3 : Kouiros (1/3)
Les quatre semaines qui suivirent furent très éprouvantes pour Manuel et Fernand. Ils durent passer l'entraînement de base, celui que tous les membres de l'escadron avaient effectué à leur entrée. Apprentissage sur la manipulation des armes, procédures de sécurités, entraînements physiques. Manuel avait terminé les dernières modifications de son armure. Il avait inséré sous l'épaulette droite un système de vision à ultrasons qui avait une portée de quarante mètres et l'épaule gauche cachait une caisse à outil et un lanceur de fumigènes. Ne pouvant trouver ce type de matériel à la casse il avait dû les commander. La peinture de son armure était terminée, elle était bleue océan, avec des enluminures jaunes. Fernand avait reçu la sienne, un énorme quadripode noir et mauve.
Quand il n'était pas à l'école ou à la base, Manuel se renseignait sur les dernières avancées des chimères. Cela l'inquiétait. La presse relatait une fois tous les huit jours une nouvelle tentative d'entrée d'une chimère dans une ville du monde. Le pilote avait conservé les coupures de presses concernant ces incursions. Quelque chose le tracassait, il y avait un élément dans tout ça qui lui échappait.
Pourquoi est-elle seule ? Même pour du repérage... Ce n'est pas normal. Elles vivent normalement en meutes... Pourquoi passer par les accès principaux ? Et cette couleur jaune et bleue...
Dans leur chambre de la base, il avait réuni tous les documents qui auraient pu lui permettre de savoir quoi. La quatrième chimère à être abattue l'avait été à Seattle. En ignorant les rapports d'accrochages lors des missions de reconnaissances ; il y avait des points communs à l'ensemble des chimères qui s'étaient approchées des villes. Elles étaient toutes jaunes, avec des symboles bleus, toujours le même : des étoiles à trois branches. Toutes, portaient une espèce de tiare ou de casque et un collier en métal chromé. Ces chimères s'étaient toutes rapprochées rapidement des villes sans se faire voir de qui que ce soit. A l'approche des villes, elles s'étaient mises à marcher le long des routes principales en direction du centre ville, lentement, sans chercher à se cacher. Chaque chimère avait été éliminée juste après avoir été repérée, à huit jours d'intervalle chaque fois.
Assis sur le bureau qui lui avait été assigné à la base, il regardait encore et encore ce mur où tout était accroché. Dans ses mains, une tasse de café finissait de refroidir. Fernand, qui s'ennuyait ferme dans le bureau, était allé se 'détendre' aux simulateurs. Dans le bureau en face, Marilyn était entourée de papiers administratifs, de temps en temps elle lui jetait un regard. Mais Manuel ne bougeait pas, telle une statue de cire.
Soudain, la solution le frappa. Sans prévenir. Elle l'assomma à moitié en même temps qu'il comprenait les implications que cela allait engendrer. Il en lâcha la tasse qui alla rebondir par terre sans se casser.
« - Non... murmura-t-il, c'est impossible... »
Il n'osait pas y croire, continuant de scruter fixement le mur. Mais si c'était vrai, le conflit avec les chimères pouvait finir demain. Mais qui accepterait de prendre de tels risques sur de simples suppositions.
« - Qu'est-ce qu'il y a ? Un problème ? demanda le Major alerté par le bruit de la tasse tombant sur le sol.
- J'ai besoin de sortir. » Dit-il simplement en attrapant un blouson et quittant le bureau.
Après avoir regardé la tasse encore en train de rouler par terre, et le café froid renversé sur le sol, le major posa son regard quelques minutes sur le mur que Manuel fixait. Ne comprenant pas ce qui s'était passé, elle se lança à sa poursuite.
Elle le chercha un petit moment avant de le retrouver allongé dans l'herbe à regarder les nuages. Pensif.
« - C'est quoi le problème ?
- Y'a pas de problèmes Major. » Répondit-il.
Marilyn regarda sa montre puis les alentours avant de s'asseoir en tailleur à coté lui.
« - Je ne crois pas que je ferais une entorse au règlement en laissant mon grade au vestiaire un petit moment. Tu sais, je ne te connais que depuis un mois seulement. Et pourtant, je ne crois pas me tromper en disant que tu as trouvé ce que tu cherches depuis des jours devant ce mur. Si tu me disais ce que c'est ? »
Après un silence, Manuel demanda :
« - Dis, Marilyn, si la paix arrivait demain, tu ferais quoi comme métier ?
- Pardon ? Demanda l'intéressée.
- Imagine que la paix revienne, que nous n'ayons plus besoin de soldats, quel métier ferais-tu ?
- Je ne sais pas, j'ai toujours été intéressée par l'enseignement... peut-être profs. Quelle est la relation avec le sujet qui nous concerne ?
- Ce n'est pour l'instant qu'une simple supposition, mais plus le temps passe, plus je suis en train d'en acquérir la certitude. Demain, je saurais si j'ai tort ou raison. Si j'ai raison, je t'en parle, si j'ai tort... je me serais planté, dit-il avec un sourire.
- Bien, et quels seraient les critères de succès ? »
Manuel s'assit.
« - Demain, je ne sais pas encore à quelle heure, une chimère jaune avec des étoiles à trois branches bleue va tenter de pénétrer dans une ville du monde. Elle le fera en passant par les grandes routes, en plein jour. Elle portera une tiare et un collier chromés. Et, si je ne me trompe pas, elle se fera tuer sans qu'elle ne cherche à se défendre.
- Tu te mets à jouer les prophètes maintenant ? Et où as-tu vu des chimères solitaires ? Elles sont toujours en meutes.
- Vu que, question enquêteur, je suis novice, je tente autre chose : prophète me paraît prometteur, un métier d'avenir !
- Tu ne veux pas me dire ce que c'est ? Redemanda-t-elle en s'amusant de ce jeu de mot idiot.
- Pas avant demain, non. Désolé Marilyn. »
Manuel regarda sa montre, il était sept heures dix du soir. Malgré les insistances de son supérieur, il ne répondit rien. Il savait que s'il en parlait qu'il s'était trompé, des gens mourraient par sa faute, et sa supérieure risquerait de sérieux ennuis. Il ne se sentait pas encore prêt à prendre de tels risques.
*
* *
*
Le lendemain matin, Manuel et Fernand étaient en cours. Si Fernand était concentré, Manuel ne cessait de regarder dehors. Sa découverte d'hier l'avait choqué. Il n'avait trouvé le sommeil que très difficilement, plus à cause d'avoir refusé de dire ses pensées à Marilyn qu'au sujet de sa découverte. Il avait fini par s'endormir en espérant secrètement s'être trompé. Mais, à son réveil, il dû se rendre à l'évidence : non seulement ce qu'il avait découvert était toujours là mais la conviction que ce n'était pas une erreur s'était renforcée. Il n'en avait pas parlé à Fernand, de peur que l'idée lui paraisse trop folle.
Quelque chose vibra sur sa poitrine. Il sorti le bipper de l'armée pour voir ce qui était écrit. Il le lut deux ou trois fois pour être bien sûr. Puis il regarda son camarade. Fernand tenait le sien lui aussi. L'interrogation se lut dans leurs yeux respectifs. Mais ils appliquèrent les consignes qui leurs avaient été données.
Ils se levèrent et sortirent avec le plus grand calme de la salle de cours, et ce, malgré les injonctions du professeur présent. Ils ne répondirent pas. Une fois dans le couloir ils coururent vers le gymnase en discutant dans le couloir.
« - Putain, une alerte rouge en plein cours, lui glissa Fernand. Qu'est-ce qu'ils vont encore nous inventer comme exercices ?
- Si c'est encore un exercice on est bon pour les corvées : on n'arrivera jamais à temps. » Répondit Manuel
Ils arrivèrent au gymnase. Là, dans un vestiaire spécial, les attendaient leurs combinaisons de pilotage. Les entraînements d'habillages/déshabillages leurs permirent d'être prêts en moins de deux minutes. A leur sortie, ils s'attendaient à trouver le major avec un chronomètre ou un équivalent, mais, il n'y avait personne. Ils n'eurent pas le temps de se poser des questions : l'alerte de la ville sonna. Une sonnerie longue et puissante que l'on entendait que dans les films catastrophes. Ils comprirent à ce moment précis que ce n'était pas un exercice. L'interrogation qui les animait quelques minutes auparavant laissa place à de la peur. Le temps des exercices n'était plus. La réalité rattrapait la fiction.
Ils virent les portes de l'école s'ouvrir pour laisser sortir des professeurs et des élèves en direction du gymnase. En cas d'alerte, c'était le lieu de rassemblement, l'abri anti-chimère. Un professeur les vit et commença à se diriger vers eux.
« - T'as une idée pour expliquer notre métamorphose ? demanda Fernand en faisant allusion à leurs combinaisons militaires et les casques.
- Désolé, non.
- Va falloir en trouver une, et fissa. »
Dans un bruit de tonnerre et de métal plié la porte de derrière de l'école qui ne servait qu'aux livraisons de la cantine s'ouvrit avec fracas. Cela fit sursauter tout le monde. Un énorme camion équipé d'un bélier venait de pénétrer dans l'enceinte. Sur la remorque, les deux jeunes reconnurent leurs engins et le matériel de combat. Le camion s'arrêta en catastrophe. La remorque continua à déraper sur le côté après l'arrêt de la cabine.
Sortant, du camion comme un diable sortirait de sa boite, un technicien leur hurla par-dessus les sirènes de la ville de rejoindre leur machines. Le professeur vint pour tenter de les empêcher de monter dans les armures, exigeant des explications. Le technicien attrapa l'infortuné par le col avant de lui dire que ce n'était pas le moment et qu'il devait se mettre à l'abri : des chimères avaient été repérées autour de la ville.
Comme deux automates, Manuel et Fernand montèrent et activèrent leurs engins, sous les regards médusés des autres élèves et du corps enseignant. Ils s'équipèrent avec ce que contenait le camion. Manuel avait maintenant un fusil à pompe de trente millimètres et une lame courte, Fernand, quant à lui, avait désormais sur le dos le canon de cent-cinq millimètres et des mitrailleuses dix millimètres pour son autodéfense.
Ce coup-ci, on est bons... pensèrent-ils.
*
Marilyn, dans son AMC, se déplaçait dans le centre ville en direction du sud. Les rues avaient été vidées de leur populace dés que la sirène avait retenti. La consigne, pour les civils était de rejoindre les abris souterrains. Chaque maison, chaque usine, chaque boutique en avait un, les bâtiments officiels en avaient plusieurs. Ces abris, enterrés profondément sous terre, pouvait recevoir plusieurs dizaines de personnes chacun. Leurs accès étaient trop petits pour que les chimères puissent y pénétrer, de plus, les portes et les trappes qui y menaient étaient généralement blindées. Tout en s'assurant que personne n'était sur son chemin, la soldate entendait les ordres et les actions du contrôle-commande. Le centre névralgique de la défense de la ville. Les uns après les autres, les membres de l'escadron lui signalaient qu'ils étaient prêts.
« - Ici Oneshot, pour Leader Rock, Je suis en position sur une tour de la zone industrielle. J'ai une cible en visuel.
- Bien reçu Oneshot. Signalez sa position et sa direction. Puis recherchez les autres, répondit Marilyn.
- Position de la cible : route principale sud vers Marseille. Elle se dirige à faible vitesse en direction du centre ville. Pas d'autres cibles en visuel. »
De surprise Marilyn s'arrêta. Elle repensa à la discussions qu'elle avait eue avec Manuel la veille. Elle avait besoin de plus de précisions.
« - OneShot, ici Leader Rock, Donne-moi la description la plus fidèle possible de la cible.
- Reçu Leader Rock, La cible est une chimère jaune, elle porte des marques bleues azurs en forme d'hélice sur corps. Elle ressemble à un bouquetin caparaçonné avec des poils, environ cinq mètres de haut au niveau des cornes. Il semblerait qu'elle porte un espèce de casque et un collier brillants. La cible est blessée au niveau de la cuisse droite, je répète, la cible est blessée au niveau de la cuisse droite. D'après contrôle-commande c'est dû à l'unité de reconnaissance qui l'a repérée. Ils lui ont tiré dessus avant de prendre la fuite. »
Marilyn n'en croyait pas ses oreilles. Et elle demanda le visuel à Oneshot. Quand elle reçut les images, elle comprit que Manuel avait raison...
« - Leader Rock, ici Twister et Doux-dingue, nous sommes dispos pour le combat. Position au Lycée technique Francis Drake. Route du sud. Attendons les ordres, déclara comme une machine la voix de Fernand dans le casque de Marilyn.
- Doux-Dingue, ici Leader Rock, ta chimère jaune est ici, seule. Si tu as un truc à nous dire qui serait utile je t'écoute. Dans le cas contraire on va la transformer en passoire. Je te fais parvenir les images de Oneshot pour que tu me confirmes que c'est bien ce à quoi tu pensais.
- Leader Rock..., ici Doux-dingue, dit lentement Manuel en recevant les images dans son armure... je pense que c'est un émissaire.
- Un QUOI ? »
Dans son armure, Marilyn n'en croyait pas ses oreilles.
« - Je ne crois pas avoir le temps de m'expliquer Leader Rock. Mais comme promis hier je vous dis le résultat de mes recherches.
- Doux-dingue, ici Dionysos, t'as fumé ou quoi ? Depuis quand ces saloperies veulent discuter ? » D'autres pilotes y allèrent de leurs commentaires.
« - Escadron Rock, ici Leader Rock, bouclez-là cinq minutes, t'es sûr de ce que tu avances Doux-dingue ?
- Oui, c'est ce que je pense Leader Rock, je devrais même pouvoir m'en assurer sans risques. »
Marilyn réfléchit quelques secondes. Avant de contacter la base.
« - Contrôle-commande, ici Leader Rock. Répondez contrôle-commande.
- Leader Rock, ici Contrôle-commande, répondit une voix féminine, Parlez Leader Rock.
- Je demande la suspension de l'autorisation de tir de l'ensemble des escadrons présent autour et dans Clermont-Ferrand excepté l'escadron Rock. Il ne faut pas tirer sur la chimère jaune. Je répète, il ne faut pas la descendre. Je demande également la signalisation de toute chimère dans la zone concernée. Pas le temps de tout expliquer les raisons mais j'ai besoin de l'application de l'ordre.
- Je transmets la demande Leader Rock. Veuillez patienter. »
Quelques instants plus tard une voix masculine parla :
« - Major Targin, Ici le commandant Sarlen, Une seule chimère de repéré dans la zone, je laisse les escadrons en périphérie en alerte sans modifications d'ordres. Je ne sais pas ce que vous avez l'intention de faire avec celle-là mais je vous laisse une fenêtre de dix minutes à partir de maintenant. Votre escadron est sur écoute. Si ça merde, l'ordre est annulé d'office. Faites gaffe ! »
Dans son armure, Marilyn souffla en entendant cette affirmation. Sarlen était un vieux combattant qui avait souvent affronté les chimères et il avait l'habitude de faire confiance à ses soldats sur le terrain. Ce vieux filou ne mâchait pas ses mots quand il donnait des ordres et il ne prenait jamais de risques non plus. Elle savait également que son groupe allait encore être au devant de la scène et leur temps était compté. Ce qui l'ennuyait le plus, c'était qu'elle allait devoir faire un rapport des raisons qui l'on conduite à demander ces modifications d'ordres. Encore des papiers...
Elle devait désormais désigner celui qui allait diriger les opérations et elle savait déjà à qui elle allait donner ce pouvoir.
« - Escadron Rock, ici Leader Rock, Doux-dingue dirige les opérations, t'as dix minutes pour faire copain-copain. Après, elle passe au hachoir. Idem si elle tente quoi que ce soit. »
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