5 : Fugitifs ! (3/3)

Au fond de l'eau. Manuel avait repris sa lente avancée vers la côte espagnole. Mais ce n'était pas le poids de l'armure qui lui courbait l'échine. C'était plutôt celui des vies qu'il avait prise. Éliminer des Silridriss, c'était une question de survie ou d'autodéfense. Mais là, même si c'était pour les mêmes raisons : il avait tué des Hommes sous le coup de la colère.

Des Hommes.

Des individus de sa propre espèce.

Comment nos ancêtres ont-ils pu faire des guerres ? Cette sensation est atroce.

« - C'est certainement parce que tu te considères Humain avant d'être Européen. Dans le temps la nationalité passait avant tout, même avant l'Humanité. »

*

« - Mais ils se foutent de nous, murmura le commandant en lisant le papier que l'opérateur radio lui avait amené.

- Que fait-on commandant ? Demanda l'opérateur radio en voyant son supérieur se diriger vers l'interphone.

- Sonar, vous l'avez toujours ?

- Oui commandant.

- Bon, chef de quart, tracez une route pour le suivre en surface et de loin.

- Bien commandant. Mais...

- Je sais, moi non plus ça ne me convient pas. Mais on va suivre les ordres aux mieux. Pas question de plonger ou de tirer. On attends aussi les secours et on reste loin de cette chose.

- Ont-ils une idée de ce que c'est ?

- Oui, une expérience qui a mal tourné. Le pilote n'a plus la maîtrise de son véhicule. Ils envoient une équipe spéciale. D'après eux, on a eu de la chance de s'en tirer. »

*

*        *

*

Salida fut réveillée par quelques coups sur la porte. Rapidement, elle se rappela l'endroit où elle était : au second étage de la demeure de monsieur Weng. La décoration boisée tentait tant bien que mal de reproduire le style des maison traditionnelles chinoises, le confort en plus. Aux sons frappés sur la porte, Tégos, du lit d'à coté, s'était rapidement levée, prête au combat.

« - Qu'est-ce que c'est ? Demanda-t-elle sur le qui-vive.

- C'est le petit déjeuner. Je suis chargé de vous réveiller, votre professeur vous attends pour vos exercices, fit une voix masculine derrière la porte.

- Entrez. »

Un jeune homme poussa lentement la porte, un plateau tremblant entre les mains. Il les regarda de manière inquiète. Mais ses yeux ne purent s'empêcher d'étudier la chimère nue devant lui. S'attardant sur ses formes ou l'entre-jambe, il rencontra finalement les yeux rouges sur fond noir. Le regard était méfiant, limite agressif.

« - Où... Où est-ce que je dois le poser ?

- Là. » Dit la chimère noire en pointant un petit bureau.

Le jeune homme fut heureux de poser le plateau pour sortir aussi vite qu'il le pu. La chimère l'entendit pousser un soupir de soulagement une fois la porte fermée.

« - Tu devrais porter des vêtements Tégos, murmura la princesse en s'approchant du plateau.

- Je ne vois vraiment pas pourquoi. Je suis une chimère, ces codes vestimentaires ne me concernent pas. »

La veille, les deux créatures avaient décidés de faire passer le minimum d'information par la mémoire, cela impliquait également de parler le plus souvent possible.

« - En attendant, tu lui as laissé une impression des plus mitigée.

- Comment ça ?

- Les Humains transmettent la majorité de leurs sentiments par le visage, et, en majorité, les yeux. Je te garanti qu'il a eut un grand moment de solitude, et probablement de gène en te voyant ainsi.

- Je m'en moque : je ne suis pas Humaine.

- Certainement. Moi non plus, mais tant qu'ils nous hébergent, tu ne crois pas que l'on devrait respecter leurs us et coutumes ? Je me dis que ce serait une manière de leur montrer que nous savons les respecter, non ?

- Fais comme tu veux. » Dit Tégos. en s'asseyant sur le lit.

Salida huma deux où trois fois les quelques plats fumants. Mais elle se trouva un peu décontenancée par la paire de baguettes. Elle prit un bol de riz et tenta de manger.

« - Si tu ne le fais pas, tu feras la même erreur que Manuel lorsqu'il a gaffé avec mes prétendants.

- Et moi j'ai l'impression que vous ne prenez pas conscience de notre situation.

- Si, j'en suis pleinement consciente, autant que je suis responsable de nos formes. J'essaye de m'en accommoder, mais ce n'est pas simple. Je sais que j'ai fait de la peine à tout le monde, surtout à mon père. Crois-moi, je vais tout tenter pour que nous puissions récupérer nos corps.

- Vraiment ?

- Oui, mais, je me dois de respecter ceux qui nous offrent leur hospitalité. Cela signifie suivre leur lois, leurs us et leur coutumes.

- Ok, ça va : j'ai compris. »

Tégos se leva et prit les habits qu'elle avait jeté par terre la veille. Une des servantes de ce monsieur Weng lui avait donné une robe chinoise rouge avec des hérons dorés. Elle entreprit de la mettre. Salida l'imita, enfilant la sienne, la même coupe, mais blanche avec des rameaux de cerisiers en fleurs.

« - Je crois que je l'ai mise à l'envers, murmura-t-elle doucement.

- C'est le cas. Attendez. »

Rapidement Tégos aida la princesse à remettre correctement la robe. Elle tentèrent ensuite de manger mais ce ne fut pas simple malgré les plats délicieux posés sur le plateau. Aucune des deux ne connaissait l'utilité des baguettes, et elle en mirent partout.

« - On y va ? Demanda Tegos

- Je suis prête. »

A leur sortie, une femme de chambre les attendaient. Après de courtes explications, elle les guida à travers la maison en bois jusque devant monsieur Weng. Le vieil homme les accueillies poliment, une vieille dame était présente. Elle les salua à leur entrée.

« - Avez-vous bien dormi Mesdames ?

- Très bien, merci monsieur Weng.

- Je suis content que vous portiez les robes que je vous ai donné hier, elle vous vont très bien. Madame Kin, qui est à ma droite va vous aider dans la maîtrise de vos nouveaux corps. Elle va vous aider avez le Taï-chi-chuan.

- Le quoi ?

- Le Taï-chi-chuan, jeune fille. » A cette réponse Tégos eut un mouvement de recul, surprise et flatté, « C'est un art martial qui recherche la perfection de chaque geste, continua le vieux chinois, la maîtrise totale de son corps. C'est ce dont vous avez besoin pour commencer. Nous verrons le reste plus tard. Chaque chose en son temps. Qu'en pensez-vous ?

- D'accord, murmura Tégos après un regard entendu avec Salida. Quand commençons nous ?

- Maintenant si vous le voulez bien, murmura la dame avec une petite révérence. Si vous voulez bien me suivre, nous irons dans le jardin. »

La vielle dame se dirigea vers une porte et l'ouvrit. Laissant apparaître un immense jardin asiatique sous une voûte représentant le ciel bleu avec l'ensoleillement extérieur. Elle commença à faire des mouvement lents, vite imitée par les deux chimères qui paraissaient avoir certaines difficultés.

Monsieur Weng les regarda du balcon, avant qu'un jeune homme n'arrive discrètement derrière lui. Il avait perdu le sourire en les voyant un peu gauche à tenter d'imiter les mouvements de la vieille dame.

« - L'astrologue a-t-il confirmé la prédiction ? demanda-t-il

- Oui, Monsieur. Mais n'y-a-il aucun autre moyen ? Ces deux horreurs insultent votre maison. Votre femme et votre fille ont péries de leurs mains...

- Je sais, ne te préoccupe pas de cela, répète-moi plutôt, mot pour mot, ce qu'a dit l'astrologue.

- Il a dit que l'une des deux amènerais la paix sur terre.

- Laquelle ?

- Il ne l'a pas précisé. »

*

*        *

*

Lentement, l'armure blanche et noire sorti de l'eau au petit matin. Portant sur ses épaules une autre AMC. Elle marcha sur la plage en direction des dunes et des constructions. Il n'y avait plus que des ruines, les bâtiments avaient été désertés lors du conflit avec les chimères. Tout était en abîmé et à l'abandon, ne restait que quelques immeubles construits pour les vacanciers l'été dans un état de délabrement avancé.

Manuel avança, lentement, pesamment. Ne sachant pas vraiment quoi faire. Il erra ainsi jusqu'à l'entrée d'un camping boisé déserté depuis longtemps. Dedans, la végétation avait repris ses droits. Quelques caravanes pourrissaient au soleil et la baraque d'administration en bois était éventrée.

Le jeune pilote s'avança jusqu'à un coin un peu ombragé et écarté du rivage.

« - J'ai pas envie de faire ça. »

Manuel coupa la conversation en ouvrant sa machine après avoir doucement déposé l'épave.

J'ai besoin de savoir...

Au fur et à mesure de son inspection, il identifiait de plus en plus la machine comme étant celle de Marilyn. Il chercha la commande d'ouverture avant de se rappeler que le système électrique avait grillé. Il remonta alors dans son AMC et arracha lentement le plastron de l'épave.

Lorsqu'il redescendit de sa machine, l'odeur de putréfaction atteignit ses narines signalant un corps en décomposition avancé. Sur le coup, il cru que c'était un homme dans le poste de pilotage : la poitrine était manquante et le corps était amaigri. Mais, un reflet doré au niveau du coup le détrompa. Le corps portait le collier en or que sa mère avait offert. Il tomba à genoux en hurlant, la douleur qui étreignait son cœur était incommensurable. Les larmes coulèrent le long de ses joues tandis que la réalité le frappait de plein fouet. Marilyn était morte, et rien de ce qu'il pourrait faire la ramènerait.

Il n'aurait pu dire après combien de temps il pu se relever. Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsqu'il remonta dans sa machine le cœur en ruine, lentement, il entreprit de creuser une tombe. Poignée de terre après poignée de terre, il creusait mécaniquement, avec fatalité.Sous l'émotion, Ego ne pouvait plus parler. Il avait mit une musique qui exprimait ici tout ses sentiments. Dans les limbes aériennes, ce dernier s'était couché sur le flanc, en larmes. Ses ailes avaient quelques spasmes, mais il était incapable de tenir debout ou de bouger plus que cela. La mer de nuages était sans remous, plate comme l'aurait été un tapis de coton, sans un souffle de vent.

Poignée après poignée. La terrible machine de combat s'attelait à une tâche aussi simple pour elle que terrible pour son pilote. Pourtant, en raison de son état d'esprit, l'efficacité était des plus discutables. Chacun des morceaux de terre retiré était plus émotionnellement lourd que le précédent. Car chacun d'entre eux rapprochait le moment fatidique où le corps de la jeune femme serait déposé dans le trou.

*

*        *

*

« - Il est sur la cote sur de l'Espagne, à l'ouest de Gibraltar. Vous me le capturez, si ce n'est pas possible, vous me l'abattez ! Est-ce que c'est clair capitaines ? Il ne doit pas vous échapper !

- Très clair commandant. » Répondit le capitaine Aquil, dans une combinaison kaki, et le visage peint en vert et en noir.

Le capitaine Jugo, devant lui, dans le même uniforme achevait de monter un fusil d'assaut.

« - J'espère qu'il va se laisser faire, murmura ce dernier : je n'ai aucune envie de lui tirer dessus. Où est l'hélico ? »

*

*        *

*

Manuel était assis devant le monticule de terre qu'était la tombe de Marilyn. Il avait creusé suffisamment profond pour que les charognards ne sentent pas l'odeur du cadavre. Peut-être même trop profond. Lorsqu'il avait sorti le corps du poste de pilotage, il avait sentit les muscles devenir de la purée et les os sortir de leurs articulations. Il dû faire extrêmement de attention pour ne pas la transformer en une masse de matière en putréfaction. Il lui avait retiré sa plaque, et, une fois en terre, il la regarda. Lui laissant son casque fermé, il imaginait les traits net de la combattante. Il la vit dormir, doucement, calmement, avec sérénité. Sous ses yeux, le corps qu'il avait serré tant de fois s'était une dernière fois affiché dans toute sa beauté. Avec le cœur tout aussi lourd, il avait refermé la tombe avec sa machine. N'ayant rien d'autre à disposition, une croix de bois vint se planter sur le tertre. Il y accrocha la plaque nominative. L'armure vide de la pilote émérite resta ouverte juste à coté. Comme pour s'excuser d'avoir été l'instrument de sa mort plus que celui de sa survie.

Il avait tout perdu avec elle.

Il resta ainsi jusque dans l'après-midi. Il n'avait pas faim, ni envie de dormir. Il se sentait réellement vide de toute envie.

Je dois retrouver Fernand... et régler mes comptes. Avec les Silridriss pour commencer, les salopards qui m'ont menti et tiré dessus viendront après. Je n'ai plus de raisons de vivre. Mais, pour commencer, je vais régler un petit détail qui a son importance. Quand tout sera fini, j'irais chercher les autres au fond... Ils ne méritent pas non plus de rester là-bas.

Lentement, il remonta dans sa machine, il en referma le cockpit.

« - Ego...

- Je sais, ne dit rien, je t'y emmène. »

La machine, après un brusque coup d'ailes s'éleva au dessus du sol. Manuel regarda une dernière fois le monticule de terre.

Adieu mon amour.

« - Alerte, hélicoptère en approche.

- On s'en tape. Amène-moi là-bas. Et contacte Happy Summer. »

*

« - Merde. » Déclara simplement Aquil qui s'était invité dans le poste de pilotage en voyant l'armure prendre la direction de l'est à pleine vitesse.

« - Que fait-on capitaine ? Demanda le pilote.

- Posez-vous là, on va essayer de savoir ce qu'il faisait ici. Coupez les moteurs, on ne sait pas pour combien de temps on en a.

- Bien Capitaine. »

Une fois l'hélicoptère posé, les deux soldat trouvèrent rapidement la raison de la venue du pilote en rejoignant son lieu de départ.

« - Il risque de se faire attraper pour enterrer un soldat ? demanda Jugo.

- Non, il a prit ce risque pour enterrer une femme, probablement sa copine, dit Aquil en tendant la plaque à son collègue.

- Merde...

- Oui. Je pense que c'est également ce que va dire le commandant. »

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