8 : Réalité (1/3)
Dans la base de Clermont-Ferrand, le commandant Sarlen avait eu toutes les peines du monde à empêcher le roi des chimères d'envoyer des troupes. Le fait que l'escadron rock ait immédiatement compris le danger et ait agi sans attendre les ordres l'avait bien aidé. En effet : une partie d'entre-eux s'étaient interposée et avaient réussi à calmer une situation qui était devenue des plus explosives.
Il venait juste de recevoir un rapport du major Targin lui expliquant où ça en était.
Ça aurait pu être pire ... je me demande où elle peut trouver tout ces gus... un membre de la famille d'un des types du conseil, dans l'escadron... On a encore une chance d'enfer ...
Il se dirigea vers la sortie pour mettre le roi au courant de ce qui allait se passer. Avant cela, il jeta un dernier regard à la carte du centre de contrôle : une dizaine de chimères avait pris position autour de la zone dévastée...
Ouais... c'est pas encore gagné...
*
« - Bon, Doux-dingue, Marcus, vous ouvrez la marche. Twister, Grundig, à droite et à gauche, vous protégez la princesse sur les flancs. Rocco, Redcross, vous fermez la marche. Oneshot, tu restes en support et tu continues de nous fournir des infos. Dionysos, avec Moi, en appui. La protection de la princesse est notre priorité ! Tirez si vous êtes directement attaqué .Des questions ? »
Ils étaient tous remontés dans leurs machines respectives, et avaient écouté les ordres de Marilyn. Aucun n'émit le moindre commentaires ni aucune question. Tout était clair : ils devaient empêcher par tous les moyens une relance du conflit. Les commentaires graveleux et moqueurs au sujet de la relation que Manuel entretenait avec Marilyn avaient disparus pour laisser place à de la concentration. Manuel était toujours assis aux cotés de la princesse Salida. Marilyn s'était installée en face de lui et donnait ses ordres avec le carter ouvert afin que la princesse en comprenne l'organisation.
Elle continuait à discuter avec les deux autres escadrons pour définir une défense efficace en cas de piège. Manuel regarda la princesse, elle était inquiète et tentait de ne pas le laisser paraître.
« - T'es d'attaque ? »
Le jeune homme comprit que c'était à lui que sa supérieure s'adressait.
« - Oui, mais j'aimerais bien éviter qu'il y ait du dégât ce coup-ci...
- Moi aussi, mais ça ne dépends plus de nous. Princesse, si quoi que ce soit se passe, vous suivez Doux-dingue, ne vous envolez pas : ils vous abattront sans problèmes. Et toi, tu te tires et tu ne laisses personne te barrer le passage.
- Bien.
- Bon je vais voir ce qui se passe dehors. Je te contacte par radio pour te dire d'avancer. A tout de suite. »
Manuel conserva sa machine ouverte alors que celle de son supérieur entrait dans les ombres du parking. Il vérifia tout ce qui pouvait l'être de là où il était.
« - Est-ce qu'elle désire se battre ? »
Manuel interrompit ses contrôles.
« - Pardon princesse ?
- Elle vous a demandé si vous étiez d'attaque.
- Non majesté, elle m'a seulement demandé si j'étais prêt. Et je le suis. C'était une façon de parler que nous utilisons entre les amis et les personnes encore plus proches. C'est toujours pleins de sous-entendus et les phrases ne veulent pas toujours dire ce qu'elles semblent.
- Comment identifiez-vous que vous avez bien compris ce qui s'est dit ?
- Suivant l'intonation, la personne, la posture ou encore son visage. Parfois le tout. Et, si je n'avais compris ce qu'elle disait, elle me l'aurait signalé lors de ma réponse. »
Manuel reprit son étude des systèmes de son armure. Dans son casque, il y entendait les autres pilotes de l'escadron donner leurs rapport de situation.
Rien.
Il se leva, et sa machine suivit ses mouvements. Les lumières dansèrent sur les murs projetant les ombres ça et là. D'un seul mouvement, il sortit son fusil, et engagea une balle dans le canon.
... Si ça castagne, je tiens à pouvoir riposter...
« - Princesse, quoi qu'il arrive, n'utilisez pas vos pouvoirs : si vous veniez à le faire, vous seriez alors désignée comme responsable des conséquences.
- Aucun risque.
- Juste par curiosité, quel est votre pouvoir ? »
La chimère ne répondit pas.
« - Désolé, il semble que j'ai demandé quelque chose qu'il ne fallait pas...
- Non, vous ne pouviez pas savoir. Je cherchais simplement un moyen pour vous le dire sans paraître gênée, mais j'ai l'impression qu'il est trop tard... Autrefois, je pense que je vous aurais ignoré voire rabroué pour une telle demande. C'est un sujet très personnel. Le pouvoir de chaque chimère arrive au début de l'âge adulte et quand en survient la nécessité. Il nous caractérise en quelque sorte... De plus, demander à l'un ou l'une d'entre nous son pouvoir sans qu'il ne le montre c'est s'inviter dans son intimité... et c'est encore pire si celui ou celle à qui vous le demandez n'en a pas. En revanche, parler du pouvoir de quelqu'un lorsque cette personne n'est pas présente peut se faire.
- C'est bien ce que je pensais : j'ai encore demandé un truc qu'il ne fallait pas. J'en suis désolé princesse.
- Non, vous n'êtes pas responsable de cette ignorance. De plus, vous avez la réponse à votre question : je n'ai aucun pouvoir. Je n'ai jamais eu besoin d'une quelconque capacité. Les gardes de mon père m'ont toujours bien protégée. Et j'étais trop petite lors de cet épisode chez les Silridriss. A ce niveau, je ne présente aucun danger pour les vôtres.
- Vous, non, mais si les miens commencent à être agressifs envers vous, je vous garanti que leur principal problème ne sera pas de vous atteindre.
- Vous seriez prêt à affronter les membres de votre propre espèce ?
- Si ça peut éviter une guerre... Que sont quelques morts en regard de ce que provoquerait un nouveau conflit ?
- Vous rendez-vous compte que vous parlez également de vous ? Et ça ne vous dérange pas de blesser voire de tuer des membres de votre propre espèce ? »
Manuel réfléchit un moment en regardant le plafond de ce parking avant de donner sa réponse :
« - Connaissez-vous notre histoire princesse ?
- Non. Pourquoi ?
- Et bien, sachez que jusqu'à il y a environs trois cent ans, notre histoire n'était qu'une longue suite de conflits internes. Nous avions poussé notre aptitude à nous battre jusqu'à la création d'armes si puissantes, que les plus puissants de vos pouvoirs auraient parus bien faibles à leurs cotés. Beaucoup de ces guerres, et de ces massacres auraient pu être évités si de bonnes et fermes décisions avaient été prises. Et nombreux furent évités de cette manière. Chacun a fait ce qu'il a cru bon à son époque. Et aujourd'hui, c'est à nous de faire les bons choix. Même si je suis sûr que ceux qui sont dehors ont bien compris les enjeux de ce qui allait se passer. Je pense qu'il est de mon devoir d'empêcher ceux qui n'ont pas compris de faire une ânerie. Ça m'énerve de penser que je devrais probablement ouvrir le feu sur un autre homme, et, comme je l'ai signalé au Major, j'aimerais éviter autant que possible de le faire. Mais là ce n'est plus de mon ressort... Attendez... Reçu Leader Rock ! Princesse, on y va. »
Le pilote rejoignit Marcus à l'entrée du parking. Ils gardèrent leurs armes à la main et avancèrent de front le long de la rampe en direction de la lumière extérieure. Manuel à gauche, Marcus à droite. Lorsque la pénombre fut suffisamment dissipée, Manuel coupa ses projecteurs.
« - Armes lourdes et infanterie de l'autre coté de la rue et à gauche, rien à droite, certainement piégé, murmura Manuel au fur et à mesure qu'ils sortaient.
- Ici Marcus, je confirme. J'identifie des mitrailleuses lourdes et j'ai quelques roquettes qui me regardent dans le blanc des yeux... La place est noire de monde. Il y a une estrade avec un pupitre et un système audio au milieu. Il y a assez de place pour y aller.
- OK, avancez un peu, Grundig, Twister, allez prendre position. Oneshot ? Situation ?
Manuel avança lentement hors du couvert du parking. Pendant que Oneshot parlait :
- La situation n'évolue pas de là ou je suis : ils tiennent leurs positions et semblent rester calmes... »
Il s'avança de quelques mètres dehors pendant que son ami, prenait position derrière lui, décalé sur la gauche.
« - Twister en position
- Grundig en position. »
Manuel risqua un coup d'œil et vit la lourde armure noire, mate sous le soleil de midi. Il était pile là où il devait être, inconsciemment cette vue le rassura un peu.
Au milieu de la place, devant l'ancienne préfecture, une estrade avait été installée. Tout autour, une foule immense s'était rassemblée en laissant un large chemin d'accès pour la petite troupe. La foule était vêtu d'affaires usées par le temps ou une vie difficile. Les regards étaient vides pour la majorité d'entre-eux. Les autres laissaient transparaître la haine ou la curiosité. Surélevés dans les ruines à gauche en en face, une troupe hétéroclite tenait sa position sans que l'on sache vraiment quels étaient leurs ordres.
« - Bien, attention tout le monde, la princesse va sortir. Dès qu'elle est dehors, on fait mouvement. Arrivé à l'estrade, Doux-dingue, Marcus, vous allez bloquer les lignes de mires des mecs en face. Les autres, vous restez en position. Si ça merde, Doux-dingue, je veux que tu ailles tout droit. Reçu ?
- Reçu Leader Rock.
- Leader Rock, il y a une personne qui vient de sortir de la foule et qui monte sur l'estrade... On dirait le conseiller Sanchez, signala Marcus.
- Ici Oneshot, je confirme. »
La princesse se plaça entre les quatre armures sorties du bâtiment. A peine fut-elle sortie, que les quatre machines de combat avancèrent. Rocco et Redcross fermèrent la marche du petit groupe en se déplaçant à reculons. Marilyn avançait, décalée sur la gauche, tournant sur elle-même pour s'assurer que tout se déroulait au mieux. Dionysos agissait de même de l'autre coté. Tous savaient qu'ils n'auraient aucune échappatoire si la situation dégénérait.
La tension monta à son maximum.
Dehors, dans la foule, ça avait discuté jusqu'à la sortie de la princesse. Depuis, le silence de mort régnait sur la place. Seuls les pas lourds des sept énormes armures de combat tapant ce qui restait de bitume entrecoupait le silence. La chimère, elle, ne faisait quasiment aucun bruit dans ses déplacements. L'assistance chercha du regard la princesse des chimères, mais les occasions de la voir entière étaient quasiment nulle : le groupe de soldats ne laissait que peu d'ouvertures.
« - Twister, c'est Doux-dingue, comment va-t-elle ? » Demanda Manuel tout en restant concentré sur ses objectifs.
« - Elle tremble légèrement tout en tentant de ne pas le laisser paraître. Sacré travail. J'aurai cru qu'elle se barrerait dés qu'elle aurait mit le nez dehors... »
C'est aussi ce que j'aurais cru...
« - Doux-dingue, c'est Marcus, on approche de l'estrade, je me dis que si on passe tout les deux de l'autre coté en même temps, on laissera le champ libre à ceux qui sont derrière l'estrade. Je te propose d'y aller l'un après l'autre.
- Je suis d'accord, je passe devant.
- Compris, je te couvre.
- Occupe-toi plutôt de la princesse. »
Manuel avança un peu plus vite et contourna la petite estrade dans l'ignorance complète du conseiller Sanchez. Désormais, de là où il était, il voyait distinctement le visage des soldats derrières leurs armes. Les armes légères ne l'inquiétaient pas plus que cela, mais le matériel lourd, c'était une autre paire de manches.
Il avait peur.
Il était terrifié pour être plus précis.
Il stoppa son engin à quelques mètres des positions occupées par les soldats de la zone dévastée. Lentement, il leva la main en guise de salut pour tenter de détendre l'atmosphère. Seuls quelques-uns répondirent à son mouvement.
Ouais... C'est pas gagné...
« - Major, si la tension augmente encore, je sens qu'il y en a en face qui vont exploser... »
Moi aussi d'ailleurs...
Dans un coin de l'écran devant les yeux, il vit des parties de la machine de Marcus qui avait pris position à ses cotés. La princesse des chimères, énorme tigre blanc et bleu aux ailes multicolores était désormais encadré par des armures, et faisait face au conseiller Sanchez.
Celui-ci prit la parole, parlant d'une voix forte et claire dans le micro. Ses propos glissaient sur la foule silencieuse.
« - Peuple de la zone dévastée, je vous demanderais d'écouter tout ce que j'ai à vous dire avant que vous ne blâmiez qui que ce soit. Nous qui sommes les femmes et les hommes ayant survécu à cette horrible guerre. Nous avons aujourd'hui la possibilité de nous venger. Celle qui se tient ici devant vous, n'est autre que la fille de celui responsable de ce carnage... »
Merde... ça part mal... pensa Manuel
« - Doux-dingue, j'espère que tu es prêt à partir plein gaz, murmura Marilyn dans son casque.
- Doux-dingue, ici le contrôle commande, essayez de vous calmer : votre rythme cardiaque et votre respiration sont trop élevés.
- Venez donc faire un tour dans le coin mademoiselle, vous verrez, les autochtones sont super accueillants...
- Si vous continuez comme ça vous allez vous écrouler. Si vous désirez sortir de là en vie faites ce que je vous dis s'il vous plaît. » La voix de la jeune femme était informative sans aucun ressentiment face à ce qu'il avait déclaré.
« - Désolé... » Finit Manuel avant de se re-concentrer sur le discours de l'oncle de Fernand ainsi que son objectif..
« - ... Oui, c'est vrai, ceux de son espèce ont massacré à tout va à travers le monde. Ils ne se sont pas posé de questions sur ceux qui étaient en face, des hommes ? Des femmes ? Des enfants ? Nous, les survivants, avions alors juré de nous venger. De leur faire payer au centuple ce que nous avions enduré et les êtres chers que nous avons perdus.
Aujourd'hui, nous en avons la possibilité : La princesse des chimères est ici.
Mais je me pose alors la question suivante : La loi du talion nous ramènera-t-elle les amis et les familles disparues ? Fera-elle baisser la peine et le chagrin qui assaille chacun d'entre-nous ? Et qu'avons-nous à y gagner ? Une autre guerre dans la continuité de celle qui est sur le point de prendre fin ? Et jusqu'à quand ? Quand cette folie s'arrêtera-t-elle ?
Notre espèce avait trouvé le moyen pour que nous puissions tous vivre en paix, sans risques de conflit armé. Nous nous souvenons tous de cette époque où nous pouvions sortir le soir. Le temps où ne redoutions pas d'entendre une sirène ou de voir arriver la mort comme une tornade... »
Un murmure commença à monter dans l'assistance.
« ... je suppose que beaucoup se demandent comment cette créature peut se présenter ici, calme, et attentive ? Et pourquoi ces combattants la protègent ?
Pour les combattants, sachez qu'eux aussi ont perdu des proches dans cette guerre... »
La princesse Salida regarda les deux armures qui la protégeaient sur les flancs avec un regard surpris, avant de se reprendre rapidement. Mais la réaction n'échappa pas au conseiller.
« ... Ils se sont battus au quatre coins du monde, et, aujourd'hui, ils estiment qu'il y a eu assez de morts.
Je le pense aussi.
Le conseil le pense également.
Mais il nous était impensable de laisser passer la chance de dire ce que nous avons sur le cœur. Par la même occasion de bien lui faire comprendre, que ni elle, ni aucun de ses congénères ne seront les bienvenus dans les endroits que nous contrôlons. Pour se faire cinquante personnes, parmi nous vont passer à cette estrade pour décrire ce qu'ils ont vécus. La plupart viendront d'un choix aléatoire, mais certains seront choisis pour des raisons bien précises; ils le seront à la fin. La première choisie, sera Magella Wellow, membre du conseil. Elle désignera la personne suivante. »
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