15 : Survivre (1/3)

Sur l'épaule de sa machine, Manuel achevait de remonter une pièce de blindage. Il discutait avec ce qui restait de l'escadron grâce à son casque. Il était dans le noir du tunnel depuis un petit moment maintenant. Combien, il n'aurait pu le dire, il avait perdu quasiment tout repère.

« - Comment ça va Leader Rock ?

- J'ai un peu mal au ventre, et Redcross m'a fait une jolie cicatrice.

- Arrête de te plaindre, répliqua le mis en cause, tu l'a pris dans le lard. T'as rien de grave.

- Il n'empêche que c'est douloureux.

- Se faire tailler la couenne n'est, à mon avis pas très plaisant, fit Manuel en regardant Tégos respirer.

- Tu veux essayer ?

- Nan, je ne suis plus très chaud là.

- Première fois sur le champs de bataille ? T'inquiète, ça passera, commenta Rocco.

- Tu en verras d'autres mourir, tout en espérant que ce ne soit jamais ton tour.

- Sinon, ta machine ? Demanda la chef de leur unité.

- Ça devrait tenir jusqu'à la prochaine salle de maintenance. Mais je n'ai plus de chauffage, de vision spécifiques et il faudra que j'évite les cabrioles. Je t'avoue que c'est surtout pour toi que je m'inquiète, ma machine, ce n'est que du matériel, c'est réparable.

- On ne te l'a jamais dit ? L'être vivant est la plus fantastique des machine. Et pense un peu à toi gros bêta. Je t'aime.

- Moi aussi je t'aime. Et j'ai peur pour toi.

- J'arpentais déjà les champs de bataille alors que tu étais encore à l''école. T'inquiètes, je saurais me débrouiller.

- C'est-y pas mignon tout plein... Commença Dionysos

- Dites-nous si on dérange, reprit Rocco.

- Fermez là les mecs, la jalousie ne vous va pas.

- Doux-dingue, ici contrôle commande. Dans quel état est votre machine ?

- Contrôle, elle est opérationnelle sans être optimale. Pourquoi ?

- Il semblerait que le tunnel soit praticable. Le groupe de Nemaya, n'a rencontré que quelques carcasses de véhicules, pas d'éboulis. Vous allez l'emprunter pour aller de l'autre coté des Pyrénées. Au pire, il y a des cheminées d'accès pour les secours que vous pourrez utiliser si le tunnel est écroulé quelque part.

- Ça fait près de cent kilomètres dans le noir et sans contact radio. Ce ne serait pas mieux d'attendre la fin de l'incendie à l'extérieur et de prendre un ADAV ?

- La priorité est de mettre la princesse en sécurité. Tant que ça brûle dehors, les Silridriss ne reviendrons pas. Ils sont certainement en train de penser que la princesse ne bougera pas. Raison pour laquelle elle va se déplacer vers le sud par le tunnel. Exécution.

- OK, ordre reçu.

- Et laissez Tégos à son sort.

- Négatif.

- C'est une chimère, laissez...

- Non, c'est un compagnon d'arme. La règle, c'est que tant qu'un souffle de vie l'animera, elle ne sera pas laissé seule. A moins que la règle ai changé.

- Doux-dingue, ici Leader rock. Débrouille toi pour bricoler un brancard et emmène-là, c'est un ordre. Je me débrouille avec le contrôle-commande. »

Merci Marilyn...

Le jeune pilote commença à regarder autour de lui, dans la pénombre, pour essayer de trouver comment bouger le corps de Tégos sans que celle-ci ne bouge, ni ne souffre de trop. C'est durant ses recherches que le petit groupe composé des deux chimères et de la pilote russe revint.

« - Vous vous êtes fâché avec vos supérieurs on dirait, déclara la princesse Salida un petit sourire s'esquissant sur ses babines.

- C'est une bande de boulets quand ils s'y mettent.

- C'est quand même étrange, vous n'avez pas d'animosité à notre égard, et cette compassion à l'égard de Tégos, qui ne vous aime pas du tout est surprenante.

- Quand j'étais gamin, mon père m'a un jour dit ''Le problème, ce n'est pas d'être un con, le problème c'est de le rester''. Je n'ai jamais connu le monde sans votre existence, se baser uniquement sur les dires ou l'animosité de certains pour faire des choix est complètement idiot. Je sais que la guerre a fait des millions de victimes. Elle a été sanglante, violente et apocalyptique dans pas mal d'endroit au monde... »

Salida regarda ailleurs, son visage félin terni par une tristesse qu'elle ne pouvait cacher.

« ... Mais, en gardant les rancœurs du passé, celui-ci se répétera, encore et encore. Je ne peux rien changer à ce qui est passé, ni le modifier, ni l'atténuer. Mais j'espère de tout mon cœur participer à la création d'un futur un peu meilleur. Pouvoir vivre avec celle que j'aime dans un coin tranquille ou mes enfants n'auront pas à subir ce que j'ai vécu, ni ce que je vis actuellement. Ce serait le bonheur. Ma rencontre avec Kouiros m'a permis de commencer à baser mes choix par rapport aux personnes, leurs capacités et leurs volontés. Les origines ou les apparences ne doivent avoir aucune importance du moment qu'ils veulent la même chose que moi. Réaliser cet objectif n'est vraiment pas simple. Et s'ils ont le courage de se battre pour ça, alors je me dois de les aider au mieux, comme ils le feraient pour moi... »

Manuel qui continuait à visser sa pièce métallique leva ses yeux vers la tigresse aux yeux bleu-argent. Celle-ci écoutait le jeune combattant d'une manière qu'il n'arrivait à définir.

« ... Utopique Hein ? »

- Non, difficile. Mais pas impossible.

- Alors vous connaissez encore bien mal mon espèce. Certains sont prêt à tout pour exterminer les vôtres. Et ces gens mettront autant de hargne à réaliser leurs objectifs que moi les miens. Mais les leurs sont plus simple. Il est tellement plus facile de détruire que de construire. Qu'il y-a-t-il ? »

Salida observait Manuel comme si elle le voyait pour la première fois. Cherchant presque les détails sur lui. La combinaison déchirée, la peau rougie, cette odeur de brûlée, ces quelques traces de sang. Elle l'analysait en détail, comme à la recherche d'un élément inconnu.

« - Rien, je me demandais comment un être aussi jeune pouvait avoir ce genre de maturité. C'est assez surprenant. »

Entendant cette petite explication, Le pilote ne put se retenir de rire. Un rire franc et frais avant de répondre :

« - Je n'ai aucun mérite à ce sujet : Ce sont les résultats de longues discussions avec mon père avant de dormir. Des trucs que ma mère ou ma sœur trouvaient souvent imbuvables. Un genre de joute verbale en quelque sorte, ça aiguise plus l'esprit que les cours à l'école. A condition d'avoir suffisamment d'arguments et d'esprit critique pour engager la conversation.

- Pourrais-je le rencontrer ?

- Après la guerre peut-être. En attendant, il faut trouver un brancard pour Tégos. Avez-vous vu quelque chose d'utile dans le tunnel ?

- De quel genre ?

- Genre une camionnette, une remorque de camion, un pick-up, quelque chose avec des roues en état de rouler.

- Oui, un peu plus loin.

- Montrez-moi s'il vous plaît. » Dit Manuel en s'installant dans son poste de pilotage.

*

Tégos vit la princesse partir avec la machine de Manuel dans les profondeurs du tunnel. Éclairé par le dernier projecteur fonctionnel que Manuel avait sur l'épaule droite. Elle vit également Sellgan commencer à les suivre avant de faire demi-tour pour inspecter la porte. La pilote russe les éclairait. Elle avait assis sa machine sur un reste de voiture qui avait plié sous son poids. La jeune femme avait ouvert la plaque pectorale et fumait une cigarette, dans la pénombre de son véhicule. Le point orange devint un plus lumineux que la normale quand elle aspira sur la fumée, éclairant le visage de la jeune femme. Ce fut à ce moment que leurs regards se croisèrent. Tégos y vit de la haine à l'état brut, froide, pure et sans limitations. Elle qui n'aimait pas l'Humanité, venait de voir toute l'étendue du sentiment humain à son sujet.

« Nemaya, elle, aurait préféré, t'achever... » Pourquoi ? Pourquoi préférerait-elle me tuer...

La chimère détourna le regard tout en recherchant dans la mémoire commune à son peuple des informations lui permettant d'identifier les raisons d'une telle animosité.

La guerre... oui, mais quoi d'autre.

Elle ne trouva pas grand chose sur la jeune femme. La chimère eut alors l'idée de rechercher dans la mémoire des informations liées à cette armure aux magnifiques enluminures orthodoxes. Elle n'eut pas à chercher bien longtemps. Ce qu'elle découvrit alors lui arracha un haut-le-cœur ainsi qu'une énorme envie de vomir. Le pouvoir qu'elle avait, bien que n'ayant rien à voir avec la tragédie qui avait retiré la parole à la guerrière russe, la dégoûta profondément. Elle qui se croyait à toute épreuve, senti une larme couler lentement sur son museau.

Quelle horreur...

*

Dans les ténèbres du tunnel, Salida guida Manuel jusqu'à la remorque qu'elle avait vue. Elle appartenait à un camion de livraison équipé de deux parties tractables. La première, attaché à ce qu'il restait de la partie moteur, n'intéressait aucunement le jeune homme. En revanche, la seconde lui paraissait plus intéressante. Quatre roues, et la barre permettant de tracter le véhicule la faisait ressembler à l'un de ces chariots que les enfants utilisaient pour jouer et transporter toutes sorte de choses. C'était le modèle au-dessus, le modèle pour les adultes en AMC.

« - Doux-dingue, ici contrôle commande, la conversation est sécurisée, les chimères n'entendent pas ce qui est dit actuellement, soyez discrets. Tapez deux fois sur votre micro pour confirmer. »

Le jeune homme tapa deux fois sur le micro tout en s'interrogeant sur toutes ces précautions.

« ... Très bien, vous avez désormais une mission prioritaire : Ne laissez jamais Nemaya et la princesse seules ensemble... »

Manuel, qui agissait jusqu'alors en tentant de ne rien laisser paraître s'arrêta un instant.

« ... Il y a un risque pour que Nemaya abatte la princesse par vengeance si on lui en laisse l'occasion... »

Il se releva d'un coup sec. Salida bondit en arrière de surprise.

« - Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle alertée.

- ... La probabilité est faible mais pas à exclure. Tégos a fait une découverte qui va nous contraindre à retirer Nemaya du service de protection. Elle a passé l'information à une autre chimère de la base. La princesse ne doit rien savoir : pas besoin de l'inquiéter plus que nécessaire. L'information doit rester secrète. Confirmez. »

Le jeune pilote tapa encore deux fois sur le micro de son casque avant de répondre à la grande tigresse.

« - Rien, une douleur dans le dos... je suis quand même passé au four et j'ai un peu la peau cuite. Douloureux sans être vraiment grave. Mais parfois, ça surprend. »

Le jeune pilote sorti la lame de sa machine et découpa le conteneur de la remorque pour n'en garder que la base roulante.

Tégos vit la princesse revenir avec le jeune combattant. Ils traînaient derrière eux une carcasse métallique qui roulait en couinant. De la manière la plus délicate possible Sellgan se servit des ronces pour déplacer le corps meurtri de Tégos sur le brancard improvisé. Manuel aida, à bouger le brancard durant la manœuvre. La princesse tenta d'aider également, poussant parfois sur l'élément roulant pour le positionner au mieux. Pas un seul instant, Nemaya ne bougea pour les aider. Elle se contentait de rester dans un coin, les éclairant de sa machine, une cigarette à la main. Une fois Tégos sur ce qui restait de la remorque, Sellgan voulu montrer quelque chose à Manuel. Ils se dirigèrent vers la porte.

*

Dans le centre de contrôle-commande, la tension était retombée. De son bureau, le Commandant Sarlen voyait la salle de commande de haut. Seules deux chimères étaient encore à leur postes. Les différents postes informatiques fonctionnaient avec le minimum d'opérateurs. Les dernières heures avaient été très éprouvantes pour tout le monde. Le vieux soldat regarda les différents protagonistes de cette scène sans vraiment penser à eux. Ils s'affairaient, vaquant à leurs occupations, s'arrêtant parfois devant une chimère pour donner une information ou en recevoir une. Son regard passa ensuite au bureau proprement dit. Un bureau, un siège, un ordinateur et une armoire pour ranger les documents importants. Mais il préférait l'ancien. Ici, ça sentait trop le neuf, la peinture et le joint siliconé pas complètement secs. Il regrettait cette vielle salle, avec ses murs un peu jaunis par les ans, ce vieux meuble qui, à chaque fois qu'il travaillait dessus, lui racontait une petite partie de son histoire. Il vit une chimère verte et orange s'approcher de sa vitre par laquelle il regardait. Il ouvrit la fenêtre pour pouvoir discuter, mais il aurait préféré recevoir un peu de vent sur la peau

« - Alors ?

- On lui a fait passer le message Arson. Il n'empêche que je ne peux pas en vouloir à Nemaya de vous haïr autant.

- Vous, les humains, vous faites des choses terribles quand vous vous énervez. Mon peuple n'est pas si différent. Et les tragédies qui se sont déroulées autrefois, compréhensibles sans être pardonnables, nous poursuivrons, vous, comme nous, encore longtemps.

- Honnêtement, allez-vous juger celui qui est responsable du merdier qu'il y a eu dans le Caucase ?

- Pour cela il faudrait qu'il soit encore en vie. Nemaya s'est rendu justice il y a un moment maintenant. Mais je comprend mieux la haine qui l'anime désormais. Et, quoi que nous fassions, celle-ci ne disparaîtra jamais... C'est triste à dire, mais c'est ainsi. Pourquoi n'aviez-vous pas vérifié ses antécédents ?

- Nous n'avions aucun moyen de savoir. Son supérieur lui-même ignore la vérité sur ce qui s'est passé dans ce village des montagnes. Il l'a trouvée là-bas dans cet état de mutisme. Il ne reste plus qu'a espérer qu'il ne se passe rien de fâcheux durant la traversée du tunnel. »

*

*      *

*

« - Vous êtes sur de ce que vous avancez ?

- Tout à fait contrôle-commande : Le prétendant Sellgan a raison, la porte a bel et bien des traces de soudures. Sur une hauteur d'un mètre à partir du sol. Quelqu'un à soudé cette porte de l'intérieur.

- Des survivants ?

- Aucune trace. Peut-être plus avant dans le tunnel.

- Soyez prudent. La protection de la princesse passe avant toute autre considération. S'il y a des survivants de la dernière guerre, veillez à ce qu'ils ne vous bloquent pas le passage.

- De quelle manière ? Demanda le pilote un peu choqué du ton et des termes employés.

- Prenez toutes les mesures nécessaires pour ça.

- Hors de question que je tire sur un autre homme.

- Ce sera à vous de voir, mais vos ordres sont absolus.

- Vous me faites chier avec vos ordres à la con, murmura-t-il avant de reprendre plus fort : Doux-dingue ordre reçu. Fin de communication. »

Manuel coupa le retour de son avant que le centre de contrôle ne lui donne d'autre ordres. Il se détourna de la porte pour faire face au petit groupe.

« - Tout le monde est près ? On y va ? »

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