16 : Mise au point (3/3)
Dans son bureau, le commandant Higas attendait les ordres du central de Bordeaux. Il s'était plongé dans la lecture d'un rapport d'interrogatoire d'un prisonnier. La première partie s'était déroulée de manière classique, la seconde, sous torture. Pourtant, cela ne faisait ni chaud ni froid au soldat. Lorsque le téléphone sonna, il attrapa machinalement le combiné et le posa à son oreille sans quitter le document des yeux.
« - Higas. Dit-il simplement.
- Commandant, ici le central, on a reçu le plan de vol d'un pilote d'armure nommé Nemaya, est-ce normal ?
- Oui.
- Bien, bon. Si c'est normal alors...
- Comment cela ? Demanda le soldat qui venait de lever les yeux des feuilles de papier.
- Eh bien, quand j'ai vu les erreurs, je me suis interrogé sur qui avait fait un tel document. Quand j'ai compris qu'il s'agissait d'une AMC, je me suis demandé s'il n'avait pas été transmis au mauvais service.
- Quel genre d'erreur ? »
Dans ses souvenirs, le couloir aérien jusqu'à Bordeaux était direct. Même si Nemaya avait tiré un trait droit sur une carte, il n'y aurait pas eu d'erreur.
« - La trajectoire part de Clermont-Ferrand, va dans les montagnes à l'est de la mer noire, puis revient vers Bordeaux.
- Merde. Le juron était plus une constatation qu'une injure à proprement parler. Il lâcha ses papiers tout en posant les coudes sur le bureau. Sa main de libre passa dans ses cheveux.
- Euh...
- Est-elle partie ?
- Oui, il y a deux heures.
- Bien, y'a pas de problèmes. Merci.
- Au revoir commandant. »
A peine raccroché, le commandant Higas resta stoïque quelques instant avant de violemment taper du poing sur le meuble.
Mais bordel ! Ils ont tous une araignée au plafond ou quoi ?!Pourquoi ne font-ils pas simplement ce qu'on leur demande !
*
* *
*
« - Ha, professeur Ferreira, s'exclama Arsear à l'entrée de son interlocuteur dans la pièce. Je vous attendais. »
Le scientifique gardait le silence en s'approchant du bureau.
« - Je vous en prie : asseyez-vous... »
Le professeur s'exécuta, sans un bruit ni un mot.
« ... Je sens que vous m'en voulez encore pour le petit spectacle auquel vous avez pu assister... A moins que ce ne soit le traitement un peu expéditif que j'ai infligé à l'une de vos femmes.
- C'est un ensemble, précisa l'homme.
- Je suis persuadé que ceci devrait vous éclairer sur mes objectifs. Répondit le saurien en lui tendant un autre livre. Celui-ci, en revanche, ne quittera pas cette pièce, et il vous sera impossible de partir sans m'être assuré que vous l'avez lu.
- Que contient-il ? Demanda le professeur, méfiant.
- Beaucoup de choses. Mais c'est votre interprétation que je désire. Je vais donc éviter de vous influencer. »
Sans vraiment comprendre ce dont parlait le seigneur Silridriss, José Ferreira prit le livre. N'ayant aucune inscription sur la couverture extérieure, il l'ouvrit à la première page après avoir mis les lunettes sur son nez.
''La vie d'Estélarielle'' du scribe Yorkétich, recopié par Uki.
Le titre ne lui disait rien, pas plus que l'auteur, ou la personne qui avait recopié le document. Il tourna la page, et dès les premiers mots, il comprit où se trouvait le malaise.
« - Une Histoire... deux versions, chuchota-il.
- Précisément. » Confirma le Seigneur Silridriss.
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* *
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Sans un bruit, le loup gris se posa devant les ruines d'un village à flanc de montagne. Ses ailes se replièrent doucement telles celles d'un oiseau. Rapidement la pilote vérifia les alentours.
Rien.
La zone était abandonnée depuis très longtemps. Le vert de la végétation remplaçait peu à peu le gris du béton. Les voitures achevaient de rouiller, les enseignes des magasins n'existaient plus depuis longtemps. Les boutiques de mode avaient vu leurs mannequins éjectés de leurs vitrines, les supermarchés et les supérettes avaient été incendiés, les entrepôts éventrés et, çà et là des traces plus sombre marquaient le bitume et le béton.
Ça a séché, il ne reste plus beaucoup de traces de sang... constata-t-elle.
Vérifions quand même si les pièges sont toujours là. Suggéra le loup gris.
Pas après pas, elle entra, slalomant entre les décombres de la ville fantôme. Une voiture bleue, posée d'une certaine manière lui rappela vaguement un piège.
Déclenchement par un contact si je me souviens bien... la barre, là.
Avec sa machine ce ne fut qu'une formalité de désolidariser le poteau indicateur du béton. Avec, elle bougea légèrement une barre métallique qui sortait de sous le véhicule jusqu'au milieux de la route.
La réaction fut immédiate : la capot explosa et le moteur fut propulsé dans l'immeuble en face dans un roulement de tonnerre.
Rien n'a changé.
La nostalgie fut de courte durée : elle était ici pour une raison précise. Elle se détourna de l'engin en flamme et du bâtiment qui avait un nouveau trou pour s'enfoncer dans la cité jusqu'à la place.
En face de l'église a moitié détruite, autour d'un chêne dont les feuilles vertes étaient magnifiques, une trentaine de tombes en terre recouvertes d'herbes.
Elle regarda de nouveau autour d'elle pour s'assurer que le lieu était vraiment sûr avant de se décider à sortir.
La femme aux cheveux roux s'approcha de l'un des sépulcre. Ce dernier était surmonté d'un petit camion jaune et rouge en plastique.
Bonjour Kalem... je suis contente que tu n'aies pas de nouveau perdu ton jouet... Oui, je suis revenue, et non, je ne vais pas rester longtemps... Je suis persuadée que tu serais encore en admiration devant mon armure... qui a bien changée elle aussi. Repose-toi bien petit ange, je dois rentrer à la maison.
Un bruit, derrière elle lui rendit immédiatement ses réflexes de combattante. Elle ne bougea pas d'un millimètre, cherchant, par le son à identifier son adversaire.
« - Bonjour, fit la voix d'un homme en russe, qui êtes-vous ? Comment êtes-vous arrivée ici ? »
Soulagée de savoir qu'il ne s'agissait pas forcément d'un ennemi, la guerrière se retourna normalement, et adressa un sourire au jeune homme aux cheveux blond devant elle. Il portait des vêtements simples, en cuir, avec entre les mains, un vieil extincteur. Le sourire disparu aussi vite qu'il était apparu lorsqu'elle vit la jeune chimère, un daim turquoise aux yeux violets.
Après avoir senti la machine inerte à une distance respectable, ce dernier la regardait avec un air terrifié.
« - Non... c'est impossible... le monstre... est de retour... » Souffla-t-elle en tremblant.
*
* *
*
Manuel regardait la nouvelle version de sa machine. Elle était à taille humaine, au milieu du jardin, parmi les arbres, et les arbustes. Ego était là lui aussi.
« - Qu'est-ce qu'on a pu oublier ?
- Je ne sais pas. Peut-être du matériel exotique.
- Qu'appelles-tu exotique ?
- Des équipements peu commun... Tu as bien intégré un camouflage optique à une autre machine, non ?
- Je comprends... mais j'ai rien d'autre pour le moment.
- J'ai un contact ; C'est Happy summer.
- Il tombe bien celui-là : j'ai deux mots à lui dire ! »
Le pilote se sentit tiré par le dos, comme d'habitude, avant de voir par les yeux de sa machine.
« - Bonjour lieutenant Ferreira, comment allez-vous ? Fit la voix modifiée.
- Je suis vivant, si c'est ce qui vous inquiète.
- Bien, je suis soulagé d'entendre cela. Je me suis laissé dire que vous aviez été blessé, je constate que ce n'est pas le cas.
- Si, les lézards m'ont pas loupé. Je suis en convalescence.
- Puis-je savoir ce que vous faites dans votre machine dans ce cas ? Ne serait-il pas plus prudent de vous reposer ?
- Je cicatrise mieux dans mon AMC : les nanomachines aident à la reconstruction des tissus. Et vous, je croyais que vous deviez nous rejoindre une fois que nous aurions passé le portail.
- Exact. Mais je suis coincé du mauvais côté : je ne trouve pas de moyen de passer. La sécurité a été considérablement renforcée.
- Intégrez l'armée, proposa Manuel.
- Ce n'est malheureusement pas aussi simple que cela. Je serais capturé avant même de passer le bureau de recrutement. Vous allez devoir venir me chercher.
- Avant, déclara Manuel, j'ai besoin de savoir la raison pour laquelle vous ne m'avez pas parlé de Casper.
- Salida ? Je considère que chacun a ses petits secrets, et que je suis mal placé pour crier au grand jour ceux des autres si tant est qu'ils ne gênent en rien ma vie privée.
- Mensonge par omission donc.
- Non. Omission tout court. Quand à vous, vous êtes mal placé pour faire la morale : Qui est Ego ?
Merde ! Fit le loup
Va falloir que tu te présentes maintenant... commença Manuel.
Je le sens pas lui, mais vas-y, dis-lui, de toute façon, nous avons été découverts.
« - Ego est mon copilote. C'est mon subconscient. Il s'occupe des relations avec le supercalculateur et de la gestion de la machine.
- Hum, je comprends mieux maintenant. A-t-il une forme particulière ?
- Un loup blanc et noir, dit Manuel pour qui il ne servait plus à rien de cacher quelque chose.
- Haaa... fit le pirate informatique. Il est anthropomorphique ? Comme votre machine ?
- Non, une chimère en plus petite.
- Et la troisième entité ? Celle qui ne crée que des perturbations dans le programme ? »
Manuel était sidéré, Ego en était choqué, il le sentait : une personne totalement étrangère à la petite escouade avait découvert la ''Bête''
« - Comment est-ce que... Commença Manuel
- Simple déduction. En étudiant les entrées/sorties des Berserker, j'ai supposé que vous étiez plusieurs là-dedans. Au combat, vous êtes multitâches, ce qui n'est normalement pas possible avec un être humain. Ce serait comme écrire une lettre tout en calculant le prix d'une baguette de pain. J'en ai donc déduis que vous étiez deux. Puis, j'ai constaté des perturbations à certains moments. En les isolants, j'ai compris qu'il s'agissait là de commandes parallèles, mais elles ne sont pas synchrones avec le reste. Il y a donc une troisième entité qui viens mettre son grain de sel indépendamment des deux autres, mais qui mets plus le bazar qu'autre chose. »
Ça... c'est balaise... commenta le loup.
« - Il y a en effet une troisième entité. Je ne connais que son appellation et ce qu'elle est : la ''Bête'', un monstre qui vit au plus profond de l'esprit humain. C'est la partie primaire ; animale.
- Je m'en doutais. »
- Comment doit-on venir vous chercher ? Demanda Manuel en voulant changer de sujet.
- Avec un camion pour AMC. Je me suis procuré une armure et je vais m'en servir de prétexte pour vous rejoindre. Demain, ce devrait être bon.
- Bien, je suis curieux de voir à quoi vous ressemblez, fit le jeune pilote en sachant que loup aussi mourrait d'envie de savoir.
- Je suis surprenant de banalité, vous vous en rendrez très vite compte. Oh ?... Je dois quitter la communication. Je vous suggère de présenter Ego aux autres membre de l'équipe histoire de tout remettre à plat. A plus tard. »
A peine la connexion coupée, Manuel se retrouva de nouveau au milieu du jardin. Le loup, aussi retourné que lui, le regardait avec fatalité.
« - Je crains qu'il n'ait raison : il va falloir parler à tout le monde de ce sujet... »
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