15 : Chocs (1/3)
Un rapport entre les mains, la chimère entra dans le local par la lourde porte et y alluma la lumière. Son aspect était celui d'un hibou, son bleu de travail, légèrement tâché parlait à sa place : il travaillait dans la mécanique. La pièce était grande, et, à l'intérieur, deux AMC bâchées, quelques pièces et une desserte d'outil. Les murs d'épais béton revoyait la lumière froide des néons accrochés au plafond. Sans vraiment vérifier ce qu'elle faisait, elle ouvrit la desserte, y pris machinalement un outil avant de l'y reposer et d'en choisir un autre. Elle se dirigea ensuite vers la sortie mais se stoppa avant de passer le seuil de la porte. Elle se retourna pour observer les deux machines bâchées. Elle vérifia dans la mémoire, il n'y avait pas de traces que quelqu'un ait fait cette intervention. Elle retourna vers la caisse à outil et y posa son rapport sans quitter les pièces de tissus des yeux. Elle interrogeait les membres de son équipe en retirant la première bâche. Dessous, une magnifique AMC aux couleurs kakies et au style véritablement agressif. L'armure de la Reine, modifiée et adaptée par le Roi, soit une pièce unique en son genre. La chimère l'observa un moment tandis que ses différents interlocuteurs répondaient par la négative à sa question. Puis elle retira la seconde protection. Derrière, une AMC classique.
Où est l'armure du Roi ?
*
La musique vibrait aux oreilles de Manuel. ''Gotta get me high'' de ''Shaka Ponk''. Un groupe qu'il ne connaissait pas mais dont la musique lui plaisait, d'autant que la chanson parlait de voler... Et il volait. Comme un oiseau fou, il réalisait figure après figure comme s'il voulait pousser sa machine dans ses derniers retranchements. Depuis trois mois qu'il était arrêté maintenant, il lui avait été interdit de piloter ou de s'approcher des AMC. Dés qu'il pu remonter dans sa machine, il le fit et s'enfuit. Ces quelques instants de pur bonheur qu'il vivait valait bien plus que toutes les remontrances. Ego ne disait rien, il se contentait des sensations de plaisir dans ce pilotage complètement dingue. Manuel, lui, appréciait cette liberté. La liberté d'être seul pour le moment, des sensations que le vol lui procurait, personne pour le juger ou lui donner des ordres, pas de responsabilités, ni d'objectifs. Aucune menace ni aucun ennemi pour lui tirer dessus. Personne n'était dans le coin pour lui dire de rester sagement chez lui, pour lui ordonner de ne plus piloter ou de ne pas prendre de risques. Malgré les batailles, il avait pris goût à ces sensations que lui offraient son engin. Le vents qui courrait dans les poils du loup blanc vibrait avec une sensation de vitesse valant toute les drogues dures existante.
Juste voler dans une liberté totale.
Il fit un rase-mottes, avant de faire une pirouette et se propulser d'un coup sec du sol. Il replongea peu après dans un canyon aussi grand que celui qui découpait le désert américain. À travers les gorges, il se déplaça à pleine vitesse, évitant les pitons rocheux avec parfois un seul mètre d'écart et en repliant les ailes un instant. Ego l'avait mit en garde sur la dangerosité de ces manœuvres, mais le jeune homme doutait qu'un coup de vent puisse infléchir la trajectoire d'une machine de plusieurs tonnes lancée à pleine vitesse. Le décor, certes désertique, n'en était pas pas moins magnifique. Les traces qu'avaient laissées l'érosion des roches transformait la plus petite aspérité en œuvre d'art. Le cerveau humain, cherchant sans cesse des repères connus, nomma des lieux en fonction des formes qu'il voyait. Ici un ange, là une fille avec un ballon, un peu plus loin, une fusée... Le berserker passa sous des arches millénaires comme autant de ponts entre les deux rives avant de repartir vers le ciel en une vrille survoltée. Le plaisir de voler était tel que le jeune homme fermait les yeux. Le vent, courant tout autour de lui dans le canyon lui disait tout ce dont il avait besoin pour se repérer. Il stabilisa son altitude avant de les rouvrir et poser son regard sur ce superbe paysage, les ailes déployées.
– Hé c'est quoi ça ?
Ego attira le regard vers une marque sombre au sol. Environs cent mètres-carré.
– Je n'en ai pas la moindre idée...
– C'est moi où ça se déplace ?
– Ça se déplace, lentement, mais ça bouge, confirma Manuel en se dirigeant vers cette trace anormale. Ego ouvrit le radar à la recherche de cibles. Mais rien, c'était vide, inquiétant. Le jeune homme se posa près de la tâche, la limite entre le sombre et le lumineux n'était pas nette. Son attention se posa alors sur son ombre, et il se retourna, les yeux tournés vers le ciel azur. Un nuage. Petit élément incongru dans ce paysage désertique. Depuis le temps qu'il avait emménagé ici, jamais il n'avait vu de nuages. Celui-ci était d'un blanc neige, comme un coton flottant dans le ciel. Manuel décolla pour se rapprocher. Méfiant, il prit une trajectoire détournée pour l'atteindre. Mais ce n'était là qu'un simple nuage dans le ciel. Ego lui en confirma même la composition.
– Un nuage, ici, ce n'est pas normal, commenta le pilote.
– Je suis d'accord. On devrait rentrer pour chercher des informations. J'ai l'impression... qu'on a déclenché quelque chose en venant dans ce monde.
– Ce monde était mort. Y'avait rien ni personne en dehors d'un canon orbital.
– C'est bien ce que je disais : on a déclenché quelque chose en pénétrant ici.
*
* *
*
Salida ouvrit le tiroir dans lequel Manuel rangeait la broche de laiton qu'il avait échangé avec le Silridriss. Elle observa l'objet avec méfiance. Avec beaucoup de prudence, elle prit la pièce ouvragée. La souveraine la fit tourner dans tout les sens, l'observant sous tout les angles. Finalement elle l'accrocha à son cou. Doutant de la sincérité d'Arsear sur son fonctionnement, elle tenta de contacter son père.
« – Papa ? Est-ce que tu m'entends papa ? »
Rien, aucune réponse à ses oreilles, elle essaya alors avec une personne vivante, mais qui ne portait pas de broche.
« – Manuel, mon amour, si tu m'entends, réponds-moi. »
De nouveau, il n'y eut aucune réponse à son appel. Elle réessaya encore deux ou trois fois avec son père, sa mère, ou son mari. Mais il n'y avait aucun retour.
Le Silridriss nous a certainement dit la vérité...
La Reine prit alors tout son courage, une grande inspiration et appela :
« – Madame Ferreira ? »
Pas de réponse.
« – Répondez-moi madame Ferreira s'il vous plaît. »
Rien.
« – Monsieur Ferreira ?
– Oui ? Bonjour, qui êtes-vous ?
– Je suis Salida... Je suis...
– La Reine des chimères en personne, c'est inattendu. Je me disais que nous nous parlerions plus tard.
– Non monsieur Ferreira, précisa la tigresse qui avait longtemps réfléchit à la manière de présenter les choses. Nous devons discuter maintenant. Il faut éclaircir les incompréhensions, une en particulier. Avant d'être la Reine, je suis d'abord la femme de votre fils. Votre belle-fille.
– Ha ?
– Je l'ai épousé avant de reprendre le trône, et il m'est bien plus important que celui-ci.
– Je sais que je vais vous choquer, que cela ne se fait pas, mais je vais être direct : quel est votre pouvoir ? Fit le père Ferreira sans animosité mais avec conviction.
– Euh... vous savez que... c'est pénétrer dans l'intimité de quelqu'un ?
– Bien sûr que je le sais. Être accepté dans une famille, c'est pénétrer dans l'intimité de celle-ci, répliqua le professeur. Je désire m'assurer de certains points sur votre sujet. Pourriez-vous répondre à la question ?
– Je peux accélérer, ou ralentir le temps autour de moi.
– Vraiment ?
– Oui,...
– Bien, c'est rassurant, il ne touche pas à l'esprit des gens. J'eusse peur que vous teniez mon fils en votre pouvoir. Le professeur Belamour avait déjà supposé que celui-ci était apparu...
– Pas ''Apparu'', corrigea Salida, il a été provoqué.
– Quelle est la différence ?
– C'est,... Ce sont mes sentiments envers votre fils qui l'ont crée. Je suppose que vous savez comment notre pouvoir apparaît n'est-ce pas ?
– Continuez, répondit le professeur qui disposait déjà de cette information.
– Je n'étais pas en danger ce jour-là. Votre fils, si. Je tiens à lui plus qu'à ma propre vie, mon pouvoir, en sommeil depuis tant d'années s'est alors réveillé.
– Et qu'en pensent le reste du peuple Chimère ? Sont-il heureux que leur reine épouse un Humain ?
– Je ne leur ai pas demandé leur avis. Ma vie privée ne les concerne pas. Mais ils s'adaptent. »
La réponse, aussi rapide que franche laissa place à un silence dans la conversation. Dans le salon, Salida laissa courir son regard dans la pièce, cherchant ses mots.
« – Vous désapprouvez notre union ? Murmura-t-elle, inquiète.
– Non. Il a fait ses choix, j'essaie juste de les comprendre. Je réserve mon avis pour plus tard : il y a plus important pour le moment.
– Je suis d'accord, il faut stopper cette guerre.
– Je parlais de votre santé et de votre maternité, corrigea le scientifique. Manuel s'inquiète beaucoup, je l'ai senti dans sa voix lorsque nous nous sommes parlé. Sa... Paternité entre-autre, il a peur de ne pas être à la hauteur.
– Je suis persuadée qu'il fera un père fantastique.
– Je pense aussi qu'il devrait y arriver.
– Merci monsieur Ferreira, murmura-t-elle. Merci de me laisser une chance.
– Oui, ... On verra. Je vous demanderai seulement de ne pas jouer avec ses sentiments, ça, je ne vous le pardonnerai pas. Ma femme encore moins, elle a déjà du mal à vous accepter.
– C'est ce que m'a dit Manuel. Elle était dans une immense colère quand elle l'a appris... Pourrais-je lui parler ?
– Euh... C'est peut-être un peu tôt pour ça. Vous ne la verriez pas sous son meilleur jour.
– Comment a-t-elle réagit quand Manuel est sorti avec Marilyn ?
– Comme avec toi : Mal. C'était une militaire qui emmenait son fils sur les champs de batailles. Autant dire qu'il y a eut quelques crises à la maison. Les performances de Manuel n'ont pas aidés non plus : elle a fini à l'hôpital pour un malaise.
– Et vous ? Demanda la Reine.
– Je ne me mêle pas des histoires de cœur de mon fils. La vie est assez courte comme ça pour ne pas en profiter un peu. Alors je le laisse faire ce qu'il veut de ce côté-là. Pour en revenir à votre sujet, une relation avec une chimère est une nouveauté trop récente encore pour savoir où cela mènera. J'espère juste que vous vous êtes préparés à entrer en terrain inconnu car vous devrez faire face à des épreuves que personne n'a encore traversé. Je n'aurais qu'un seul conseil à vous donner : affrontez les problèmes ensembles. Vous ne serez pas trop de deux pour les traiter. Ha ? Je vais devoir me remettre au travail, je suis heureux d'avoir pu parler avec vous, nous reprendrons cette discussion plus tard. Cela vous va ?
– Bien sûr. Avec plaisir. Au revoir. » Répondit Salida qui connaissait les contraintes du scientifique prisonnier.
*
* *
*
Le prisonnier Humain, fut jeté sans ménagements dans les jardins luxuriants de l'Impératrice. Conformément à leurs instructions, ils rentrèrent dans le navire et fermèrent les portes derrière eux. L'Homme se releva péniblement. Il portait une robe de bure légèrement abîmée fermée à la taille par une corde nouée. Dessous, une paire de rangers militaires apparaissaient de temps en temps lorsqu'il se déplaçait. Une fois redressé, droit, il émanait une sorte de fierté indomptable, qui contrastait beaucoup avec son visage. Mal rasé, pas lavé depuis des jours, son visage portait les traces de nombreux coups. Il fit bouger une épaule endolorie tout en s'interrogeant sur l'attitude des gardes. Le soldat regarda autour de lui, cherchant une échappatoire à un destin qu'il devinait sans pour autant définir précisément. Un grand bassin richement décoré de pierres sculptées, entouré d'un chemin d'or et de plantes. De l'autre côté, une Silridriss richement habillée l'observait en silence. Ne sachant trop quoi faire, le combattant entreprit de la rejoindre avec précautions. La saurienne ne le quitta pas des yeux une seule seconde tandis qu'il contournait le bassin.
« – Vous êtes assez près, lui annonça-t-elle lorsqu'il ne fut qu'à quatre pas... »
Il se stoppa, attendant la suite.
« – Vous êtes un soldat n'est-ce pas ? Un de ceux qui s'opposent à moi, la Déesse-Impératrice... »
Le prisonnier serra les poings dans les manches de son ample habit, Il voulait cacher son envie de mettre fin ici et maintenant à ce conflit en éliminant ici et maintenant l'une des belligérantes.
« ... Je vous conseille de vous détendre si vous ne voulez pas écourter votre vie, annonça-t-elle de manière informelle. Expliquez-moi comment fonctionnent vos malédictions.
– Pardon ? Quelles malédictions ? » Répondit le soldat.
D'un mouvement, Estelarielle fit sortir une plaque d'or du sol. Dessus, les images de l'explosion atomique qui avait détruit les forges, des troupes.
« – Celle-ci.
– C'est une arme nucléaire pas une malédiction.
– Mensonge, cracha la souveraine tandis qu'une immense vague de douleur traversait le corps du combattant. Il s'écroula en hurlant. Toute personne qui pose les pieds là ou cette chose a explosé tombe malade puis meurt. Les symptômes sont trop différents les uns des autres pour ce soit une simple maladie ou un empoisonnement. Parle maintenant ! » ordonna-t-elle à l'Humain qui s'était recroquevillé au sol en position fœtale avec un rictus de douleur. Cette grimace disparut soudainement pour laisser la place à de l'étonnement. Il se redressa, incrédule, avant de reporter son attention sur la Silridriss. Celle-ci continuait de le regarder comme on observerait un brin d'herbe. Un brin d'herbe dont on attendait des réponses. Le soldat eut la présence d'esprit de parler avant qu'elle ne lui fasse subir un autre supplice.
« – C'est une arme nucléaire je vous ai dit : il ne faut pas retourner là où elle a explosé avant un certain temps. Les radiations et la contamination nucléaire sont extrêmement dangereuses.
– Qu'est-ce là ? »
Il y eut un silence, moment pendant lequel le soldat, à genoux, s'inquiéta du manque de connaissances de la souveraine.
« – Je vais essayer d'expliquer, mais je ne suis qu'un opérateur radio, pour des explications complètes, voyez un physicien.
– Où puis-je en trouver un ?
– Je n'en sais rien...Un centre de recherche, un laboratoire de physique, un accélérateur à particules...
– Commence tes explications, coupa l'Impératrice.
– Je vais essayer, est-ce que vous savez ce qu'est un atome ?
– Explique !
– C'est une brique de matière simple ! Déclara précipitamment le combattant avec un mouvement de recul.
– De quelle matière parles-tu ?
– Toute. Toute matière en est constituée, la terre, l'eau, l'air, les arbres, le soleil, ainsi que tout les êtres vivants. Ils sont agencés d'une certaine manière et dans des quantités qui font les objets qui nous entourent.
– Quel est le rapport avec cela ? Interrogea la souveraine en regardant un arrêt sur image de l'explosion atomique.
– Pour faire simple, c'est comme si on avait frappé toute la matière environnante, et qu'elle rendait les coups. Même si vous n'étiez pas présent sur les lieux lors de l'explosion, la radioactivité vous frappera. Et la contamination, ce sont les dépôts d'atomes activés... ''agressifs'' va-t-on dire, qui se déposent sur, et dans le corps. Ceux-là, où ils tueront leur hôte, où ils seront déposés ailleurs... étalant un peu plus encore les dégâts.
– Pourquoi les symptômes sont différents ?
– Ça je n'en sais rien.
– Comment s'en protéger ?
– Chez nous, on utilise des combinaisons spéciales, avec l'acronyme NBC. Pour Nucléaire, Bactériologique, Chimique.
– Je trouve que tu es très loquace... se méfia l'Impératrice en plissant les yeux.
– Ce ne sont pas des informations confidentielles chez nous. En revanche, la fabrication d'une telle arme l'est, tout comme la fabrication des combinaisons. En plus les procédures pour leurs utilisations sont très strictes... La moindre erreur et vous êtes contaminés. Cette arme est une vrai merde, tout les Humains le savent. À la fois quand elle explose, mais également avec ce qu'elle laisse sur place, c'est une vrai galère. Si vous comptez réutiliser les installations qui se trouvaient en dessous, je vous souhaite bien du courage, mais moi, j'y mettrai pas les pieds avant trente ou quarante ans. »
Perdue dans ses réflexions, Estelarielle regarda le champignon atomique. Puis elle reporta son attention sur le soldat, un sourire malsain sur le visage.
« – Nous verrons. En attendant, je tiens voudrais que tu m'ouvres ceci, je désire les informations qu'il contient, annonça la saurienne en présentant au prisonnier un disque dur noir. »
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