19 : Mise en branle (2/3)
Dans le réduit du Corbeau-couronné qui lui avait été attitré, Mylène travaillait sur des lignes de programmes informatique. Pour le commun des mortels, ses capacités s'apparentaient à de la magie. Mais pour elle, ce n'était qu'une suite logique d'instructions et de cas particuliers visant les situations non prévues.
Dans un coin de l'écran, le calcul sur la recherche d'une solution pour rendre leur forme à Salida et Tégos continuait. Mais cela prenait énormément de temps de détricoter la pelote de nœuds que le Berserker avait créé. En son for intérieur, elle doutait que cela n'ait jamais une utilité. En effet, toutes les deux s'étaient habituées à leurs forme, d'une certaine manière, cela leur plaisait. Elle reparlerait de la pertinence aux intéressées plus tard, pour le moment, trouver un nouveau système de sécurité sur le Berserker lui semblait bien plus urgent. Les deux précédents avaient été utilisés et ne seraient plus d'aucune utilité. Ces éléments avaient été conçus pour un prototypage, et actuellement son frère combattait sans aucune protection au cas où l'engin redeviendrait instable.
Le système de messagerie sécurisé s'alluma d'une réception dans une conversation. L'interlocuteur était connu : Crazy Rabbit
Elle répondit à son interlocuteur avec l'humour qui caractérisait leurs discussions :
- Salut mon lapin. Comment ça va ?
- Salut ma grande. Je ne vais pas trop mal, mais j'ai récemment vu un truc qui a eu le mérite de m'inquiéter. Comme je sais où tu es avec une connexion limitée au monde réel je me suis dit que cela allait éveiller ta curiosité.
- Vas-y : j'ai besoin de faire une pause de toutes façons.
Le lien s'afficha dans sa version la plus brute.
Après l'avoir suivi, Mylène se figea, dans son environnement direct, le temps s'arrêta. Ce n'était là qu'un article de journal mineur, et adepte des théories les plus folles. Mais là, il y avait un vrai problème. La photo et le titre avait réellement de quoi inquiéter.
- Rabbit, je me doute que tu l'as déjà fait mais la photo...
- Elle est vraie, coupa l'autre pirate, aucun montage, aucune modification apparente, et... aucune antériorité sur le réseau.
- Mais ça ne veut pas dire qu'elle est récente, objecta la jeune femme qui sentait son cœur battre plus vite.
- Non, elle l'est. L'indicatif du char derrière est l'une des compagnies envoyées dans le monde Silridriss. J'ai aussi pensé à un photo-montage. Mais rien ne permet de le prouver. J'ai demandé de l'aide à un contact au centre de traitement de l'information militaire. Il m'a avoué à demi-mot qu'ils avaient des informations concordantes sur le sujet. L'information pose un vrai problème de communication.
Mylène fit un vrai bon avec un petit cri de surprise lorsque que Shershalla caressa son épaule.
« - Un problème amour ? demanda-t-elle, inquiète.
- Pas encore, mais les emmerdes arrivent à vitesse grand V. » répondit la pirate informatique en reposant ses yeux sur l'article en question pour une étude approfondie.
Perplexe sur l'origine de la menace, la capitaine observa elle aussi l'écran sans pour autant saisir le sens du texte. En revanche, une AMC noire, un logo orange de batteur à la chevelure éclatée présent sur l'épaule gauche, était facilement identifiable. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, sa race de prédateur était parfaitement outillée pour identifier chez ses interlocuteurs leur état psychologique en fonction de leurs réactions physiologiques.
Et là, Mylène était terrifiée.
« - Chérie ? Demanda Mylène sans quitter des yeux l'image.
- Oui ?
- Où est mon frère ?
- A la base normalement.
- Et son pote ?
- Aux dernières nouvelles, il écumait les bars.
- Trouve-le, et dit-lui de nous rejoindre à la base de toute urgence. »
*
Le château fort volant, dans le monde interne de Manuel, résonnait d'une musique entrainante qui n'avait rien à y faire. La haute-cour était remplie de schéma, de plans pas forcément terminés, de logigrammes et d'autres croquis tout aussi incomplets. Tout flottait en trois dimensions dans des couleurs multiples. Au milieu de ce bazar coloré et translucide dansait Manuel tout en travaillant. Dans son coin, Ego, le grand loup blanc analysait un immense logigramme. Ce dernier vit entrer dans la cour Fernand et Alpha qui restèrent en retrait quelques instants à le regarder le pilote se déhancher de manière grotesque. Sa maîtrise de la danse semblait être au même niveau que le chant. Les soldats en armures continuaient inlassablement de patrouiller, même si leurs vitesses de déplacements correspondaient au tempo de la musique en cours.
Soudain, il tournoya sur lui-même et claqua dans ses mains avant de les écarter pour former un Y complet. Différentes pièces éparpillées se déplacèrent pour s'assembler sans un bruit dans une forme qui fit disparaître le sourire des deux spectateurs.
Fernand se rapprocha sans que Manuel ne s'en rende compte. Derrière-lui, Alpha sortit un plan en trois dimensions d'une énorme mitrailleuse rotative avant de reporter son attention sur l'immense logigramme.
« - Heu... Manuel, est-ce que c'est ce que je pense ? demanda le combattant, un peu inquiet.
- Tout dépend de ce à quoi tu penses.
- C'est un navire volant.
- Alors oui, c'est ce à quoi tu penses, répondit le jeune Monarque sans se retourner. C'est le troisième modèle que je crée. Mais si tu veux voir vraiment un truc intéressant, va jeter un œil au logigramme là-bas.
- Lequel ? Le grand ?
- Yep. Le grand. » Confirma-t-il.
Le pilote à peau rouge se dirigea vers un immense schéma et commença à l'analyser. Manuel, concentré, restait sur son navire, faisant des modifications ici ou là. Au bout d'une dizaine de minutes, Fernand recula pour prendre la mesure du document.
« - Merde...
- Oui, j'ai aussi dit ça hier, la dernière fois que j'ai mis les mains dedans.
- Et cette zone, là, n'est pas claire. Salida va te tuer si tu ne trouves pas mieux.
- J'attends les plans du Klastlabad pour savoir comment la gérer mieux. En attendant, je n'ai rien d'autre, ça devrait pouvoir le faire.
- Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Demanda le jeune homme à la peau rouge, l'air effaré.
- Je mets fin à la guerre, répondit Manuel le plus simplement du monde.
- Non, tu as un plan de bataille pour vaincre l'Impératrice. Et ce n'est pas rien. Et ça ? continua-t-il. Est-ce que c'est un navire pour le cadre delta du logigramme ?
- L'un d'entre eux oui. Il y a trois modèles. Celui-ci est la version améliorée des cuirassés Silridriss. Il a quelques innovations... et il va piquer. Mais si tu es là, je doute que ce soit pour me rendre une visite de courtoisie.
- Nan, en effet. Le monde continue de tourner là-dehors. Ta femme et ta sœur sont inquiètes... Et accessoirement, j'avais un truc à te montrer pour avoir ton avis.
- Vas-y je t'écoute.
Fernand ramena Manuel là où il avait déposé l'énorme mitrailleuse... pour constater sa disparition.
« - Merde, ... elle est où ?
- Où est quoi ? Demanda Manuel
- Mon artillerie, je l'avais posée là. »
L'un comme l'autre se tournaient de droite et de gauche pour chercher l'équipement des yeux.
« - Ça ressemble à quoi ?
- Une grosse gatling.
- Oups. » Fit Manuel en se rapprochant de la maquette numérique du cuirassé volant.
« - Oh non, Manuel, ne me dis pas que tu as fait ça... Tu sais le temps que j'ai mis à mettre au point ce truc ?
- Trouvé : ce sont les systèmes de défense de proximité du navire, je m'étais pourtant demandé d'où sortait cet élément : il consomme une quantité pharaonique d'énergie et je ne me souvenais pas de l'avoir conçu comme ça.
- Il est conçu pour un Berserker, pas pour un navire.
- Bon, dis comme ça, maintenant, c'est évident... Maintenant tu sais ce que j'en pense : gourmand, mais efficace. Tu as une copie ?
- Elle doit traîner quelque part. »
Après un regard à l'ours de cristal rouge, ce dernier hocha la tête pour confirmer.
« - Bon, maintenant la suite des nouvelles du monde extérieur. Ta femme s'inquiète de pas te voir, ni elle, ni tes gosses. Elle a quelques trucs à te dire. Tu vas prendre un savon, et je te garantis que tu ne vas pas t'en sortir avec un ''oups''.
- Fleurs et chocolats ? Suggéra Manuel
- Fleurs, et dîner plutôt, elle avait vraiment l'air inquiète.
- A ce point-là ?
- Peut-être même un peu plus, confirma le guerrier, à mon avis, le dîner, c'est toi qui vas devoir le cuisiner.
- Ouille.
- Ca va te couter cher en sueur et en qualité.
- Je vois qu'il y a autre chose, interrogea le roi.
- Je te le dis tout de suite, ça ne va pas te plaire, garde ton calme tant qu'on est ici. Ok ?
- Je devrais pouvoir gérer. » Fit Manuel avec un sourire.
Fernand ne souriait pas.
Il utilisa le lien que Mylène lui avait fourni pour afficher sur un écran virtuel le site internet.
Dès la vue de la photo, le sourire de Manuel disparut. L'armure de Marilyn, opérationnelle lui fit un choc. Le titre de l'article lui en mit un second : ''L'escadron Rock combat du côté Silridriss''. A la lecture du texte en lui-même, la luminosité commença à baisser. La mer de nuages commença à s'agiter. Fernand choisit cet instant pour enfoncer le clou :
« - C'est Véro qui a écrit le texte. J'en reconnais le style, et c'est l'un de ses alias qui a signé.
- Mais comment est-ce que...
- L'Impératrice est certainement derrière cela. Demande à l'autre gueule d'iguane s'il a des idées sur le sujet. Mais, de la dernière discussion que j'ai eue avec lui, il avait l'air bien informé. »
Manuel reprit la lecture, il intégrait petit à petit les informations données dans le texte. Au fur et à mesure, l'environnement et le château reprenaient un aspect normal.
« - Faut que je te prévienne, déclara Fernand lorsque Manuel eut fini. Si je tombe face à elle, je ne sais pas ce que je ferais.
- Moi non plus... Mais il faudra agir. En bien ou en mal, mais il faudra agir. Salida est au courant ?
- Pas à ma connaissance. Mais... C'est une chimère, elle a de bonnes oreilles. Tu peux être sûr qu'elle va en entendre parler si ce n'est pas déjà fait.
- Ok, je prépare tous les éléments pour les donner aux concernés et je sors, je dois me reposer un peu.
- Manu, tu as une famille maintenant... Passe du temps avec eux.
- En parlant de famille... Comment ça se passe pour toi ?
- Je traîne avec Kiss.
- Je croyais que tu n'aimais pas les chimères.
- C'est une bonne amie, et on se soutient l'un l'autre moralement. On se raconte nos vies, elle non plus n'a pas eu de bol. Et ses rencontres avec les Humains ne correspondaient ni à ses besoins, ni à ses attentes alors... Elle a lâché l'affaire.
- Ha ? Faut vraiment arrêter ce conflit... Je vais te donner des documents, tu pourrais amener ça au général Sarlen ? Pendant ce temps je vais passer voir Hécate avant de rentrer chez moi. Tu as parfaitement raison : je dois m'occuper de ma famille. Mais je te l'avoue, j'ai tellement peur de tout perdre que je ne sais plus ce que je dois prioriser.
- Commence par ta femme et tes gosses. Au moins, eux, ils sont là. Et je m'occupe du vieux général. Tu ne préfères pas que ce soit moi qui aille voir Hécate ?
- Non, vu ce que je vais lui demander, je dois le faire en direct.
- Quoi donc ?
- Je vais lui proposer de modifier le programme des Berserkers des papillons pour en faire des versions débridées comme les nôtres.
- Est-ce que tu as un message pour Sarlen ? demanda Fernand en voyant Manuel ranger les différents éléments virtuels.
- Oui, demande-lui de se concentrer en priorité sur les opérations nommées ''Bombe G'' et ''Bonneteau''. Le connaissant, c'est le genre d'opérations pourries qui vont lui plaire. Au fait, tu n'as rien remarqué avec Noral ?
- Une baisse de ses capacités. Mais je n'arrive pas à savoir pourquoi. On a perdu presque quarante pour cent des capacités de calcul en un temps record...
- Faut investiguer. Et demander à Mylène si elle a un explicatif à ça : Ce n'est pas normal. »
*
Lentement, au plus profond de la psyché du Major Marilyn Targin, la personnalité de la combattante se reformait. Elle voyait, sentait, entendait ce qui se passait autour d'elle, mais elle ne maîtrisait pas son corps. C'en était d'autant plus dérangeant qu'il n'y avait aucune hésitation dans ce qui était dit ou fait et que ce qui était dit et fait allait à l'encontre de la totalité de ses idéaux. Elle disposait d'une partie de ses souvenirs, et quelque chose, au fond d'elle, l'aidait à récupérer le reste par suppositions ou recoupement. Quelques tics étaient restés comme le fait de faire une queue de cheval avec ses cheveux à chaque fois qu'elle ne portait pas son casque, ou encore de jeter un œil sur la photo de son petit ami, installé dans un coin du cockpit avant de le refermer pour piloter. Elle savait que cet avatar allait à un moment donné, se retrouver face à celui qu'elle aime. Et elle appréhendait grandement cet instant, en particulier, si elle n'avait pas récupéré la maîtrise de son corps. L'entité qui la contrôlait se défoulait avec efficacité sur d'autres AMC sur le champ de bataille. Les Sarbacks sous son commandement, devenaient de plus en plus efficaces au fur et à mesure que les éléments récalcitrants étaient remplacés par des combattants plus dociles. Rapidement, la petite escouade faite de combattants que d'autres ne voulaient pas devint un groupe efficace sur lequel compter dans les situations difficiles. Mais pour celle qui était le Major Targin, voir son savoir, et ses capacités utilisées contre ses frères d'armes la rendait malade. Quelle que soit l'entité qui la contrôlait, elle n'avait ni doutes, ni pitié, il y avait une finalité à toutes ces actions. Même si elle en l'ignorait jusqu'à présent.
Sa découverte fut un choc.
Son avatar se déplaçait au milieu des Silridriss d'un air aussi mauvais qu'eux au sein d'un navire volant. Contrairement aux Sauriens, elle ignorait les esclaves, qui, à ses yeux, étaient considérés comme des meubles. Après une évolution au sein des coursives plus ou moins bien éclairés, elle parvint jusqu'à une petite pièce où du matériel informatique avait été installé avec un électro-générateur. Elle se souvenait de la jeune femme installée là : Véronique. Mais cette dernière était très différente de celle qui arpentait ses souvenir. Ici, elle ne faisait qu'écrire des textes et des montages de vidéos toute la journée. Bien loin des sorties en boite et des bières bues dans les bars en écoutant de la musique. C'est à peine si elle la voyait se reposer, et seules trois tenues étaient portées, et changées tous les deux jours. Marilyn se demandait si la jeune femme était dans le même état qu'elle.
« - Alors ? Demanda l'avatar de Marilyn. On a des retours ?
- Oui. Il y a des retours. Pas tous bons malheureusement. La brutalité des troupes sur les terrains d'intervention joue contre nous. J'ai du mal à expliquer la réalité : Les Silridriss sont nos maîtres et La Déesse-Impératrice doit être révérée comme telle.
Ben voyons...
- Et les démons d'Alikaross ?
- Pas d'informations pour le moment, il faut de toutes façons aller chercher des corps pour contrer le loup gris.
- En tout cas, on a déjà les géniteurs de Manuel Ferreira... »
Sous le coup de la violence psychologique, Marilyn hurla intérieurement.
« - ... Si je n'arrive pas à le tuer, eux devraient pouvoir y arriver. En revanche, toi, fait attention, on n'a personne d'autre que toi.
- Je devrais pouvoir y arriver. »
Je ne sais pas pour Fernand, mais pour Manuel, j'espère que tu es bien accrochée à ta culotte ! Parce que le buter, y'en a plein qui ont essayé, et ça ne s'est pas bien fini pour eux, pensa Marilyn, incapable d'autre chose que de penser.
- Il mourra, simplement, doucement, le sourire aux lèvres de savoir que c'est quelqu'un qui l'aime qui l'emmène avec lui dans l'au-delà. »
T'as le droit d'y croire pétasse ! Tu vas juste finir éclatée la tête au sol et ton arme plantée dans le fondement. Faudra un expert en assurances pour savoir ce qui t'es arrivé... Et avec un peu de chances tu finiras même aux Darwin Awards.
Pourtant, malgré cette pensée bravache, Marilyn comprit l'urgence d'arriver à récupérer son corps avant de revoir son petit ami.
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