20 : Prémices (3/3)
Décidément, je vais souvent en prison ces derniers temps... constata Nemaya du fond de sa cellule. Au moins, celle-ci est propre. Continua-t-elle en frottant ses pieds sur le sol pour constater l'absence de crasse. Les murs étaient d'un jaune ocre, peints à la chaux, le mobilier, en inox simple et sans confort, rien d'autre.
Elle sentit plus qu'elle ne vit la personne derrière elle.
« - Bonjour Lyouba.
Dégage Piotr, tu es mort. Les morts ne parlent pas.
- Oui, je sais. Tu m'as tué.
Et enterré de mon mieux. Je suis désolé que ça ait fini ainsi.
- Telles étaient les circonstances. Mais as-tu trouvé ce qui te manquait ?
Il ne me manque rien.
- Lyouba, tu te rendras bientôt compte qu'il te manque quelque chose de très important. Ce qui fait la différence entre vivre et survivre. Ce qui différencie le soldat de la créature sauvage. Sans ça, la vie ne vaut d'être vécue.
La survie me convient. Être une sauvage sur le champ de bataille est suffisant. Quand à la vie... je suis déjà morte.
- Non Lyouba. Tu te trompes, si tu ne trouves pas ce qui te manque, ton prochain combat te sera fatal. »
Quoi ? Pensa-t-elle se retournant vivement.
Dans la cellule vide, la guerrière russe se tourna, encore et encore, à la recherche du revenant. Mais il n'y avait rien ni personne dans la pièce. Juste le lit en métal riveté au sol et les toilettes.
Piotr, pourquoi me hantes-tu si tardivement ? Pourquoi t'inquiéter maintenant de mon sort ?
Comme pour répondre à sa question, la porte de la cellule s'ouvrit pour laisser entrer deux soldats en armes et deux personnes à l'aspect très étrange. Un homme et une femme, avec des peaux translucides, habillés dans d'impeccables costumes sur mesures, posaient sur elle un regard morbide. L'aspect de l'épiderme leur conférait une vision d'horreur qui contrastait fortement avec leur calme.
« - Est-ce que c'est elle ? Demanda l'homme.
- Oui monsieur. Il s'agit de notre meilleure chance contre eux, répondit la jeune femme, le commandant Higas est formel. C'est grâce à elle qu'ils ont pu rejoindre la zone dévastée.
- Madame, c'est un plaisir de vous rencontrer. » Commença l'homme, dans un russe parfait, tendant la main après avoir fait un pas.
Nemaya hésita un instant en regardant la main avec le même aspect que le visage de son interlocuteur. Finalement, elle recula d'un pas pour faire un salut militaire parfait. L'homme parut un instant déçu, mais il se reprit rapidement.
« - Je me nomme Arionis Kasheb, je suis le gestionnaire de toute la région Europe-Afrique. Je suis navré si mon aspect vous effraye, mais laissez moi vous rassurer quand même : ce n'est pas contagieux. Ce n'est là que la résultante d'une adaptation à la vie dans les cités sous-marines. Le degré d'hygrométrie de l'air y est très élevé et généralement il s'agit d'eau salée. Vu qu'il y a également très peu de lumière solaire, cela nous a donné cet aspect de poisson des profondeurs. J'espère vous avoir rassuré. »
Nemaya ne répondit pas. Elle ne bougea pas non plus.
« - Elle n'a pas l'air de comprendre... murmura-t-il dans une autre langue à sa secrétaire
- Elle ne parle pas. Mais elle comprend, rassurez-vous, Le commandant Higas s'en est rendu compte : elle comprends un très grand nombre de langues depuis l'expérience.
- Je vais rester en russe. Cela me semble plus poli.
- Faites comme vous le sentez, répondit sa secrétaire.
- Vous êtes Nemaya n'est-ce pas ? Repris Arionis. Pourquoi avez-vous mis tant de temps pour rejoindre Bordeaux ?... Bien entendu, vous ne me répondrez pas. Je pourrais vous passer en cours martiale pour désertion, mais vous avez obéï, même avec un délai non négligeable. C'est ce délai qui vous a mené dans cette cellule. Il ne tiens qu'à vous d'en sortir. On va vous adjoindre un escadron de combat. Sur notre ordre, vous attaquerez un escadron de mercenaires nommé Fantasy-Circus. Pas avant, pas après... »
La guerrière russe ne put s'empêcher de repenser à ce que le pirate avait dit. Une unité hybride, Humains et chimères qui se battent ensemble. Le choc ne passa pas inaperçu aux yeux de son interlocuteur, qui continua.
« ... Leurs actions mettent en danger l'avenir de notre espèce. Ils doivent être tous éliminés... »
Là encore, la discussion sur les simulations du pirate informatiques lui revinrent en mémoire. Elle supposa même que la bataille qui avait eu lieu dans les Carpates était une opération secrète visant à réaliser le dessein prévu par l'Humanité.
« ... Comprenez-vous les ordres ? » Fini cet homme en face d'elle.
Lentement, elle hocha la tête.
« - Bien, suivez-moi. Je vais vous présenter au reste de l'escadron. »
Arionis sortit de la salle et se retourna pour voir la guerrière sur ses talons. Les trois autres protagonistes sortirent également de la petite pièce avant que celle-ci ne se referme, vide.
*
* *
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Dans son navire, assise sur le siège du commandant, la Favorite Myanate observait le vaisseau d'Arsear accroché au flanc de celui de la Déesse-Impératrice Silridriss. De nombreuses petites navettes faisaient l'aller-retour entre son vaisseau et celui du seigneur des Terres de Kalam et de Youris. Le chargement des Kalieks était une opération longue et complexe, nécessitant beaucoup d'esclaves. Elle devait bien le reconnaître : la gnome avait fait de l'excellent travail. Elle lui aurait tout de même arraché le cœur si elle l'avait pu. Nul ne contrariait ses plans, encore moins une esclave. Mais elle s'était ravisée : la Déesse-Impératrice n'aurait pas apprécié. Myanate avait alors prit son mal en patience, elle était immortelle, Arsear également, pas la gnome. Il lui suffisait d'attendre, le seigneur lui reviendrait. Pour le moment, un autre sujet de préoccupation occupait ses pensées. La Déesse-Impératrice avait accepté de lui confier les Kalieks et la mission de capturer les Démons d'Alikaross.
Ils sont trois actuellement... Où est le quatrième ? Et surtout... qui est-il ? S'interrogea-t-elle en ouvrant un dossier contenant des images de Manuel, Fernand, et Nemaya. Une chose de sûre : pour piloter un de ces engins, il faut être un excellent combattant. Ils ne les confient pas à n'importe qui.
Joignant le geste à la parole, la Favorite fit apparaître la bataille de Clermont-Ferrand. La machine avec l'armure orthodoxe s'y battait avec une sauvagerie qu'elle n'avait jamais vue. Les Kalieks, au nombre de dix, luttaient difficilement contre la ténacité de cette pilote.
Ce qui les sauve à chaque fois, c'est leur capacité à s'auto-réparer. Sans ça, les Kalieks seraient inutiles. Pourtant...
La saurienne mit sur l'écran la scène de bataille des deux autres machines, près du portail. Les Kalieks d'alors avaient été modifiés, et il en résulta que les Kalieks allaient réussir si un autre combattant ne s'en était pas mêlé. Il n'y avait donc eu aucun vainqueur : les forces de chaque camps avait été sérieusement secouées. Chacun était alors retourné dans son coin en en préparant son prochain mouvement. Arsear améliorait sans arrêt les Kalieks, je devrais pouvoir en faire autant. Mais ce n'est pas ce qui me tracasse... Les humains ne bougent pas... Qu'est-ce qu'ils mijotent ? Et où ont-il prévu de les faire intervenir cette fois ?
« - Ô Favorite, dit un combattant en saluant dans la position de soumission devant elle, j'ai des rapports inquiétants sur...
- Cela concerne les Démons d'Alikaross ? Coupa sèchement Myanate.
- Non, Favorite, il s'agit de...
- Alors ceci ne nous concerne pas.
- Mais... »
D'un simple regard, l'infortuné soldat fut violemment envoyé contre une cloison. Le choc fut tel, que même Silridriss, il en perdit connaissance.
« - J'ai dit : cela ne nous concerne pas. »
La peur régna un moment dans le centre de commandes, et la favorite n'y prêta pas attention, considérant que c'était là un bon début pour son style de commandement.
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« - Où est le fermier ?
- Pardon ? Répondit le professeur Ferreira à Braniss qui venait d'entrer dans la maison en bois.
- Où est l'habitant de cette maison.
- Je ne sais pas. Il se passe quelque chose ?
- Oui, j'ignore où il est. » Répliqua-t-il en se dirigeant à grand pas vers la cuisine.
Le professeur Ferreira resta à taper quelques lettres sur le clavier avant d'entendre le saurien pester :
« - Par la Déesse-Impératrice ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Esclave ! Viens ici !
- Euh ! C'est à moi que vous vous adressez ? Reprit le professeur en se retournant.
- Viens ici tout de suite ! »
Préférant ne pas prendre de risques, le scientifique se leva pour rejoindre la créature dans la pièce. A ses pieds, un faux sol avait été retiré laissant apparaître une trappe de métal.
« - Je sais que je n'ai pas grand chose à demander, mais si vous pouviez vous adresser à moi en utilisant mon nom ou mon titre, cela me permettrait de ne pas déceler d'ambiguïté.
- Je t'ai appelé par ton titre : esclave ! Cria Braniss en colère. Et tu as compris vu que tu es ici ! Qu'est-ce que ceci ?
- A première vue... Je dirais l'entrée d'un bunker anti-chimères. Si vous appuyez sur le gros bouton vert à coté, il devrait s'ouvrir.
- Ici ? » Demanda le saurien en montrant un bouton sous un clavier numérique.
Le professeur hocha la tête en signe d'assentiment et le Braniss appuya. Mais rien ne se passa. Le Silridriss appuya plusieurs fois, mais la trappe refusait de s'ouvrir.
« - C'est inutile, commenta José, vous venez de le retrouver : ces protections se verrouillent de l'intérieur. La seule manière de rentrer maintenant, c'est d'entrer le code sur le clavier juste au-dessus.
- Fais-le !
- J'ai dit ce qu'il fallait faire, pas que je connaissais ce code précisa le professeur.
- Combien de temps peuvent-ils rester là-dedans ?
- Tout dépends des réserves prévues. À priori, je dirais plusieurs mois. Dans le mien, du moins, c'était le cas.
- Comment l'ouvrir ?
- Impossible sans le code. C'est comme vouloir forcer une serrure extrêmement complexe.
- Et détruire la porte ?
- Je vous souhaite bien du courage : c'est conçu pour résister à une chimère. »
Braniss jeta un regard noir au père de Manuel, si on le lui en avait laissé l'occasion, il aurait éparpillé ses tripes dans toute la pièce de colère. Mais à sa grande surprise, ce que dit le professeur à ce moment précis le calma instantanément.
« - Ne faites pas votre surpris : Vous devriez le savoir maintenant. Quand mon espèce conçoit quelque chose, c'est généralement bien pensé. Quand à Larsen, qu'il soit dans le bunker ou non, cela n'a aucune espèce d'importance.
- Comment cela ?
- Au fond de ce trou, il ne peut pas appeler à l'aide. Le temps qu'il trouve une solution pour le faire, j'aurais fini mon travail et nous serons repartis.
- Quand ?
- Si je retourne à mon travail... Ce soir je dirais.
- Retourne-y alors ! Vite ! »
Le père Ferreira retourna alors devant l'ordinateur, un faible sourire au lèvres, tandis que le chef de la petite expédition détruisait la cuisine de rage.
*
* *
*
Dans le petit atelier, Manuel démontait un fusil d'assaut avec l'esprit préoccupé. Ce n'était pas le modèle pour AMC, juste un équipement antipersonnel. Les mouvements étaient automatiques, sur cette table, dans la pénombre de la soute en bois. Ce qu'il avait appris dans lors de sa formation dans la base de Clermont-Ferrand lui servait finalement à quelque chose. Cependant, maintenant qu'il était avec Salida, des souvenirs de Marilyn lui revenaient en mémoire, lui arrachant une larme vite essuyée de temps en temps. Les mots du père Jean, rencontré lors de la recherche du corps du major lui rappelèrent que la vie continuait. Il comprit ce que ce vieil homme avait raconté : Marilyn ne le quitterait jamais, elle était une partie de lui, pour toujours. Mais cela ne comblait pas une absence. Aujourd'hui, la place dans son cœur était en passe d'être prise par la tigresse blanche et bleue aux yeux d'argent.
Je me demande ce qu'en dirait papa... et surtout maman !
Le jeune homme sourit en nettoyant le canon tout en pensant à la dernière réaction de sa mère en apprenant qu'il avait été chez les chimères. Elle en était tombé dans les pommes, et il avait fallu la conduire rapidement aux urgences. J'espère seulement qu'elle ne nous fera pas un arrêt cardiaque ce coup-ci.
Puis, il repensa à la discussion qu'il avait eu avec Salida sur leur relation. Il n'y avait qu'une seule règle à proprement parler sur le sujet chez les chimères : Le premier rapport sexuel était équivalent à un mariage. Il avait accepté cette règle que Salida mettait un point d'honneur à respecter.
« - Qu'est-ce que tu fais ? Demanda Calianne derrière lui.
- Je nettoie un fusil. Nous risquons d'en avoir besoin dans pas longtemps.
- Qu'est-ce qu'un fusil ?
- Une arme. Celui-ci est conçu pour la guerre.
- Votre peuple sait faire la guerre ? Depuis combien de temps ?
- Depuis trop longtemps, répondit Manuel avec gravité.
- Comment es-tu devenu guerrier ? »
La question de la Dryade resta en suspend, comme les mouvements de Manuel. Lui-même ne sut quoi répondre. A quel moment son destin avait été changé ? Lors des entraînement avec Fernand ? Lors de son affrontement avec l'escadron Rock ? Lors de l'acceptation du poste du Major Tarjin ? Lors de sa rencontre avec Kouiros ?
Quand est-ce que tout a merdé ?...
« - Alors ? Insista la commandante en second du navire.
- Je ne sais pas. Je ne saurais pas dire.
- En tout cas, ça a l'air de te plaire.
- Dis pas de conneries s'il te plaît, dit Manuel l'air mauvais, je n'exècre rien de plus au monde que de voir deux types s'entre tuer parce qu'ils sont nés différents ou ont des avis divergents. Et je ne parle pas des religions ! Si un ou plusieurs dieux existent, que chacun s'arrange avec eux à sa manière. Tuer quelqu'un sur ce sujet est totalement inutile.
- Désolé. Je ne savais pas le sujet sensible. Et la Déesse-Impératrice Silridriss ?
- C'est justement ce dont je parle : J'ai deux-trois points à régler avant de prendre des cours de théologie avec elle et lui expliquer ma religion. »
Calianne sentit la haine et la colère dans les propos du jeune Humain en face de lui. Elle en ignorait l'origine, et préféra attendre quelques instants avant de poser la question suivante.
« - Est-ce qu'il y a quelqu'un dans ta vie ?
- Comment ça ? Demanda Manuel en se retournant. Pour voir la Dryade dans l'encadrement de la porte. La robe de bure d'esclave avait laissé place à un pantalon, un gilet avec de petites protections sur les épaules et une paire de bottes de cuir brun. L'ensemble était un peu usé, et convenait bien mieux aux travaux à bord tout en rappelant son grade. Les cheveux couleurs de feu restaient tirés vers l'arrière, dans une coiffure immuable.
« - Est-ce qu'une femme de ton espèce ou d'une autre t'es lié ?
- Ha, ça, répondit le jeune homme en retournant à son sujet principal. Oui, j'ai quelqu'un, ça fait pas longtemps. Mais j'ai quelqu'un. Pourquoi ?
- Juste pour savoir, je la connais ?
- C'est Salida. Elle est juste derrière toi. »
En effet, la chimère entra dans la pièce, une longue valise noire à la main. Elle adressa un regard tendre au jeune Homme qui le lui rendit avec un sourire. Elle regarda la commandante en second du navire avec un air ignorant de la situation. Durant un cours instant, elle se jaugèrent avant que la chimère ne reporte son attention sur le jeune homme.
« - Je peux me joindre à toi ?
- Je t'en prie. Installe-toi. Qu'est-ce que tu as là-dedans ?
- Un cadeau de Oneshot quand j'eus fini mon entraînement hors armure.
- Fais voir. »
Salida posa la mallette sur la table avant de l'ouvrir. Elle en sortit un magnifique fusil à lunette vert foncé équipé d'un bipied. La poignée et la crosse étaient intégrés au corps du fusil comme une œuvre d'art mortelle. Si l'on oubliait qu'il s'agissait d'une arme conçue pour tuer, l'objet était beau, fin et racé.
Le jeune homme laissa échapper un sifflement admiratif tandis qu'il prenait l'arme que lui tendait la chimère.
« - Il est magnifique. Mais qu'est-ce que ça tire ?
- Munitions de dix millimètres essentiellement, je suis équipée de balles téflons et de ''Hollande-Hollande''. Autant dire qu'il m'a parée à tout !
- Ouille ouille ouille ! La portée ? Demanda le jeune homme en épaulant l'arme en direction du mur.
- Un bon kilomètre.
- La vache, il s'est pas foutu de toi.
- C'est ce que me disent toutes les personnes à qui je montre ce fusil. »
Salida regarda Calianne quitter la pièce en espérant qu'elle avait comprit que le jeune homme était sien et surtout qu'elle n'avait pas prévu de partager.
Balles téflon : Munitions perforantes.
Balles Hollande-Hollande : Munitions de forte puissance déformante utilisées pour chasser le très gros gibier comme des éléphants.
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