3 : "Caprice chaud" (3/3)

Assis dans le mess, Manuel finissait de lire le document que sa sœur lui avait donné. Dehors, la nuit avait recouvert le paysage de ténèbres. L'intérieur même du navire était envahi par les ombres provoquées par les quelques lampes encore allumées. Une bonne partie de l'équipage s'était endormi, le reste veillait à la sécurité du navire ou vaquaient à leurs occupations. Le jeune homme semblait seul face à cette tablette électroluminescente, avec pour seule compagnie la lampe tempête électrique posée sur la table. Du moins, c'est ce qu'aurait cru un visiteur au premier abord. Salida s'était allongée sur la même banquette que lui. Elle avait posé sa tête sur une de ses cuisses et somnolait doucement. En dépit de son attention fixée sur les derniers mots du livre, une des mains du jeune homme caressait tendrement le cou de la chimère. Elle en était presque à ronronner, une ou deux fois, il vit ses griffes sortir avant de se rétracter.

A la fin du document, le jeune homme éteignit et se laissa aller contre la banquette, la tête en arrière. Un soupir de soulagement quitta sa bouche.

« - Tu sais, tu es le seul mec que je connais qui garde ses lunettes de soleil pour lire en pleine nuit.

- Doucement Fernand : Elle dort, et j'ai pas envie de la réveiller.

- Désolé, murmura-t-il en sortant de l'ombre pour s'installer en face de Manuel. Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?

- Bof, essentiellement des auto-congratulations sur les conquêtes. Qu'est-ce que tu fait debout à cet heure -ci ? Et pourquoi tu es torse nu ?

- Euh... je ne crois pas que la réponse te concerne. Rien d'autre ?

- Si, un truc bizarre, un genre de prophétie, faite par la seule sirène que les lézards aient réussi à capturer.

- Fait voir ? »

De sa main de libre, Manuel ralluma la liseuse puis fit tourner les pages du document à la recherche du passage en lui-même. Salida se tourna légèrement, dans le même temps Fernand bu un peu dans la canette de bière qu'il avait dans ses mains. Arrivé à l'endroit voulu, le jeune homme fit tourner le document vers son ami qui l'arpenta du regard. Ses yeux, également cachés par les lunettes noires, n'exprimaient rien.

« - Maintenant nous sommes deux à lire en pleine nuit avec des lunettes de soleil, se moqua Manuel

- Merde... Fit Fernand en posant sa bouteille sur la table pour se rapprocher du texte.

- Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Manuel, inquiet.

- Manuel, me dit pas que tu n'as jamais retiré tes lunettes pour voir dans dans un miroir à quoi ressemblaient tes yeux.

- Pourquoi je l'aurais fait ? Ordre du médecin...

- T'es incroyable quand tu t'y mets... Va regarder ta gueule dans une glace, lumière éteinte, puis relit ce truc. Aussi incroyable que ça puisse paraître, je crains que toutes nos galères se soient pas simplement dues aux branlées qu'on leur mets. Mais plutôt à ce qui est écrit là-dessus...

- Vraiment ? Demanda Manuel, amusé, ce ne sont que des conneries, même Nostradamus qui était bon, s'est loupé plus d'une fois. »

Fernand posa la bouteille de bière sur la table. L'air sérieux, il éteignit la lampe.

« - Hé, qu'est-ce que tu... »

Manuel se tut, son ami de toujours venait de retirer ses lunettes noires pour laisser apparaître des yeux unis de couleur vert pomme. Ils brillaient faiblement dans la pénombre, projetant de faibles ombres dans les tons noirs et verts.

« - Convaincu ?

- C'est impossible.

- Peut-être, mais eux y croient dur comme fer. Maintenant, nous savons pourquoi ils ne nous laisseront pas tranquille. Nous nous sommes montrés, désormais, c'est un combat à mort. Quand même... c'est étrange... j'ai maintenant l'impression d'être manipulé comme une marionnette.

- Hum...Y'a les coordonnées du monde-océan là-dedans. Je les aient notées. On ira y faire un tour pour vérifier que c'est bien des âneries tout cela.

- Je veux pas t'offenser Manuel, mais j'ai une putain d'envie que cette prophétie soit vraie. Je vois encore Véronique se faire bouffer chaque nuit quand je me couche. Je sais qu'elle ne me laissera pas tranquille tant que j'aurais pas séparé la tête du corps de cette mégalomane. »

Manuel ne répondit rien. Il se contenta de passer une fois encore la main dans le cou de la chimère. Les révélations de Fernand venaient de chambouler beaucoup de choses. Visiblement, son père lui avait envoyé ce document pour qu'il puisse découvrir le Klastlabad et la prophétie. Peut-être y avait-il encore des choses à y découvrir.

« - Fernand ?

- Hum ?

- Prends-la, et lit-le également : je suis peut-être passé à côté d'autres d'informations.

- Ok, même si ça m'enchante pas.

- Je vais me coucher, on voit ça demain ?

- Pas de problèmes. »

Manuel se dégagea de la tigresse, fit le tour de la table avant de la prendre dans ses bras le plus délicatement possible pour l'emmener avec lui. Ce fut à peine si la Salida exprima un désaccord sur le sujet.

*

* *

*

« - Où en est-on avec l'opération ''Caprice chaud'' ? Demanda le consul à sa secrétaire.

- ''Caprice chaud'' est prêt. Toutes les pièces sont en place, répondit Vérité, sur votre ordre, l'opération sera lancée. »

Dans son impeccable bureau, le consul se leva pour aller se placer devant la baie vitrée. L'aspect de la pièce était épuré, murs blancs, moquette bleue et bureau peu encombré. Comme à son habitude, le consul portait un costume deux pièces, mais cette fois-ci, il était rayé blanc et bleu.

« - Vérité ?

- Oui ?

- Que pensez-vous de cette opération ?

- Rien. Je ne suis pas payée pour ça. Mes attributions sont seulement de répondre à vos besoins professionnels pour vous faciliter l'exercice de votre fonction.

- Vous avez trouvé quelqu'un ?

- Cette question est hors contexte professionnel.

- J'en conclu que vous désapprouvez. »

La secrétaire ne répondit rien. Quelques minutes passèrent dans le silence le plus complet.

« - Donnez-moi l'ordre d'action. »

Vérité s'approcha et tendit une tablette numérique. Le consul prit le stylet et signa dans un petit rectangle. La trace laissée clignota un instant avant que ne s'écrive ensuite : ''Signature valide, ordre transmis''

« - Qu'ils reposent en paix. » Murmura Arionis en rendant le support.

*

* *

*

Hécate s'était installé dans sa machine et l'avait allumée. Comme d'habitude, elle ressentait un léger malaise. La jeune femme se sentait observée, épiée et jugée... Comme un policier caché qui la poursuivrai en notant toutes ses infractions pour lui présenter la facture à la fin. Elle repensa à tout ce qu'elle savait, quelque chose clochait avec les ordres que l'on lui avait donné. Dans la cité Silridriss, tout le monde savait qui étaient les ''lascards'' de la Fantasy-circus. Un mélange de créatures étranges plus ou moins recherchées par différentes entités. Mais, au-delà de ça, elle avait pu constater que de nombreux soldats leurs accordaient leur confiance. Pour les survivants qui s'étaient battus à leur cotés, ils étaient compétents et bien organisés. Elle aurait aimé contacter Manuel directement, mais elle ne disposait d'aucun moyen à sa disposition. Maintenant que les ordres étaient arrivés, elle n'avait plus de temps à consacrer à ce problème.

« - Hécate, ici Cyclope, tout est ok, personne ne manque à l'appel.

- On y va, direction les quais supérieurs. »

*

* *

*

« - Tu es sûr de ce que tu avances ?

- Oui ô Favorite, le groupe avec le troisième démon se prépare à rejoindre un de nos navire volant. Un de ceux qu'ils ont capturés, répondit l'opérateur.

- Ils vont bouger, pour le moment, on va les suivre. Ordre à la flotte de se préparer au déplacement. Dés qu'ils seront assez loin, on intervient et vous me capturez le démon. Éliminez les autres s'ils ne se rendent pas. » Déclara la Favorite avec un sourire satisfait.

*

* *

*

« - Ici Friedrich, réception d'ordres par ondes longues, fit la voix du rasta dans le haut-parleur du navire. Cryptage des données identifiée. Merde, niveau de cryptage ''Doberman''. C'est du lourd, Doux-dingue, c'est pour toi.

- Ok, j'arrive Friedrich, garde ça au chaud. » Répondit Manuel en activant la radio.

Le jeune homme sortit de la douche, placée à l'avant du navire. Il traversa le couloir encore un peu humide, une serviette kaki enroulée autour de la taille. Rapidement, il prit une tenue propre dans le coffre qui lui était attitré. Il l'enfila avant de mettre une paire de chaussures militaires. Il referma sa chambre après l'avoir quitté.

Calianne l'attendait dans le couloir :

« - Tu m'évites, dit-elle les bras croisés

- Je te quoi ? Demanda Manuel, surpris.

- Pourquoi est-ce que tu m'évites ? Reprit la Dryade.

- Nous sommes dans un navire, c'est plutôt petit, et vu la promiscuité je ne crois pas pouvoir t'éviter. D'autant que tu es le capitaine en second de ce navire.

- Si, j'ai voulu discuter de nombreuses fois avec toi, mais tu réponds toujours ''plus tard''. Tu ne fais que t'occuper de cette chimère.

- Euh... c'est un peu normal : Je te rappelle qu'elle et moi sommes ensemble.

- Et qu'a-t-elle de si spécial ?

- Attends quelques secondes... fit le jeune homme avec un air interdit. Tu ne serais pas jalouse des fois ?

- Oui. Non ! Ce n'est pas de moi dont on parle.

- Je crois que si au contraire... Calianne, tu es gentille, et très jolie. Mais je suis avec Salida. Et je reste avec Salida » Dit doucement Manuel en prenant la Dryade par les épaules. Celle-ci se dégagea violemment et planta ses yeux dans ceux du combattant. Il ressentit alors toute l'amertume que cette déclaration laissait dans le cœur de la capitaine adjoint.

« - Je suis désolé. Mais il y a d'autres gars bien, et courageux un peu partout à travers les différents mondes, tu en trouveras bien un. » Fini-t-il avant de se diriger vers le poste de communication. Du coin de l'œil, il vit la dryade aux cheveux roux taper avec violence dans une des cloisons en bois avant de remonter vers le poste de pilotage.

« - Qu'est-ce que ça donne ? Pouah ! Ouvre la fenêtre ! » Fit Manuel en ouvrant la porte. La pièce occupé par l'opérateur était remplie par un épais brouillard lié à ses cigarettes. A l'exclamation, un sourire amusé éclaira son visage.

« - Zen mon pote, faut bien mourir de quelque chose non ? Entre le cancer du poumons et les tripes éclatées j'ai fait mon choix moi, répondit le Rasta d'un ton monocorde en ouvrant le hublot de la pièce.

- Vas-y, je t'écoute.

- Tiens. C'est la transcription papier. » Répondit Friedrich en lui tendant un papier.

Le jeune homme arpenta le document rapidement.

« - Merde...

- Quoi ?

- A tout l'équipage, c'est Manuel, fit-il en activant l'interphone du navire afin que tout le monde entende. J'ai une mauvaise nouvelle : des troupes de chez nous vont tenter de déserter pour aller chez les Silridriss. D'après le commandement, ils ont avec eux des informations sensibles qu'ils vont utiliser pour négocier leur sécurité. Nous avons reçu l'ordre de les intercepter. Tout porte à croire qu'ils tenteront de passer quoi qu'il en coûte. Nous sommes le groupe le plus près, c'est à nous que reviens la charge de les stopper... Je sais ce que vous pensez. A moi non plus, il ne me plaît pas de devoir retourner mon arme contre un ancien ami. Mais y'a personne d'autre que nous dans le secteur pour stopper ces bonhommes. S'ils passent, les dégâts seront considérables. Shershalla, je te retrouve à la salle des cartes pour déterminer le plan de vol. A tous, vérification des munitions et des armures. Assurez-vous que les munitions utilisées soient bien des perforantes. Contrôlez également tout les systèmes du navire, même les contre-mesures.

- Ah bah putain, commenta Friedrich tandis que Manuel reposait le micro.

- Ouais, comme tu dis. »

Le papier entre les mains, il quitta la pièce encore enfumée pour rejoindre une petite salle des cartes. Shershalla l'attendait.

« - Tu as refoulé Calianne ? Lui demanda-t-elle en guise de bonjour.

- Euh... oui, normal, je suis déjà avec quelqu'un. Mais comment tu sais ça ?

- Je vous ai entendus. Les dryades sont polygames et polyandres ,informa la capitaine du navire, pour elle, le refus que tu viens de lui faire est extrêmement insultant.

- Ha ? Merde... répondit Manuel en se retournant dans le couloir désormais vide. J'irai m'excuser tout à l'heure.

- Ça ne servira à rien. Elle n'acceptera pas ton refus : cela te rends encore plus précieux à ses yeux. Calianne va continuer à te harceler jusqu'à ce qu'elle obtienne ce qu'elle désire. Fais-toi une raison, donne-lui et elle te laissera tranquille.

- Je ne pense pas que Salida apprécie la chose. Changeons de sujet : Nous devons rapidement rejoindre un avant-poste au sud de notre position.

- Est-ce là que se trouvent les traîtres ?

- Oui, répondit le jeune homme sans se résoudre à les appeler ainsi. Tu as un plan de vol rapide à conseiller ?

- Altitude puis ligne droite. L'ennui, c'est que nous ne seront vraiment pas discret, déclara Shershalla en étalant une carte sur la table de la pièce.

- C'est inutile si nous n'arrivons pas entiers. Quoi d'autre ?

- On pourrait passer dans les montagnes à l'ouest. Le relief nous protégera. Mais ça nous prendra une journée de plus.

- Si tu étais les forces ennemies, où est-ce que tu irais ?

- Un petit village, ou alors une caverne dans les montagnes. Il faudrait un renfoncement pour y cacher un petit navire volant.

- Oneshot ? C'est Manuel, rejoins-nous en salle des cartes s'il te plaît, fit Manuel, le micro de la radio entre les mains.

- J'arrive. répondit la radio de bord.

- Il leur faudra également un plan de repli sûr. Quitte à changer de monde.

- Ils peuvent le faire ?

- Tout les navires savent le faire.

- Même le tien ? Demanda le jeune homme.

- C'est censé être un navire marchand... ce serait idiot de ne pas pouvoir changer de monde.

- Exact... Concéda-t-il.

- Vous vouliez quelque chose ? Demanda le Oneshot dans l'embrasure de la porte.

- Épluche les relevés satellites s'il te plaît. Cherche un navire posé dans les montagnes. Il devrait y avoir un petit peu de monde tout autour. Deux ou trois escouades à tout casser ;

- Autre chose ?

- Non, préviens moi dés que tu trouves un truc suspect..

- Bien, fit le combattant en quittant la pièce.

- Shershalla, est-ce que tu connais ces coordonnées ? » Demanda Manuel en tendant une feuille de papier qu'il sortit d'une poche.

« - Non, qu'est-ce que c'est ? Fit la capitaine avec une voix légèrement sifflante.

- Les coordonnées d'un monde où nous devrons aller. C'est le monde-océan, ou du moins ce qu'il en reste.

- Tu es sûr ? Si on se plante, c'est la mort. Je conseille d'envoyer une sonde avant.

- Les coordonnées ne donnent pas forcément sur un monde ?

- Celles qui sont sûre, oui, les autres... ce n'est pas forcé. Certains mondes sont détruits, d'autres simplement impropre à la vie.

- Bien, on va s'en assurer avant d'aller là-bas alors. Pour le moment, cap sur les montagnes, nous allons intercepter ces types qui n'ont rien compris au conflit.

- Tu veux attaquer ? Ne veux-tu pas tenter de les raisonner d'abord ?

- Bien sûr que je vais essayer de les raisonner, mais s'ils ont sauté le pas, je crains que ce ne soit inutile. Le cryptage était un ''doberman'' : extrêmement urgent et hautement confidentiel. Sincèrement, si on nous envoi nous, c'est que d'autres ont déjà essayés et échoué. Comme je n'ai pas envie de perdre qui que ce soit de l'escouade, on ne prendra aucun risque dans cette mission. On tirera les premiers au moindre signe d'entourloupe. »

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