8 : Réalités (2/3)
Dans le centre de contrôle, le commandant Sarlen suivait la situation de près. Tant que la princesse était dans le parking, assurer sa protection était relativement facile. Maintenant qu'elle était dehors, c'était une autre histoire. Le Major tentait de la protéger en se servant des armures de l'escadron comme boucliers. Malgré le désavantage majeur qui voulait qui si jamais ils prenaient un tir il y aurait, au minimum, un blessé... Mais la princesse aurait une chance de s'échapper.
Une heure.
Les histoires avaient maintenant commencées depuis une heure. Dix personnes étaient déjà passées. Les histoires racontées toutes plus horribles les unes que les autres.
Ici, un père dont le fils, nouveau-né, était mort de faim après le décès de sa mère. Il n'avait pas pu trouver de lait pour le nourrir. Là, une femme qui avait entendu son mari, sous les décombres de leur maison, l'appeler à l'aide, mais qui n'avait pu lui porter secours à temps.
Les histoires s'enchaînaient sans s'arrêter.
Le commandant Sarlen repensa à son propre passé. Avant de chasser ces tristes pensées de son esprit : les morts étaient morts et rien ne les ramèneraient.
Il regarda un moment la carte au mur, sur un ordre de sa part, une unité de cavalerie blindée avait pris position à l'entrée du périmètre. Elle avait ordre d'attendre, et, si la situation dégénérait, de pénétrer dans le territoire pour sécuriser une sortie pour la chimère. Il avait réussi à convaincre le roi de le laisser faire pour sortir sa fille de là. Malgré tout, un nombre impressionnant de chimères s'était regroupé autour de la zone dévastée. Les forces qu'il avait déplacé n'arrêtaient pas d'en rencontrer à chaque fois qu'ils manœuvraient ou qu'ils prenaient une position. Généralement les créatures évitaient le contact et se contentaient d'observer les humains diriger leurs armes contre d'autres. Mais prêtes à intervenir au signal si besoin. D'après les images satellites il y en avait une cinquantaine d'autres dans les environs.
Suffisant pour transformer la région en désert en quelques heures... Le roi le sait... et il sait que je sais...
« - Commandant...
- Oui ? » Demanda Sarlen en se retournant.
La jeune femme qui lui parlait tenait un combiné téléphonique à la main.
« - Euh... je ne sais pas si c'est un problème... mais il se passe des choses bizarres avec la chimère blessée hier... »
A peine avait-t-elle commencé la phrase que le vieux soldat l'avait déjà rejoint et arraché le combiné.
*
Le médecin téléphonait depuis un hangar de stockage vidé pour y mettre le corps inconscient de Kouiros. Avec lui, un soigneur chimère ressemblant à une tortue hérissée d'épines et un combattant semblable à un griffon. Pour les encadrer, il y avait une dizaine de gardes commandé par un sergent. Tous regardaient, médusé ce qui se déroulait sous leur yeux.
« - Oui mon commandant. Je vous l'assure : elle pleure !
- Dis-lui qu'elle n'est plus la seule ! lui cria le sergent
- Quoi ? Oh merde... lâchât-il en voyant les larmes perler sur les yeux du soigneur. Désolé mon commandant, elles sont deux à pleurer... »
*
« - Ouh putain !... Major ! Elle chiale ! Fit Grundig.
- Restez concentrés ! Twister ?
- Il a raison Leader Rock ! Elle pleure. »
Manuel ne se retourna pas. Le voyeurisme ne l'avait jamais attiré et il n'avait pas envie de voir une chimère pleurer. Pas après ce que l'on lui avait raconté sur les méthodes Silridriss.
''Chacun a sa propre croix à porter'' lui avait un jour dit son père.
Les chimères ne font pas exception à la règle...
Dans son casque, il entendit Marilyn dire ce qui se passait au contrôle commande et demander si les ordres changeaient.
*
Ça y est : c'est le merdier ...
Il recevait de nombreux rapport signalant que la plupart des chimères qui entouraient la zone dévasté pleuraient. La troisième chimère présente dans la base s'était elle aussi mise à pleurer. Mais les compte-rendus différaient suivant les unités : certaines pleuraient à chaudes larmes, d'autres avaient juste les yeux mouillés.
Que se passe-t-il ? Est-ce que... la princesse serait en train de transmettre ses sentiments et les paroles des gens qui lui parlent dans la mémoire...
Le vieux soldat avait vu lui ce que cette faculté à communiquer pouvait fournir comme avantages : pas de brouillage, l'information allait directement aux concernés. Ce qui s'était passé dans les montagnes en était la preuve.
L'escadron Rock signalait également que la princesse pleurait, et demandait s'il y avait une modification d'ordre.
Le vieux soldat se dirigea vers le groupe radio de l'escadron. Comme à son habitude, il arracha le casque audio de la tête de l'opérateur et appuya sur le micro pour envoyer son message.
*
Dans son armure, Marilyn attendait une réaction du contrôle commande, pendant les énumérations des gens de la zone dévasté, elle se remémora ses années d'enfances. D'une certaines manière, si les chimères n'étaient pas apparues, jamais elle ne serait devenue ce qu'elle était aujourd'hui. Elle tenta d'imaginer ce qu'aurait pu être sa vie... sans succès.
« - Leader Rock, ici le commandant Sarlen. Pour ma part, la comédie a suffisamment duré, les chimères sont toutes en train de pleurer et... hein?! Quoi encore ?... vous déconnez là ?... Bon, écoutez major, je pensais que ce qui se passait était localisé à notre région, mais le commandement signale que toutes les chimères visibles par les hommes à travers le monde sont touchées : elles sont toutes en larmes. Larmes de crocodiles ou pas je m'en moque. Si la princesse le désire, vous m'arrêtez cette mascarade, vous la prenez et vous vous tirez de là. Dans le cas contraire, poursuivez comme prévu. C'est bon pour vous ?
- Reçu Mon commandant. »
*
Marilyn se déplaça et rangea son arme. Puis elle fit un signe de T avec les mains de sa machine pour demander une pause. Le conseiller Sanchez secoua la tête en signe de négation. Pour lui, faire une pause était inconcevable, ce qui était prévu serait appliqué. Marilyn continua et se plaça à droite de la chimère avant d'ouvrir sa machine. Elle s'assura que son micro était allumé pour que le reste de l'escadron entende. Dehors, le témoin d'un autre massacre continuait son histoire.
« - Princesse, j'ai reçu de nouveaux ordres, si vous le désirez, nous stoppons cette pénible expérience et nous partons tout de suite... »
Il y eut une suite de sons incompréhensibles avant que la princesse ne parle.
« - Non... Ces gens subissent tous les jours la douleur d'avoir perdu ceux qu'ils aimaient. En un sens, nous avons enduré la même chose des Silridriss. Je me dois de faire en sorte que nous ne devenions pas comme eux, même si c'est pénible, ceux de ma race doivent prendre conscience des horreurs qu'ils ont commises.
- Bien, si vous changez d'avis, faites le moi savoir. »
Les heures s'écoulèrent, les histoires se suivaient. La princesse, bien que physiquement indemne, souffrait psychologiquement de ce qui se racontait. Cinquante personnes étaient déjà passés quand le conseiller Sanchez reprit la parole :
« - Je vous remercie tous. Les dernières personnes qui passeront ne seront pas des gens de la zone dévastée. Princesse, il est nécessaire que vous compreniez bien que vous n'avez pas d'ami parmi les hommes... J'appelle les pilotes des armures qui vous protègent actuellement !... »
Dans les machines, certains crurent avoir mal entendu. Il y eut des ''hein ?'' et des ''quoi ?'' suivit d'un ''Salopard !'' féminin.
Il y eut un léger silence avant que Marilyn ne reprenne la parole :
« - Vous faites comme vous voulez les mecs. Allez-y si ça vous chante. Oneshot, toi, tu ne bouges pas de là ou tu es. Je vais y aller en première et le dire haut et fort. Mais gardez votre anonymat et la visière de vos casques baissé, présentez vous sous votre surnom. Une dernière chose, si vous y allez, attendez que votre prédécesseur ai fermé sa machine, à tout de suite. »
En parlant, Marilyn s'était rapprochée de l'estrade avec son AMC. Elle l'ouvrit, en descendit.et se rapprocha du micro non sans avoir jeté un coup d'œil aux alentours.
« - Mon nom est « Leader Rock » Bon, pour commencer, je n'ai pas l'intention de raconter toute ma vie : mon histoire n'est pas très différente de celles qui ont été évoquées ici. Mes parents sont morts à cause du conflit que vous avez provoqué, j'ai survécu, j'ai rejoint l'armée et j'ai moi aussi tué des vôtres. Il faut que ça s'arrête. Fin de l'histoire. J'ai ordonné au reste de l'escadron de ne venir parler que s'ils le désiraient eux-mêmes car à aucun moment il n'a été question pour nous de nous donner en spectacle. J'ai terminé. »
Avant de remonter dans son armure, elle passa devant le conseiller Sanchez, et, dans un murmure elle lui glissa :
« - Un autre coup comme ça et je vous mets mon poing dans la gueule !
- Je n'ai aucune leçon à recevoir de vous. » Répliqua-t-il.
Les uns après les autres, les soldats passèrent à l'estrade. Chacun y alla de son histoire. Manuel comprit que les familles qu'il avait vu le jour du départ chez les Silridriss étaient toutes des familles recomposées.
Puis virent les tours de Fernand et de Manuel. Fernand commença :
« - Je m'appelle Twister. J'ai pas connu mon père. Il est mort avant que je ne vienne au monde. Ma mère ne s'est pas remariée. Et, en dehors de mon oncle, je ne crois pas qu'un autre membre de ma famille ai survécu au conflit : nous habitions tous dans le centre-ville de Clermont-Ferrand, du moins, d'après ma mère. Enfant, on me racontait toutes sortes d'horreurs sur vous, vous étiez, et êtes toujours considérés comme des croque-mitaines. Mais, aujourd'hui, j'ai du mal à vous haïr. Je pense que c'est en grande partie dû au soigneur qui m'a remis sur pied après la bataille près de Pau.
Oui, que tous ici l'entendent bien : c'est une chimère qui m'a soigné alors que j'allais mourir, ou me retrouver paraplégique. Je n'aime pas particulièrement les chimères, mais je me dois de l'avouer : j'apprécie la compagnie de certaines d'entre-elles, tant par leurs capacités que par les discussions que j'ai pu avoir avec elles... Avec le temps, il est possible qu'un jour je puisse discuter avec l'une d'entre-vous sans me méfier de ce que vous pourriez me faire.... C'est tout ce que j'ai à dire. »
Fernand rejoignit sa machine et Manuel quitta la sienne pour venir se placer devant le micro. Il ne savait pas quoi dire. Il sentit le regard des gens de la zone dévastée glisser sur son corps dans un silence religieux. C'en était gênant. Il croisa le regard de la chimère. Elle avait les yeux d'un gris acier, rougis par les larmes.
''Je veux savoir'' semblait-elle lui dire.
« - Je m'appelle Doux-dingue. Comme mon ami, je n'ai pas connu l'époque du conflit. Nous n'avons aucune nouvelles du reste de ma famille. Nous les présumons morts. Suite à la guerre, mon père est devenu un bourreau de travail, ma mère a perdu son bras et ma sœur porte encore les stigmates d'une de vos attaques sur son corps.
J'ai rien connu de tout ça.
Donc, je ne peux pas vous en vouloir pour les ravages matériels causés par la guerre si ce n'est que j'aurais pu avoir une vie bien meilleure et certainement plus calme. Mais je vous en veux pour les blessures que vous avez causées à ma famille. Tant sur leurs mental que sur leur physique... Je n'ai rien d'autre à rajouter. » Manuel remonta dans sa machine sans rien rajouter.
De tristesse, la chimère leva les yeux au ciel. Le conseiller Sanchez reprit la parole :
« - Allez-vous-en. Et ne revenez plus... Princesse »
Ce dernier mot, le conseiller l'appuya avec une intonation qui ne cachait pas son mépris.
« - Ici Leader Rock, On n'a plus rien à faire ici ; on se tire.
- Ici Oneshot je change de position. Je vais en sud sud-est. »
La sortie de la zone dévastée se fit dans un silence complet. Ils furent guidés par une jeep et une autre fermait la marche. Tous les pilotes jetaient de temps en temps un regard à la princesse pour tenter d'identifier son état d'esprit.
Elle marchait comme un chien qui venait de prendre une correction. Son regard semblait se perdre dans le vide, dans le lointain.
De temps en temps elle regardait l'une des énormes armures faire les mouvements pour la protéger. Son attention allait aléatoirement sur Marcus, Fernand, Grundig ou Manuel.
Les pilotes furent soulagés d'atteindre la sortie de la zone dévastée sans encombres. Marilyn laissa échapper un soupir sonore lorsque les deux jeeps qui les guidaient firent demi-tour sans autre formalité.
« - Leader Rock, V'la le comité d'accueil, dit simplement Marcus. Huit chimères et trois véhicules légers.
- Ici Oneshot, je confirme. »
Il fallut peu de temps aux deux groupes pour se rejoindre. Les chimères étaient énervées mais tout de même soulagées de récupérer leur princesse saine et sauve. Tégos était présente. Fernand lui demanda comment allait la chimère qui avait été blessée dans le parking. Elle ne répondit pas.
Les créatures quittèrent le détachement humain sous le regard de l'escadron. Marilyn échangea quelques mots avec un des conducteurs de jeep. Puis, elle expliqua par radio :
« - Bon, fin de l'épisode. Apparemment, les chimères ignoraient que nous avions plusieurs sociétés civiles. Et elles ont du mal à comprendre ce qui s'est passé dans les ruines. On est sensé leur laisser du temps pour qu'elles l'assimilent. Changement de sujet maintenant. On se retrouve dans une heure dans une salle de débriefing de la base. Ensuite, Oneshot et Twister, vous allez me faire le plaisir de retourner à l'hôpital. »
Les deux intéressés acquiescèrent mollement, pas vraiment heureux de retourner sous observation.
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