Chapitre 11 [2/3] ~ La Cité des Élémentaires

- Précédemment -

     Kalyö n'insista pas. Au même moment, Naély réapparut, des carcasses de lapins, d'écureuils et de svàtorns attachés autour de la taille. Kalyö lui ordonna de rester en retrait des trois ustralois et la soldate obtempéra.

— On n'est visiblement pas les seuls à avoir des problèmes, murmura Töm à ses acolytes.

— Nous y sommes, annonça le commandant, les yeux baissés sur un chemin de terre dessiné dans l'herbe. Par ici, les nouveaux.

Tous suivirent Kalyö, franchirent le dernier mur d'arbres de la Forêt des Ambres, puis, comme il venait de l'indiquer, arrivèrent à destination.


     La première chose que Noà aperçut devant lui fut un pont ; un immense pont sculpté comme il n'en avait encore jamais vu dans sa vie. Bâti dans ce qui s'apparentait à du verre, l'édifice reflétait les rayons de Zunqèl et dégageait des ombres nitescentes qui, elles-mêmes, allaient percuter les tours de pierres trônant à son extrémité. Sous sa surface – brillante et brûlante d'aspect –, d'étranges faisceaux multicolores se mouvaient, se croisaient, s'entrechoquaient avec une intarissable véhémence, comme s'ils étaient prisonniers et cherchaient à s'enfuir depuis l'ère des dieux.

     Situé entre les deux tours, un énorme portail noir en fer forgé exhibait sa somptuosité. Noà s'approcha un peu plus. Il parvint à distinguer, au centre, un symbole qui magnifiait son architecture. Celui-ci représentait une étoile à six bras, au bout desquels chaque élément des dieux – façonné et coloré dans le métal – s'entortillait. Tous s'estompaient à mesure qu'ils rejoignaient le cœur, jusqu'à former une seule et même pierre précieuse dorée.

     Au-delà du pont, du portail et des tours, Noà discerna d'autres bâtiments et habitations, dont la couleur des toits variait entre le vert, le rouge, l'argenté, le cyan, le saphir ou l'émeraude. Il ne lui fallut pas plus de temps pour comprendre qu'ils étaient, eux aussi, représentatifs des six pouvoirs divins. Bien qu'il ne pût en observer davantage à cause des remparts, il n'avait désormais plus qu'une seule hâte : s'engouffrer à l'intérieur, franchir ses portes et découvrir le reste de Drakkä.

— Remettez-vous en, annonça Kalyö, amusé par l'air ébaubi de ses hôtes.

     Avec difficulté, Noà se ressaisit. Il regarda les jumeaux afin de s'assurer qu'ils assistaient au même spectacle.

— Vous n'avez encore rien vu, poursuivit Naély, revenue à leur hauteur. Attendez de voir le château, le dôme d'entraînement, la caserne, le réfectoire, les...

— Je suppose que vous connaissez l'histoire de ce pont ? l'interrompit le chef d'escadron.

     Les xomythois secouèrent la tête.

— Vous ignorez qu'aucune espèce d'Ustral, autre qu'un élémentaire, n'est acceptée dans l'enceinte du royaume ?

     Noà repensa à sa conversation avec Boulrèk, avant de quitter Azikru.

— On ne savait pas que ce pont en était la cause, mais oui, on en a entendu parler... répondit-il sans s'attarder sur le sujet.

— À croire que vous n'acceptez pas de cohabiter avec une espèce différente de la vôtre, cracha Aria à l'égard de la troupe de drakkiens.

— Du calme, la nouvelle, intervint Sélianh. Les défenses de Drakkä sont présentes depuis la nuit des temps. À l'époque, les élémentaires d'Ustral connaissaient beaucoup de conflits avec les autres espèces. Les elfes nous méprisaient, les nains cherchaient à s'accaparer nos terres, les naïades se moquaient de notre... courte longévité. Si tu veux blâmer quelqu'un, défoule-toi sur les bâtisseurs ; ceux qui ont construit ces passerelles après la création du royaume, afin d'assurer la protection de chaque habitant.

— Et qu'est-ce qu'un joli pont pourrait faire contre une armée qui déciderait de le détruire ? l'interrogea Töm d'une voix sarcastique.

     En premier temps, personne n'osa répliquer. Après quoi, Kalyö prit les devants et s'engagea sur l'édifice.

— Tu vois ces rayons ? Ces sortes de lumières multicolores qui flottent sous mes pieds ? Eh bien... ils renferment les pouvoirs des élémentaires qui se sont imploradiés pour achever la construction des trois ponts du royaume.

— Qui se sont... quoi ?! s'exclama l'ustralois, aussi stupéfait que sa sœur et Noà. Six personnes se sont tuées pour construire trois gros bouts de verre ?

     Les membres du groupe se retinrent de rire.

— Mais... ça tournait pas rond, chez eux !

— Personne n'est parfait, avoua l'un des soldats. Ils devaient croire que leur acte rendrait les dieux fiers ou les enverrait sur Lyréah. Personnellement, si leur sacrifice me permet de dormir chaque nuit sur mes deux oreilles, je ne vais pas me plaindre.

— C'est tout bonnement impossible, contesta Aria. Comment est-ce que la vague élémentaire dégagée pendant leur imploradiation a pu être récupérée et placée à l'intérieur du verre ?

— Ce n'est qu'une légende, la rassura Kalyö. Ces passerelles datent de plusieurs millénaires, personne n'est encore vivant pour pouvoir l'authentifier. Enfin... presque plus personne ne l'est.

     Sans savoir s'il plaisantait ou non, Noà ravala sa salive et franchit à son tour le pont.

— Qu'est-ce qu'il se passe, alors, si une autre espèce essaye de le franchir ?

— La personne se retrouve gelée, brûlée, foudroyée, étranglée, tout en ayant la sensation d'être noyée et prise au piège dans l'œil d'un cyclone, répondit Kalyö d'un ton nonchalant.

     Les xomythois s'arrêtèrent à l'unisson. Des gouttes de sueur perlèrent le long de leur visage tandis qu'ils baissaient les yeux sur la surface transparente.

— Tout ce qu'il y a de plus normal, quoi... bredouilla Töm. C'est moi ou ce pont arrive à me faire douter de ma propre identité ?

— C'est vrai que, puisque t'es à moitié glougne, ça pourrait porter à confusion, fit remarquer sa sœur.

     Arrivé au bout de la passerelle, devant l'immense portail, Kalyö leva la tête vers un drakkien en armure apparu au sommet de la tour ouest.

— Veuillez décliner votre identité ! cria-t-il.

— Kalyö Sandust, répondit le soldat, un sourire au coin des lèvres. Commandant d'armée du troisième escadron, membre du Conseil Royal et de la garde rapprochée du roi !

     Le guet se mit à ricaner et Kalyö se joignit à lui.

— Je plaisantais, commandant ! Je voulais m'assurer que tu te souvenais de tes titres !

     Son regard dériva sur les trois nouveaux arrivants.

— Tu as amené des nouvelles recrues ?

— Pas vraiment, on les a trouvés dans la Forêt des Ambres. Je dois les emmener voir Stelleüm, active-toi !

— Pas de souci, patron !

     Le portail noir s'ouvrit en deux dans un crissement métallique et laissa l'entrée au royaume libre d'accès. Kalyö avança sans hésiter, suivi de près par sa cohorte.

     Les rescapés de Xomythe se regardèrent alors et Noà ressentit une immense fierté. Une fierté mêlée à de la détermination, mais aussi – et surtout – à de la délivrance. Il avait l'étrange impression que le pire était encore à venir, mais, ensemble, les jumeaux et lui y étaient parvenus. Ils venaient de réussir la mission que leur avaient confiée Gréo et Boulrèk. Ils venaient de franchir Drakkä.

     Quand il passa les grilles en fer forgé, Noà posa le pied sur une immense cour pavée de pierres, aux teintes variant entre le gris ardoise et l'argile. D'elles se dégageaient une telle brillance et propreté qu'elles donnaient l'impression d'avoir été placées la veille.

     Le lieu était bondé de monde. Des dizaines de stands proposant des vêtements, de la nourriture ou des broderies s'étalaient aux quatre coins et accueillaient les habitants avec cordialité. Au cœur même de la cour trônait une gigantesque fontaine en or, sur laquelle était taillé le même symbole présent sur le portail : l'étoile aux six bras. Les xomythois l'admirèrent avec fascination. À leur côté, Naély les remarqua et posa à son tour les yeux sur la fontaine :

— C'est l'Exhadràlûm, dit-t-elle d'une voix solennelle.

— Quoi ? fit Noà.

     Elle lui montra l'étoile du doigt.

— Ça. C'est l'Exhadràlûm, la relique qui a redonné un souffle à Ustral après le sacrifice des dieux, ce qui nous distingue aujourd'hui de toutes les autres espèces.

— J'ai l'impression d'avoir déjà vu ce symbole quelque part...

— C'est normal. Chaque élémentaire est censé connaître la légende. Lorsque Cyélinne, Zoraïn, Boréale et leurs frères se sont imploradiés pour anéantir Sâtomb, l'intégralité de leur puissance s'est déversée sur Ustral. Juste avant leur sommeil éternel, on raconte qu'ils ont réussi à enfermer une partie de leur âme dans un objet. Un objet qui conserve le reste de leur pouvoir ; la source qui offre un don à chaque élémentaire nouveau-né.

— Et cet objet, c'est ça... ?

     Naély hocha la tête.

— Des milliers d'explorateurs ont passé leur vie à essayer de retrouver ce vestige légendaire, mais aucun n'a pu mettre la main dessus. Seuls les anciens manuscrits peuvent nous en donner une représentation. Et celle qui revient le plus, c'est celle-là : une étoile, décrite comme étant Lyréah, la mère des dieux, et qui renferme dans chaque bras l'âme de Ferkhâd, Cyélinne, Tellüs, Boréale, Aelèk et Zoraïn. Tous se réunissent pour former cette pierre dorée.

— Et elle a quelle signification, cette pierre ? l'interrogea Töm, absorbé par le récit de la soldate.

— Je pense que tu le sais déjà. Les éléments de nos ancêtres divins, reliés en un seul... un unique pouvoir, à la puissance aussi effrayante que fascinante...

— La Lumière... murmura-t-il.

— Exactement.

— Donc ce symbole veut prouver aux ustralois que les Lumières ont bel et bien existé ? supposa Noà.

     Naély se mit à glousser. Elle posa ensuite la main sur son épaule.

— T'es mignon, mais peut-être trop insouciant. Les Lumières ont existé, et elles existent toujours aujourd'hui.

     L'ustralois soutint son regard afin de s'assurer qu'elle ne se moquait pas de lui.

— Tu en as déjà rencontrées ?

     À l'instant où elle s'apprêtait à répondre, Kalyö les rejoignit et mit un terme à leur conversation.

— Il ne faut pas traîner. L'horaire des rapports va bientôt être terminé et le roi n'acceptera plus de visite.

— On arrive, rétorqua Naély. J'étais en train de leur raconter l'histoire de l'Exhadràlûm.

— Laisse-les discuter avec Stelleüm avant de parler de ça. Allez, ne perdons plus de temps.

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Evgenij Latsko ~ Longest Journey ♫

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