8 : Réalités (3/3)

Manuel ouvrit les yeux dans son lit. La lumière entrait dans sa chambre en biais. Il regarda son réveil : sept heures cinquante-trois. Au lieu de se lever pour aller prendre le petit déjeuner, il préféra réfléchir le temps que celui-ci sonne huit heures.

Il avait mis quelques jours avant de reprendre un cycle de vie normal. Depuis l'incident dans la zone dévastée, les chimères se faisaient rares autour de Clermont-Ferrand. Mais, d'après ce que disaient les médias les tractations avançaient près de Pau. Kouiros avait repris connaissance et s'en était retourné auprès du roi, avec la consigne des médecins de ne pas trop en faire pendant quelques semaines.

Pas de nouvelles de la princesse ni de Tégos.

Le jeune pilote ne voyait plus son père. Celui-ci partait au travail avant qu'il ne se lève et revenait quand il était déjà couché. Il avait bien tenté d'aller le voir à son travail, mais on lui avait refusé l'accès de la zone où il travaillait.

Il avait demandé à sa mère de lui dire qu'il désirait lui parler des machines Silridriss.

Depuis que les Sarbacks étaient apparus, cet endroit était devenu un vrai bunker.

Le réveil sonna huit heures. Pas longtemps : sa main, en l'air attendait le moment fatidique ou le réveil lui dirait ''va à l'école'' pour le faire taire aussi rapidement qu'il se serait mis en route. Il avait bien tenté deux ou trois fois d'emmener Marilyn au restaurant Indien, mais elle avait été consignée à la base. Le gouvernement central avait décidé de suspendre les aides à ces zones et à leur couper toute alimentation en énergie. C'était un coup en force pour les mettre sous la loi générale suite à ce qui s'était passé dans la zone dévastée de Clermont-Ferrand. Marilyn, connaissant toute l'affaire, et militaire, avait été désignée pour attester de ce qui s'était déroulé.

Il s'assit dans son lit.

Véronique avait boudé pendant quelques jours, visiblement rancunière de ne pas avoir été avec eux dans la zone dévastée. Il repensa un instant à toutes ces choses. Dans un mouvement pour s'étirer sa main glissa entre le lit et le mur, touchant la boite contenant la médaille. Au bruit, son regard se posa dessus et il se souvint de comment il l'avait obtenue.

Ce serait bien que l'on puisse vivre en paix... Pas forcément en bon termes... Mais en paix, ce serait bien... Je me demande si les Silridriss vont vraiment attaquer...

Rien que de penser à la créature rencontrée près de Pau lui donna des frissons.

Il se leva et descendit du lit. L'armure, absente, créait un vide dans la pièce. Dernièrement, il s'interrogeait sur la possibilité d'en fabriquer une autre... avec une application exclusivement civile celle-là. Plus par habitude que par réelle recherche, ses pieds trouvèrent ses chaussons et le dirigèrent vers la pièce commune.

« - Salut frérot ! Déclara joyeusement Mylène, une tasse de café à la main.

- Qu'est-ce que tu fous là toi ? Tu bosses pas aujourd'hui ? »

Demanda-t-il à sa sœur, un œil fermé et l'autre difficilement ouvert.

« - Oui, moi ça va très bien, et toi ? bien dormi ?

- Bonjour Mylène ça va ? bien dormi ? Qu'est-ce que tu fous là ? Redemanda-t-il.

- De bonne humeur dès le matin je vois.

- Désolé, actuellement je suis en mode ''binaire''. Mais d'ici un quart d'heure je devrais réussir à ouvrir les yeux.

- On n'a pas reçu les matières premières sur le chantier de l'usine. Alors on est tous au chômage technique. Je suis plus étudiante moi.

- Alors profite-en pour trouver un mec, répliqua Manuel, souriant, tout en ouvrant le frigo.

- Ta gueule ! dit joyeusement sa sœur, Je fais ce que je veux de mon cul ! Au fait papa a dit que tu pouvais passer cet après-midi. »

Manuel sorti une bouteille de jus d'orange qu'il secoua pour en évaluer la contenance. Il l'ouvrit d'un geste et but a même le goulot, le sourire restant sur son visage.

C'était un sujet d'éternelle plaisanterie entre eux : Mylène l'ennuyait sur le fait qu'il était plus jeune qu'elle et lui répliquait en lui conseillant de trouver un mari.

« - OK j'irais après les cours, et je ne te parlais pas de ton cul, je te parlais de ta main... mais c'est vrai que ce dernier est un bon argument.

- Laisse les sujets morphologiques aux grandes personnes, aux médecins en particuliers... Elles savent ce qu'elles font. Sale gosse ! »

La porte de l'appartement s'ouvrit doucement et Mme Ferreira appela les deux jeunes. Dehors, en tablier de travail, elle attendait à coté du facteur. Il y avait du courrier pour eux, des recommandés. Chose rare, généralement, les informations circulaient sur le net. Pour que quelqu'un les contactes par courrier recommandé ce devait être grave, et officiel.

Un ordre de mobilisation. L'armée le réquisitionnait.

Mais c'est une blague ? J'ai pas fini mes études... tant pis pour l'école, je vais voir Marilyn il doit y avoir une erreur quelque part.

« - Euh... Frangin, rassure-moi, dis-moi que ce truc n'est pas ce que je pense... »

Mylène avait le sien entre les mains.

« - Désolé, Mylène, mais je crois que tu as bien lu... »

A coté d'eux, leur mère venait de s'effondrer, en larmes.

Le facteur s'éclipsa rapidement pendant que les deux jeunes ramenaient leur mère dans la maison familiale. Manuel redescendit pour fermer la boulangerie. Quand il remonta, il retrouva sa mère assise sur sa chaise, des larmes sur les joues et sa sœur un verre de whisky à la main.

« - Dis, tu ne trouves pas qu'il est un peu tôt pour l'apéro ?

- Arrête, j'ai besoin d'un remontant : l'infanterie, très peu pour moi...

- Y'a rien de précisé là-dessus... Déclara simplement Manuel en lisant l'ordre de sa sœur. Comme le mien, il te spécifie juste la base de Clermont-Ferrand. Il y est marqué que l'on a deux semaines pour s'y faire connaître. J'y vais dans cinq minutes... j'ai quelques questions à poser. Tu me suis ? »

Mylène leva son verre et avala le whisky d'une traite.

« - T'as pas école toi ?

- Je crois que c'est secondaire face à ce genre de papier. Bon, je me lave, je m'habille et on y va. Je tiens à comprendre ce qui se passe. »

*

* *

*

Ils arrivèrent à la base militaire peu après. Mylène fut autorisée à pénétrer dans la base avec un badge visiteur. Elle suivit son frère jusqu'aux baraquements de l'escadron Rock. Ils trouvèrent Marilyn à son bureau. Deux autres personnes étaient déjà là. Marcus et Grundig. Le jeune homme ne dit rien, il se contenta de tendre le document reçu le matin même.

Marilyn le regarda d'un air désolé :

« - Je sais déjà ce que c'est. Désolé, j'ai appris la nouvelle tard hier soir. J'ai demandé à ce que l'on vous envoi le code d'aller à la base sur le bipper. Il s'est passé pas mal de choses... dont n'ont pas forcément parlé les médias. Je voudrais les annoncer à tous le monde en même temps... alors si tu pouvais attendre...

- Euh... Bonjour, j'en ai reçu un aussi. Est-ce que vous pourriez m'aider ? »

La supérieure prit le papier et le lut. Elle décrocha un téléphone tout en lui parlant.

« - Tu es sa sœur hein ? Comment ça va depuis la dernière fois ?

- Ça va.

- Oui, allô, oui, c'est le Major Targin... ouais, ça va ... Dis, tu pourrais me fournir l'affectation du matricule que je vais te donner ? »

Marilyn énuméra ensuite une série de lettres et de chiffres puis acquiesça en promettant une bouteille de vin. Plusieurs bippers vibrèrent dans la pièce. Manuel regarda le sien : « Retour à la base »

« - Mylène c'est ça ? Bon, tu es affectée au centre de recherche. Mais l'intendance n'est pas ouverte avant dix heures. Alors en attendant, si tu veux rester avec nous tu le peux, en revanche, pendant la petite réunion... »

La porte s'ouvrit de manière brusque.

« - Major, Il y a un truc que je ne comprends pas : ce matin, j'ai reçu une espèce de torche-cul par recommandé, me signalant que désormais j'appartenais à la grande muette, coupa net Rocco en entrant dans le bureau, une feuille à la main. Et... oh, bonjour beauté » Fini-t-il en voyant Mylène.

« - Pas touche ! » prévint Marilyn avant de briefer un quart d'heure durant Mylène sur le personnage. L'intéressé niait tout en bloc. Dans l'embrasure de la porte, il y eu des têtes qui apparurent. Manuel reconnut le reste de l'escadron. Fernand se fraya un chemin jusqu'à lui.

« - Il se passe quoi... j'ai manqué un truc ? »

Manuel lui tendit le courrier qu'il qualifia par un : « merde »

« - En effet, on peut voir ça comme ça. » Compléta-t-il

Voyant que tous parlaient dans leur coin et que le brouhaha montait dans son petit bureau, la responsable se leva en déclarant suffisamment fort : « on va se trouver une salle, sortez. Mylène, je sais que ce ne sera pas plaisant, mais je vais te demander d'attendre ici. »

Ils trouvèrent l'une des salles de briefing libre. Là, les soldats s'installèrent plus on moins bien dans la salle beaucoup trop grande pour leur petit groupe. Marilyn se plaça devant l'estrade mais n'y monta pas. Les bras croisés, elle faisait les cent pas tout en regardant le sol, visiblement ennuyée. Le silence se fit dans la salle et elle commença :

« - J'ai pas mal de nouvelles à vous donner, je les aie reçues dans la journée d'hier. Elles ne sont pas toutes bonnes. Et je ne sais pas trop par où commencer...

On va commencer par les bonnes, je me dis que c'est ce qu'il y a de mieux.

Contrairement à ce qui est annoncé dans les médias, les négociations avec les chimères sont terminées. Un gel des territoires et un cesser-le-feu ont été convenu. Une alliance est en train de se former. Elles nous fournissent de précieux renseignements sur le matériel Silridriss. J'en ai eu quelques échos et je vous garantis qu'il y a de quoi avoir peur. Des ingénieurs sont aussi en train de se poser des questions sur leur protection. Si on veut qu'elles se battent avec nous il va falloir trouver des solutions pour les protéger des armes Silridriss, c'est assez logique.

Si certains espèrent qu'il y aura des pourparlers avec les Silridriss, ils se mettent le doigt dans l'œil et le bras avec. D'après nos infos, ils ne considèrent les autres espèces que de deux manières : esclave ou nourriture... et souvent les deux.

Ça, c'était les bonnes nouvelles. Les mauvaises maintenant.

Visiblement, le gouvernement a pris en compte la menace et une course aux armements a été lancée. L'ensemble de nos unités de productions sont en train d'être modifiées pour répondre aux besoins en équipement. Le mot d'ordre est : trop ne nuit pas ! Et environ un tiers de la population mondiale va être mobilisée pour le conflit qui se prépare. Limite d'age à seize ans. Dans ce sens, vous risquez tous d'être éparpillés aux quatre vents dans différentes unités : vous êtes toujours considérés comme des civils. Pour éviter ça, une circulaire spéciale du gouvernement permet l'intégration des escadrons de type milice. Sarlen l'a fait appliquée de sorte que vous soyez tous mobilisés rapidement et mis sous mes ordres. Rien de modifié en somme, sauf votre statut. Ceux qui n'ont pas encore reçu la lettre vont la recevoir incessamment sous peu. Il est nécessaire que vous sachiez qu'à terme, l'escadron Rock sera dissous...

- Quoi ? Interrompit un des combattants. Un autre, sur sa chaise, faillit en tomber. C'est une blague ?

- Laisse-moi finir. L'armée a besoin de combattants expérimentés. Et vous l'êtes tous. Alors, chacun d'entre-vous va se retrouver avec une bande de bleus à former, et à commander. Mais ce n'est pas pour tout de suite. Deux ou trois mois environs. Le temps de recevoir de nouvelles AMC.

Ensuite : le convoi qui transportait le prisonnier à Bordeaux a été attaqué. Les survivants ont décrit des Sarbacks et le prisonnier s'est fait la belle. Les escadrons envoyés à leur poursuite ne les ont pas retrouvés.

Dernière chose : le gouvernement a aboli le TNPIANER. Ce type d'arme est en fabrication, et des munitions à l'uranium vont être produites. Oubliez également la convention de Genève : il y a peu de chances pour que les Silridriss la respectent. »

La dernière affirmation concernant les armes atomiques jeta un froid dans la pièce.

« - Major, c'est une blague ?

- J'ai bien peur que non. Mais bon, rien ne dit qu'ils vont les utiliser.

- Bien sûr ! Railla Redcross. On fabrique des pétards pour la fête nationale et on ne les utilise pas le jour J ? Non mais sérieusement on se fout de qui ?

- Pour être franche, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus... Non, ce qui m'inquiète c'est que l'opération de transfert du prisonnier ait été secrète. Même Sarlen n'était pas au courant. Pourtant, les Silridriss sont tombés dessus sans se tromper.

- Ce n'est qu'une coïncidence... ils auraient aussi bien pu tomber sur la Colombie ou Madagascar, évoqua Grundig. Et d'où viennent ces infos sur les Silridriss ?

- Je trouve que l'on a beaucoup trop de coïncidence dans le coin ... non ? ... Je me suis posé la même question sur les infos, et apparemment, ils ont interrogé le prisonniers et les données ont été recoupées avec celles que nous ont données les chimères. »

Quelqu'un frappa à la porte. Et la conversation s'arrêta. Après avoir entrouvert la porte pour savoir si la personne qu'il cherchait était là, un soldat entra. Il se dirigea vers Marilyn avec une petite enveloppe en papier kraft et une feuille.

« - Vos ordres Major Targin. Veuillez signer ici. »

Le soldat repartit aussi vite qu'il était entré. Marilyn ouvrit l'enveloppe et en sorti un papier en accordéon et une clé de stockage de mémoire. Elle lut rapidement le document avant de regarder de manière interrogative les hommes sous ses ordres.

« - Quelqu'un sait parler espagnol ou chinois ? »

*

* *

*

La réunion finie, Manuel accompagna sa sœur au centre de recherche. A l'accueil, on leur demanda d'aller en salle d'attente le responsable viendrait les chercher. Ils étaient silencieux. Tous les deux sous le coup des informations qui avaient été données, que Manuel avait répété.

« - Tu vas faire quoi ? Demanda soudain Mylène.

- Je ne sais pas trop encore... dit doucement Manuel. Quand on y regarde de plus près, l'avenir s'annonce bien sombre. Voyons voir... Je n'ai pas l'impression d'avoir beaucoup de possibilités. Suivant les options, je dirais que j'ai trois solutions... du pire au meilleur : esclave, mort, et libre. Perso je prendrais la dernière option.

- Et, tu vas te battre....?

- Ouais, je ne crois pas qu'attendre va faire avancer les choses. En plus, je n'ai plus le choix. J'ai fait la connerie de signer un papier pour défendre Clermont-Ferrand des Chimères et je me retrouve à affronter des Silridriss. Et j'ai reçu un ordre de mobilisation. Si je déserte et qu'on perd, je me retrouve dans la pire des situations : esclave... Je n'ai pas vraiment d'autre choix.

- Non, pas vraiment, comme le reste des personnes de cette planète, intervint la voix de son père. Bonjour les enfants. »

Le professeur Ferriera, dans l'encadrement de la porte semblait éreinté. Il avait les cheveux en bataille, mal rasé, et les yeux mis clos. Son visage était blême. Manuel n'avait jamais vu cet état de fatigue chez son père.

« - Ça va ? bien dormi ?

- On pourrait te retourner la question papa, murmura Mylène.

- Venez, j'ai besoin d'un café.

- Euh, attends, papa, j'attends mon responsable pour cette affectation...

- C'est lui. » Fit Manuel en tapant l'épaule de sa sœur avant de suivre son père.

Ils arrivèrent devant la machine à café, et, pendant que la machine préparait sa mixture, le professeur entama la discussion :

« - Comment va maman ?

- Elle est effondrée. On l'a laissée chez la voisine pour éviter qu'elle fasse des bêtises. Elle serait capable d'aller à la base pour prendre le commandant en otage.

- Je suis désolé, j'aurais dû lui en parler plus tôt. Mais je ne rentre pas souvent à la maison en ce moment. Mylène, si je t'ai fait mobiliser c'est parce que je me refuse à ce que tu ailles au front sans que tu ne le désires. Alors j'ai demandé à quelques relations de te faire appeler au centre de recherches. Tu ne m'en veux pas j'espère...

- Au contraire ! Je m'attendais à quelque chose de pire...

- Du genre ?

- Genre : ''infanterie première ligne''.

- Non, ça c'est ton frère. Désolé Manuel, j'ai essayé pas mal de choses mais ce que tu as signé avec l'escadron Rock est solide et antérieur à mes demandes. J'ai rien pu faire.

- Pas grave, répondit l'intéressé, en signant, je savais que je risquais de me mettre dans une situation désastreuse. Et même si je n'avais pas signé je serais quand même dans une situation désastreuse.

La guerre en elle-même l'est.

- En parlant de ça, je voudrais te montrer quelques trucs sur ces ''Sarback''.

- Je voulais justement des infos sur ces machines. Si ça me permet de rester en vie je suis preneur.

- Bon, on va vous faire des accès et y aller. »

* * * * *

La grande muette : surnom de l'armée française. Bon, dans l'histoire elle n'existe plus, et c'est un terme pour désigner l'armée en général. L'origine vient du fait que jusqu'en 1945, les militaire n'avaient pas le droit de vote et donc ne pouvaient s'exprimer par les suffrages.

TNPIANER : Traité de Non Prolifération et d'Interdiction des Armes Nucléaires Et Radiologiques. (Année 2125)

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