Noà ne détacha son regard du roi que lorsqu'il sentit une main se poser sur son épaule. Il n'avait aucune idée de pourquoi il se comportait de la sorte face à lui. Une bouffée d'idolâtrie et de respect s'était emparée de chacun de ses membres, comme s'il se trouvait devant l'un des dieux.

     Il y avait plusieurs tours de cela, Boulrèk lui avait narré la légende d'Adràzyde et de son peuple fabuleux, différent de tous ceux ayant foulé les terres d'Ustral. Qualifiée comme la plus puissante de l'Histoire, cette communauté n'apparaissait que dans les anciens manuscrits. Jamais Noà n'en avait rencontré dans sa vie et, jusqu'au récit de l'oracle, il n'en avait surtout jamais entendu parler.

     Bien qu'il doutât en premier temps de ce mythe, le xomythois s'était lentement fait à l'idée que les Lumières avaient existé. Et voici que, dans la salle des trônes de Drakkä, il venait de rencontrer un roi respecté de l'ensemble du royaume, mais surtout un descendant direct d'Adràzyde, la progéniture du fils de Sâtomb.

— Je... je m'appelle Noà Leckner, balbutia-t-il en baissant la tête.

     Stelleüm et Ylærä se lancèrent un regard intrigué. Le roi reporta ensuite son attention sur Kalyö.

— Tu me dis les avoir trouvés dans la Forêt des Ambres ?

     Le commandant d'escadron acquiesça.

— Qu'en est-il de Smaragdus ? N'était-elle pas dans les environs ?

     Noà ravala sa salive avec difficulté. Si Kalyö avouait ce qu'il s'était passé, racontait la façon dont Töm avait saccagé la forêt, Stelleüm les renverrait du royaume sur le champ.

— Elle a fait son travail, comme convenu, répondit-il. Ils étaient sur le point de se faire aspirer, mais nous sommes intervenus à temps.

     Töm et Noà écarquillèrent les yeux. Le drakkien venait de mentir devant le roi sans trembler. Stelleüm se tourna vers les concernés et, sans afficher la moindre expression, les incita à prendre la parole.

— Mon ami, mon frère et moi venons de Xomythe, un village mineur situé au nord-ouest d'Azikru, commença Aria. Une série d'évènements nous a forcés à le quitter et prendre la fuite.

     La Lumière haussa les sourcils alors que son regard doré s'assombrissait. À son tour, Kalyö se tourna vers l'ustraloise. Une vive curiosité semblait s'être emparée de lui.

— Je... je ne sais pas si nous sommes autorisés à en parler librement, murmura-t-elle.

— Si votre situation requière une écoute du Conseil Royal, alors soit, intervint Ylærä avant de se lever de son trône, les iris cristallins rivés les soldats du troisième escadron. Vous pouvez disposer, Drakkä vous remercie pour vos services.

     L'instant d'après, Naély, Sélianh, Phöra et les autres guerriers tournèrent les talons, puis quittèrent la salle des trônes. Seuls Kalyö et le vieil homme demeuraient présents.

— Tu peux continuer, reprit la reine.

     Hésitante, Aria dévisagea ses partenaires, qui l'encouragèrent d'un signe de tête.

— Xomythe a été attaqué il y a trois tours. Mes amis, ma mère et moi avons été forcés de rejoindre Azikru afin de trouver refuge. Il y a de fortes chances que nous soyons les seuls survivants...

     Personne ne prononça le moindre mot. Les yeux plissés, Kalyö demanda :

— Où est votre mère ? Il n'y avait que vous dans la forêt.

— C'est une pèlerine... elle a dû rester sur Azikru. L'oracle du village nous a informés de votre système de sécurité et a trouvé plus judicieux de la garder avec lui. Nous pensions qu'elle serait à l'abri puisque ces créatures n'ont d'abord pas cherché à s'aventurer au-delà de Xomythe, mais...

— Ces créatures ? l'interrompit Stelleüm d'une main levée. Que veux-tu dire ?

— Des nortox ont envahi les terres septentrionales, mon roi, prononça le vieil homme d'une voix fébrile. Le présage stellaire est conforme à ce que mes frères et moi craignions. Il concerne notre époque, et la venue de ces élémentaires ne fait qu'attester cette vérité cataclysmique.

     La Lumière se rassit lourdement sur son trône et prit la main de sa femme. Ce geste, aussi affectueux que vénérable, fit frissonner chaque individu présent dans la pièce.

— Alors tout est vrai... souffla Ylærä.

— De quoi parlez-vous ? l'interrogea Noà, le cœur au bord des lèvres.

— Comment êtes-vous arrivés jusqu'ici ? reprit Stelleüm. Vous avez fait tout ce chemin, seuls, jusqu'au royaume ?

     Aria secoua la tête.

— Nous avons eu de l'aide, mais l'élémentaire qui nous a accompagnés a dû faire demi-tour en cours de route. Il est retourné sur Azikru en urgence lorsque nous avons appris que... que ces monstres...

     Elle se tourna vers son frère, qui s'était mis à trembler. Noà se souvenait parfaitement de la menace de Joànne sur Zajox, affirmant que Xomythe n'avait pas été le seul village détruit, et qu'Azérine, la mère des jumeaux, était probablement en danger.

— S'il vous plaît, marmonna Töm en se rapprochant des trônes. Il faut que vous envoyez une équipe sur Azikru, que vous sauvez ses habitants. Le village est peut-être déjà décimé au moment où je vous parle. Et ma mère... elle est là-bas, toute seule...

     La gorge nouée, Noà croisa le regard d'Ylærä, qui l'examinait en silence. Ses iris polaires semblaient lire en lui comme dans un livre ouvert. Après quelques secondes, un sourire doux et compassionnel apparut sur son visage, comme si elle savait que, contrairement à ses amis, lui n'avait plus personne.

— Nous ne pouvons prendre le risque d'envoyer un escadron aussi loin si ce village n'a subi aucune attaque, annonça Stelleüm après réflexion. Ces créatures vous ont peut-être suivies jusqu'ici et s'apprêtent à attaquer le royaume. Nous avons besoin de toute notre force militaire.

     Töm serra les poings. Ses spasmes s'intensifièrent.

— Étaient-ils nombreux, sur Xomythe ? demanda Kalyö.

— Plusieurs centaines, affirma Noà. La moitié de leur effectif aurait suffi à anéantir le village. Ils ont mis tout en œuvre pour trouver le prophète qu'ils cherchaient, mais il n'y en avait aucun. Leur chef s'est trompé d'endroit. Il... il a assassiné tous les habitants à tort.

     À mesure qu'il parlait, Noà sentit son corps se contracter, sa mâchoire se serrer. Des scènes de l'attaque s'immiscèrent à nouveau dans son esprit, mais il sut les faire disparaître. À l'instant où il se reconcentra, il remarqua que tous le fixaient d'un air horrifié.

— Qu'est-ce que...

— Leur chef ? chuchota Ylærä, comme si elle craignait que quelqu'un les entendît. Tu veux dire qu'Arkalax...

— Arrête, la coupa aussitôt son mari. C'est impossible.

— Mais, tu as bien entendu !

     Elle reporta son attention sur Noà.

— De quoi avait-il l'air ? S'est-il présenté à vous ? A-t-il mentionné son nom ?

— Il... selon Boulrèk, il s'appelait Tòphios. Un démon hybride au corps de loup. C'est lui qui menait l'attaque. Il aurait pu nous éliminer, comme il l'a fait avec tout le monde, mais il nous a laissés fuir.

— Par tous les dieux. Pourquoi prendrait-il la peine de vous épargner ?

— Parce qu'il voulait que nous vous prévenions, répondit Aria à sa place. Vous et tous les royaumes d'Ustral. Il a parlé d'une Ombre qui se répand... et c'est ce pourquoi nous sommes là. Boulrèk nous a confiés la tâche de rejoindre Drakkä et demander un entretien avec votre Triménium. Selon lui, ce Tòphios recherchait le gouverneur de cette assemblée, l'Oracle du Temps. Nous devons savoir où il se trouve, le retrouver avant ces démons et comprendre pourquoi notre village a été détruit. Comprendre ce qui est en train de se passer...

     Kalyö toisa Aria avec une peur sans précédent, à tel point que Noà ne le reconnut presque pas. Ce qu'il avait face à lui n'était plus le visage d'un chef d'escadron, mais celui d'un jeune homme terrifié.

— Vous croyez que l'Ombre dont-il parle...

— Oui, affirma la reine. Ce n'est pas possible autrement.

— Ylærä... intervint Stelleüm.

— Si ces élémentaires disent vrai, il ne peut s'agir que de lui !

— Une autre entité a peut-être choisi son nom afin de lui rendre hommage.

— Alors comment expliques-tu la présence de l'hybride ?

— Il était seul. S'il s'agissait bel et bien du Tòphios des manuscrits, où se trouvaient ses deux complices lors de l'attaque ?

— Occupés à fouiller un autre village, peut-être ? proposa Kalyö.

     À court d'arguments, le roi se tourna vers le vieil homme, à la recherche d'un dernier espoir. Ses iris dorés le suppliaient de lui apporter la réponse qu'il attendait.

— Orbis, que savez-vous ?

     Le visage dénué de toute expression, l'ancien se contenta de se rapprocher, le dos voûté et la tête inclinée.

— J'attendais leur venue, mon roi. Dès l'instant où le Seigneur du Temps a scellé la prophétie dans son esprit, nous empêchant, mes frères et moi-même, d'accéder à ses vers, j'ai compris qu'une entité funèbre s'était éveillée. Hélas, si la présence de Tòphios ne nous donne aucune certitude quant à l'identité de l'Ombre en question, ma conscience m'oblige à vous alerter, à émettre la possibilité qu'il soit reparu.

— Qu'en est-il de la Guerre des Lumières, alors ? De l'imploradiation de Glawar Hyr'gor ?

— Ceci une question dont je n'ai malheureusement pas la réponse. Il est trop tôt – ou trop tard – pour émettre une quelconque hypothèse.

— Il nous faut convoquer le Conseil Royal sur le champ, ordonna Stelleüm. Je le veux rassemblé dans le Consulat demain, à la première heure. Kalyö, lance l'appel et demande à Sélianh de te remplacer.

     L'élémentaire terrestre retrouva ses esprits. L'émeraude de ses yeux s'obscurcit tandis qu'il adressait une révérence à la famille royale.

— Attendez ! s'exclama Töm avant que le commandant n'eût quitté la salle. Maintenant que vous savez que nous n'avons pas été suivis, vous pouvez envoyer des guerriers sur Azikru pour secourir les habitants !

— Ce sujet a déjà été discuté, contesta Stelleüm. Nous ne prendrons pas le risque de...

— On a fait tout ce chemin pour vous prévenir d'un danger qui menace aussi votre royaume ! le coupa le garçon, sous les regards ébahis de Noà, Aria et Kalyö. La moindre des choses serait de nous accorder cette faveur ! Ma mère est seule, là-bas, entourée d'inconnus dans un village qui n'est pas le sien et qui est peut-être déjà réduit en poussière !

— Compte tenue de la gravité de la situation qui touche Drakkä, la distance à parcourir pour effectuer cette mission est bien trop élevée. Qui plus est, le statut de pèlerin de ta mère l'empêcherait de franchir l'enceinte du royaume.

     D'un pas hésitant, Kalyö s'approcha des marches menant au trône de la Lumière.

— Si je puis me permettre, mon roi... peut-être pourrions-nous demander à Matharach et ses enfants d'accomplir ce sauvetage ?

— Il a raison, Stelleüm, fit remarquer Ylærä d'une voix douce. Le trajet serait considérablement réduit. Dylix et Kréah pourraient transporter au moins cinq survivants chacun. Nous leur devons bien cela...

     N'ayant aucune idée de ce dont ils parlaient, Noà observa le roi réfléchir à cette requête. Après quoi, il se leva de son fauteuil d'or.

— Fort bien, trancha-t-il. Kalyö, trouve Matharach et fais-lui part de cette décision. Il a jusqu'à l'aube pour se préparer. Assure-toi que son remplaçant ait connaissance de son départ afin qu'il puisse prendre la tête de l'escadron jusqu'à son retour.

     L'élémentaire hocha la tête, un sourire satisfait dessiné au coin des lèvres.

— À vos ordres, mon roi.

     Il tourna alors les talons et, quand il passa à hauteur des trois xomythois, Töm, à moitié soulagé, lui souffla un « merci ».

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Ivan Torrent ~ Glimmer of Hope ♫

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