12 : Nemaya (3/3)

Bon, bah, va falloir y aller...En finir avec cette histoire.

Manuel s'élança en vitesse hors du parking.

Nemaya réagit instantanément en sortant du supermarché par l'entrée. Fracassant les vitres et les structure en aluminium. Elle tourna immédiatement en direction de Manuel ; elle aussi à pleine vitesse.

Manuel regarda la carte :

Manœuvre « surprise » prévue à la prochaine intersection. Espérons qu'elle fonctionne...

Il s'approchait de l'intersection en question. Dès qu'elle fut à distance de fumigènes, il les lança, noyant l'intersection sous un gaz chaud et opaque. Puis, il projeta une carcasse de véhicule dans le gaz avec un coup de pied avant de s'y laisser glisser sur le dos avec son propre élan.

Ce qui devait arriver arriva : Nemaya noya l'intersection sous un tir nourri.

Manuel, derrière la carcasse, attendit qu'elle stoppe son tir. Il prit des coups : la carcasse de voiture n'arrêtait pas les balles de trente millimètres. Mais elle diminuait leur vitesse, et, par conséquent, leur capacité à pénétrer son armure.

Ça fait mal quand même...

Puis, il régna un silence de mort.

La russe savait qu'elle n'avait pas touché Doux-dingue : son point était toujours sur la carte. Mais elle avait conservé sa position pour savoir comment il avait pu survivre à ce tir... Lui la voyait sur sa carte. Il reporta son attention sur son fusil.

Et merde ...

Il lui manquait le chargeur et le système de chargement dans la chambre de percussion.

Un tir avait atteint le fusil.

Bon... je vais devoir improviser mon truc plus tôt que prévu...

Lentement, il sorti sa lame courte. Tentant de réduire les bruits, il se savait tout de même limité en temps. Il plaça le manche de l'arme blanche dans la bouche à feu du fusil. Il le rentra en forçant un peu, le fusil inutilisable était désormais équipé d'une baïonnette.

Il se laissa glisser hors de sa cachette, dans le gaz qui commençait à se dissiper, cherchant Nemaya du regard.

Il la trouva sur le coté droit de la rue. Alternant une position de défense avec son bouclier et celle d'attaque avec son arme de manière totalement aléatoire.

Lentement, Manuel épaula.

Ne pas la manquer, ne pas la manquer...

Il ne pouvait s'empêcher de se le répéter.

Soudain, il tira avec le grappin. Il entendit la détonation et vit la pince foncer vers la russe avec une incroyable lenteur. Derrière, le câble ondula comme un serpent. Il attrapa la jeune femme à la poitrine après un temps qui lui parut incroyablement long. Elle vit immédiatement où il se trouvait.

Elle ne comprit pas pourquoi il tirait avec le grappin et le mit immédiatement en joue. Elle fit feu au moment où Manuel activait le tracteur et lâchait son arme.

Il subit le tir et vit les mots en rouge, symboles d'une mort atroce s'inscrire sur son écran.

Alors, je t'ai eu ou pas ?

Il ouvrit son simulateur. Les douleurs qui lui parcouraient le corps lui rappelaient étrangement son premier combat contre l'escadron Rock. Il avait du mal à faire bouger ses doigts tant ceux-ci étaient crispés.

Le jeune pilote quitta son simulateur en sueur, et s'assit sur la carcasse métallique de la machine. Un autre simulateur s'ouvrit. Mais la personne qui en sortit le fit comme si le diable était après elle. Manuel reconnut Nemaya. Elle jeta son casque contre un mur de la salle avant de se diriger vers lui. Elle était visiblement très en colère.

Apparemment, tu t'es prise la baïonnette... si tu veux finir ça à la main...

A moins d'un mètre, elle fit demi-tour, quelques pas, pour finalement revenir. Elle se passait les deux mains dans les cheveux en sueur. La colère l'empêchait de réagir correctement, elle voulait réagir, elle devait réagir... Mais visiblement, elle ne savait pas comment.

Eh mais... elle pleure ?

Un applaudissement se fit entendre, rapidement suivit de plusieurs autres. Les Rocks et les Demony, répartis sur le caillebotis menant à la salle de commande applaudissaient de manière égale les deux soldats. Les russes félicitaient Nemaya dans leur langue, et Rock faisaient de même avec Manuel. Vohzd' descendit et se dirigea vers eux, rapidement suivi par les deux escadrons.

Il commença par poser sa main sur l'épaule de Nemaya, et il lui parla doucement en russe. Elle se dégagea et se dirigea rapidement vers la sortie.

« - Pardonner à Nemaya, première fois perdre, expliqua le chef russe.

- Il en faut bien une... c'est mieux dans un simulateur. Et puis, je suis mort avant elle non ?

- Exact.

- Au fait, pourquoi m'a-t-elle attaqué ? Moi j'ai rien compris.

-Je ne sais pas. Mais je vais essayer de savoir.

- Si vous avez une raison, hésitez pas à venir me la dire, que je sois en mesure de m'excuser si besoin. »

Vohzd' hocha la tête avec un sourire avant de quitter la salle à la suite de Nemaya. Manuel commença à faire les cent pas dans la salle. Il sentait ses muscles, tendus au possible, reprendre peu à peu leur état normal. Marilyn commença à le suivre.

« - Y'a pas a dire. Tu pilotes vraiment comme un taré de première.

- Merci.

- Je tenais à m'excuser.

- De quoi tu parles ? Interrogea Manuel.

- C'est moi qui ai proposé le mode surhomme. »

Manuel se stoppa immédiatement.

« - Tu plaisantes là ?

- Non, mais je n'aurais jamais pensé que tu serais pris pour cible. Désolée. »

Manuel toussota avant de continuer :

« - Évites d'y mêler tout le monde la prochaine fois. J'avais rien à voir dans cette histoire.

- Ça, c'est une idée de Vohzd' ,et je ne ferais pas la même erreur. Promis.

- OK, bon, moi je vais passer à l'infirmerie si tu n'y vois pas d'inconvénient : je vais demander à ce que l'on me soigne mon bleu.

- Ton bleu ?

- Oui, mon corps ! »

*

* *

*

Manuel s'était assis sur un tas de palettes, derrière le hangar confié aux chimères. Il était passé devant les gardes chimères qui l'avaient regardé d'un œil soupçonneux. Mais il s'en était moqué : il voulait être seul. Et, depuis que la zone abritait des chimères, nul ne voulait vraiment s'en approcher. Derrière le bâtiment, il y avait tout un empilement de bidons, de palettes, un échafaudage démonté sous une bâche... Un débarras.

Il était passé à l'infirmerie où le médecin lui avait donné une pommade contre la douleur.

Quelque soit le prix que l'armée a payé ce truc ils se sont fait arnaqués : ça n'a pas d'effets.

Lentement, mais sûrement, son corps se couvrait de ces taches noires et bleues qui le faisaient souffrir. Le froid de l'hiver, lui, commença à anesthésier ses douleurs. Il était étonnant de constater que cette morsure glacée de l'air extérieur arrivait à faire naturellement ce que cette pommade était incapable de réaliser. A moins que ce ne soit la combinaison des deux... Il s'en contrefichait, ce qui l'intéressait c'était que la douleur diminue un peu, voire disparaisse.

Il eut un sourire en pensant à ce que sa mère aurait pu dire s'il était rentré chez ses parents. Mais il habitait ailleurs maintenant. Il avait besoin de faire une pause, de ne penser à rien, de ne plus bouger. Il s'était donc installé là où peu de personnes auraient pu le trouver. Là où, les chimères, terribles créatures, habitaient. Malgré la guerre. Il constata que la plupart des appelés cherchaient le contact avec elles. Ce n'était pas vraiment le cas des vieux soldats qui, si on avait demandé leurs avis, auraient préféré recevoir les chimères avec des balles plutôt qu'avec les honneurs.

Lentement, il voyait le ciel devenir de plus en plus sombre. Les étoiles commençaient à scintiller dans le ciel. Mais c'était traître, il n'était pas si tard que ça, seize heures à sa montre.

« - Enfin je vous trouve. » Une chimère semblable à un tigre blanc se tenait dans l'allée.

Merde... pas elle...

« - Bonsoir princesse, répondit Manuel en se disant qu'il valait mieux rester poli avant le sujet qui fâche. Il préféra d'ailleurs s'y lancer directement : Je suis désolé, j'ai fait une bêtise qui vous empêche de trouver votre compagnon parmi les prétendants...

- Non. »

Il vit la grande tigresse blanche et bleue s'allonger dans la petite rue. Les ailes multicolores bousculèrent quelques bidons disposés dans l'allée. Ils tanguèrent un court instant dans un bruit métallique plus ou moins vide avant de s'immobiliser. Le jeune homme ne savait pas trop comment exprimer le fait que son erreur lui pesait.

« - Je ne doute pas un seul instant qu'ils reviendront. Sellgan le premier. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'aucun d'entre-eux n'a la mentalité, le courage ou la droiture nécessaire pour être roi. A ce sujet, je vous remercie pour cette ''erreur'', je peux respirer un peu plus... mais ça ne change rien au problème : je vais devoir choisir parmi eux quand mon pouvoir se déclarera. Le choix est des plus réduits. Je sais déjà que Sellgan n'est pas dans les options probables.

- Ha ? »

Manuel remarqua une vague de tristesse et de lassitude passer sur le visage félin. Elle posa sa tête sur ses pattes de devant tout en continuant de le regarder.

la descendante du roi, la guide de notre peuple, celle qui enfantera le futur prince ou la future princesse

Les mots de Sellgan lui revinrent en tête. Et la réalité le frappa : La princesse n'était pas libre de choisir son compagnon comme toutes les autres chimères ou comme aurait pu le faire n'importe quelle femme. Elle se devait de choisir celui qui serait le plus apte à être roi. L'amour et tout les autres beaux sentiments n'avaient pas leurs place dans cette histoire. Beaucoup des autres femelles chimères devaient se dire que ce serait génial d'être la princesse... Mais, sur le moment, Manuel vit que Salida aurait été ravie d'échanger sa place avec la première venue. Elle releva la tête pour vérifier que personne ne se trouvait dans les parages avant de continuer :

« - J'aimerais pouvoir vous dire certaines choses, mais j'aimerais être sûre que vous n'en parlerez à personne. Même pas à vos supérieurs.

- Bien sûr. Mais... pourquoi moi ?

- Vous êtes Humain. Vous n'êtes pas chimère, comme vous nommez ceux de mon espèce. Et, en dépit du fait que vous êtes un mâle, je vous vois mal tenter de me séduire. Par conséquent raconter dans la mémoire ce que je vais vous dire, ou bien le conserver pour vous pour tenter d'en tirer parti est hors de propos. Je vous ai vu vous battre aujourd'hui, et je sais que si vous décidez de ne pas parler, vous forcer sera particulièrement difficile. Mais avant toutes chose je tiens à savoir si vous êtes près à les conserver pour vous. »

Manuel réfléchit un moment. Il ne se voyait pas non plus avec une créature monstrueuse de plusieurs tonnes pour petite amie. D'autant qu'il avait déjà quelqu'un. Le soleil s'était couché. La température continuait à descendre. Les unes après les autres, les lumières de la ville s'allumaient.

« - Il y a de fortes chances pour que je sois interrogé par mes supérieurs. Si n'y a aucun risque pour les miens, je répondrai des banalités. En cas de risques, je leur dirais où regarder mais sans entrer dans les détails. Ça vous va ?

- Je prends ça pour un oui alors. »

Manuel vit le visage de la chimère s'éclairer : elle pouvait avoir une certaine confiance envers quelqu'un de désintéressé.

« - Pour commencer, je vais être franche, vous n'auriez pas pu éviter l'erreur avec les informations que vous aviez sur le moment. Je pense que Sellgan avait tout calculé...

- Quoi ?

- Du calme...murmura le princesse. Je vais tout vous expliquer. Pour commencer, Sellgan aurait pu être un choix raisonnable, il est intelligent et assez apprécié du peuple. Mais, ce qui me dérange, c'est que derrière cet aspect correct se cache un individu manipulateur, calculateur et pas toujours très honnête. Kouiros l'a bien compris. Et, lorsque Sellgan est venu lui demander son soutien, Kouiros a refusé. Il faut savoir que Sellgan n'accepte pas les refus, quels qu'ils soient, et de qui que ce soit. Il devait donc se venger de Kouiros. Mais, Sellgan ne lui arrive pas à la cheville en popularité. L'attaquer par là ? Inutile. Chercher à le dé-crédibiliser par la parole ? Pour cela il faudrait que Kouiros accepte un débat.

Sellgan déteste votre espèce. Il était au courant de votre amitié naissante. Que vous soyez ignorant de pas mal de choses nous concernant faisait de vous une proie de choix. Tant pour ses idées au sujet de l'Humanité que pour sa vengeance sur Kouiros. Par conséquent, il savait pertinemment ce qu'il faisait.

- Comment faire pour réparer mon erreur ? D'autant que Kouiros semble m'en vouloir, demanda Manuel.

- Vous ne pouvez pas. Laissez, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Si vous vous inquiétez au sujet de Kouiros, sachez qu'il ne vous considère pas comme responsable de ce qui s'est passé. Bien au contraire, il vous considère comme une victime de Sellgan. Il a limité les dégâts en vous interrogeant juste après, en expliquant comment ça se passait chez vous. Mais sa colère envers Sellgan est bien réelle. J'ai un peu peur que cela ne dégénère entre-eux.

- Kouiros est mon ami. Si ça dégénère, Sellgan aura deux problèmes au lieu d'un.

- Ne vous en mêlez pas s'il vous plaît. Vous pourriez gêner Kouiros. Et faire des torts à votre propre espèce. Ne sous-estimez pas le verbiage de Sellgan et les conséquences que pourraient avoir... »

La princesse se tut au beau milieu de sa phrase. Deux yeux rouges luisirent dans la pénombre. Ils allèrent vers Manuel, puis vers Salida une dizaine de fois. Sortant sans bruits de la pénombre, Tégos alla s'allonger sur le sol un peu plus loin. Désormais, ils étaient trois dans la petite intersection. Voyant qu'aucun des deux ne parlait, elle comprit que sa présence gênait. Mais elle s'en moqua.

« - Puis-je compter sur votre discrétion ? Et sur le fait que vous ne vous mêlerez pas de ses problèmes ?

- Pas de problèmes. Mais s'il m'appelle, ou qu'il a besoin d'aide, je serais là.

- De quoi parlez-vous ? Demanda Tégos en relevant la tête. Princesse, je vous suggère de faire extrêmement attention à vos dires...

- Tégos, j'apprécie beaucoup que tu t'inquiètes pour notre espèce, ou pour moi-même. Mais cela ne te concerne pas, de près ou de loin.

- Toi. Je ne sais pas ce qu'elle t 'a dit mais je te conseille de tenir ta langue si tu tiens à rester en vie.

- Tégos ! »

Manuel eut peur. Il ne dit rien, il n'était pas dans sa machine, Tégos était véritablement menaçante. Qu'il y eut des choses qui lui ait été dites sans qu'elle-même ne soit au courant ne lui semblait pas concevable. Si la princesse n'avait pas mit le holà tout de suite, elle lui aurait certainement sauté dessus.

Sa peur passa à de la terreur quand il remarqua que ses yeux étaient blancs vitreux. Elle se préparait à frapper. Comme une souris prise sous le regard hypnotique d'un serpent, il en fut tétanisé. Il aurait pu tenter de s'enfuir, mais pour aller où ? Il était déjà dans un couloir, le temps qu'il en sorte, il aurait été tué une dizaine de fois.

Mais les yeux de Tégos redevinrent rouges. Elle ne fit rien. Elle se contenta de détourner la tête. Mais elle bouillait de colère, c'était visible.

Quand le jeune homme pu enfin faire quitter son regard cette créature de cauchemar. Il regarda la princesse. Elle était en colère. Et ce n'était pas la colère d'enfant gâtée qu'elle lui avait fait sentir la première fois.

La mémoire... Elles viennent de s'engueuler... et, on dirait que la princesse s'est faite respecter. Encore heureux, je me voyais déjà cuit !

Mais la nouvelle arrivée avait détruit cette ambiance de discussion cordiale qu'ils avaient crée. Manuel ne se sentait plus en sécurité avec ce monstre prêt à lui sauter dessus à la première occasion. Il prit congé auprès de la princesse, et, avant de partir, il glissa à Tégos : « Je trouve dommage que tu veuilles faire de moi ton ennemi. ».

La chimère ne bougea pas d'un iota ni ne répondit. En revanche, elle réagit en sortant ses griffes qui entaillèrent profondément le sol en béton.

Manu, arrête tes conneries et tires-toi de là en vitesse ! Hurla son instinct de survie.

Il essaya de partir le plus naturellement possible. Mais ce fut tout de même un peu précipité.

* * * * * *

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