18 : Vies (2/3)

Les gardes entrèrent dans le bureau du maître des forges et soutenant l'ex-favorite par les épaules. Elle portait la robe de bure, et de nombreuses marques de coups au visage. Sans ménagements, ils la laissèrent tomber sur le sol tandis que le propriétaire des lieux se levait de son bureau. Sans un regards pour la captive, il alla tranquillement se servir une boisson dans une petite commode.

« - S'il y a bien un type de personne que je déteste plus que celle qui renie notre Déesse-Impératrice, c'est quand une personne qui avait sa confiance la renie, déclara-t-il normalement. La colère qui m'habite alors est très difficilement contrôlable. Votre déchéance est choquante. Et la seule chose qui me retient de vous mettre à mort tout de suite... Ce sont les ordres du Seigneur Arsear. Relève-toi. »

Avec difficulté, Myanate obéit.

Leurs regards se croisèrent. Durant quelques instants, les deux individus se jaugèrent.

« - Gardes, sortez. »

Les soldats ne posèrent aucune question en quittant les lieux. Les portes fermées le maître des forges reprit :

« - Qu'avez-vous donc fait pour vous retrouver dans une telle situation ? Racontez-moi, que je comprenne. »

Durant un court instant, Myanate se dit que lui raconter la vérité serait une bonne idée, d'autant qu'il n'y avait aucun garde. Mais elle se ravisa : Arsear lui avait fourni une couverture en lui précisant bien ses objectifs, si elle parlait trop, cela se retournerait contre elle. Un mensonge, avec une part de vérité semblait plus intéressant.

« - J'ai failli à ma tâche Monseigneur : Je n'ai pas été capable de retrouver les démons d'Alikaross. Plus encore, j'ai perdu une flotte lors d'une bataille et je n'ai pas été en mesure de protéger les installations sous ma protection.

- Vraiment ?

- C'est l'exacte vérité Monseigneur.

- Je n'y crois pas. Malgré ce que tu as subit, il y a toujours dans tes yeux la flamme de notre race. Qu'as-tu fait réellement ?

- Rien de plus Monseigneur. »

Ragoune resta quelques instants à regarder Myanate.

« - Yorasse, dans mon bureau... Oui, maintenant. » Dit simplement le maître des forges.

La tension s'ajouta à celui qui remplissait déjà l'atmosphère de la pièce. Myanate comprit que le maître des forges n'avait été qu'en partie dupé par ce qu'elle avait dit. Peu importe qui était Yorasse, l'avenir s'annonçait mal pour l'ex-favorite.

« - Monseigneur je...

- Chut. » Coupa-t-il sèchement.

Les minutes passèrent ainsi dans le silence relatif du bureau du maître des forges. Ces dernières tournaient à plein régime à cause des pertes élevées sur le terrain et des attaques contre d'autres installations de production.

« - Vous m'avez demandé Monseigneur ? Demanda une Silridriss en entrant dans le bureau sans se faire annoncer.

De belle taille, vêtue d'une tenue de cuir complète un peu usée, elle travaillait au plus près des fourneaux et des pièces de forges. Les vêtements étaient élégants dans leur simplicité et dans leur fonctionnalité. Les bottes rentraient dans le large pantalon retenu par une ceinture avec bretelles. À sa taille, pendait une épée, un fouet et un sac. Elle dévisagea Myanate de la tête aux pieds avant de se désintéresser d'elle et de reprendre sa conversation vers Ragoune.

« - Erguine est toujours en vie ?

- Aux dernières nouvelles monseigneur.

- Et Brega ?

- Non.

- Bien, que cette esclave remplace Brega et aide Erguine, Kolm, et Rostork dans leurs tâches. Motion spéciale pour elle : pas de mise à mort. Interdit de quelque manière que ce soit. Du moins, tant qu'elle ne m'aura pas dit la vérité.

- La vérité ? Si vous voulez je peux m'occuper de la faire parler, proposa la chef de la sécurité.

- Non. Elle viendra me la dire toute seule. Qu'elle rejoigne son poste.

- Bien Monseigneur. »

Sans plus un mot, Yorasse sorti son fouet et le fit claquer au sol. Myanate sursauta.

« - Allez ! Dehors ! »

Trouvant qu'elle n'allait pas assez vite, le fouet claqua une nouvelle fois, mais sur une jambe de Myanate. Ce fut à peine si le vêtement la protégea. La douleur lui arracha un cri sec. Mais elle comprit immédiatement le danger, et se précipita hors du bureau.

« - Yorasse ? Interrompit Ragoune.

- Monseigneur ?

- Qu'ils s'amusent avec elle en priorité. Je n'aime pas quand un esclave me ment.

- Bien Monseigneur. Je transmettrai. » Fit Yorasse en enfilant son masque avant de sortir.

*

* *

*

Le commandant Higas se dirigea dans les sombres méandres de la zone dévastée jusqu'au bâtiment confié aux membres de la cité d'argent. Un garde chimérique le regarda entrer avec un peu de désapprobation. Cela n'échappa pas au militaire. Il y avait peu de monde à l'intérieur, ils étaient venus avec à peine dix personnes, toutes espèces confondues. Pourtant, c'était toujours une chimère qui s'occupait de l'accueil. Et, de manière systématique, il était mal reçu. Cette fois-ci, c'était un genre de lion marron très sombre avec des oreilles pointues. Son visage était clairement inamical, la balafre et l'œil crevé n'aidait pas à le rendre plus doux. Il portait la tenue militaire de la faction et, à sa droite, un pistolet automatique neuf attendait d'être utilisé, bien non nécessaire à une chimère.

« - Vous voulez quoi ?

- Bonjour, je viens voir Sellgan. C'est au sujet des relations diplomatiques avec l'Humanité.

- Ce n'est pas vraiment le moment. Pouvez-vous repasser demain ?

- Que se passe-t-il ? Demanda Higas, inquiet.

- Rien qui ne vous concerne. » Clos la chimère en lui montrant la porte de sortie.

« - Excusez-le commandant Higas, fit une chimère en sortant de l'ombre. Mon camarade n'est pas très diplomate avec ceux qui ont attenté à la vie de la reine. Et encore, vous bénéficiez actuellement d'une protection diplomatique, dans le cas contraire vous seriez par terre dans une flaque de sang.

- Qui êtes-vous ? Demanda le militaire en identifiant une chimère femelle semblable à un raton-laveur avec des couleurs bordeaux et vert feuille. La tenue était identique à celle de son précédent interlocuteur.

- Je n'ai pas dit que je vous appréciais suffisamment pour vous donner mon nom. Je suis juste plus diplomate que lui. Un événement très important est en train d'avoir lieu à la cité d'argent. Et notre diplomate est en train de le suivre en direct. Rien de plus, rien de moins. Demain, ce devrait être terminé.

- Que... Que se passe-t-il donc ? Demanda le commandant inquiet.

- Puisque vous tenez vraiment à le savoir, la reine accouche, souffla son interlocutrice avec lassitude.

- Mais, qui est le père ? »

Un petit moment de silence passa durant lequel les deux chimères se regardèrent choquées. Ce fut la nouvelle arrivée qui répondit :

« - La Reine Salida avait raison : vous êtes vraiment plus con que la moyenne. »

*

Fernand entra dans l'hôpital au service des urgences en courant. Un regard à droite, un à gauche. Il se précipita à gauche, la flèche vers la maternité donnait cette direction. Les murs de métal polis se ressemblaient tous, brillants comme des miroirs reflétant toutes les images qui leur arrivaient de manière déformée. Pas vraiment un environnement sécurisant et apaisé, mais facile à nettoyer et à entretenir. Dans ses méandres, il trouva rapidement Kouiros et Tégos dans un couloir.

« - Salut, arriva-t-il, essoufflé. Comment ça se passe ?

- Chut... doucement, fit le bouquetin en désignant sa femme assise les yeux fermées. Salida a mal. Les médecins lui ont fait une péridurale, elle est en train de faire effet. Manuel est avec elle. Personne d'autre en dehors du personnel médical n'a le droit de rentrer.

- Que fait-elle ?

- Tégos ? Elle encourage Salida et prends sur elle une partie de la charge émotionnelle. Chez nous c'est un élément traumatisant vu que nous sommes tous liés. Alors le support psychologique revêt une importance particulière et c'est souvent une nécessité. Pour les personnalités importantes, comme Salida, l'événement est suivi par l'intermédiaire de la mémoire par une partie du peuple. Du moins les phases importantes.

- Ça dure longtemps chez les chimères les accouchements ?

- Quelques minutes. Mais notre forme n'est plus celle d'autrefois. J'ignore si nous devons prendre nos références ou les vôtres.

- J'espère que tout se passera bien...

- Il y en a déjà un de sorti. Le deuxième est en cours. » Précisa le bouquetin.

L'attente continua ainsi de longues minutes. D'interminables minutes, longues comme des heures. Puis, une porte du couloir s'ouvrit pour laisser passer un Humain avec une tenue médicale bleue avec une paire de lunette à monture noires. Il se dirigea presque immédiatement vers le petit groupe.

« - Bonjour, vous êtes avec la Reine ?

- Oui, répondit Fernand, inquiet.

- Bon, tout s'est bien passé. Je suis le docteur Borès, c'est moi qui me suis occupé de l'accouchement. Elle va bien et les enfants vont bien également. On a conduit le Roi aux urgences...

- Hein ?

- Oui : il lui tenait la main au cours de l'accouchement. Elle a serré tellement fort qu'elle l'a lui a probablement cassé une phalange ou un métacarpien. Avec un peu de chance ce ne sera que déboîté...

- Est-ce qu'on peut la voir ? Demanda Tégos en se levant.

- Nous allons l'emmener dans une chambre, un peu plus haut. Pour le moment, les enfants passent quelques examens, ils la rejoindront après.

- Dans quelle chambre est-elle ? »

Le médecin fit pivoter son avant bras gauche pour faire apparaître un mini écran caché, accroché vers l'intérieur. Les lunettes, probablement équipées de caméras suivirent les pupilles tandis qu'il se promenait dans les menus sans toucher l'écran.

« - Chambre trente-quatre.

- Super. Merci, fit Tégos avant de tourner immédiatement les talons pour se diriger vers les escaliers.

- Tout s'est vraiment bien passé ? Demanda Fernand. Pas eu de problèmes particulier ?

- Je ne vais pas vous mentir : c'est la première fois que je fais accoucher des hybrides Humains-Chimères. C'est une première pour moi aussi, je pense que ça ne pouvait pas mieux se passer. Une expérience intéressante, d'autant qu'elle va se répéter maintenant.

- Comment ça ? Demanda Kouiros.

- Et bien, une partie de la population a commencé à se mélanger les uns les autres. Curieusement, la reproduction inter-espèce fonctionne dans certains cas. Notamment des chimères. Je me demande s'il n'y a pas de lien avec votre ADN.

- Que voulez-vous dire ?

- L'ADN des chimères a une propriété d'assimilation extraordinaire. On s'en est rendu compte lorsque le conflit a éclaté, et que l'on a commencé à vous étudier. Les quelques échantillons ont démontré que chaque individu est unique et que les ADN se recombinent à chaque fois qu'il y a un enfant. C'est pour ça que les enfants sont complètement différents de leurs parents, même si la morphologie générale reste la même. Un peu comme un jeu de construction : les briques se démontent et se remontent différemment. Peu importe à quel autre ADN il fait face : son sectionnement provoque le sectionnement de l'ADN de l'autre partenaire et le tout est recombiné. Cependant, c'est la première fois que je vois le résultat, jusqu'à présent, ce n'était que des recherches dans des revues médicales et scientifiques. C'est fascinant.

- Vous voulez dire que vous nous étudiez ?

- Depuis longtemps. Que croyez-vous ? Si les premières études avaient pour but votre extermination, je serai enclin à pencher pour une meilleure compréhension et des soins appropriés désormais.

-Ça vous arrive jamais de laisser les choses telles qu'elles sont ? demanda Kouiros à Fernand.

- Pas à ma connaissance, répondit l'intéressé. Tant qu'on a pas tout compris, on cherche. »

*

* *

*

« - Monseigneur ? »

Arsear sursauta sur son siège et se retourna vivement. Rig-rid eut elle aussi un peu peur. Le bureau était toujours le même, avec la chambre et les commodités intégrés.

« - Est-ce que vous allez bien Monseigneur ?

- Ça va, tu m'as surpris. »

- Surprendre un Silridriss ? C'est une première. » constata la gnome en se retournant pour s'assurer que la porte était fermée.

La remarque arracha un sourire au Seigneur de guerre qui reprit la contemplation du paysage qui passait devant la baie de son bureau.

« - Tu voulais me dire quelque chose ?

- Oui, les kalieks sont opérationnels. Ils n'attendent plus que vos ordres.

- Parfait ! Nous allons pouvoir passer à la suite des opérations.

- Vraiment ? Les autres officiers ont décidés de vous rejoindre ?

- La majeure partie est convaincue. Le reste est encore en train de s'interroger. Les récalcitrants ont été éliminés. Le temps va bientôt finir le travail que le léger doute a provoqué. Je sens que certains se sont plongés dans la lecture du livre sacré avec la plus grande assiduité pour savoir ce qui avait été raté pour me donner des contre-arguments... mais ils n'y trouveront rien. J'ai déjà vérifié, cherché, même tenté d'interpréter. Mais en réalité, tout ceci n'est qu'un ramassis de foutaises. Même le livre de cet humaine était mieux écrit.

- Vous ne devriez pas dire ce genre chose à haute voix.

- C'est vrai, mais ça fait du bien.

Rig-rid regarda le Seigneur Arsear avec surprise une nouvelle fois. Mais ce qu'elle y vit ne fut pas de la culpabilité pour s'être excusé ou de la colère pour l'avoir fait auprès d'une esclave. De l'envie, de la colère, un plaisir sadique, de la méfiance, de la haine... ces expressions-là, elle les connaissaient bien. Mais la tendresse pure, un sentiment qu'elle n'avait jamais véritablement vu chez les Silridriss, éclairait le visage d'écailles. Il l'aimait, et il ne s'en cachait plus lorsqu'ils n'étaient que tout les deux.

« - Au fait, comment avez-vous fait pour qu'ils vous laissent repartir avec un coupe-griffes ?

- J'ai fait un petit échange. »

Le Silridriss se mit à rire.

« - Une broutille, rien de bien important, ne t'inquiète pas.

- Sincèrement, que vous a-t-il demandé ?

- Les plans du Klastlabad »

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