20 : Prémices (2/3)

Le navire d'Arsear arriva près de la sphère volante de la Déesse-Impératrice. Autour de l'immense navire, une cinquantaine de vaisseaux volants flambants neufs attendaient. Arsear, dans une tenue digne des Seigneurs Silridriss attendait près d'une sortie. Une cape de feutre rouge, un plastron richement décoré, un pantalon et des bottes de cuir neufs et, à sa main gauche, la manique magique. Sur sa ceinture mauve, la dague et une épée étaient rangés, signes de son rang.

« - Berik, arrime-nous au navire de notre Déesse-Impératrice. Rig-rid, est-ce que les Kalieks sont démontés ?

- A vos ordres, répondit Berik.

- Oui Monseigneur, répondit la gnome par l'intermédiaire de la broche qu'il lui avait confiée. Essayez de vous calmer : je doute que la Déesse-Impératrice apprécie les tons agressifs.

- Je devrais pouvoir me contrôler. »

Avec une extrême lenteur, les deux navires se rapprochèrent avant de se toucher. Une petite passerelle fut mise en place pour permettre le débarquement des invités. Mais seul Arsear en descendit et interrogea immédiatement le premier garde qu'il vit. Le bureau des demandes d'audience. Sa réponse en tête, il ignora les esclaves ou le décors de d'or autour de lui et entra dans les entrailles du navire. Il ne mit pas longtemps à trouver le service en question. Devant le bureau, une file d'attente non négligeables s'était déjà formée. Après une courte présentation à un garde, il fut autorisé à passer devant tout le monde et fut immédiatement conduit dans une immense salle du trône. A sa grande surprise, elle était l'exacte copie de celle qui trônait au sommet d'Alikaross : Des colonnes de marbre hautes, les ouvertures, les arches, les tapisseries, tout concordait parfaitement. Seule la Déesse-Impératrice, assise sur le trône, était nouvelle. A l'extérieur, une épaisse forêt générait la fraîcheur nécessaire au confort du lieu.

« - Seigneur Arsear, je sens d'ici votre frustration, commença-t-elle doucement, et, je dois bien l'avouer, un peu de colère. J'espère que ces sentiments ne me sont pas destinés.

- Non, Ô Déesse-Impératrice, ils sont envers moi-même. J'avais votre confiance la plus totale, et, je ne sais pas pourquoi, mais vous me l'avez retirée. J'ai beau chercher, je ne trouve pas les raisons de cette punition. Pourriez-vous me dire quelle fut mon erreur ? Je ne désire que vous servir. »

Face à cette tirade directe et sans détour, la Silridriss ne put que rire. Elle se leva, et se dirigea vers les arches. Sous l'une d'entre-elles, elle se retourna et regarda Arsear d'un air moqueur.

« - Marchons un peu voulez-vous ? L'odeur de la forêt vous calmera. »

Encore surpris de la tournure que prenait cette rencontre qui s'avérait tout sauf protocolaire, le Seigneur se dirigea vers la Déesse-Impératrice. Aussi belle, jeune, que richement habillée. Ensemble, il traversèrent des jardins aussi luxuriants les uns que les autres. Ils étaient organisés comme un ensemble de balcons et de salons de jardins. Le Seigneur y vit des plantes de mondes qu'il ne connaissait pas.

« - Ainsi donc vous vous sentez spolié...

- Spolié ? Non, corrigea Arsear en sachant parfaitement qu'il jouait un jeu dangereux. Je dirais plutôt que je suis déçu : je pensais avoir toute votre confiance pour capturer les démons d'Alikaross.

- Vous l'aviez, et vous l'avez toujours.

- Je ne comprends pas.

- J'ai une autre mission pour vous, très difficile, et Myanate s'est proposée de vous remplacer le temps qu'elle soit menée à bien.

- Pourquoi ne pas y envoyer la Favorite Myanate ? Elle est bien plus puissante que moi, et avec bien plus d'expérience, interrogea Arsear.

- Parce que Myanate a déjà essayé, il y a très longtemps. Et elle a échouée. Vous inquiétez-vous pour votre Gnome ? »

L'Impératrice Silridriss était au courant de sa relation avec l'ingénieure. Le choc que cela fit à Arsear fit qu'il ne vit que trop tard le sourire moqueur de son interlocutrice.

« - Je ne contredit aucun de vos désirs, ô Déesse-Impératrice, se défendit Arsear.

- Oh, ce ne sont pas les miens que tu contredits. Mais ceux de Myanate. Elle a très mal pris que tu lui préfères une gnome. Pour réaliser ce que je vais te demander, tu vas devoir être en parfaite condition mentale. La gnome n'ira donc pas avec Myanate, elle restera avec toi. Cependant, tu vas me fournir les trois esclaves humains : tu n'en a plus besoin.

- Bien, et quels sont vos ordres ô Déesse-Impératrice ? Demanda le Seigneur Silridriss inquiet de la tournure que prenait les événements.

- Va sur Asterech, et trouve le cœur d'Erapha.

- Asterech ?

- Oui, le monde manquant. Celui dont toute trace a été effacé hormis dans le livre interdit, celui-là même que tu as lu.

- Qu'est-ce qui vous fait croire que je réussirais là où Myanate a échouée ?

- Myanate et tant d'autres, corrigea l'Impératrice, je ne sais pas... tu as quelque chose de plus. Tout autre Silridriss aurait cherché à écraser les démons d'Alikaross par le nombre. Tu as plutôt été les chercher sur leurs propre terrain en créant des machines pouvant rivaliser. Tu affrontes un problème différemment des autres. Je me dis que tu auras plus de chances que tes prédécesseurs.

- De quels moyens est-ce que je dispose ?

- La quatrième flotte te reste acquise. Fait-en ce que tu juges nécessaire pour mener à bien cette mission. Peu importe les pertes, répondit la Déesse-Impératrice, le cœur d'Erapha sera un avantage supplémentaire face aux démons.

- A-t-on des indices sur son emplacement ?

- Absolument aucun.

- De combien de temps est-ce que je dispose ?

- Peu, il ne manque plus qu'un démon avant que les quatre ne soient réunis. Lorsque ce sera le cas, je devrais les affronter, et vaincre.

- Pourquoi ne pas les éliminer les uns après les autres plutôt ? Ce serait plus simple et jamais ils ne pourraient se réunir.

- Non, je vais faire mentir cette satanée sirène. Je vais prouver à tous que les prédictions que je n'ai pas faites ne se réalisent jamais... A ce sujet, viens, je vais te montrer les atouts que j'ai déjà réunis, cela va te plaire. »

Ce faisant, la Déesse-Impératrice se dirigea vers une porte dérobée cachée par le feuillage et pénétra dans la pièce noire. Arsear attendit un peu sous la chaleur du soleil, avant de suivre sa Déesse dans les ténèbres.

*

* *

*

Le professeur Ferreira passait dix heures par jour à recopier le documents que lui avait fournit le Seigneur Arsear. Ses journées étaient longues dans la petite salle à manger. Sa femme lui manquait, intérieurement, il espérait que tout se passe bien. Cependant, entre elle et le professeur Belamour, il y avait une inimitié réciproque. José supposait que c'était lié à la nature mégalomane de sa collègue. Lui-même ne pouvait que reconnaître son génie. Mais comme tout les grands génies qui avaient parcourus les âges, elle avait un problème ailleurs. Chez Belamour, cela se traduisait par une mégalomanie agressive a l'égard de toute personne qu'elle ne considérait pas de son niveau. Et sa femme faisait partie des gens normaux qu'elle ne supportait pas.

« - Je profite que nos geôliers soient dehors pour avoir le fin mot de l'histoire. » Fit Larsen en s'asseyant à la table et en sortant brutalement le professeur de sa réflexion.

« - Et que voulez-vous savoir ?

- Ce que vous faîtes.

- Je recopie un document que je vais ensuite mettre sur le réseau.

- Quel document ?

- Le livre sacré Silridriss. C'est le livre saint de leur religion, cela aide à comprendre leurs buts, leurs objectifs et, d'une certaine manière leurs stratégie.

- Une bière ?

- Volontiers, j'ai besoin d'une pause.

- Je ne comprends pas, continua Larsen en se dirigeant vers la cuisine, pourquoi nous transmettre un tel document ? C'est contre-productif.

- Pas de leur point de vue. Pour eux, c'est une manière comme une autre de prêcher la bonne parole.

- Et vous êtes qui, précisément ? Reprit le fermier en fermant la porte du frigo d'un petit coup de pied.

- Je suis le professeur José Ferreira du centre de recherche cybernétique de Clermont-Ferrand. J'ai été capturé lors de l'attaque.

- J'ai vu ça à la télé. C'était moche ?

- C'était la guerre, répondit le scientifique tandis que Larsen ouvrait les bières, je ne comprends pas comment nos ancêtres ont pu se battre entre-eux. Mais je sais pourquoi ils ont arrêté.

- Dites, j'ai une idée pour nous débarrasser de nos invités gênants, et on vous libère par la même occasion, murmura Larsen en s'asseyant, ça vous tente ? »

Le professeur se stoppa immédiatement.

« - Pas de bêtises Larsen, ces types ne plaisantent pas.

- Est-ce que vous êtes intéressé ? Ignora le fermier.

- Non, ils ont ma femme en otage, et il est hors de question que je la laisse seule. Qui plus est, si vous voulez lancer quelque chose, attendez que j'eusse fini ce que j'ai à faire. C'est capital sur le long terme. Attendez mon départ avant d'essayer quoi que ce soit.

- Et vous en avez encore pour longtemps ?

- Quelques jours encore je pense. A la limite, j'envoie aussi un appel à l'aide sur le réseau.

- Pas idiot ça.

- Encore une fois, n'agissez pas de manière précipitée.

- J'ai compris la première fois. Est-ce qu'ils ont l'intention de nous laisser en vie une fois que ce sera fait ? Demanda Larsen.

- Je n'en sais absolument rien. Mais, connaissant leurs mentalité, je vous avouerai que j'en doute fortement. Il faudrait un endroit dans la maison qu'ils ne peuvent pas atteindre.

- Nous avons la salle anti-chimères, suggéra alors Larsen.

- Parfait. Ils n'ont pas ce qu'il faut ici pour en forcer l'accès. Le tout est désormais de trouver un moyen pour vous deux d'y pénétrer discrètement. »

*

* *

*

Manuel s'était installé devant le bureau, dans la petite cabine du navire. Une lampe de chevet éclairait le livre vierge qu'il avait devant les yeux. Il était tard, et le jeune homme ne se sentait pas de déranger la chimère couchée derrière lui. Un stylo entre les mains, dans cette faible lumière, il ne savait pas vraiment par où commencer, lentement, il repensa à cette journée. Préoccupé par les modifications du navire, il en avait oublié d'en étudier le fonctionnement général. Pour lui, le décollage fut un moment extrêmement critique. Il avait dû rejoindre la salle des machine pour comprendre rapidement comment ce navire avançait et se stabilisait dans le ciel. Sans quoi, il le savait, il aurait paniqué et aurait certainement commencé à insulter tout les monde. Ensuite, il avait fallut ouvrir le coffre contenant les ordres. Une clef avait été confiée à Shershalla pour lui prouver la confiance qui lui était portée, l'autre était à lui. La responsable du navire avait trouvé la procédure compliquée mais sûre. Leurs objectifs étaient de pénétrer derrière les lignes adverses et d'attaquer tout ce qu'ils pouvaient, dans la mesure de leurs moyens, avant de revenir pour manque de denrées ou de munitions. Ils entreraient dans la zone de combat demain, mais Friedrich était déjà devant le radar et se relayait avec Oneshot. Mylène n'était pas sorti une seule fois de sa chambre, elle travaillait avec une avidité et une passion qu'il ne lui avait jamais vu. Daniela jouait aux cartes avec l'infirmière de bord, une jolie asiatique, et elles avaient entrepris d'apprendre des jeux à l'équipage. En dehors de ça, Tégos l'avait attrapé pour lui dire qu'elle désapprouvait fortement qu'il se retrouve dans la même pièce que Salida. Kouiros l'avait calmée d'un regard. Le jeune homme s'interrogeait encore sur ce qui s'était passé.

« - Manuel ? Murmura Salida derrière lui.

- Oui ? Répondit-il sans se retourner. Tu devrais dormir tu sais.

- Je sais. Mais j'en ai assez. Je ne sais plus comment faire. J'ai besoin de te parler... Je te dérange peut-être ?

- Non, je n'arrive pas à savoir ce que je dois écrire dans un journal de bord, ni avant, ni maintenant, ni même plus tard je le crains. Alors, de quoi voulais-tu parler ?

- Est-ce que tu te souviens lorsque Kouiros t'a parlé de nos pouvoirs ? De leurs méthode d'apparition ? » Demanda-t-elle d'une voix à peine audible, ce qui força Manuel à se retourner. Il vit la créature mi-humaine, mi-tigresse couchée, enroulée dans les draps et la couverture au pied du lit. Ses yeux étaient grand ouverts mais présentaient un fort sujet de préoccupation.

« - Oui, ils apparaissent quand votre vie est en jeu si je me souviens bien.

- Pas toujours.

- Ha ?

- Il y a ce que l'on appelle le phénomène du déclencheurs. L'amour que porte celui ou celle qui va disposer de son pouvoir pour celui ou celle qui est en danger peut faire office de déclencheur. Ça arrive parfois entre des enfants et leurs parents, ou encore entre deux personnes qui s'aiment. Mais c'est tout de même extrêmement rare : il faut tenir à l'individu plus qu'à sa propre vie.

- Je trouve cela beau, commenta Manuel avec un sourire, c'est là une très belle preuve d'amour.

- Oui, c'est considéré comme cela chez les chimères également. J'aurais voulu pouvoir te le dire autrement Manuel, mais je n'ai rien trouvé de potable. Alors je vais le dire simplement : lorsque mon pouvoir est apparu, je n'étais pas en danger. Je ne l'ai jamais été de toute l'opération. Le camouflage optique me protégeait... »

Salida laissa volontairement la dernière syllabe en suspension. Et Manuel comprit immédiatement où la princesse des chimères voulait en venir. Sous la surprise, il ne put poser la question qui lui permettrait de ne pas faire d'erreurs de compréhension. Mais les mots lui restèrent coincés dans la gorge. Salida le vit, et y répondit dans un soupir :

« - Oui Manuel. Toi... Tu as complètement verrouillé mon esprit et mon cœur. J'ai fait tout ce que Oneshot m'avait pourtant interdit de faire : intervenir contre un ennemi supérieur sans couverture, aller au corps à corps et tirer sur tout ce qui bouge. Mais je ne pouvais pas me résoudre à ta disparition. Pour tout te dire, j'ai bien constaté que quelque chose d'étrange se passait ce jour-là. Mais je n'imaginais pas le plus petit instant qu'il s'agissait là de mon pouvoir. Fixée sur ta survie, j'ai occulté tout le reste. Cela faisait pourtant des jours et des jours que j'avais constaté que je ressentais quelque chose à ton égard. Mais j'ignorais ce que c'était. Une amourette ? Une profonde amitiés ? Il a fallu que je risque de te perdre pour me rendre compte que c'était bien plus fort que ça.

- Qu'est-ce qui se passe maintenant ? Demanda Manuel un peu sonné après une telle déclaration.

- Je ne sais pas... Pour moi, tu as deux solutions : accepter ou refuser ce que je t'offre.

- Princesse, je ne suis pas chimère et plus très humain, je suis recherché et considéré comme mort... sans parler de cette histoire de cobaye. Et je ne parle pas de tout ce sang que j'ai versé. Voulez-vous vraiment d'un meurtrier de masse pour compagnon ?

- Je ne suis plus vraiment une chimère moi non plus, pas tout à fait Humaine et encore moins princesse. Ce que tu fais, tu le fais pour survivre, pas par plaisir. Tu es gentil, et toujours là pour moi, je n'en demande pas plus. Tes envies restent simples, je voudrais être à côté de toi pour les partager quand la paix sera là. »

Manuel resta quelques instant en laissant l'idée de sortir avec une chimère faire son chemin dans son esprit jusqu'à son cœur. La perte de Marilyn le lui avait déchiré, et le temps l'avait en partie cicatrisé. L'idée de recommencer à aimer lui paraissait un baume d'une douceur sans nom.

« - Tu refuses ? Demanda Salida avec la même tendresse dans la voix.

- Non, murmura Manuel en se levant pour s'asseoir sur le lit en faisant attention à la tigresse blanche et bleue, c'est juste que j'ai un peu peur. J'ignore totalement comment ça se passe chez les chimères, et, nous deux, je ne sais absolument pas ce que ça va donner. Mais je veux bien tenter.

- Tu acceptes ?

- Oui, répondit Manuel en posant sa main sur la hanche de Salida. Il va falloir que tu me dises tout ce que je dois savoir sur le sujet. Si nous avons une relation, je ne tiens pas à faire de bêtises. »

Manuel vit Salida se relever, l'enlacer, avant de se recoucher en le tenant entre les bras, posant son visage contre sa poitrine. Le jeune homme ne résista pas, et l'enlaça à son tour avec tendresse. Ils restèrent un instant ainsi, immobiles, allongés l'un contre l'autre. Manuel sentit ensuite les larmes de la tigresse, mouiller sa poitrine. Il ne se dégagea pas. Il resta ainsi dans cette position tendre et calme, appréciant l'instant d'avoir de nouveau quelqu'un entre ses bras.

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