3 : Kouiros (3/3)
Le lendemain, Le jeune homme réfléchissait seul au self de l'école. Il était sorti après avoir été obligé de prendre des consultations avec un psychiatre pendant trois mois. Il avait ressentit le besoin de réfléchir seul, coup de chance : son cours ne commençait qu'en deuxième partie de matinée. Il était donc parti de la maison comme s'il commençait tôt, tout en sachant que peu de personnes seraient là à une heure pareille. Et il avait vu juste : il n'y avait qu'un groupe de filles en train de réviser et un autre de garçons en train de jouer aux cartes. Pas de bruits, parfait pour la réflexion.
Avait-il vraiment fait une erreur ? Il ne pensait pas. Néanmoins, beaucoup de gens lui en voulaient de s'être volontairement mis en danger. Il prenait conscience que sa vie avait changé depuis qu'il avait accepté d'être dans l'escadron Rock. Désormais, ce n'était plus de la simulation, si ça tirait, c'était à balles réelles. Et il risquait d'y laisser sa peau à tout moment... Avait-il fait le bon choix ? Et hier, ses actions avaient-elles été si insensées ?
Dehors, il y avait ces deux camionnettes de la télévision. Il savait quel serait le sujet du reportage, il en avait eu un aperçu hier au journal : 'Un envoyé des chimères' ou 'vers une paix possible'. Il savait également que toutes les autres camionnettes étaient autour de la base en train d'en faire le siège pour avoir une chance de voir Kouiros. Celles qui étaient à coté de l'école devaient être en train de faire une reconstitution.
« - Tu as l'air bien pensif Manuel... »
Elle s'était assise en face de lui et, perdu dans ses pensées, il ne l'avait même pas entendu approcher. Elle avait les cheveux noirs légèrement bouclés, et le visage fin. Ses vêtements étaient composés d'un ensemble veste-pantalon en jean, d'un tee-shirt et d'une paire de baskets rouge. Il se souvenait l'avoir déjà vu en cours.
« - Et tu es ... ?
- Véronique, on peut-pas dire que tu t'intéresses à tes camarades de classe.
- A vrai dire, je me fais chier en cours. Alors ce qui s'y déroule me passe un peu au-dessus de la tête...
- ... C'est vrai : c'est plus simple de donner son chemin à une chimère. »
Manuel pris peur, comment était-elle au courant ? Ils avaient eu leurs casques fermés lorsqu'ils avaient été repérés près du gymnase. Les visières devenaient opaques sous les rayons du soleil. Personne n'aurait pu les reconnaître.
« - De quoi tu parles ? De cet escadron fantôme, qui n'existe que quand on a besoin d'eux...
- Dont tu fais partie. » Coupa-t-elle « Attend je te montre. »
Elle sortit une liasse de photos. On y voyait distinctement Manuel, dans son armure bleue et jaune, visière relevée, discuter avec la chimère.
« - J'en ai toute une vidéo. Je fais parti du bulletin d'information de l'école, Fernand et toi étiez déjà dans ma ligne de mire : ce n'est pas tout les jours qu'un officier débarque à l'école après que deux élèves se soient battus. J'ai d'abord douté : ce n'était probablement qu'une coïncidence. Mais, comme vous êtes sorti juste avant l'alerte, j'ai deviné que c'était vous dans les armures près du gymnase. Je me suis dit que me connaissant de loin, vous agiriez si ça se passait mal pour moi. Je vous ai donc suivi en espérant voir un combat, tu imagines : une chimère abattue près de l'école par des élèves. Au lieu de ça le scoop a été encore plus ...
- Détruis les photos et les vidéos où l'on nous voit distinctement s'il te plaît, coupa le jeune homme froidement.
- Pourquoi ? Tu vas être célèbre ...
- ... Et tu vas me faire perdre mon boulot avec tes conneries. Si ça se sait je devrais quitter cet escadron pour les protéger des ennuis que ça apporte. Ma passion, c'est piloter et réparer les armures, si ce qui s'est passé viens à être rendu public, je ne pourrais plus la pratiquer. Je serais sans cesse gêné dans ce que je ferais. »
Manuel rendit les photos. Les conserver ne l'aurais pas aidé à convaincre Véronique. Celle-ci vit que Manuel semblait extrêmement ennuyé par ce qu'elle avait découvert. Il continua :
« Toi, ton, truc c'est le journalisme, exact ? Alors imagines que quelqu'un disposes d'informations sur toi. De celles qui font que si jamais elles sont révélées, tu n'auras plus la possibilité de toucher un appareil photos de ta vie... détruit tout ça s'il te plaît. »
La porte du self s'ouvrit pour laisser entrer deux hommes. L'un des deux portait une caméra. Ils s'adressèrent au groupe d'étudiantes qui les montra du doigt. Véronique attrapa précipitamment le tas de photos et les rangea dans son blouson.
Là je suis vraiment dans la merde... comment est-ce que je vais bien pouvoir me tirer de cette histoire ? pensait Manuel
Les deux personnes, visiblement des journalistes se dirigèrent vers eux. Le premier portait un costume orange et une cravate noire sur une chemise blanche. Le second portait un survêtement vert et une casquette rouge retournée, ce dernier portait la caméra mais ne filmais visiblement pas.
« - Bonjour, vous êtes bien Manuel Ferreira ?
- Euh... oui, répondit Manuel après un regard à Véronique.
- Je suis Gérard Ilmadis et voici mon assistant Grégory Daftlon. Nous sommes journalistes pour la huitième chaîne. Pouvons-nous vous poser quelques questions ? »
Si je refuse, ils vont se douter de quelque chose...
« - Oui, je vous en prie.
- Où étiez-vous hier matin ? Les registres de l'abri vous signalent absent. Avez-vous vu quelque chose ?
- Non, on n'a rien vu. » Répondit Véronique. « On était dans le local d'entretien du gymnase à faire un poker.
- Qui êtes-vous mademoiselle ?
- Véronique Iufna. Si vous vérifiez, vous verrez que j'étais aussi absente. De même que Fernand Lebont. Mais, s'il vous plaît, dites rien au proviseur : on risque de sacrées sanctions pour une bêtise pareille. On a tous cru que c'était encore un exercice...
Merci Véronique...tu me sauves la vie
- Boucle-là Véro, tu en as déjà trop dit... on va avoir des problèmes maintenant. » Fit la voix de Fernand au fond de la salle tout en s'approchant. « Manuel, la prochaine fois on ne l'invite pas. Point barre. Et ce n'est pas négociable.
- Je suis sûre que j'arriverais à te faire changer d'avis... » Proposa-t-elle de manière aguicheuse avec un petit clin d'œil.
Fernand soupira : il jouait le jeu jusqu'au bout.
« - Si tu me prend par les sentiments...
- Te fais pas avoir Fernand, elle veut juste récupérer son fric, précisa Manuel.
- La manière dont je le récupère ne te concerne pas Manuel.
- Pas encore tu veux dire ?
- Tu ne sais pas bluffer gros naze, le jour où tu me déshabilleras à ce jeu n'est pas encore arrivé. »
Comprenant qu'ils n'auraient aucune information ici, les deux journalistes partirent à la recherche d'autres infos au sein de l'école.
Pour rester cohérents, Véronique leur proposa de continuer à jouer le jeu. Les deux garçons acceptèrent trop heureux de trouver une échappatoire à cette histoire. Manuel l'interrogea sur les raisons qui l'avaient poussée à agir dans ce sens.
« - Pour commencer, je déteste ce type, son journalisme est nul : il fait dans le sensationnel, pas dans l'information. Et, surtout, il se moque des conséquences que ça engendre tant que ça génère de l'audimat. Ensuite, si je vous grille tout de suite, je n'aurais plus rien à raconter plus tard. Je considère donc ma bonne action d'aujourd'hui comme un investissement sur le long terme. Je me réserve le droit exclusif de raconter votre histoire à tout les deux le jour où vous le désirez, ou dans le cas où il vous arriverait malheur. Pour vous rassurer je conserverais tout ce que j'ai sur vous dans un disque crypté qui n'a aucune connexion sur le réseau internet. OK ?
- Cette fille est terrifiante... murmura Fernand.
- On doit en parler à notre hiérarchie avant...
- Pas de soucis : je peux attendre. Mais sachez que je ne serais jamais très loin de vous... » Véronique avait un sourire radieux, non dissimulé, franc. Elle les laissa : elle aurait bientôt sa réponse.
*
* *
*
Trois jours plus tard, Fernand et Manuel étaient convoqués à la base par le commandant Sarlen. Après l'épisode du self ils avaient immédiatement rendu compte de la situation à Marilyn. Pour leur convocation, ils devaient se mettre dans la tenue d'apparat, l'un comme l'autre appréhendait ce qui allait se passer.
Marilyn les attendaient elle aussi. Ils entrèrent en silence dans le bureau du commandant après avoir été introduit par la secrétaire. Le commandant, silencieux, attendit que la secrétaire sorte avant de parler.
« - Il y a deux jours, votre major est venu me parler du problème de cette apprentie-journaliste. Sincèrement, vous pensiez à quoi ? Pour quelles raisons croyez-vous que l'on cache les derniers escadrons de milices ? Vous me mettez dans une sacrée merde ! Je me suis dit que l'on devait se séparer de vous... Mais, votre supérieur m'a démontré que ce serait une grave erreur. D'autant que j'ai pu constater que vous saviez garder la tête froide dans des situations peu communes. Nous avons passé l'après-midi entier à trouver une solution satisfaisante pour tous, et on avait peu de choix.
La première, la plus simple, se débarrasser de vous, mais on ne peut se passer de vos compétences. La seconde, se débarrasser d'elle, pas acceptable. La dernière n'est pas la meilleure, mais c'est la moins mauvaise dans cette situation pourrie.
L'escadron Rock a trop fait parler de lui, les médias sont aujourd'hui lancés dans une chasse à grande échelle pour tous vous retrouver. La seule solution pour calmer ces vautours c'est de leur donner un os à ronger. L'escadron Rock ne dispose pas d'attaché au service communication externes.
Elle veut du sensationnel, elle va en avoir. Elle travaillera pour le service des communications externes et sera détachée pour suivre votre escadron au combat. Avec pour conditions : pas de noms, pas d'adresses, pas de visages, rien qui ne puisse permettre de vous identifier, et surtout, de ne pas vous gêner.
Comprenons-nous bien : C'est la seule, unique et dernière fois que je vous démerde le cul. » Cette dernière phrase, le commandant l'appuya particulièrement avant de reprendre : « Si jamais quelqu'un arrive encore à vous identifier avec ce genre de conneries, je ne vous protège pas : je vous vire tout les deux. On trouvera des compétences ailleurs. Clair ? »
Les deux jeunes s'attendaient à ce que cela se passe mal. Mais, aucun des deux n'aurait pus imaginer qu'ils s'en sortiraient aussi bien. L'un comme l'autre acquiescèrent par un « Très clair commandant ! »
« Bien continuons, 'Doux-dingue' c'est toi ? » Demanda-il en désignant Manuel.
Manuel acquiesça.
Le commandant, sorti une petite boite rouge de son bureau, se leva et vint se planter devant le jeune homme. Il ouvrit la boite et accrocha ce qu'elle contenait à la poitrine de Manuel.
« - Pour avoir effectué une action extrêmement périlleuse, sans aucun ordre du contrôle-commande, qui a abouti à un contact pacifique avec les chimères vous êtes désormais décoré de la médaille du courage.
Bon, on a fini avec la partie officielle.
Sache que moi je t'aurais plutôt mis mon poing dans la gueule pour cette manœuvre à la con mais bon : les ordres sont les ordres... Pour beaucoup, cette médaille est considérée comme celle de l'inconscience. Dans ton cas, je que pense son surnom te va à ravir, comme celui que tu portes d'ailleurs.
Pour le reste, étant donné que ton escadron est un peu spécial, tu n'as pas le droit de la porter en public. Tu la retires et tu la ranges avant de sortir.
Bon, maintenant on passe aux choses sérieuses : Vous partez dans une semaine chez les chimères. La chimère diplomatique qu'ils nous ont envoyé est venu chercher une délégation pour être présenté à leur roi. Vous êtes du voyage. Le Major Targin vous expliquera ça plus tard. Mais commencez à penser à vos testaments, c'est plus prudent. » Le commandant laissa un silence planer avant de terminer : « Tirez-vous de là maintenant. »
Aucun des deux ne se fit prier pour exécuter l'ordre.
Manuel rentra chez lui, et oublia ce qu'il s'était passé durant le reste de la soirée. Ce n'est qu'une fois couché qu'il sorti la boite contenant la médaille. La petite lampe de chevet accrochée à son lit faisait faiblement briller la décoration. Celle-ci comportait un bouclier et une épée dorée, et était tenue par un ruban vert sur lequel était brodé un dragon jaune.
La médaille de l'inconscience... Pensait Manuel. Ce n'est pas la première personne qui me dit de faire plus attention. Faut que je fasse gaffe... La prochaine fois j'y laisserais probablement ma peau. Je n'ai pas l'expérience des autres membres de l'escadron Rock.
La semaine prochaine, on part chez les chimères. Et apparemment ça risque de vraiment mal se passer.
Papa, Maman, Marilyn, Fernand, Véronique,... et maintenant le commandant... Suis-je aussi inconscient du danger que ça ?
Manuel referma la boite puis la rangea entre le lit et le mur. Il éteignit la lumière avant qu'une dernière pensée ne traverse son esprit :
Probablement... Il faut que je change...
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