18 : Le corbeau couronné (1/3)
Le soleil matinal entrait dans la petite pièce par la fenêtre sans rideaux ni volets. Les rayons, découpés proprement par le cadre éclairaient les murs de terre orange qui réverbéraient la lumière un peu partout dans la salle. Dans les différents lits superposés présents, les occupants s'éveillèrent. La pièce était dans un bazar incommensurable. Des vêtements, des bouteilles et des caisses s'empilaient ça et là en un chaos dantesque. Kouiros, sous sa nouvelle forme anthropomorphique découvrit son visage, et entrouvrit les yeux. La lumière les pénétra et il les referma avec une grimace.
« - Quelle merde... murmura Tégos sur le lit au-dessus de lui. Comment les Humains font pour supporter une telle douleur ?...
- Prendre une murge, ça fait plaisir de temps en temps... Mais c'est toujours au moment de payer l'addition le lendemain que c'est dur, répondit Fernand dans ses couvertures.
- Quelqu'un pourrait me dire pourquoi ces effets secondaires ne sont pas marqué sur les bouteilles ? Demanda Salida en se retournant.
- C'est notoirement connu. » Déclara Daniela en s'asseyant sur le rebord du lit. Les cheveux blonds en bataille un tee-shirt sur les épaules et une culotte autour de la taille. Elle voulu s'adosser à l'un des montant métallique, et son coude manqua le tube mais pas sa tête.
La journée commence bien...
La porte s'ouvrit doucement, et Ibrahim entra avec beaucoup de précautions. Il portait toujours sa tenue bleue et blanche du désert, et, entre ses mains, deux thermos et un sac de pain.
« - Bonjour tout le monde. »
L'exclamation, bien qu'enjouée fut accueillie par un brouhaha réprobation et de douleur.
« - Ibrahim, sincèrement, si tu tiens à rester avec nous, essaye d'éviter de crier dés le matin déclara Manuel en sortant une tête de sous sa masse de couverture.
- Je te signale que je parle normalement, murmura-t-il. Les excès de toutes choses ne sont jamais bonnes. Vu que personne n'était en état ce matin, je me suis proposé d'aller chercher le petit déjeuner à la cantine, continua-t-il en posant les thermos sur une caisse libre.
- Oh ?... j'ai pas souvenir de ça... murmura Kouiros. Bof... Tant pis... de toutes façons, nous n'étions pas en bon termes...
- De quoi ? » Demanda Mylène en s'approchant des pains les yeux mi-clos.
Dans son lit, Tégos eut un petit rire.
« - Kouiros, c'est toi qui a mis ça dans la mémoire ? Interrogea la tigresse en haut du lit.
- J'en ai peur.
- Y'a pas à dire... tu l'as pas loupé... » Ricana derechef Tégos.
Manuel sortit difficilement de son lit, et attrapa deux pains. Il glissa une partie du premier dans sa bouche et monta le second à l'occupante de la partie superposée. Salida le prit et s'assit avec lenteur et un sourire au lèvres.
« - Sincèrement Kouiros, avec ce genre de choses, on risque de vraiment l'énerver.
- Qu'est-ce qui se passe au juste ? Demanda Fernand
- Rien de bien important. J'ai juste copieusement insulté Hillgearim. » Fit la chimère orange en se massant les yeux.
Salida allait croquer dans le pain mais garda la pose bouche ouverte. Kouiros stoppa ses mouvements de massage et un sourire apparut sur son visage. Tégos se releva d'un coup sec tandis que la tigresse blanche se laissait tomber dans ses couvertures en riant à gorge déployée.
« - Non princesse... Pas vous... Fit la garde du corps.
- Attends, t'es pas mieux, déclara Kouiros.
- Olala... C'est pas moi qui ai fait ça... si ?
- Je crois bien que si. » Commenta l'ancien héros des chimères tandis que Salida se tordait de rire dans son lit.
« - Tiens, un café, ça réveille, fit Aquil en tendant une tasse à la chimère noire.
- T'as pas plutôt un truc contre le mal de tête ?
- Une gueule de bois se savoure, comme la cuite de la veille. Sinon ça deviens une habitude.
- Par curiosité, qu'est-ce qu'il y a dans la mémoire pour la rendre comme ça ? Demanda Manuel avec un sourire mal réveillé.
- Comment dire... Commença Kouiros, en théorie, le souverain peut être critiqué dans la mémoire, avec des propositions d'améliorations. Mais là... il s'est simplement fait insulté : ''Hillgearim commande au Soleil de se lever et se coucher'' une ironie sur son pouvoir de roi, précisa la chimère. ''Connard'' ça, c'est Tégos. ''Si l'imbécillité peut se transmettre, le roi la centralise.'' Celle-là est de Salida. Y'en a pas mal... Le tout est entré dans la mémoire de manière anarchique et maladroite. Y'en a partout... Un peu comme des tagueurs qui auraient vandalisé une ville entière en une nuit. Autant dire que tout le monde est au courant, de la chimère la plus jeune à la plus ancienne.
- Ça doit pas faire plaisir, ricana Friedrich en se roulant une cigarette.
- Non, ça s'offusque du vandalisme perpétré. Mais ce n'est qu'une question de temps avant que ces informations ne disparaissent.
- Comment cela ? Demanda Manuel. Je croyais qu'une fois l'information dans la mémoire, elle y restait.
- Oui, répondit Kouiros, mais si elle n'est pas utile, elle disparaît de la mémoire collective. Si ce n'était pas le cas, il y aurait beaucoup trop d'informations erronées pour une faible quantité de correctes. Quel est le programme de la journée ?
- Maximilien ?
- Hum ? Fit le soldat encore dans son lit.
- Forme Ibrahim, Kouiros, et ma sœur à l'utilisation tactique des armures. Fernand et Tégos, vous lui filez un coup de main. Daniela, récupère le maximum de matériel médical. Friedrich, Oneshot, procurez-vous une console tactique mobile. Si vous pouvez récupérer des armes, ne vous en privez pas non plus. Salida, tu viens avec moi.
- Qu'est-ce que tu as encore derrière la tête ?
- Vous vous souvenez des navires amarrés dans la ville haute ? Je me suis dit hier que nous pourrions en utiliser un pour les opérations de guérilla que l'on va nous assigner. Je vais tenter de négocier ça tout à l'heure. »
*
* *
*
La chambre était richement décorée, les murs de pierres nus étaient recouvert de tapisseries chatoyantes et le mobilier, coloré dans les même ton était confortable. Deux bibliothèques, une armoire, un bureau et un accès à un balcon qui donnait accès à magnifique panorama. L'ensemble du mobilier était en bois brut sculpté, parfois peint. A certains endroit, d'étranges et complexes machineries de laitons décoraient la pièce, et, au fond, une lourde porte en pierre. Au centre de la pièce, trois humains discutaient sur la conduite à tenir face à leurs geôliers.
« - Non chéri, c'est trop dangereux.
- Je suis d'accord avec ta femme : rien ne nous dis qu'il nous laissera en vie après avoir obtenu ce qu'il désire.
- Je sais. Mais rien ne dit que nous ne subirons pas des sévices pour l'aide que nous lui refusons. Et puis... S'il s'agit du dernier message que je peux envoyer à mes enfants, je dois en profiter. Patricia, tu devrais pourtant le savoir : les conflits se gagnent aussi sur l'information et la désinformation. Si j'ai bien compris quelque chose, c'est la terreur que leur inspire notre espèce. Surtout depuis que des berserkers opérationnels sont apparus. D'après eux deux autres vont voir le jour...
- Non. Il n'en manque qu'un, coupa la scientifique.
- Comment cela ? Demanda-t-il en se rapprochant.
- Durant ta mise à pied, un autre a été conçu. Une russe qui pilote comme une sauvage...
- Me dites pas que vous avez balancé Nemaya la-dedans.
- Si. Higas voulait s'en débarrasser, mais elle a survécu. »
Le professeur Ferreira se détourna pour aller s'asseoir dans un coin de la pièce qui leur avait été attitré. Il se prit la tête entre les mains, réfléchissant à toutes les bêtises que cette guerrière allait provoquer. Le scientifique savait pertinemment qu'elle ne supportait pas son fils, et la tragique finalité qui en découlait l'inquiétait au plus haut point.
« - Comment savent-ils qu'il y en a un quatrième qui va venir ? L'interrompit le professeur Belamour.
- L'un des peuples qu'ils ont conquis avait le don de voyance. Avant de disparaître, exterminé, il leur a été fait une prédiction. Il semblerait que les berserkers et notre espèce en fassent partie. Et plus le temps passe, plus ils voient de signes précurseurs.
- Précurseurs de quoi ?
- La chute de l'Impératrice, et la fin de son empire.
- Je ne comprends pas pourquoi il nous aide alors...
- Justement. Le second livre est beaucoup plus précis sur la manière dont l'Impératrice est arrivée au pouvoir, ainsi que sur sa manière d'asseoir son autorité. A partir de ce moment là, la traque des Silawësis prend tout son sens, même chose pour leurs lois. La lecture permet aussi de prendre du recul sur leur société, et je serais enclin à penser que c'est la raison qui pousse notre hôte à faire ces choix.
- Il n'est pas de la noblesse... déclara Belamour.
- Exactement : il a vécu dans le mensonge toute sa vie. Il veut certainement quelque chose que l'impératrice ne pourra jamais lui donner.
- Quoi donc ? Demanda Mme Ferreira qui avait un peu de mal à suivre les analyses des deux scientifiques.
- Sa liberté, chérie. Sa liberté. Et pour ça, il devra jouer gros et payer le prix fort. Du moins, si j'ai tout compris correctement.
- Sauf s'il joue un double jeu... Objecta Belamour. Comment nous assurer de la justesse des deux livres ? Si on envoi des infos qui ne sont pas bonnes, au lieu d'aider nos forces nous allons gaspiller leur énergie à la poursuites de mirages.
- Vous devriez être plus prudent quand vous parlez de cela à voix haute : les murs écoutent. » Les trois protagonistes se tournèrent vers la voix qui les avaient interrompus pour constater une gnome. Derrière elle, sans bruits, la lourde porte en pierre se refermait.
« - Qui es-tu ? Demanda la femme du professeur.
- Je m'appelle Rig-rid. Je suis l'ingénieure en charge de la création des Kalieks. Je vous en prie, parlez plus bas quand vous abordez ce sujet. Si un garde vous entendait, il vous tuerait immédiatement. S'il s'agit d'un esclave, il risquerait de vous dénoncer.
- Pourquoi nous dire cela ?
- Parce que je suis aussi dans la confidence. Et le seigneur de ces Terres prends de gros risques... dit doucement la gnome en se rapprochant.
- Est-ce que c'est toi qui a fabriqué ces choses qui ont failli tuer mon fils ? Demanda froidement le professeur Ferreira.
- Oui, mais j'ai eu beaucoup de mal à limiter leurs évolutions.
- Comment cela ? Interrogea le professeur Belamour en empêchant le scientifique d'aller violenter l'esclave. Ce dernier se stoppa, dans l'attente de la réponse.
- Chut... Ils doivent être suffisamment puissant pour affronter les démons à chaque combat, mais pas assez pour les vaincre.
- Quoi ? Comment cela ? Demanda doucement Madame Ferreira.
- Mais bien sûr... murmura Belamour. Tout prends sens... José, je ne crois absolument pas au prophéties, mais il va falloir rentrer dans leur jeu si l'on veut avoir une chance de s'en sortir. Pour commencer, tu vas nous dire ce que tu es venue faire ici ?
- Je voudrais étudier votre bras mécanique. » Dit-elle en désignant la mère de Manuel.
*
* *
*
Nemaya désamorçait un piège quand il réapparut. Par pur réflexe, elle sortit son arme de poing et visa Hertalam. Juste derrière elle, une seconde chimère, Magla, la responsable de leur petite communauté. Cette dernière montrait des dents et grognait, mais elle avait les yeux rivés sur le jeune. Ils restèrent tout les trois ainsi quelques instant, puis, soudain, Magla fit un bond et griffa la croupe d'Hertalam. Le daim turquoise fit un bond de douleur et s'écarta. Son regard paniqué allait alternativement de Magla à la guerrière russe.
« - Je suis désolé, je n'aurais pas dû vous agresser la dernière fois... » Dit-il précipitamment, comme si les mots se bousculaient. Magla, grogna de plus belle, et le daim continua : « Je me suis trompé : si vous aviez été le monstre, je serais mort le jour où nous nous sommes rencontrés. Je me propose de réparer mon erreur en vous aidant à retirer les pièges. »
Magla stoppa alors son attitude agressive à l'encontre d'Hertalam, et parla à la combattante d'une voix calme.
« - J'aimerais que cet imbécile vous accompagne, et si vous avez une punition à lui donner, faites-le : cela lui apprendra les bonnes manières. »
Nemaya releva son arme et réfléchit un instant. Elle remit la sécurité avant de rengainer. La combattante entra dans sa machine un sourire mauvais aux lèvres. Sans ménagements, elle jeta les sacs d'explosifs sur le dos du daim, qui perdit vingt centimètres avec un ''outch''. Entre les bouteilles de gaz, les pains d'explosifs, les détonateurs en tout genres et les modèles anti-personnels, les sac étaient quasiment pleins.
- Ça va ? Tu te fais plaisir ? Ironisa a le loup gris.
- Oui, répondit-t-elle sadiquement.
Nemaya sortit de nouveau de sa machine et reprit le désamorçage de l'engin explosif caché dans les décombres. Magla s'approcha de la combattante à genoux devant une poubelle, mais la guerrière ne s'en inquiéta pas.
« - Merci de ne pas l'avoir tué... » Commença la chimère, tandis que les bras de la guerrière se stoppaient. « ... Il est encore trop jeune pour identifier les erreurs à ne pas répéter. »
Magla se détourna, non sans avoir grogné une dernière fois sur le daim. La guerrière resta quelques minutes figée avant de finir son travail. Lorsqu'elle s'approcha d'Hertalam pour ranger ce qu'elle avait démonté, ce dernier se baissa. Même s'il ne les vit pas, il sentit l'odeur des larmes de la combattante cachées par les lunettes.
*
* *
*
Arsear n'avait pas quitté son bureau depuis que l'Impératrice l'avait quitté. La bouteille sur le bureau était vide, tout comme son esprit actuellement. Ses pensées étaient envahies par l'alcool et la peur, il avait eu du mal à se contrôler en sa présence. Il s'en était fallu de peu qu'elle ne le remarque et le châtie. Le supplice qui lui aurait été infligé aurait alors été pire que la mort.
« - Monseigneur ? Demanda Braniss derrière la porte.
- Entre. »
Le Silridriss entra. Ses yeux allèrent à la bouteille vide au seigneur des terres de Kalam et de Youris.
« - Vous ne devriez pas boire autant, notre géniteur désapprouverait.
- Il désapprouverait tout ce que je fais. Oui... tout...
- Pourquoi ?
- Tu es bien curieux, grogna Arsear, mauvais.
- Désolé... Mais les hommes s'inquiètent de la disparition de Jarrki, de Frombr et de Krotir.
- Ils sont monté à bord du navire de la Déesse-Impératrice sur son ordre. Je ne crois pas que nous les reverrons, mais puisque tu es curieux, tu vas aller ici... » Arsear montra un point sur la carte du monde des hommes. « ... Quelque part sur cette côte, tu trouveras une tombe d'esclave et une machine équivalente à nos Sarback. Rapporte le corps et la machine. Ne prends qu'un seul navire et reste discret : Les humains doivent tout ignorer.
- Un cadavre ? Je vais chercher un cadavre d'esclave ?
- Oui... Ce n'est pas le cadavre de n'importe quel esclave... murmura-t-il avant de reprendre bien plus fort : Ça suffit, fait ce que je t'ordonne. Point. »
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