5 : L'Exode (1/3)

« - Bonjour Hécate... Fit Manuel en avançant sur le pont. Là où les AMC des papillons s'étaient installées. Les différents pilotes préparaient leurs machines à partir. L'escadron d'AMC avait décidé de ne pas rester avec la Fantasy-Circus. Ils emporteraient avec eux les corps des décédés. Le pilote de Berserker avait passé les dernières nuits à fixer les cadavres dans leurs sacs étanches. Les conséquences que cette tragédie avait causé laisserait une marque au fer rouge sur son âme. Il en payerait un jour le prix, il le savait, il le sentait. Maintenant, le temps de la séparation était arrivé et il comptait bien que les papillons tirent cette affaire au clair. Le navire volait sur ses réserves, et se préparait à changer de monde dans quelques instants.

- Emilia, corrigea la jeune femme. Dis, tu comptes vraiment faire sécession ?

- Je n'ai pas le choix, ils ne veulent plus de moi.

- Tu es sûr qu'il n'y a pas eu une erreur quelque part ?

- Mon erreur a été de continuer à faire confiance à des gens qui ne désiraient que ma mort. Et on en a tous payés le prix... Je suis navré pour tes hommes. Je... je n'étais plus moi-même.

- Promet-moi que tu ne t'attaqueras jamais aux troupes humaines, éluda la guerrière.

- Je suis encore Humain. J'essayerais d'éviter dans la mesure du possible. Mais rien ne dit qu'ils me laisseront tranquille non plus.

- Pas faux. Et elle ?

- Qui Nemaya ? J'ai pas encore compris pourquoi elle s'est soudain mis en tête de nous aider.

- Non : ta ''femme'', précisa la combattante.

- Quoi ma femme ?

- T'as pas l'impression d'une relation contre nature ? Un genre de zoophilie ? »

Durant un cours instant, les deux soldats se regardèrent sans parler ni bouger. La major des Papillons semblait inquiète, Manuel, lui cachait sa surprise et sa colère.

« - On va tout de suite préciser les choses : Salida est ma femme, et ce n'est pas un animal. C'est une chimère, certes, mais pour moi cela n'a aucune espèce d'importance. Avec une réflexion pareille tu me rappelles les sombres heures du racisme...

- Oh ! Coupa la jeune femme. Doucement...

- Doucement ? Après ce que tu viens de dire ?

- J'essaie de t'expliquer que c'est ce qu'ils vont dire de toi !.. »

Sur le coup, Manuel ne comprit pas ce que disait Emilia. Mais la jeune femme continua :

« - ... Ils vont te traîner dans la boue. Ils vont déformer la réalité, pour dire les pires horreurs sur toi. En es-tu conscient ? Sauras-tu le supporter ? Et ce que j'ai dit n'est que l'une des pires saloperies qu'ils vont faire. Moi, perso, si tu t'amuses avec la boule de poil j'm'en fout, mais pense aussi aux conséquences.

- Hécate, dit calmement Manuel, Merci pour ta sollicitude. Mais si je leur tourne le dos, c'est pour qu'ils parlent à mon cul.

- Ça, j'avais compris. Fait gaffe à toi quand même, j'espère aussi que ton cul saura répondre avec tact. »

Soudain, avec un bruit de tonnerre, un portail s'ouvrit devant la proue du navire.

« - Voici le moment pour nous dire au-revoir Doux-Dingue. Constata la jeune femme.

- J'en ai l'impression. Prends soin de toi, les salauds qui te commandent ne te considèrent que comme un matricule.

- Fait aussi attention, si tu t'attaques aux troupes humaines, tu risques de me retrouver en face de toi. Et là, je ne ferai plus de cadeau. »

Le jeune homme ne répondit pas à cette dernière phrase. Il regarda la combattante s'installer dans sa machine avant que le navire ne traverse le portail. Ils firent un dernier signe de main avant que l'escadron Papillon ne s'envole vers le sud. Manuel regarda les points noirs disparaître sur l'horizon bleu. Le soleil était encore un peu bas sur le ciel, et il descendait lentement. Un peu plus en contrebas, les nuages, et la verdure liée à la forêt qui avait reprit ses droits devenaient de plus en plus sombre. Il quitta le pont pour se diriger vers sa machine dans la partie arrière et inférieure du navire. Déformée en plusieurs endroit, l'engin n'était pas beau à voir. Néanmoins, il s'installa au poste de pilotage de manière volontaire. Dés l'allumage, ce qu'il supposait se réalisa : une douleur sans nom s'installa dans son corps, qui subissait la même sensation que sa machine distordue. Il se trouvait dans les ténèbres et l'engin se réparait lentement.

Soudain, il se retrouva au milieu du jardin du château. Le ciel était toujours d'un bleu aussi limpide qu'un ciel d'été, et les nuages se déplaçaient lentement sous le château suspendu. Mais le décors avait changé : Le château blanc était couvert de gravures plus ou moins profondes dans des motifs artistiques impressionnants. Le jardin était désormais d'une luxuriance digne des forêts tropicales. Au loin, sur les remparts, les silhouettes inquiétantes patrouillaient au pas de loi. Le jeune homme reconnus des hallebardes entre leurs mains. Par réflexe, il se jeta dans la verdure.

« - Tu as perdu quelque chose ? Demanda le loup.

- Chut, cache-toi, ils vont nous voir, murmura Manuel.

- Et ?

- Qu'est-ce que c'est ? Redemanda le jeune homme avec un léger doute dans la voix.

- Ta volonté de protéger ce qui t'es cher.

- Donc, en gros... je risque rien, fit Manuel.

- Complètement, répondit le loup amusé.

- Et toi ? Comment tu vas ? Fit-il en regardant le loup assis juste derrière lui.

- Je suis toi. Tu vas bien, je vais bien... »

Le jeune homme laissa échapper un soupir de soulagement avant que le loup ne finisse sa phrase : « ... Mais tu as laissé la bête prendre le contrôle total de ta machine. Et, même si ce n'est pas visible à première vue, ça laisse des séquelles.

- Merde, lesquelles ?

- Suis moi. Tu dois voir ça. »

Manuel suivit alors le loup dans le dédale de couloirs, de tours et de jardins qu'était devenu la bâtisse. Le bâtiment avait triplé de volume et les connexions entre les différentes ailes étaient également plus complexes. Sur certains murs, de longues bandes dorées retirent son attention. Dans cet espace imaginaire, ou tout était généralement droit et bien proportionné, ces traces, souvent inclinées faisaient tâches. Plus il suivait le loup, plus ces bandes étaient fréquentes. Manuel reconnu sans peine la lourde porte qui menait dans les souterrains du château, chose étrange, toutes les bandes dorées y convergeaient. La sensation malsaine liée à l'approche de la bête apparut. Comme la première fois, la nausée le pris au ventre. Pourtant, il suivit le loup blanc tatoué jusqu'au tréfonds, devant la tanière de la bête. Durant toute la descente des escaliers, les traces dorées couraient le long des murs. Manuel vit alors Ego se transformer lentement, comme la première fois en un être digne d'un film d'horreur. Enfin, ils pénétrèrent dans le caveau, la porte qui gardait la bête enfermée avait été défoncée. Juste au-dessus, suspendu au-dessus du sol, immobile, telle une momie enroulée dans les bandelettes d'or qui quittaient les murs, un énorme loup. Bien plus gros qu'Ego, l'animal avait la taille d'un bœuf adulte. Le monstre était recouvert d'une telle quantité de ce tissu doré que l'on ne voyait ni son pelage ni ses yeux. De temps en temps, une petite vapeur noire s'échappait d'entre deux bandes.

« - Ne le touche surtout pas. Fit Ego avec une voix grave et gutturale.

- C'est... la bête ? Demanda Manuel avec la nausée.

- Oui. Ces bandes la retiennent. La prochaine fois, elle te tuera.

- Qu'est-ce qui pourrait la libérer ?

- Toi, comme avant, tu es le seul à pourvoir le faire. Je ne saurais te répéter de ne pas les toucher : l'équilibre est fragile, une erreur pourrait être fatale.

- Pourquoi a-t-elle la même forme que toi ? Arriva à articuler le jeune homme avec difficulté.

- Manuel, reprit le loup ailé. Tout les trois, nous ne faisons qu'un. Nous sommes les facettes d'une même personnalité : toi. »

A ces mots, la créature ficelée fut agitée de spasmes. Elle fit vibrer les bandes d'or qui se tendirent, contraignant le monstre à se calmer immédiatement.

« - Elle sait que nous sommes là. Allons-nous en, ça pourrait dégénérer.

- Je te suis. » Répondit Manuel avec une voix un peu rauque.

La remontée des escaliers se fit en silence, le jeune homme perdu dans ses pensées ne vit même pas le loup redevenir ce qu'il était à l'origine. Une fois sous le ciel bleu, il se risqua à poser une question :

« - Comment la bête s'est-elle faite capturer ?

- Il n'a suffit que d'un moment d'inattention de sa part. A ce moment là, dés qu'elle n'eut plus d'emprise sur toi, un programme nommé Gleipnir l'a capturé. C'est lui qui est représenté par ses bandes d'or.

- Ne peut-on la remettre dans sa tanière ?

- Difficile, mais pas impossible. Ça ne dépends, là encore, que de toi.

- Je fais comment ?

- Aucune idée. »

Manuel chercha dans le regard du loup une trace de moquerie, mais elle était totalement absente. Il comprit alors qu'il y avait certainement un moyen, mais qu'il n'avait pas encore été découvert.

« - Combien de temps pour réparer le Berserker ? Préféra-t-il changer de sujet.

- Tu as donc compris que j'avais coupé les retours nerveux...Trois jours minimum.

- Hein ? Autant que ça ?

- Je te rappelle que toute la structure est déformée. Tout doit être vérifié avant la reconnexion.

- Ça fout en l'air ma stratégie... déplora le jeune homme.

- Pas de bol... C'est le prix à payer quand on pète les plombs. »

*

Calianne s'était installée dans le mess du navire. Elle jouait avec la flamme d'une bougie. La dryade avait vu les Berserkers aux visages humains quitter le bord sans vraiment de sentiments. Les trois autres pilotes s'étaient enfermés dans leurs engins respectifs pour les réparations. Au-delà de ça, l'annonce du mariage entre Manuel et Salida avait rapidement fait le tour du navire. L'équipage s'en moquait, préférant sourire en voyant la capitaine et sa compagne. Le reste de l'hétéroclite équipe avait l'air de s'en réjouir pour la plupart. Seuls le commando et la scientifique avaient l'air d'être choqués par l'annonce. Mais personne ne partageait vraiment son sentiment : la tristesse.

Elle réfléchit alors aux raisons qui la poussaient à la jalousie. Le lien qui les unissaient était fort et puissant. Ce qui s'était passé lors de la bataille contre les autres machines l'en avait convaincue. Le possible décès de la tigresse l'avait en partie soulagée, mais sa réapparition l'avait anéantie. Lorsque le jeune homme avait perdu tout contrôle sur lui-même, elle avait aussi tenté de le raisonner par radio.

Aucun effet. Salida, en revanche, n'avait eut besoin que d'un seul essai.

Le pouvoir que la chimère avait sur Manuel lui faisait terriblement envie. Après une courte discussion avec Fernand, le second pilote, elle ne comprit son erreur que trop tard. Elle aurait dû lui parler plus tôt, bien avant Salida. Maintenant, ils s'étaient liés, et, d'après leurs coutumes respectives, la fidélité avait son importance. Une fidélité que Calianne ne comprenait ni ne concevait. Cette notion sentimentale n'avait pas de valeur dans sa société. Les sylvains et les dryades vivaient en osmose, mais chacun dans leurs coins de village. Les couples se faisaient et de défaisaient de manière régulières, il était rare que ces derniers durent plus de cinq ans. Les cas de litiges étaient faibles, la plupart du temps, la patience suffisait à désamorcer la situation.

Mais que faire dans un cas comme celui-là ? Comment écarter Salida ?

« - Et moi je te dis que c'est une mauvaise idée ! Murmura Tégos avec colère assise sur la banquette derrière elle.

- Tu ne peux pas les laisser vivre ? Répondit Oneshot.

- Suis-je la dernière à imaginer que Salida reprendra un jour sa forme initiale ? Elle doit le faire, reprit la chimère sur le même ton.

- Elle ne le fera pas.

- Mais ces informations sur le disque dur d'Happy Summers...

- N'ont plus d'intérêt pour elle, fini Oneshot. Oh, c'est sûr on pourrait lui rendre sa forme originelle, mais le voudra-t-elle ? Je n'y crois pas : ces deux-là vont bien ensemble, même s'ils sont différents... En plus, je trouve que c'est un super message pour l'avenir.

- ''Couchez avec un Humain, vous verrez c'est rigolo !'' Super ton message, railla la chimère énervée.

- Je pensais plutôt à un message de paix. Après vingt ans de guerre, ça fait du bien de voir un peu d'espoir... Encore plus s'il s'agit d'un membre de la famille royale. »

La sincérité, et la justesse des paroles de l'ancien sniper ébranlèrent les convictions de la combattante.

Juste derrière eux, une petite lueur d'espoir dans les yeux, Calianne se leva.

*

* *

*

« - Attention monseigneur, il approche. »

La voix de Rig-rid dans les oreilles d'Arsear qui se déplaçait dans l'un des couloirs du navire le fit sourire :

« - Qu'est-ce que ça donne ?

- D'après sa trajectoire, il va passer au-dessus de la zone de test dans quelques instants. Mais je vous répète que ce que vous faites est dangereux.

- Je sais Rig-rid, mais si cela n'avait pas été des esclaves, le reste des équipages n'aurait pas comprit.

- Mais les laisser sur le passage du cœur d'Erapha comme cela, sciemment, c'est dangereux et irresponsable : on ignore tout de cette chose.

- Justement. Je veux savoir, bon, ça suffit maintenant, je vais monter sur le pont. Berik, Osrak, Braniss, au rapport !

- Ici Berik, tout est bon Monseigneur, nos jauges ne bougent pas, le cœur ne nous touche pas.

- Ici Osrak, Nous sommes prêt également, tout nos instruments de mesures ont été réglés pour être les plus sensibles possible.

- Monseigneur ? J'ai une vue imprenable sur les sujets d'étude. Il sont vivants pour le moment. Les trois sarbacks se déplacent normalement.

- Bien. Attention tout le monde, le cœur d'Erapha arrive, personne ne sait vraiment ce qui va se passer, soyez vigilant, enregistrez tout à partir de maintenant. » Répondit Arsear en prenant une longue vue. Il la pointa immédiatement vers le petit groupe d'esclaves attachés à des poteaux. Autour d'eux, deux Sarbacks tournaient en rond. Les deux engins arachnoïdes continuèrent de se déplacer, puis soudain, se stoppèrent et s'écroulèrent sur la roche dépolie. Sur les poteaux, les esclaves s'agitaient toujours, preuves qu'ils étaient toujours vivant.

« - Rig-rid ?

- Il est passé.

- Bien. Osrak et Rig-rid, au rapport dans mon bureau. Braniss, tu récupères les données de Berik et tu fais pareil. Berik, tu vas chercher les survivants et tu me les interroges. »

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