17 : Implications (3/3)
La voiture entra sur l'une des artères de communication de la cité d'argent. Manuel regarda le paysage sombre que la ville souterraine lui offrait. C'était beau avec toutes ces lumières et toutes ces personnes qui œuvraient à partager des choses autres que des coups d'épées et des tirs haineux.
Ça serait quand même mieux à l'air libre... Mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut. Et tant que cette guerre durera, nous devrons vivre cachés.
« - Au fait, ça ne te dérange pas de te balader dans ce bolide un peu pourri ? Demanda le bouquetin par-dessus le bruit du moteur.
- Non. J'adore ta caisse. On vient de te poser la question dans la mémoire ? »
La chimère hocha la tête, un sourire sur le visage de bouquetin.
« - Au fait, c'est pour bientôt avec Salida, pas vrai ?
- M'en parle pas. Je stresse comme c'est pas permis.
- Tout se passera bien.
- Je l'espère. On a encore plein de projets. On a reporté le mariage à cause de ça : on ne voulait pas prendre de risques. A ce sujet, tu voudrais bien être un de mes témoins ?
- En quoi ça consiste précisément ?
- Être présent lors de mon mariage et acter de son événement. Généralement ce genre de genre de responsabilité est confié à une personne de confiance au sein du couple.
-Il y en aura combien ?
- Au minimum, un par conjoint. Maximum deux. Je vais aussi proposer à ma belle-sœur d'être mon second témoin.
- Pourquoi elle et pas Fernand, on ta sœur ? Demanda Kouiros en sortant de la voie rapide.
- Parce que je voudrais que mes témoins soient de deux espèces différentes. Un peu comme prendre les autres mondes à témoins de ce que je fais.
- Je désapprouve.
- A cause de son homosexualité ?
- Entre-autre.
- Kouiros, c'est mon mariage. Je fais ce que je veux. Il va falloir que tout le monde se mette dans la tête que je n'ai pas l'intention de me plier au politiquement correct parce que je suis Roi. Avant d'être Roi, je suis Manuel Ferreira, un simple pilote d'AMC.
- Oui. En effet. Un simple pilote d'armure, disposant d'une machine dont la puissance dépasse l'entendement, dont les actions et coups d'éclats font passer les héros de légendes pour de simples figurants dans un film d'action...
- Eh !
- Un gars qui a transformé une peste pourrie gâtée en une Reine digne des plus grands dirigeants de l'Histoire chimère. Un type tout simple qui n'a qu'à se pointer sur le champ de bataille pour en inverser le résultat parce qu'il devient la cible numéro un. Le genre de mec recherché par toutes les forces Silridriss au point de leur foutre la trouille dès qu'un seul cheveu passe dans la lumière du soleil ou qu'un peu de musique brouille leurs communications.
- T'as fini avec les roses ? Les épines sont douloureuses.
- Non, pas encore. Un Homme comme il en existe tant, qui est capable de transformer la pire de toutes les gardes du corps que comptent les chimères pour la rendre douce et aimante...
- Ouais... tu m'as aidé sur ce coup-là, précisa le jeune homme.
- Manuel, ignora la chimère en s'engageant sur un parking. Ce que je veux dire, c'est que tu es loin d'être le lambda de la rue. Tu as quelque chose, donné par le destin, j'ignore quoi précisément, mais ça fait bouger des montagnes. Regarde autour de toi, cette ville n'aurait jamais existé si tu n'avais pas fait tant de choses. »
Le véhicule s'installa à une place libre, devant un bâtiment décoré d'un symbole de police et de la mention ''district 04''. Les murs de béton coulés n'avaient aucune autre fioriture que celle-ci. A sa droite, une échoppe vendait des sandwichs et autres plats faciles à préparer et rapide à manger. A gauche, une boutique d'informatique.
« - Je crois avoir compris ce que tu veux me dire Kouiros. Mais je ne suis pas un preux chevalier qui va défendre la veuve et l'orphelin dans tous les mondes, corrigea Manuel tandis que le moteur se stoppait. Je fais déjà ce que je peux pour protéger ma femme et donner un autre avenir que la guerre ou l'esclavage à mes enfants. Dès que possible, j'aide aussi mes amis et ma famille, mais je ne vais pas plus loin. Navré de détruire l'image du héros... Mais je n'en suis pas un. Je suis simplement un mec décidé qui aimerait vivre une vie normale dans un monde qui a complètement changé en moins de trente ans. Mais pour le meilleur ou pour le pire, ce que je vis est extraordinaire, alors je m'adapte et pour le moment je ne regrette pas beaucoup mes choix. Je sais que les chimères attendent énormément de moi, mais je reste le Manuel que tu connais. Une seule chimère m'importe. Les autres se débrouilleront sans que je ne donne d'ordres. Ou tout du moins, je leur demande d'être heureuses à leur manière.
- Hum, fit Kouiros en descendant de la voiture.
- Désolé de te décevoir, fit Manuel en l'imitant.
- D'une certaine manière, ça me rassure que tu n'aies pas changé, tu n'as pas pris la grosse tête. D'une autre, ça m'inquiète pour le futur. Viens allons voir Fernand.
- Tu n'as pas répondu.
- A quoi ?
- Être mon témoin de mariage.
- J'en serai fier. »
Les deux amis entrèrent dans le poste de police pour ensuite se diriger à droite. Ils arpentèrent deux ou trois couloirs avant d'arriver à un escalier descendant. Les policiers présents, de toutes espèces confondues, dans des tenues vertes les laissèrent passer sans leur adresser la parole.
« - Tu les avais prévenus ?
- Bien sûr. La mémoire a cet avantage, répondit le bouquetin.
- Ça ne pose pas de problèmes d'entrer ici comme ça ? On devrait demander l'autorisation a quelqu'un quand même...
- Non c'est bon, tu as toutes les autorisations. Tu es le... meilleur ami du mec dans la cellule du fond, se reprit la chimère avec un sourire qui en disait long.
- Ça va, tu me rassures. » Répondit un Manuel qui n'était pas dupe.
Une odeur nauséabonde commença à se faire sentir au fur et à mesure qu'il se rapprochait de la salle de dégrisement. Ces dernières étaient des cages de plexiglas épais troués. Cela rappela au jeune homme ses premiers passages en prison. Cette dernière n'avait pas de différences avec celles qu''il avait pu visiter. Pourtant, en approchant, il constata qu'il y avait deux individus dans la cellule. Fernand était endormi sur le banc, la tête posée sur les genoux d'une chimère en tenue de policière. Cette dernière fredonnait une berceuse avec douceur tout en lui caressant les cheveux. Elle ne semblait pas en vouloir à son prisonnier de lui avoir vomi sur les pieds et sur le sol.
« - Kouiros, est-ce que tu pourrais essayer de trouver de quoi nettoyer ses bêtises s'il te plaît ? Je voudrais passer un coup sur le sol.
- J'ai eu la même idée.
- Essaie aussi de lui trouver des chaussures propres. Il va en avoir besoin j'en suis sûr.
- Elle, corrigea le bouquetin. C'est une femelle.
- Merci.
- Pas de problèmes. »
La porte de la cellule n'était fermée que par un simple loquet en métal. Manuel l'ouvrit et pénétra dans la petite pièce où son ami ronflait bruyamment.
« - Bonjour, fit-il doucement en posant un genou à terre. Je suis...
- Le Roi. » Compléta la chimère avec un peu de gène.
Manuel en profita pour la dévisager un peu. La tête se rapprochait de celle d'un okapi croisé avec une biche. Fin et élégant avec de grands yeux noirs. Un mélange de lignes noires, brunes et blanches traçaient sur le visage un maquillage naturel qui oscillait entre le tatouage tribal, et des coups de pinceaux sur une toile de peintre moderne. De ce qu'il voyait du cou, cela devait continuer un peu partout sur le corps avec une majorité de marron. Ses mains, terminées par de petites griffes, étaient moins touchées par ce style, mais elles en portaient tout de même les traces.
« - Oui, aussi. Mais je suis surtout son meilleur ami. Comment va-t-il ?
- Il cuve... Je suis désolée, j'ai dû utiliser mon pouvoir pour le calmer alors que la loi...
- Doucement, tout va bien, la rassura Manuel. Je ne vous fais aucun reproche. Ça l'a calmé sans le blesser, c'est parfait. Comment vous appelez-vous ?
- Kiss.
- Outch, ça ne doit pas être facile tous les jours avec ceux de mon espèce.
- Non en effet. J'ai régulièrement droit aux blagues graveleuses.
- J'espère qu'elles ne dépassent pas les limites.
- Généralement non : Il n'y a plus personne quand il s'agit de passer à l'action, alors ça calme. Pour votre ami, je l'ai endormi avec une berceuse.
- Combien de temps va-t-il dormir ?
- Quelques heures. Tant que je ne le réveille pas en fait. Un médecin est passé faire une prise de sang pour connaître le taux d'alcool. Il est passé proche du coma éthylique... Mais qu'est-ce qui peux bien mettre un homme dans un tel état.
- La femme dont il est amoureux. Il n'a pas réussi à dépasser sa disparition. Elle a été tuée devant ses yeux par les Silridriss, et aucune autre femme n'arrive à déloger l'amour qu'il a pour elle de son cœur.
- Mais... Pourtant y'en a beaucoup qui seraient intéressées.
- Comme tu le dis : intéressées. Mais pas par lui, ou par une vie en commun.
- C'est triste. » Commenta-t-elle.
*
Le consul Arionis lisait et relisait le rapport du Commandant Higas. Il devait bien l'avouer : ça ne se passait pas comme il le voulait : Les zones dévastées allaient se voir offrir une échappatoire, et la cité d'argent conditionnait les discussions a la rupture avec Hillgearim. Dehors, le ciel s'était couvert de nuages et le soleil avait du mal à faire passer ses rayons. Dans quelques heures la pluie tomberait sans discontinuer pendant des heures. Quelqu'un frappa à la porte.
« - Entrez, dit-il avec lassitude
-Bonjour Monsieur, fit Vérité en entrant. Je vois que vous avez pris connaissance du dernier rapport.
- Bonjour Vérité. Oui, je l'ai lu. Mais cela ne se dirige absolument pas dans le sens que j'attends.
- Il faut croire que les type de la cité d'Argent savent ce qu'ils veulent. A ce sujet, j'ai entendu une rumeur des plus étranges.
- Laquelle ?
- Vous savez comme moi que le Roi est Humain et que la Reine est Chimère.
- Oui.
- Et bien la Reine est enceinte. »
L'information choqua le consul au point que son visage à peau translucide eu un mouvement de recul involontaire.
« - Mais c'est impossible... Ce sont deux espèces différentes, objecta le politique.
- Ce ne sont que des rumeurs.
- Non, nous devons savoir. Vérité, Les implications sont terribles et le danger est bien réel. Si notre espèce se rapproche trop des chimères nous pourrions tous disparaître sur le long terme. Nous nous devons de préserver notre race.
- Je vais me renseigner.
- Si ces hybrides venaient à voir le jour, cela pourrait signifier la fin de l'humanité telle que nous la connaissons. Est-ce que le gouvernement central est au courant ?
- Probablement. Je doute qu'ils soient passés à côté de ce genre d'information, répondit la secrétaire.
- Assurez-vous en. Je vais contacter Hillgearim pour lui annoncer l'arrêt de nos échanges secrets.
- Sans vouloir vous offenser, ces échanges n'avaient plus grand-chose de secret.
- Merci de me le rappeler. Ensuite recontactez le commandant Higas pour la poursuite des négociations.
- Le haut commandement attend un retour pour la fin de semaine, se permit de préciser la jeune femme.
- Ça devrait se faire. »
*
* *
*
Lorsque la Déesse-Impératrice pénétra dans la pièce sombre, l'Humaine présente l'accueillie avec un sourire, sans se lever de sa chaise. La souveraine l'avait installée, elle ainsi que du matériel de son monde récupéré ça et là dans un espace certes confortable, mais sans aucune ouverture vers l'extérieur. Ces commodités n'étaient prévues que pour les invités ou pour elle-même sur son navire. Pas pour les esclaves. Une paillasse, un foyer pour le chauffage, un seau pour les besoins naturels, un conduit pour l'évacuation des gaz du générateur électrique et c'était suffisant. Les repas étaient livrés et mangés sur place.
« - Bonjour, dit-elle avec un fort accent anglais. Ça fait un moment que vous n'êtes pas venue me voir.
- Avez-vous réussi à ouvrir ce « disque dur » ?
- Combien de personnes ont été tuées avant moi ? Ignora l'Humaine.
- Six, tu seras la septième si tu as échoué.
- J'ai échoué. C'est bête hein ? »
La souveraine plissa les yeux. L'individue lui cachait quelque chose, c'était flagrant. Avec une vitesse stupéfiante, elle se retrouva derrière elle et planta ses doigts dans la nuque de la prisonnière, juste à la base du crane. Sa victime fut inerte presque immédiatement. Les yeux grands ouverts et le visage sans expressions ouvrait et fermait la bouche pour chercher de l'air comme un poisson hors de l'eau. Puis ses yeux se révulsèrent tandis qu'Estelarielle utilisait le Klastlabad pour accéder à ses souvenirs.
Elle la vit effectuer quelques recherches pour ouvrir le disque avant d'effectuer une étrange manipulation. Celle-ci prit beaucoup de temps, presque deux jours, elle surveillait régulièrement la petite barre bleue qui grandissait. Puis elle positionna un petit rectangle blanc dans une grande zone blanche. Le reste du temps, elle le passa à attendre l'arrivée de l'Impératrice.
Je ne comprends pas... Qu'est-ce qu'elle a fait ? Je dois trouver un autre Humain.
Une inquiétude bien réelle commença à poindre dans l'esprit de la Déesse-Impératrice. Aidée de la fantastique puissance du Klastlabad, elle créa sans problèmes un passage à travers l'espace pour atteindre le marché aux esclaves. Elle arracha un Humain à sa geôle pour le jeter dans la pièce sans ménagements.
Ne comprenant absolument rien à ce qui se passait, ce dernier se cacha, complètement paniqué.
« - Montre toi avant que je ne m'énerve. »
Apeurée, une jeune femme, vêtue de cette robe de bure caractérisant la condition des esclaves, se montra. La peur laissa place à la terreur en voyant la femme inerte affalé sur sa chaise et la mare de sang au sol.
« - Ici ! Assise ! »
Tout en énonçant ses ordres, l'Impératrice posa sa main sur l'épaule du cadavre. Celui-ci s'écroula en un tas de poussière tandis que la nouvelle esclave s'approchait en tremblant.
« - Est-ce que tu sais faire fonctionner cette chose ? Demanda la souveraine en désignant l'ordinateur.
- Oui madame, répondit-elle avec un accent australien.
- Dis-moi ce qu'il y a dans cette boite noire. Tu as quatre jours. »
L'esclave s'installa devant l'ordinateur encore allumé. Puis interpella la souveraine alors que celle-ci se dirigeait vers la sortie.
« - C'est fait madame. »
Estelarielle crut à une plaisanterie en se retournant vivement.
« - Il n'y a qu'un seul document sur ce disque : un texte.
- Mais où est le reste ? Où sont les informations sur les démons d'Alikaross ? Demanda-t-elle inquiète.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez, madame, je peux ouvrir le texte et vous le lire si vous le voulez.
- Dépêche. »
La jeune femme commença à lire le texte anglais qui prenait parfaitement corps dans sa bouche :
Au moment où vous lirez ces mots, je ne serai plus. Peu importe mon état physique, je serai morte, tout ce que j'espère c'est que je n'aurai pas trop souffert. J'espère également être la dernière de ce massacre imbécile visant à forcer l'accès à un disque chiffré avec un ordinateur de bureau... Autant chercher à atteindre le centre du monde avec une pelle de chantier... Je ne sais pas ce que les Silridriss voulaient trouver sur ce disque. Ça avait l'air important.
Dommage.
Dans le but d'arrêter le massacre, j'ai effacé le disque.
Complètement.
Il est vide. Aussi vide que lors de sa mise sous blister. J'ai lancé le processus le plus destructeur d'effacement (« ten pass zéros » pour ceux qui connaissent) pour que même les données rémanentes n'y soient plus détectables.
Quel que soit ce que vous pensiez y trouver, ou espériez y trouver, mesdames et messieurs les Silridriss, cela n'y est plus.
Bon courage pour la suite.
P.S. : Désolé pour mon successeur, il n'aura pas la chance d'essayer cette épreuve impossible
Dorothy Relssy
La Déesse-Impératrice prit conscience avec horreur de ce que la prisonnière précédente avait osé faire.
« - Explique-moi très précisément ce que cette personne a fait, grogna-t-elle avec colère.
- Elle a effacé le disque madame. Elle n'y a écrit que des zéros.
- En quoi écrire quelque chose efface la précédente ?
- Pour faire simple... on écrit sur des livres en noir sur du blanc. Et bien là, elle a effacé tout ce qui était noir. Le livre est vide.
- Existe-il un moyen d'en lire quelques passages quand même ?
- Non. »
L'impératrice resta interdite devant ce qu'avait fait l'esclave précédent. Jusqu'à aujourd'hui, personne n'avait jamais osé lui faire un coup pareil. Elle ferma les yeux, et s'écarta légèrement, cherchant à intérioriser sa colère. Finalement, elle posa ses mains sur la cloison froide du navire. Ses griffes sortirent, et, lentement, elle déchira le mur de métal sous le regard inquiet de la jeune femme.
Soudain l'impératrice fit volteface :
« - Tu vas m'apprendre à me servir d'une de ces machines ! Et gare à toi si tu oublies quelque chose ! »
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