4 : Galères (1/3)

Ils arrivèrent à la base le samedi matin suivant leur entretien avec le commandant Sarlen. Fernand et Manuel rejoignirent la salle de briefing après s'être changé dans leur chambre pour enfiler les combinaisons de pilotage. Aujourd'hui allait avoir lieu la présentation des détails de l'opération chez les chimères. L'effervescence qu'ils trouvèrent dans la salle était totalement nouvelle pour eux. Il n'y avait pas que les membres de l'escadron dans la pièce. Toutes sortes d'autres personnes étaient là : d'autres unités, du personnel non combattant, et des civils.

Ils virent Véronique en treillis, entourée de personnes civiles, qui leur adressa un signe de la main. Ils l'ignorèrent, pour aller voir le reste de leur unité. Ils durent expliquer comment la jeune fille les avait coincés. Les autres membres avaient du mal à accepter sa présence, la considérant plus comme un parasite qu'autre chose.

Une porte s'ouvrit et des sous-officiers entrèrent dans la salle.

Le brouhaha disparut lentement, tandis que chacun trouvait une place.

Les sous-officiers qui venaient de rentrer s'installèrent parmi leurs propres escadrons. Seule Marilyn, qui était rentrée avec eux resta sur la petite estrade.

« - Bonjour à tous. Bon, toutes les personnes ici présentes font partie d'une opération qui vise à aller chez les chimères pour nouer contact. Elles ont fait le premier pas, à nous de faire le second. Cette mission se fera sous la direction du commandant Sarlen et de son adjoint, le capitaine Verla. Je vais ici présenter les différents points qui la composeront. Les aspects opérationnels, logistiques et relationnels seront évoqués les uns après les autres. Mais on va commencer par l'objectif principal de la mission : Mener nos diplomates en toute sécurité en territoire Chimères.

Notre délégation sera composée de cinq personnes, ici présentes. Leur sécurité est notre priorité. Ils ne doivent jamais être laissés seuls avec une Chimère pour quelques raisons que ce soit.

L'aspect opérationnel maintenant. Quatre escadrons sont mobilisés pour cette opération plus trois autres de soutien aérien. Ce sont les escadrons Vipère, Sabre, Rock et Revenant pour les opérations terrestres et les escadrons Pégase, Image et Vautour pour les opérations aériennes. Les escadrons terrestres seront chargés de maintenir la sécurité des diplomates et du poste avancés. Les escadrons aériens seront chargés du ravitaillement et tous les aspects logistiques. Ils seront également prêts à intervenir militairement en cas d'alerte. Vous n'êtes pas autorisés à engager les chimères pour quelques raisons que ce soit sauf ordre contraire du poste avancé... »

Cette dernière affirmation provoqua quelques murmures dans la salle. Marilyn réagit légèrement.

« ... Pas d'initiatives foireuses. Il a été convenu une méthode avec les chimères pour que tout se passe bien : si l'une d'entre-elles se présente à vous et hoche la tête, vous ouvrez votre armure et vous voyez ce qu'elle désire. Une fois que vous le savez vous transmettez l'information au poste avancé. Qui vous donnera les indications pour la suite.

Je le répète : pas d'initiatives à la con ! On est à deux doigts d'avoir la paix, n'allez pas tout faire foirer ! »

Le brouhaha s'étant amplifié, elle dû monter le ton la voix en même temps qu'utiliser ce vocabulaire pour ramener le silence dans la salle. Ce fut efficace. Elle comprenait que peu de soldats acceptent de se présenter devant des chimères sans avoir une situation où ils auraient eu le droit de faire feu. Mais pour certains, parmi les plus haineux, si la situation avait été définie, ils auraient trouvé une solution pour la provoquer.

Marilyn s'éclaircit la gorge avant de continuer.

« La sécurité des diplomates et du poste avancé sera effectuée par les escadrons terrestres par roulement. Il va sans dire qu'il y aura environ soixante-dix personnes sur le poste avancé. Alors ouvrez l'œil.

La logistique maintenant... Pour commencer nous allons être à cent kilomètres dans les terres contrôlées par les chimères... » Une carte s'afficha avec un point bleu près des montagnes pyrénéennes. « A cet endroit là. C'est un ancien stade d'un village aujourd'hui abandonné. Le ravitaillement sera du ressort des escadrons aériens. Une fois par semaine, ils amèneront vivres, eau, lettres de familles et autres. Pour l'instant, nous ne savons pas où se trouve le point où le roi doit nous rencontrer. Si nous sommes méfiants, eux aussi, normal. L'insertion se déroulera en trois phases. Un, entrée des AMC par voie aérienne. Deux, insertion des bâtiments préfabriqués au point prévu une fois que les AMC ont vérifié que la zone est sûre. Enfin, le reste du personnel accède au poste avancé. Pour repartir on effectuera les opérations inverse.

Le relationnel maintenant. Je tiens à vous préciser qu'il y aura toutes sortes de personnes sur le poste avancé. Des techniciens, des médecins et d'autres. Le mot d'ordre est : pas d'engueulades, Nous devons montrer que nous sommes unis et respectueux les uns envers les autres. Idem si une chimère vous parle, restez courtois même si ça vous coûte.

Des questions ? »

Rien. Personne ne leva la main. Même si les personnes présentes pouvaient ne pas être d'accord, tous les points avaient été évoqués.

« Bon, les opérations commencent lundi. Dimanche on rejoint la base aérienne. Préparez vos demandes de matériels, effectuez les peintures de camouflage et vos testaments avant ce soir. Rompez. »

*

*     *

*

Manuel et Fernand rejoignirent leurs bureaux et se concentrèrent sur le matériel qu'ils allaient utiliser. Si, en ville, la consigne était de n'utiliser que des munitions conventionnelles pour limiter les dégâts matériels, en dehors, c'était une autre histoire. Tout ou presque pouvait être utilisé contre les chimères.

Il feuilletait le classeur du matériel disponible sur la base, il ne savait pas trop quoi prendre : là, ce n'était pas de la simulation. Ce classeur n'était qu'une longue liste de matériels classés par genre et les munitions disponibles.

Il se décida finalement pour un fusil d'assaut en arme principale, il choisit un modèle de vingt millimètres avec un tracteur de câble dans la crosse. Les balles les plus efficaces contre les chimères étaient les balles creuses, il en sélectionna quatre chargeurs pour son fusil. Il tourna quelques pages pour arriver aux armes de poing. Il choisit là un pistolet semi-automatique de vingt millimètres également. Mais il préféra changer de type munition dedans. Des charges creuses feraient parfaitement l'affaire. Trois chargeurs.

« - Ce n'est pas ce qu'il y a de plus judicieux... » Fit la voix de Marilyn juste derrière lui. « Elles risquent de traverser ta cible sans trop la blesser. La charge n'est efficace que si tu tapes une surface dure et perpendiculaire avec. » Continua-t-elle

« - Si j'en viens à utiliser le pistolet Major c'est qu'il ne me restera plus beaucoup de solutions. Je préfère me diversifier dans mes choix de munitions juste au cas où... on ne sait jamais ce qui peut arriver sur le terrain. Ne vous faites pas de soucis : je ne ferais pas deux fois la même erreur. » Expliqua Manuel en faisant référence au passage de la ville. Il tourna les feuilles du classeur pour trouver une arme de corps à corps.

« - Je m'inquiète. C'est tout. » Fit simplement Marilyn en quittant la pièce après un petit moment de silence.

Toujours concentré, Manuel prit une lame courte. Et regarda ensuite au chapitre des éléments de secours.

Un grappin peut toujours m'être utile là-bas...

« - Manuel ? »

Manuel releva la tête pour regarder son ami Fernand. Celui-ci s'était à moitié allongé dans son fauteuil. Il s'accoudait sur le bureau tout en jouant avec son stylo avec l'autre main. Son visage montrait une mine désolée.

« - Hum ?

- Je reconnais que tu es un mécanicien exceptionnel, et un pilote hors-pair ... Mais, pour ce qui est de la gent féminine, tu me passeras l'expression, mais t'es une vraie quiche !

- Hein ?!

- Ouvre tes yeux bordel ! Ça fait des jours qu'elle te court après !

- Twister ! Encore un mot et je te bute ! Résonna la voix de Marilyn provenant du couloir.

- On en parlera plus tard... » Clôtura Fernand.

Manuel regarda un instant la porte du couloir d'où était venue la voix de Marilyn. Il inscrit un grappin sur la liste. Un modèle à griffes : il attrapait ce qu'il touchait.

Contre une chimère ou pour un copain dans le besoin, ça peut toujours servir...

Il y joignit son testament à sa liste de matériel et sortit de leur bureau. Il alla en face, dans celui de Marilyn. Elle n'était plus là. Il posa ses documents en évidence sur son bureau puis quitta le bâtiment en direction des ateliers.

Elle n'y était pas non plus. Il examina les armures de l'escadron Rock alignées dans leurs box. Les techniciens s'affairaient pour les peindre à la manière des treillis. Certaines avaient déjà été faites, celle de Manuel en faisait partie. Désormais, elle portait des taches brunes, vertes et kaki. Les enluminures auraient pu disparaître derrière ces couleurs de guerre. Mais un technicien avait eu la bonne idée de les laisser et de les repasser en noir mat. Sur les épaules, le signe de l'escadron Rock apparaissait en orange sombre.

Ce coup-ci, on est bon...

Il grimpa dans son poste de pilotage et commença à tout vérifier. Il ne voulait rien laisser au hasard. Niveaux d'huiles et de batteries, systèmes de secours, électronique... tout y passa. Il ouvrit même certaines parties pour s'assurer en visuel de ce qui était inscrit sur ses contrôles. Ce fut la première révision de sa machine.

Une fois fini, il resta dans son engin, réfléchissant à ce qu'il aurait bien pu oublier. Il se demandait également comment il allait présenter ça à ses parents... A sa mère surtout. Il avait compris que le traumatisme qu'elle avait subi avant sa naissance refaisait surface. Il ne savait pas trop comment faire. En plus Marilyn s'invitait parfois dans ses pensées, le déconcentrant totalement de son sujet de réflexion initial.

Le temps passa, la nuit arriva. Le jeune pilote ne trouvait pas la solution. Curieusement, il avait plus peur d'affronter la réaction de ses parents que d'aller chez les chimères. Mais il devait rentrer.

« - Tu as l'intention de dormir ici ? Demanda Véronique en face de lui, dans l'encadrement de la porte du hangar.

- Dégage. Ce n'est ni le jour ni l'heure, répondit froidement Manuel.

- Tu as peur ? Insista-elle

- Je t'ai déjà répondu. » Répondit-il après un silence.

Comprenant que ce n'était pas le moment de l'interroger, Véronique s'en alla avec une certaine colère mêlée d'inquiétude. Avant de disparaître dans la nuit, elle se retourna et dit simplement :

« Pour ton information, je suis contente de faire un truc qui me plaît. Je voulais vous remercier Fernand et toi pour ça. Mais, je t'avouerais qu'aller là-bas... ça me terrifie. »

Manuel, encore perdu dans ses pensées, ne bougea pas d'un iota. Après une petite heure de réflexion, il sortit de sa machine, la ferma, et prit le chemin de la maison de ses parents. Il espérait trouver une solution avant d'y arriver.

*

*      *

*

Marilyn commençait à avoir mal aux yeux. Après la remarque faite à sa jeune recrue elle était partie à l'armurerie pour discuter du matériel optimal que son AMC pourrait emporter. Puis, elle avait vérifié que tous les membres de son escadron avaient bien fournis leur fiche de matériels et leurs testaments. Enfin, elle transmit l'ensemble de manière informatique à l'administration pour les testaments et à l'armurerie pour les équipements. Elle éteignit sa petite lampe de bureau et sortit en direction de la cantine de la base. Elle fermerait dans peu de temps et elle n'avait pas encore mangé.

Le réfectoire était plutôt un genre de cafétéria, avec une petite partie donnant sur l'extérieur. Il n'y avait pas grand monde ce soir-là, uniquement les soldats de garde et des mécaniciens qui finissaient de préparer les machines.

Une personne, seule, sur la terrasse attira son attention. Même si elle lui tournait le dos, on distinguait clairement qu'elle portait une combinaison de pilote et l'insigne orange du groupe Rock.

La major sourit : elle ne mangerait pas seule ce soir.

Elle fit la queue, comme tout le monde. Puis se dirigea vers la terrasse. L'air frais l'accueillit dehors. Elle posa son plateau tout en s'asseyant en face du soldat qu'elle avait repérée.

« - Ça te dérange si je m'incrus...

Sa phrase se perdit dans la nuit en voyant qui était dehors : Manuel.

« - Non, je t'en prie, installe-toi.

- Qu'est-ce que tu fous là toi ? Tu ne devrais pas être chez toi à cette heure ? »

Manuel s'expliqua. Il était rentré en oubliant de se changer. Il portait toujours sa combinaison en arrivant. Et il n'avait pas trouvé mieux que de dire tout de go à ses parents ce qui allait se passer. La dispute qui en avait suivi avait été terrible. Tout le monde rejetant la faute sur tout le monde. Il était parti dés qu'il eut compris qu'il n'aurait pas la paix cette nuit là, et que personne ne se calmerait. Annoncer que l'on part pour une mission chez les chimères était rarement bien accueillie dans les familles. La sienne avait beau être une mission de paix, sa mère et sa sœur ne se sont arrêtées qu'au fait qu'il allait là-bas. Son père n'avait rien dit, mais n'en pensait pas moins.

Il espérait pouvoir dormir à la base quand il serait trop fatigué pour tenir debout. Pour réfléchir, se remettre les idées en place, il fit le choix de manger dehors. Le fait d'avoir quelqu'un à qui faire la conversation lui permettait de faire une pause.

Marilyn soupira à la fin du récit.

« - Quand tu as décidé de rejoindre l'escadron, ta mère ne m'a pas appréciée. Ton... 'Exploit' avec Kouiros, en ville, a fait qu'elle m'a détestée. Je pense que là, maintenant, elle doit réellement me haïr. Et si ça continue, on touchera bientôt le summum de l'aversion. »

Manuel souriait, c'était la première fois qu'elle le voyait sourire.

« - On dirait que cela te désole. » Dit-il

Marilyn allait répondre mais Manuel continua :

« Elle a toujours été comme ça. Elle est hyper-protectrice tant à mon égard qu'a celui de ma sœur. Que ce soit dans les bagarres à l'école, ou face à une bande, elle a toujours tenté de me protéger au mieux. Même quand j'ai fait des conneries dans la zone dévastée...Mais, maintenant que je peux monter dans une armure, c'est à mon tour. Du moins, je vois ça comme ça.

- Manuel, la dernière fois, tu m'as demandé ce que je ferais si la paix revenait. Pourrais-je savoir ce que toi tu ferais ?

- Probablement la même chose que ma sœur : je construirais des bâtiments. De préférence des écoles, des logements et des hôpitaux. J'ai toujours trouvé qu'il en manquait plus qu'autre chose. Au fait, tu étais sérieuse quand tu parlais d'enseigner ?

- Oui, pourquoi ?

- Pour rien... je me disais juste que vu la mentalité de notre escadron ça n'allait pas beaucoup te changer. Tu dois être un peu maso sur les bords.

- A peu près au même niveau que toi concernant la prudence. »

Manuel ne releva pas. L'un comme l'autre finirent de manger et ils auraient pu continuer de discuter ainsi un bon moment si un membre du personnel n'était pas venu pour leur dire que le self fermait.

Ils continuèrent d'échanger un moment dans le bureau de Marilyn avant que le sommeil ne les attrape. Chacun alla se coucher dans la pièce qui lui était attitrée.

Pour les deux, il manqua quelque chose ce soir là. Quelque chose de très important aurait dû être dit, ou fait, mais avait été omis.





Charges creuses : appelées aussi « munitions à explosif brisant » en français ou HEAT en anglais. Elles sont utilisées pour perforer les blindages en explosant à son contact. Les premiers modèles datent de 1940 et ses premières applications furent le bazooka et le panzerschreck.

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