ça ne peut être une coïncidence. D'une manière qu'il m'est insupportable d'avouer, Tòphios, ou du moins l'Ombre dont il parle, a dû finir par avoir vent de ce présage et parcourt désormais Ustral afin de s'accaparer ses vers.

— Mais... vous avez dit il y a quelques minutes que seule l'assemblée des Triméniums était capable d'intercepter des prophéties d'une telle ampleur, renchérit Iryanä. Comment qui que ce soit d'autre aurait pu savoir que Kraskènyd ait reçu l'une d'entre elles, il y a dix-huit ans ?

     Orbis fixa la princesse avec grièveté. Son silence suffit à lui octroyer sa réponse. Noà se figea dès l'instant où il comprit à son tour. Un frisson le traversa de part en part tandis que sa Foudre vibra dans ses entrailles.

— Ne me dites pas que...

— Hélas, j'en ai bien peur, la coupa l'oracle d'une voix emplie de tristesse. Un de mes frères a dû informer l'Ombre de l'arrivée de la Grande Prophétie. En d'autres termes : un membre de l'assemblée des Triméniums est un traître à son service.

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2WEI~ Pushing On ♪

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