16 : Mise au point (1/3)

Nemaya s'était recroquevillée dans un coin de sa cellule. Depuis l'altercation dans la cantine, le commandant avait décidé de la garder sous clé. Ce n'était qu'une cavité creusée à même la roche avec une simple veilleuse pour toute lumière. La porte en bois plein était amplement suffisante pour empêcher un captif de sortir. Une cruche remplie d'eau, un seau vide pour les besoins naturels, et un lit de camp formaient l'essentiel du mobilier.

Cette situation fournissait à la guerrière russe tous les requis pour pousser à l'introspection.

Qu'est-ce que je veux ?

Aussi curieux que cela puisse paraître, elle sentait le loup qui habitait son esprit tourner autour d'elle. Pourtant, à aucun moment elle ne vit l'animal gris, ni même n'échangea avec lui. Mais elle sentait sa présence, à la fois rassurante et terriblement dérangeante.

Avec un bruit de clefs, la porte s'ouvrit. Noyé dans la lumière, Nemaya vit lentement sortir une silhouette.

« - Bonjour, Lyouba. » Fit une voix russe un peu rauque.

Piotr ? C'est impossible... tu es...

« - Tu me déçois beaucoup Lyouba. Ce que je t'ai appris durant toutes ces années n'a donc servis à rien ?

Ne dis pas ça ! J'ai survécu à...Je suis désolé de t'avoir...

« - Physiquement, oui. Mais à quel prix ? » Ignora son interlocuteur.

Que veux-tu dire ?

« - Que tu as oublié les bases. Désormais, vivre ne te sert à rien. »

Lentement, l'ombre pointa vers elle un pistolet.

Attends Piotr, je m'excuse pour...

La détonation la réveilla, dans la pénombre de sa cellule. Un cauchemar, un simple cauchemar, pourtant, en laissant aller sa tête contre le mur, Nemaya se dit qu'il y avait là une part de réalité. Elle fit un signe de croix en priant que Dieu lui vienne en aide... Avant de réaliser qu'elle n'avait pas fait ce geste depuis des années.

Je dois retourner là-bas. Piotr est revenu sur terre pour me dire que j'ai oublié quelque chose... quelque chose qu'il m'a enseigné.

Intérieurement, elle chercha dans ses souvenirs ce dont avait parlé cette étrange apparition.

*

* *

*

Manuel ouvrit faiblement les yeux. Le masque respiratoire qu'il avait sur le visage le gênait. Avec des gestes un peu maladroits, il le retira avant d'identifier où il se trouvait. Un peu hagard, il constata la toute petite pièce blanche carrée, de deux mètres d'arête. Il comprit qu'il se situait sur la couchette supérieure d'un lit superposé qui faisait l'exacte longueur de la pièce. Une douleur aiguë le lança à la hanche. En glissant la main gauche vers l'origine de la douleur, il tendit la perfusion, et la lui fit remarquer. Il y dirigea alors la main gauche, et toucha du doigt le bandage qui maintenait les compresses en place.

Mais qu'est-ce qui s'est passé ?...

Après l'avoir repéré, il pressa l'interrupteur d'appel. Il voulut regarder son camarade de chambrée, mais la douleur lui rappela qu'il était blessé, et que ce n'était pas une bonne idée de bouger.

Sur ces entrefaites, un interne entra. La trentaine d'année, une peau café au lait et une barbe naissante.

« - Vous avez appelé ?

- Oui, qu'est-ce que je fais ici ?

- Blessure de guerre. Vos équipiers vous ont amenés à nous, et nous nous sommes occupés du reste. Pourquoi ?

- Je ne m'en souviens pas. »

Le médecin se rapprocha de Manuel en prenant une mini lampe dans sa poche.

« - Regardez-moi. Quel est votre souvenir le plus ancien ? Demanda-t-il en éclairant les pupilles du soldat.

- Je pilote, j'affronte un genre de machine qui s'auto-répare. Je viens de lui retirer sa principale poche d'Erapha... et c'est tout. Je ne me rappelle de rien d'autre.

- Hum, il va falloir que vous rencontriez vos frères d'armes pour récupérer la partie manquante. Je vous rassure, il ne vous manque pas grand-chose. Allez, vous devriez être en mesure de vous lever et de les rejoindre.

- Heu... Vous me mettez dehors ?

- On a pas mal de mecs comme votre camarade de chambre et on manque de place. Ne bougez pas encore. »

Avec un bruit de mécanique, le lit descendit avec un arc de cercle. Manuel vit alors passer à sa gauche l'autre occupant de la chambre. Un soldat dans un sale état, mais il n'eut pas la possibilité de beaucoup l'observer. Une fois en bas, le pilote de Berserker serra les dents lorsque la douleur se fit sentir sur sa hanche. Il descendit avec précautions et difficultés du lit.

« - Allez-y mollo quand même sur les prochains jours. Vous avez tout de même été sacrément secoué.

- Qu'est-ce que j'ai eu ?

- Traumatisme lié à une onde de choc de forte magnitude, et le flanc gauche enfoncé. Quelques côtes et le bassin de fêlés, mais ce sont les tripes qui ont le subit les plus gros dommages. La peau s'est déchirée sur quelques centimètres et toutes les tripes ont bougés, mais heureusement les boyaux n'ont pas éclatés sous la pression. Sinon, c'était la septicémie assurée... »

Manuel se leva et regarda sa hanche, couverte d'une horrible cicatrice qui partait dans tous les sens comme la foudre, une quarantaine de centimètres en tout. Tout comme Marilyn autrefois, il portait lui aussi la mince feuille de plastique transparente. Voir une blessure était une chose, la constater sur son corps en était une autre.

« - Y'a quelques médicaments et des antidouleurs. Ensuite, lorsque les fils auront été absorbés par le corps, vous pourrez retirer le film plastique. Autre chose, vous allez avoir quelques problèmes gastriques les prochains jours. C'est normal : les intestins ont été violentés, il faudra leur laisser un peu de temps pour reprendre une activité normale.

- Je,... Est-ce qu'il y avait un autre type bizarre comme moi ? Demanda Manuel sans quitter la cicatrice des yeux.

- On soigne des soldats ici. Y'a que des types bizarres.

- Un mec rouge comme une tomate.

- Oui, je l'ai vu passer. Mais contrairement à vous, il n'avait pas grand-chose. Il a pu repartir rapidement. Vous, on vous a gardé au frais une semaine. Tenez »

Le médecin tendit une combinaison verte sous plastique au jeune homme. Après l'avoir ouverte, il eut toutes les peines du monde pour l'enfiler, la douleur liée à certains mouvements était plus gênante que le reste. Pourtant, à aucun moment le praticien ne vint l'aider : il se contenta de regarder Manuel souffrir en s'habillant. Une fois qu'il eut fini, ce dernier adressa un sourire à Manuel :

« - Bien ! Parfait ! Je n'étais pas sûr que vous puissiez le faire tout seul. Allez vous asseoir dans l'entrée, je vais appeler une personne de votre unité pour vous ramener. »

*

* *

*

- Maintenant, il va falloir me répondre Princesse. S'énerva Tégos dans la mémoire. Qu'est-ce qui s'est passé lors de la bataille ? J'y comprends plus rien !

- Je ne sais pas...

- Aux autres, ok, vous pouvez dire ça ! Pas à moi ! Avouez-le ! Votre pouvoir est apparu n'est-ce pas ?

Tégos fumait une cigarette, apparemment seule en haut d'une colline. Sa machine était légèrement en contrebas derrière elle. Autour, des pierres aux formes irrégulières coulaient comme un fleuve immobile. La guerrière auscultait l'horizon, à la recherche d'un signe quelconque.

Elle savait, que quelque part dans les environs, Salida, dans la machine à camouflage optique s'était cachée. Même si ce n'était pas la princesse qu'elle cherchait, elle appréciait de pouvoir enfin lui parler du sujet seule à seule.

- Apparu... oui. Il est apparu... confirma la tigresse.

Intérieurement, Tégos comprit qu'il y avait un problème.

- Princesse, je peux comprendre que vous soyez pudique sur le sujet, mais je vous ai élevée du mieux que j'ai pu et j'aimerais bien savoir...

- Je suis capable de ralentir le temps autour de moi... ou de l'accélérer là où je me trouve, je n'ai pas encore défini dans quelle mesure, mais c'est là ce que le destin m'a donné.

Tégos eu un léger mouvement de recul. Généralement, qu'une chimère parle de son pouvoir relevait de l'intime. Il était difficile de parler de ce sujet, surtout lors de la première fois. Pourtant, ce n'était pas tant d'en parler qui gênait la princesse. Il y avait forcément autre chose.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Je vous sens tendue. Évoqua Tégos.

- C'est le cas. Mais je ne sais pas comment te le dire sans te mettre en colère, ni que tu agisses violemment. Tu risquerais de tout mettre par terre et j'en ai vraiment pas envie.

- Je saurai me contrôler. Souffla-t-elle le sourire aux lèvres, en s'attendant à une broutille.

- Vraiment ? Promet-le...

- Je le promets.

- Comment dire, commença la Princesse. Mon pouvoir ne s'est pas déclenché... il été provoqué par un tiers.

La guerrière chimérique, qui amenait la cigarette vers sa bouche, se figea immédiatement en entendant ces propos. Son visage n'affichait plus aucune expression.

- Un mâle ?

- Oui...

- Me dites pas que c'est un humain.

La princesse ne répondit pas, confirmant les craintes de sa tutrice.

- C'est pas vrai... commenta-t-elle

- Ça va ? Demanda Salida

- Ça ira... Je me demande ce que j'ai pu rater dans ton éducation pour me retrouver dans une telle situation... Tu es sûre de pouvoir gérer ça ?

- Je le dois. Tu n'es pas en colère ?

- Quelle question ! Explosa Tégos. Bien sûr que je suis en colère ! Si ça ne tenait qu'à moi j'irais les brûler vif tous les trois ! Histoire d'être sure de ne pas rater ma cible !

- Tégos ! Tu as promis ! S'insurgea la Princesse

- Et je tiendrai ma promesse, du moins tant que tu géreras le sujet. Saches quand même que je désapprouve fortement cette situation.

Il y eut un silence gênant dans la mémoire, Tégos en colère, bouillonnante et vociférant pour elle-même, et Salida perdue dans ses pensées. Mais, après quelques réflexions, la guerrière reprit :

- Princesse ?

- Oui ?

- Je suis désolée. Votre pouvoir déclaré, vous êtes une adulte désormais. Je n'ai pas le droit de remettre en cause vos choix. Mais n'oubliez pas non plus que vous n'êtes pas une chimère comme les autre. Vos décisions auront des conséquences sur le devenir de notre espèce...

- Merci.

- ... Mais si vous vous foirez avec votre ''tiers provocateur'' je prendrai les choses en main.

- Tégos !

- Quoi ? Vous loupez pas, c'est tout !

« - Friedrich pour Etna. Tu me reçois ? »

Fit la voix de l'opérateur radio dans la machine de Tégos. La guerrière se leva et, la cigarette à la bouche, répondit :

« - Ici Etna, j'écoute Friedrich.

- Doux-dingue vient de sortir de l'hôpital de campagne. Et y'a un mec de l'infanterie qui est passé pour toi.

- Qui ça ?

- Le capitaine Bacquerel je crois.

- Oh ? Il est en vie ?

- Apparemment... Tu le connais ?

- Il commande Bulldog de la deux-cent cinquantième. On a ouvert le passage avec eux. J'étais persuadée qui avait péri.

- Ce n'est pas le cas.

- La relève est dans combien de temps ?

- Deux heures environs. Comment s'en sort Casper ?

- Elle a eu un bon prof, même si je suis toujours contre l'envoyer au feu. Etna, terminé. »

Tégos coupa la communication, discuter avec l'opérateur la mettait devant le fait accompli et faisait naître en elle une colère qu'elle avait promis d'éviter. Elle refusait d'admettre devant Salida que c'eut été une erreur que de laisser la princesse à part des entraînements. En tant que garde du corps, laisser la personne qu'elle était chargée de protéger sur le champ de bataille était une bêtise. Secrètement, elle espérait que Manuel fasse un esclandre en apprenant la nouvelle.

*

* *

*

Assis au chevet de sa femme, le professeur Ferreira soignait au mieux sa blessure au visage. Ils étaient dans la salle de stockage qui leur avait été attribué, entre les caisses en bois. La scène était éclairée par le hublot. Dehors, le soleil se couchait, et les rayons pénétraient horizontalement, éclairant les protagonistes d'une lumière jaune-orangée. Dans les rais de lumière virevoltaient une poussière de couleur d'or.

« - Pourquoi n'as-tu rien fait ? Murmura-t-elle, brisant le silence.

- Faire quoi ?

- Manuel était en danger, et tu n'as rien fait.

- Si, j'ai fait quelque chose.

- Quoi ?

- Le Berserker n'a quasiment aucune limite, je devais obtenir le maximum d'informations pour les lui donner dès que j'en aurai l'occasion. Vois-tu, j'ai compris ce que disait notre hôte : les engins qu'il nous a montré ont été spécialement conçus pour affronter les Berserkers...

- Je me demande bien pourquoi d'ailleurs. S'invita le professeur Belamour dans la conversation.

- Patricia, juste avant que Manuel ne risque de se faire tuer, tous les Kalieks ont été abattus, est-ce que tu as une explication pour ça ? Demanda le père de Manuel.

- Peut-être... Je doute fortement que ce qui s'est passé ai un lien avec les berserkers. Ils étaient bien trop mal en point. Je pencherai plutôt pour deux autres possibilités : La première, un groupe de snipers parfaitement synchrones, Manuel a montré où taper, ils en ont profité.

- Et la seconde ?

- Une chimère est intervenue. Une chimère qui maîtrise nos armes. Même si cela me paraît complètement fou, je n'en vois qu'une qui aurait pu faire une telle prouesse.

- Qui ?

- Vu que Tégos a déjà son pouvoir, je ne vois que Salida. La princesse des chimères. »

*

* *

*

« - Ah ouais... quand même. Il t'a pas loupé, commenta la professeure Wolkazurbleau. En constatant l'étendue de la blessure de Manuel, partiellement dénudé.

- Est-ce que je peux me rhabiller maintenant ?

- Tu as combien de points de suture ? Demanda Fernand.

- Cent quarante-sept. J'ai froid et c'est douloureux.

- Combien de jours d'arrêts ? Interrogea de nouveau la scientifique ?

- Trois mois, je peux m'habiller ?

- Avec les nanomachines, ce sera certainement plus court.

- T'as rien eu de pété ? Demanda Aquil en voyant l'importance de la déchirure sur le jeune pilote.

- Non, vous commencez tous à me gonfler : J'aimerais remettre ma combinaison.

- Oui vas-y, c'est impressionnant que tu aies survécu à ça... évoqua Daniela.

- Surtout quand on voit la gueule de ta machine. » Rajouta Aquil.

Manuel se figea : Ego.

« - Où est-elle ?

- Dehors, sous une bâche à l'atelier de maintenance. »

Aussi vite qu'il le pouvait, le jeune homme sortit et se dirigea vers un bâtiment Silridriss reconverti en zone de maintenance pour AMC. Il entra et trouva rapidement l'unique engin bâché dans un coin de l'atelier. Il attrapa le tissu et tira. Mais il était encore trop faible pour un mouvement aussi simple. La protection bougea à peine, et la douleur sur sa hanche lui arracha un cri. Il tomba à genoux en posant ses mains sur la cicatrice, puis en se penchant vers l'avant, le visage tordu par la douleur. Celle-ci passa et il se releva lentement.

Une main se posa sur son épaule.

« - Demande quand tu ne peux pas faire. » Fit la voix rassurante d'Aquil qui le dépassa pour aller vers l'engin de guerre abîmé. D'un coup sec, le commando retira la protection, laissant apparaître une machine éventrée là ou Manuel avait été blessé. Le bras gauche était manquant, ainsi qu'une partie du plastron. Il ne restait qu'un moignon de l'aile gauche, vaporisée dans l'explosion. Le reste du groupe arriva juste après, seules les chimères étaient manquantes.

« - Comment... Comment suis-je arrivé ici ?

- Tégos est allée te chercher. Et Casper nous a couverts. A ce sujet,... elle a demandé à rejoindre notre escouade. Répondit Fernand

- Je n'ai pas d'objection à priori. Elle est correcte ?

- C'est Salida. » Précisa Fernand

Manuel chercha dans les yeux de son ami s'il plaisantait ou si c'était bien là la vérité. Ce dernier se mordit la lèvre supérieure en hochant la tête.

« - Casper... est Salida, répéta Manuel, incrédule.

- Oui, mais c'est Oneshot l'enfoiré : il était au courant depuis le début. Il a monté un plan avec Happy summer pour lui apprendre à piloter en tant que sniper. »

Dans son coin, Maximilien se garda de commenter quoi que ce soit.

« - Où sont-elles d'ailleurs, nos deux chimères ?

- En observation, à dix-huit kilomètres au sud d'ici. »

Manuel posa de nouveau les yeux sur sa machine. Dans son esprit, il espérait secrètement qu'il y avait un moyen de la réparer. Mais, en voyant l'étendue des dégâts, il s'interrogeait sérieusement sur le sujet.

« - Ouvrez-là s'il vous plaît, je voudrai vérifier qu'elle fonctionne encore. »

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