7 : Tragédies (2/3)

Manuel entendit les premiers cris lorsqu'il arriva à la voiture. Il devina que Yin avait commencé. Ils montèrent dans le véhicule, qui parti sur la route en direction du restaurant de Rachida. Au premier feu, le conducteur se pencha pour prendre une trousse rouge dans la boite à gants et la tendit à ses deux passagers installés à l'arrière.

« - Tiens. Ça peux te servir. »

Manuel prit la trousse de premiers secours qu'on lui tendait avec un merci. La princesse sanglotait, recroquevillée sur la banquette arrière, puis, tandis que le jeune homme préparait une compresse, elle murmura :

« - Pourquoi ton espèce est-elle si cruelle ? Qu'ai-je donc fait pour mériter un tel traitement ?

- Ils ne sont pas de mon espèce. Ceux qui ont fait cela n'ont plus rien d'Humain. Et tu n'as rien fait. Tu es une chimère, à leurs yeux, c'est suffisant. »

Manuel se rappela alors le récit du père Jean, rencontré lors de la recherche de sa bien aimée. Des hommes pire que des bêtes. Immédiatement après, l'image du caveau où sa bête était enfermée s'imposa à son esprit. Nous sommes tous pareil en fait... Nous avons tous cette horreur en nous.

La princesse grimaça lorsque Manuel plaça une poche froide sur son visage tuméfié.

« - Et toi ?

- Pardon ?

- Pourquoi est-ce-que tu m'aides ? Pourquoi est-ce que tu me protèges ? Pour quelle raison me soignes-tu ?

- Parce que je tiens à garder mon Humanité. Les combats et la guerre risquent de me transformer en le même genre de monstre qu'eux. Alors qu'au contraire, je dois rester objectif, et garder la tête froide. C'est la clef de ma survie. La clef de la survie de mon espèce, et je ne conçois pas la disparition de la tienne.

- Tu es étrange.

- Ah ?

- Tégos aussi l'a remarqué. Avec ton ami, vous êtes parmi les rares à accepter notre existence. Même s'ils le cachent, la plupart des gens ont peur de nous, nous haïssent et nous fuient.

- Demande donc à Kouiros dans quel état j'étais lorsque l'on s'est rencontré la première fois, répondit Manuel avec un sourire. Pour le reste, l'Humanité à toujours peur de ce qu'elle ne connait pas. Et ce n'est pas avec quelques mois que certains peuvent passer sur des années de guerre. Dans l'inconscient collectif, ton espèce est source de tragédies. »

Des larmes commencèrent à couler de part et d'autre du museau de félin, et, inconsciemment, Salida glissa de nouveau son museau dans le cou du jeune soldat. Elle attrapa son tee-shirt, et chercha à s'emmitoufler dedans. Manuel fut totalement décontenancé par cette attitude, mais il finit par enlacer doucement la chimère pour la rassurer.

« - Rassurez-vous princesse, dans le monde, rien n'est éternel. La haine des gens, la guerre, votre forme, tout cela passera, et le monde continuera de tourner. La seule chose à faire, c'est de prendre les bonnes décisions au bon moment pour y survivre.

- Je... Je ne suis plus princesse.

- Comment ça ?

- J'ai été déchue de mon titre. Ma forme actuelle ne me permet pas de régner, ni même de fournir un héritier pour le trône, je n'ai même pas de pouvoir. Si en un sens je me sens libérée d'un poids, d'un autre, je me demande si ce qui m'est arrivée est une bonne chose, pour mon espèce comme pour moi.

- ''Bonne ou mauvaise. Seul l'avenir le dira'', déclara le conducteur en entrant dans la rue du restaurant de Rachida. C'est un vieux dicton chinois mademoiselle, il ne faut pas juger ce qui se passe au premier abord. Laissez le temps vous répondre Nous sommes arrivés. Je vous laisse descendre, je dois aller récupérer maître Yin. »

*

* *

*

« - Bien, est-ce que tout a été fait suivant mes directives ?

- Oui commandant. Les Ferreira et la mère Lebon sont sous surveillance. Si l'un des cobayes essaye de reprendre contact avec eux vous serez le premier informé. » Répondit le soldat dans le petit bureau du Commandant Higas.

« - Bien.

- Mais...

- Mais ?

- Depuis son évincement du projet Berserker, Mylène Ferreira a disparu. »

Assis sur son siège, le commandant se prit le menton dans les mains et réfléchit.

« - Quel est le métier de cette femme ?

- Elle est manutentionnaire dans le BTP. Mais, étrangement, elle a une très grande quantité de matériels informatique et d'automates chez elle.

- Quoi ? C'est une blague ?

- Non monsieur.

- Et merde ! Retrouvez là ! Mettez tous nos hommes dessus !

- Bien commandant. »

L'homme sorti de la petite salle en refermant la porte derrière lui. Laissant le commandant seul avec ses réflexions.

Mais pourquoi personne ne l'a vu ? Elle a certainement des liens avec le carré d'argent. Cela expliquerait comment le carré d'argent savait quel programme supprimer... Ces hackers sont vraiment un danger. Je dois tout faire pour les empêcher de se revoir : une bidouilleuse informatique mettant les mains dans le programme Berserker... Qui sait quelle ânerie pourrait faire cette bricoleuse du dimanche.

*

* *

*

Lentement, Salida ouvrit les yeux. De l'autre coté de la pièce, elle vit Tégos dormir sans bruits. Son dos lui faisait mal. La veille, elle avait vu un médecin qui l'avait en partie soignée. Il avait fait une prescription médicamenteuse et, Manuel s'était occupé du reste. Mais là, la douleur revenait, sournoise et lancinante. Dans les ténèbres, elle se sentit seule malgré la présence de celle qui l'avait toujours protégé jusqu'à maintenant. Que l'on soit nyctalope ou non, la nuit est propice à toutes les imaginations. Elle chercha à se rouler un peu plus sur elle-même, et se figea au milieu de son mouvement, totalement réveillée.

Elle avait entendu quelque chose.

C'était léger, ténu, et très bref. Quelque chose qui, avec ses capacités auditives et le silence dans la nuit résonnait autant qu'un roulement de tonnerre. Elle se mit à imaginer les pires choses, notamment ceux qu'elle avait fui qui revenaient finir le travail. De frayeur, elle se cacha sous les draps. Tégos lui avait pourtant assuré qu'aucun d'entre eux ne reviendraient. Le bruit revint, une fois, deux fois, trois fois, avec toujours un certain laps de temps entre chacun. Finalement, la chimère se leva, lentement, sans un bruit. La douleur lui déchirait le dos et les jambes. Avec d'infinies précautions, elle ouvrit la porte de sa chambre. Dans le petit couloir, de la lumière filtrait sous la porte de la chambre de Manuel.

Que fait-il ?

Elle poussa légèrement la porte. Par pure curiosité. Mais la clenche claqua lorsqu'elle sortit hors du montant de porte. La porte s'ouvrit un peu trop dans le même temps. Éclairé par une simple lampe de chevet, Manuel était là. Assis sur le lit, dos sur le mur, un livre entre les mains. La pièce était petite, trois mètres par deux, les murs, fait de béton peints dans une couleur pastel laissaient tout de même paraître le poids des années. Contre un mur des plus long, une bibliothèque remplie de livres colorés et aux portes vitrées. A l'opposé de la porte, une fenêtre aux stores métalliques fermés. Le bruit, et le mouvement généré par la porte attirèrent l'attention du jeune homme. Il ne portait qu'un pantalon en jean, et ses lunettes de soleil. Torse nu et pieds nus, l'énorme tatouage s'imposait comme une marque maudite. Si la chimère avait espéré rester discrète, c'était sans compter sur ses yeux brillants dans la pénombre.

« - Vous pouvez rentrer si vous voulez, murmura-t-il.

- Est-ce que tu pourrais me tutoyer s'il te plaît ? Je n'ai plus le titre de princesse.

- Si tu veux. Ferme la porte derrière toi. Que fais-tu debout ? Tu devrais dormir à cette heure.

- J'ai trop mal. Je n'arrive pas à retrouver le sommeil. Et toi ?

- Je m'instruis, répondit-il en lui tendant le livre, puis en regardant sa montre.

- Qu'est-ce que c'est ? Demanda la créature en feuilletant les pages garnies de signes qui lui étaient incompréhensibles.

- C'est un livre, notre mémoire à nous. Ce livre-là, est une étude de stratégie militaire. C'est ''La stratégie des cinq cercles''. Je cherche à comprendre les objectifs des Silridriss pour mieux les stopper, répondit le jeune homme qui s'était levé et approché de son bureau.

- Combien y-a-t-il de livres dans le monde ?

- Des milliards. Tiens, avale ça, dit-il en lui tendant un cachet blanc et un verre d'eau.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Du paracétamol, le médecin à dit que tu pouvais en prendre toutes les quatre heures pour la douleur. Là, tu peux.

- Merci, répondit-elle en lui rendant le livre, et toi ? Pour quelle raison ne dors-tu pas ?

- Je n'y arrive pas. Entre mes cauchemars, le vide laissé par Marilyn, et ce qui s'est passé hier. Ça fait beaucoup à assimiler. Alors comme je ne peux pas me reposer, je lis. Ça me détends, et ça m'apprends des choses. Je joins l'utile à l'agréable en somme.

- Est ce que je peux rester ici le temps que l'antidouleur fasse effet.

- Bien sur. Installe-toi. » Fit Manuel en s'asseyant de nouveau sur le lit.

La chimère prit place à coté du jeune homme et le regarda, concentré sur le livre. Elle se rapprocha de lui, et lui demanda :

« - Est-ce que tu comprends ce qu'il y a de dessiné ?

- C'est de l'écriture. Pas du dessin. Mais oui, je comprends, ça parle d'un concept de stratégie militaire.

- Pourrais-tu m'apprendre ?

- A lire ?

- Oui.

- Pourquoi pas. Après tout, cela pourra toujours te servir. » Manuel ferma le livre après avoir mis un marque page. Il rechercha dans la petite bibliothèque un livre approprié, le prit, puis revint s'installer aux cotés de Salida.

« - On va commencer par l'alphabet, c'est la base. Pour faire simple, ce sont tout les sons qui composent les mots que nous employons. »

La princesse déchue prit ainsi son premier cours de lecture en identifiant une à une les vingt-six lettres de l'alphabet Humain, et les sons qui y étaient associés. Au bout d'une heure, le médicament fit son effet, et,rassurée par ce petit moment de calme, elle pu retourner dormir.

Le lendemain matin, Salida s'habilla avec une nouvelle robe, fournie par Rachida. Et, durant un court instant, elle comprit que, la veille, elle avait été nue. Totalement.

Une chimère ne porte pas d'habits à la base, se souvint-elle. Mais, chez les humains, cela ne se fait pas à ce que j'ai compris. Je ferai mes excuses à Manuel ce soir.

La journée lui fut éprouvante, mais, en dehors de quelques grimaces due à la douleur qui lui parcourait le corps, elle ne se plaignit pas. Puis, dans la soirée, arrivèrent Fernand et Manuel. Le repas n'était pas terminé qu'elle déclara tout de go :

« - Au fait Manuel, je tiens à m'excuser pour être arrivé nue dans ta chambre hier soir. »

Sous la surprise, Fernand avala sa boisson de travers, Rachida et Hicham se stoppèrent et levèrent des yeux d'incompréhension vers la tigresse blanche et bleue. Tégos, ne voyant pas où était le problème, se désintéressa du sujet de la discussion.

« - Ce n'est pas grave Salida, tu n'es pas encore habituée à porter des vêtements.

- Tu peux m'expliquer ce que vous avez bricolé hier soir, demanda Rachida alors qu'à coté d'elle, Fernand toussait encore comme un tuberculeux en fin de vie.

- J'ai commencé à lui apprendre à lire. Rien de plus. Je n'arrivais pas à dormir, alors je lisais, et elle m'a rejoins.

- Nue ?

- Oui.

- Petit salopard. Tu t'es rincé l'œil oui !

- Rachida, ce n'est pas la première fois que je la vois en tenue d'Eve. Et quand elle faisait quatre mètres de haut, elle n'avait rien à cacher non plus.

- Mouais, tu n'es pas super crédible, fit la vielle arabe méfiante.

- Pense ce que tu veux.

- Où est le problème ? Demanda Tégos.

- Cela ne se fait pas. Seul son mari et son médecin peuvent la voir comme cela.

- Euh... Sinon, moi, je veux bien lui apprendre les maths. » La remarque d'Hicham fut immédiatement sanctionnée par sa tante d'une claque derrière la tête. Ce qui eut pour effet de faire rire les deux jeunes hommes et les chimères.

« - Rachida, j'ai une totale confiance en Manuel. Il ne fera jamais de mal à Salida.

- Merci Tégos, commenta Manuel.

- Je dis ce que je pense. A ce sujet, j'aimerais que tu m'apprennes le maniement de vos peaux de pi... des armures. Yin mets un peu trop de temps à mon goût.

- Oui, pourquoi pas.

- Super, je viens aussi, fit Salida.

- Non, désolé, trop dangereux pour une princesse, refusa Manuel.

- Mais je...

- C'est non Salida. Rien ne dit que tu ne reprendra pas ton titre plus tard. Et dans ce cas là, ta possible implication en première ligne peut être handicapante. S'il venait a t'arriver quoi que ce soit, ce serait la fin des Chimères. »

Sans un mot, Salida se leva, et quitta la table. Une courte discussion avec Tégos dans la mémoire l'informa que la garde était d'accord avec le combattant. Ce fut donc avec beaucoup de tristesse qu'elle vit partir Tégos avec les deux pilotes le lendemain après-midi.

« - Tu les envies ? Lui demanda Rachida

- Oui, mais ils ont raison. Je monte me reposer, fit-elle mollement.

- Attends, j'ai appelé Yin. Happy Summers et lui voudraient discuter avec toi. »

Le chinois arriva dans les dix minutes après que le départ du petit groupe. Un ordinateur sous le bras, il les salua poliment avant de s'enquérir de l'état de santé de Salida.

« - Ça va. » Répondit-elle sans entrain tandis que le jeune homme installait et configurait la communication avec le pirate informatique.

« - Mon père a très mal pris ce qui vous était arrivé. Je tiens également à m'excuser en son nom. Si je peux faire quelque chose pour rattraper cette erreur, n'hésitez pas à m'en faire part.

- J'ai demandé à Manuel de m'apprendre le pilotage de vos armures, comme Tégos. Pour moi, il a refusé.

- Mais il a accepté pour votre amie ?

- Oui, répondit la chimère.

- Il aurait dû passer par moi... Nous verrons cela plus tard.

- En effet ! » Interrompit l'ordinateur.

Les deux protagonistes se tournèrent vers l'écran. Un soleil souriant y brillait.

« - Je suis content de vous savoir en vie princesse Salida. Puis-je m'enquérir de votre santé ?

- J'ai encore mal, mais c'est supportable. Et... j'ai été déchue de mon titre par ceux de mon espèce.

- Hum... reprit le soleil informatique. Rien ne dit qu'ils ne changeront pas d'avis en vous voyant reprendre votre forme originale.

- Vous pouvez faire ça ?

- Pour le moment, non. Mais j'y travaille. Toujours est-il que cet incident dans la zone dévastée est très dommageable. Je vous prie d'accepter mes excuses.

- Happy Summers, Elle désire apprendre à piloter, mais les deux pilotes lui ont dit que c'était trop dangereux pour elle. Je suis d'accord avec eux mais elle n'a pas l'air convaincue. »

Le soleil de déplaça à droite de l'écran, puis à gauche avant de revenir au milieu.

« - En effet, c'est très dangereux. Un champs de bataille n'est pas une invitation à la fête. C'est un lieu de mort et de destruction. Certainement pas un lieu adéquat à une princesse, même déchue.

- Mais je veux me battre ! J'en ai assez d'être protégée. Je ne me vois pas non plus revenir sur le trône sans montrer ce que je sais faire.

- Ça je peux le comprendre, mais, ces messieurs Ferreira et Lebon pilotent des machines particulières. La présence d'un seul allié à protéger leur est déjà handicapante. Alors deux... A moins que... »

La voix modifiée de l'ordinateur se tût.

« - Un problème Happy Summers ? Interrogea Yin.

- Non, juste une idée. Une idée intéressante même. Princesse, vous aller apprendre à piloter. Mais je tiens à préciser que vous ne piloterez comme aucun de vos trois amis, car votre position demandera à la fois de la retenue et de la réflexion. Mais, sur le champs de bataille, vous entrerez au meilleur des poste pour les aider. C'est le seul poste auquel je vous vois évoluer.

- Lequel ? » Demanda Salida, méfiante.

Lorsque le pirate informatique exprima son idée, le mafieux chinois ne pu que commenter d'un ''Oui, j'aurais dû y penser plus tôt''. Malgré l'incompréhension manifeste, Salida accepta la proposition, même si au plus profond de son cœur, elle avait le sentiment de faire un pacte avec le diable. Le pirate fini la discussion en déclarant qu'il savait où trouver un professeur compétent... Il faudrait juste qu'il accepte d'aider.

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