20 : Protector (3/3)

« - Je n'aurais jamais imaginé qu'un Roi me serve un jour une boisson. Vous n'avez pas de cuisinier ? » Demanda la politique en entrant dans la pièce et en se dirigeant vers un fauteuil. Sans mot dire, son mari resta debout légèrement en retrait.

Elle observa la pièce, décorée succinctement mais disposant d'un d'un mobilier confortable. Deux fauteuils, un canapé, une table basse au milieu. Les murs peints avec une couleur jaune pastel s'enfonçaient dans une moquette brune et épaisse.

« - Avec Manuel, nous en avons discuté il y a un moment déjà... Je vous en prie, installez-vous. Précisa Salida en prenant place dans le canapé avant de revenir au sujet de la discussion : Nous avons décidé de nous contenter de ce que toutes les familles donnent à leurs enfants. On ne veut pas plus pour qu'ils soient déséquilibrés dans leur éducation. On pourrait les gâter, mais on risque d'autres Hillgearim... alors non.

- Sage précaution. Les noms viennent d'où ?

- Un mélange entre des prénoms Chimères et Humains.

- C'est mignon.

- Je doute que vous ayez fait autant de kilomètres pour parler potins fit Manuel en entrant avec un plateau contenant les boissons, et du sucre. Je vous laisse vous servir, je prendrai le dernier, fit froidement Manuel.

- Vous ne m'appréciez pas, constata doucement la présidente. En prenant deux tasses puis en tendant une à son mari.

- J'apprécie moyennement les gens qui veulent faire des expériences mortelles sur ma femme et moi-même.

- Manuel ! Doucement !

- Non, il a raison Reine Salida, coupa la diplomate avec toujours cette douceur dans la voix. Mais tout le monde commet des erreurs. Je ne fais pas exception et vous non plus... La vraie question est : est-ce que mes erreurs, ou celles de l'Humanité vont provoquer les vôtres ?

- Que voulez-vous dire ? Demanda Salida

- Qu'avez-vous à proposer précisément ? interrogea froidement Manuel.

- Une alliance. Nous avons besoin d'assistance derrière les lignes ennemies et d'informations sur les moyens de les combattre. »

Quelqu'un frappa à la porte. Toutes les personnes présentes tournèrent leurs regards en direction de la porte d'entrée.

- Je vais voir, fit Manuel en se levant.

- Vous désirez coordonner nos actions ?

- Oui, et régler au mieux d'autres sujet d'ordre logistique.

- Quel genre ? Demanda Manuel en revenant avec le général Sarlen. Ce dernier eut une réaction de surprise en voyant la politique assise dans le salon, avant de hausser les épaules et d'entrer lui aussi. D'un mouvement de sa prothèse, il demanda à l'homme debout s'il désirait s'asseoir. Ce dernier lui répondit par la négative de la main tout en se plaçant en retrait.

« - Un café mon général ?

- Merci mais non mon garçon, répondit le gradé en déplaçant le fauteuil pour pouvoir avoir un œil sur tout le monde, en revanche, je ne dirais pas non à un grand verre d'eau.

- Je vous attendais plus tôt général Sarlen.

- Ma chère, les enfants, je les adore, en particulier quand ils sont calmes et ne crient pas. Ma présence aurait plus été une gène qu'une aide. Alors j'ai sagement attendu à la terrasse à coté que tout se calme chez vous... »

Pendant qu'il s'installait, il retira sa casquette tout en présentant son sourire le plus narquois. Manuel revint avec le verre d'eau qu'il présenta à l'officier.

« ... en plus poursuivit-il, j'ai vu arriver vos invités. Je me suis dit que le calme revenu, nous allions pouvoir passer aux sujets importants.

- A quels genres de problèmes logistiques faites-vous référence ? redemanda Salida à la politique.

- Nous verrons après. Pour le moment, je viens proposer une coordination dans le conflit avec les Silridriss. Pour cela, je viens avec deux preuves de mon besoin.

- Lesquels ? » Demanda Manuel.

Sans dire un mot, cette femme à la peau d'ébène sorti de sa veste une étrange disquette informatique. Et la présenta au couple royal.

« - Ceci, annonça-t-elle, sont les plans du supercalculateur Sleipnir. Ainsi que les programmes qui vont avec. La version matérielle est stockée dans la cité sous-marine cachée de Santorin.

- Si vous nous dites où elle est, elle n'est plus cachée, remarqua Manuel en prenant la disquette pour l'observer sous toutes les coutures.

- Si je vous dis où elle se trouve c'est qu'elle n'est plus sûre. Les Silridriss les cherchent. Ils ont compris que c'étaient les bases arrière et les centre de productions. Nous sommes en cours de déménagement des installations de production et de recherche. Dans peu de temps, ce ne seront que des villes vides.

- Je ne reconnais pas ce format de matériel, fit Manuel.

- Normal. Lorsque la guerre chimérique eut lieu, notre haute technologie a été remplacée par des équipements plus anciens, mais plus facile à produire et à entretenir. Mais cela ne signifiait pas que nous ne les utilisons plus. Le disque que vous avez entre les mains fait parti de ces reliques, un système à lecture laser tridimensionnel à cristal.

- Nous n'avons rien pour le lire.

- J'ai ramené un lecteur. Mais il ne rentre pas dans mon tailleur et je ne l'ai pas pris pour éviter les temps de fouille. Il est à vous également.

- Pourquoi nous le donner ? demanda Salida, Nous n'avons encore rien accepté.

- Parce que même si vous n'acceptez pas, il nous arrange de vous donner les moyens de mettre leur faire comprendre qu'on est quand même capable de les gêner... »

Dans son coin, le vieux soldat rit nerveusement.

« ... qu'est-ce qui vous fait rire ?

- Rien, juste la stratégie mise en place, vous devez être dans une sacrée galère pour nous donner ça, ou alors... ou alors vous n'en avez plus utilité et ça vous encombre. Dans les deux cas, c'est appréciable, mais est-ce que cela va nous aider dans notre stratégie ? Pas sûr. »

D'un coup sec, Manuel regarda le vieux soldat en fronçant les sourcils. Visiblement en désaccord sur le sujet. Mais, pour toute réponse, le militaire lui fit un clin d'œil avant de tremper ses lèvres dans le verre d'eau.

« - Vous avez une stratégie ? Un plan de bataille ?

- Voyez la suite avec les souverains.

- Manuel ? De quoi parle le général ? » Demanda Salida, inquiète.

Mais le monarque ne pouvait détacher le regard du stratège. Visiblement en désaccord sur les informations transmises.

« - Fiston, on a besoin d'aide. Et les humains sont encore suffisamment nombreux de leur côté...donc... »

Immédiatement, le pilote du Berserker se détendit, ses sourcils, derrière les lunettes remontèrent comme s'il comprenait ce que le vieux filou lui disait. D'une main posée sur la cuisse de sa femme et d'un regard doux, il la calma tout en répondant à sa question.

« - Oui, nous avons une stratégie. Pouvons-nous compter sur vous ?

- De quoi avez-vous besoin ?

- Cinq-cent-mille personnes. Hommes, Femmes, Enfants, Vieillards, peu importe. En roulement tous les trois mois.

- Attendez ! Quoi ? Pour quoi faire ?

- Du camping. »

Le vieil homme riait dans sa barbe en voyant les regards des deux femmes et de cet homme debout qui ne comprenaient pas ce qui venait d'être dit.

« - Tu veux réaliser l'opération « vol à l'arrachée » avec les forces Humaines hein ? expliqua le stratège. Pas idiot, mais tu t'y prends mal : mets-toi à la place de ton interlocutrice : est-ce que tu vas accepter de confier un demi-million de personnes alors que tu ne sais pas à quoi ils serviront ?... Il va falloir être plus loquace si tu veux le faire avec leurs capacités. »

Manuel réfléchit quelques instants, puis, après avoir vu l'inquiétude et l'incompréhension sur le visage de sa femme, il expliqua :

« - Comme dit, ils vont faire du camping. Ils ne vont pas se battre. En fait... « Vol à l'arrachée » est une opération mise en place pour assécher les capacités énergétiques des Silridriss. Il a été découvert que les créatures de chaque monde ont des capacités avec l'Erapha. Les chimères lui donnent une forme physique, les Silridriss ont une biologie supérieure, les gnomes savent l'utiliser dans des équipements, etc, etc.. mais les Humains ont une capacité inédite : nous sommes des accumulateurs. Plus nous sommes présents, plus nous réduisons la présence de cette énergie autour de nous. Durant le conflit avec les chimères, ces dernières n'ont pas pu utiliser leur plein potentiel car l'Humanité avait déjà tout pompé. Massacrer les Humains n'a servi à rien : cette énergie n'était pas renvoyée dans le monde... on ne sait pas encore ce qu'elle devient. Certes, le système de gestion énergétique de la Déesse-Impératrice passe par le Klastlabad et la communion, mais vu à quoi ressemble leurs environnements, je serai aussi enclin à penser que ce n'est pas la seule manière de ponctionner cette énergie. Donc...

- Donc on siphonne les réserves d'énergie adverse simplement en étant présent dans les différents univers. Comme si on puisait dans le puit de pétrole du voisin.

- Voilà. Mais au-delà d'un certain seuil, on est plein. Si on change de monde pour un autre moins fourni...C'est consommé au fur et à mesure du temps qui passe jusqu'au seuil bas. Nous produisons également notre propre énergie en mangeant et en nous reposant... Mais pas dans les quantités où nous l'absorbons. Autre chose : Comme un muscle que l'on fait travailler, ces capacités s'améliorent avec le temps. Plus on le fait, plus on est bons. Et cela ne nécessite aucun effort particulier : c'est automatique car intrinsèque à notre biologie. »

Choquée, la présidente Humaine avait posé ses mains jointes devant sa bouche. Lentement l'opération et ses implications que le jeune homme devant elle lui proposait prenaient corps. Elle avait certainement déjà entendu parler de l'Erapha dans un rapport ou un autre,

« - Quels sont les risques ? Des effets secondaires ?

- Je suis toujours vivant et en bonne santé en dehors d'un début de syndrome de stress post-traumatique lié aux batailles. Soyons clairs, je veux les assécher complètement. Le seul risque que je vois, c'est de se faire prendre la main dans le sac.

- Vous en avez d'autres ? Des opérations dans ce genre ?

- Vous n'avez pas idée du tas d'emmerdes qu'on leur prépare, déclara le général Sarlen avec un rictus sadique.

- Sun Tzu et Clausewitz sont de bons professeurs. » Ajouta Manuel, stoïque. Vous voulez qu'on s'organise dans nos attaques, faudra faire plus et participer... »

La souveraine eut un léger vertige en comprenant que son mari, qu'elle connaissait gentil et attentionné, capable d'aller sur un théâtre d'opération et de combattre sauvagement, cherchait désormais à mettre des coups à des niveaux étatiques. Elle avait craint les extrémités auquel son homme se serait laissé allé dans sa machine. Mais elle avait oubliée que le terrible engin rangé dans les entrailles de la cité d'argent n'était qu'un outil. Manuel avait décidé de finir cette guerre, pas juste d'y survivre. Il aimait ses enfants et elle plus que tout au monde. Initialement, il n'avait voulu que survivre, ensuite, trouver un endroit sûr pour eux deux ; maintenant, il voulait plus qu'un endroit sûr pour eux cinq. Le fait de se retrouver avec des responsabilités démultipliait aussi l'impact de ses décisions stratégiques. Si, comme il venait de le dire, il y avait d'autres opérations du même acabit que celle-ci, les Silridriss allaient en voir de toutes les couleurs. Une petite larme de joie et de soulagement perla sur son museau : Il ne faisait rien d'irréfléchi.

« ...Je vais aussi avoir besoin de vous pour localiser mes parents.

- Vos parents sont toujours en territoire ennemi ?

- Oui, je suis très inquiet quant à leur état et leur retour. S'ils venaient à être identifiés. Ils pourraient servir de leviers politique. On se chargera de les exfiltrer mais il faut déjà les trouver.

- Honnêtement, je ne suis pas inquiète. Ils nous contacteront dés qu'ils auront identifié une voie de sortie sûre.

- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? »

De nouveau, Okoyé parut surprise. Elle se retourna vers l'homme derrière elle qui se contenta se hausser les épaules.

« - Ne me dites pas que vous n'aviez rien remarqué... reprit la politique.

- Remarqué quoi ? Fit manuel, soudain inquiet.

- Personnellement, je ne m'en ferai pas pour eux.

- Soit vous en avez trop dit, soit pas assez, commenta Salida.

- Je m'en doutais... Sa capacité à gérer les émotions, même dans les moments les plus critiques n'était pas normale, fit le vieux soldat l'air grave.

- Va falloir vous expliquer... relança Manuel en regardant la présidente.

- Le programme Européen Protector.

- Impossible, ma mère est boulangère. Elle fait des gâteaux.

- Avant, elle travaillait sur les programmes de lancement balistiques et de propulsion spatiale. C'est une experte dans le traitement de l'asservissement de moteurs à détonation rotative.

- Mais les pâtisseries... objecta Manuel qui ne savait plus où il en était. »

Dans son coin, Salida chercha dans la mémoire tout ce qui pouvait se référer à ce programme ''Protector''. Mais en dehors de quelques série télévisées qui parlaient d'espionnage, elle ne trouvait pas grand-chose.

- Il n'y avait plus de programme spatial. Donc les personnels ont été licenciés. Mais votre père a gardé son emploi dans l'étude des systèmes logiques ce qui n'a pas beaucoup changé depuis cette époque.

- J'y crois pas.

- C'est pourtant une réalité.

- Ma mère est gentille et douce.

- Sauf si on touche à sa progéniture. Elle s'est d'ailleurs faite rappeler à l'ordre il y a une dizaine d'année.

- Comment ça ? »

Comme pour appuyer son propos, la femme en tailleur se pencha vers le roi avant d'expliquer.

« - Il faut une sacrée chance pour entrer dans une zone dévastée, casser la gueule de toute personne qui se présente pour en ressortir avec son fils en vie. Il en faut du bol pour qu'un camp de l'armée installe une prothèse sur une civile alors qu'on en manque pour les soldats. Ça, c'est pour votre mère. Mais votre père n'est pas mieux, comment a-t-il procédé pour garder sa fille loin du front ? Comment a-t-il pu entrer dans les zones VIP du centre de commande de Clermont ? Comment a-t-il fait pour vous laisser voir les Sarbacks qui étaient encore sous études ? »

Manuel prit conscience qu'il y avait un problème quelque part.

« - Je regrette, je n'ai pas pour habitude de divulguer les secrets des autres. Mais vos parents sont passés par le programme Protector.

- Qu'est-ce que c'est au juste ? » Demanda Salida qui ne voyait que la version romancée dans la mémoire.

Okoyé se repositionna dans son fauteuil avant de répondre :

« - J'ai appris que vous aviez épluché nos livres d'Histoires et de Géographie. Donc je vais partir du point que vous connaissez : l'ère des conflits économiques. Pour garantir que les innovations et les domaines de maîtrise des différents pays d'Europe, restent en Europe, il a été développé le programme Protector. L'accès aux domaines d'excellence stratégiques était limité aux personnes ayant validé le test psychologique et la formation qui va avec. Le monde entier savait que les savants occidentaux étaient les plus calés et que les technologies de pointe étaient de l'ordre du secret. Enlever un scientifique pour le faire travailler de force dans un lieu tenu secret a trotté dans la tête de nombreux politiques. Mettre a disposition un garde du corps, en plus de coûter cher, ne résout pas le problème de la sécurisation des données. Vint alors l'idée de permettre au scientifique de se défendre de lui-même. S'il est capable de se défendre, le blesser ou l'enlever devient beaucoup plus risqué. Au travers de formations sur la gestion du stress, l'analyse et le traitement des informations, de modifications biologiques, on peut augmenter un être humain significativement pour en faire une arme de guerre et d'espionnage capable de collecter du renseignement et de revenir à son point de départ. Avec la guerre chimérique, les formations furent stoppées en raison du fait que vous vous en moquiez de savoir comment cela fonctionne et que la mise en place était lourde et complexe.

- Quel... genre de modification biologiques ?

- Système nerveux boosté, augmentation de la densité musculaire, armes cachées, protections balistiques, vision nocturne... J'en passe et des meilleures. Personne ne sait précisément ce qui est monté sur qui pour garantir la surprise dans une tentative malheureuse. »

Un silence pesant s'installa quand le regard de la princesse se posa sur la prothèse de l'homme derrière Okoyé. Celle-ci devança la question :

« - Oui, c'en est un. C'est aussi mon mari en plus d'être mon garde du corps.

- Chérie ? Amour de ma vie ? demanda Manuel

- Oui ?

- Je crois qu'on va attendre un peu avant de te présenter ma mère. »


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