1: Tests (1/3)

Manuel, enchâssé dans son armure, se déplaçait avec son escadron dans une ville dévastée par les combats. Il devait rejoindre une position fortifiée tenue par une unité de cavalerie blindée alliée. La zone était dangereuse, il avançait avec autant de rapidité que de précautions. Il se trouvait maintenant à trois cents mètres de son objectif.

Le radar signala une présence sur la droite, en approche rapide.

Merde, trop près !

Il fit pivoter son armure à temps pour voir son adversaire à dix mètres de lui. Vitesse, armement, position, tout chez son adversaire fut analysé en une fraction de seconde. De même que sa riposte.

L'engin adverse semblait équipé d'une lame courte et un pistolet. Lui, avec son fusil d'assaut n'était pas équipé pour le corps à corps. Le reste de l'escadron ne pourrait pas intervenir car tous étaient dans un angle mort.

Le tout pour le tout !

Il lâcha le fusil, au moment où son adversaire n'était qu'à deux mètres. Il le sentait trop confiant pour utiliser son pistolet, ou tentant d'économiser ses munitions. Pour cette même raison il devinait que le mouvement prochain viendrait du bras équipé de la lame.

De sa main droite le jeune homme dévia le coup provenant de la lame, et de la gauche il attrapa le pistolet adverse pour l'empêcher de s'en servir. Son adversaire surpris par une telle manœuvre se retrouva bloqué un court instant.

Manuel, lui, n'était pas bloqué, il avait déjà prévu le prochain coup. Un truc qui aurait horrifié des pilotes instructeurs. Un coup de tête. Une manœuvre à détruire les équipements de sa propre armure.

Si les deux derniers mouvements avaient fait fortement vibrer l'armure, le coup de boule secoua tellement la carcasse métallique que son crâne tapa violemment le repose-tête.

Vive les casques !

L'écran était maintenant parsemé de stries blanches et grises. Sa caméra principale avait du être légèrement endommagée. Peu importait, sa manœuvre avait réussie. Surpris, son ennemi avait lâché le pistolet, perdu l'équilibre, et tombait maintenant à la renverse.

En un seul mouvement, il ramena le pistolet adverse dans sa main droite et activa la caméra de secours.

Bloqué. Plus de mouvements possibles. Écran clair mais statique.

Quoi ? Qu'est-ce que ...

L'écran passa au noir avant de marquer en lettres vertes : « Simulation interrompue ». Lentement, l'énorme mécanisme de simulation s'ouvrit. Laissant apparaître une personne au visage grave, en costume gris et blouse blanche. Ses yeux d'un vert sombre laissaient transparaître un mélange de tristesse et de gêne. Une peau un peu bronzée et des cheveux noir terminaient le personnage mal rasé.

« - Il me semblait t'avoir déjà demandé de ne pas prendre les simulateurs du centre pour des consoles de jeux vidéo Manuel. Tu sais ce qui se passera si jamais on t'attrape là-dedans ?

- Ce ne sont pas des jeux vidéo papa, et ils ne m'attraperont pas. Comment s'est passé ton expérience ? demanda le fautif en tentant de changer de sujet.

- Mal. Rentre à la maison, dis à ta mère que je dois rester un moment ici.

- Comme d'habitude quoi. »

Pris sur le fait, Manuel sorti de la carcasse du simulateur. Il était vêtu d'un jean bleu délavé et troué en certains endroits, de baskets élimées, d'un tee-shirt noir et d'une veste de la même couleur.

Il retira son casque, pour l'occasion un simple casque de moto-cross récupéré dans une brocante, repeint en bleu et décoré de décalcomanies de schtroumpfs et autres autocollants enfantins hors d'âges. Il avait les yeux bruns toujours pleins de joie de vivre et ses cheveux noirs, hérités de quelques lointains ancêtres d'Amérique du sud tombaient autour de son visage. Contrairement à ses yeux, ils semblaient démotivés, comme s'ils se plaignaient à leur propriétaire de la vie sous un casque.

La pièce était longiligne, avec deux rangées de cinq simulateurs qui se faisaient face. La décoration était réduite au strict nécessaire : murs de protections anti-bruits et le sol caoutchouté. A cinq mètres au dessus, derrière une vitre antibruit se trouvait le centre de contrôle des simulations.

Le jeune pilote regarda l'opérateur qui lui répondit par un mouvement d'épaules désolé.

Avant de sortir il tapota sur un autre simulateur.

« - Sort de là, on s'est fait griller. »

La machine concernée s'ouvrit pour laisser sortir une personne avec un casque de football américain. Il adressa un signe de la main au père de Manuel qui lui répondit en lui montrant la porte. Après un salut militaire raté celui-ci sortit à la suite de Manuel.

Quand les deux jeunes furent partis, le simulateur en face de celui de Manuel s'ouvrit dans un sifflement. Le père de Manuel se retourna pour voir une silhouette féminine, combinaison et casque kaki, sortir de la machine.

« - Après deux ans d'opérations en Afrique et en Asie ; je n'aurais jamais cru prendre une telle déculottée, déclara la silhouette en retirant son casque, laissant apparaître un visage balafré avec une magnifique chevelure brune. Ainsi qu'une bosse.

- Major, puis-je compter sur votre discrétion au sujet de leurs présence ici ?

- Je serais particulièrement ennuyée si le fait qu'un gamin d'à peine vingt ans ait pu me maîtriser en une seule action venait à se savoir. Qui plus est je suis ici à la demande du commandant. C'est votre fils ?

- A mon grand désespoir oui. Tout le monde connaît vos faits d'armes, vous n'avez pas à rougir : Il a eu de la chance c'est tout. »

Le major s'assit sur la coque de son simulateur, se massant la bosse au front, pensive.

« - Vous dites que vous êtes ici à la demande du commandant ? repris le père de Manuel. Pourquoi ?

- Notre très cher commandant à eu vent de l'addiction de deux jeunes pour ces simulateurs, expliqua la soldate en mettant sa tête en arrière pour se détendre les muscles cervicaux. Et il m'a demandé de m'occuper d'eux : les secouer suffisamment pour qu'ils ne se servent plus des éléments du centre pour leurs loisirs.

Le dégoût : le meilleur moyen pour les empêcher de faire des âneries, dit-elle en un sourire, Mais je n'aurais jamais cru que ce serait moi que me ferais secouer. A tel point que je me demande si c'était vraiment de la chance.

- Pardon ?

- Non rien. J'ai une faveur à vous demander professeur Ferreira... Repris le major avec un sourire non dissimulé. »

Connaissant la combattante de par ses faits d'armes le père de Manuel s'attendait à tout sauf à ce qu'elle allait demander.

*

* *

*

Manuel sortait du centre lorsque son ami vint le rejoindre, l'entrée semblait à celle d'un collège, à ceci près qu'il n'y avait pas de guérite pour entrer dans un collège. Dehors, le soleil se couchait. Son ami regarda sa montre.

« - Bon bah écoute moi je vais devoir rentrer chez moi, sinon ma mère va encore m'accueillir à coups de fusil.

- Pas de soucis, moi je vais passer à la casse, Ils ont reçu un vieux TKZ russe dernièrement. J'espère pouvoir y trouver des pièces que je cherche. On se voit demain ?

- Ça me va, je passerais dans l'après-midi.

- OK a demain.

- A plus. »

Le jeune homme resta dehors à regarder le soleil se coucher sur la ville nouvelle. Les lumières rouges du couchant semblaient allumer les différents néons qui allaient illuminer la nuit. Puis, lentement, son regard dévia vers la droite. Il passa d'abord la zone industrielle, reconnaissable à ses cheminées crachant de la fumée blanche. La lumière du soleil renforçait l'aspect calorifère des massives installations. L'astre du jour créait un reflet chromé sur les différentes tours, on aurait cru des traits de lumières verticaux crachant des nuages de fumée. Enfin il arriva à la zone dévastée, là-bas, il y avait encore pas mal de monde qui vivait en dehors de toutes lois. Là les rayons lumineux semblaient rendre les ruines encore brûlantes des différents incendies qui y avaient eu lieu.

La guerre.

Il n'avait pas connu celle-là. Il était né vers la fin. Mais les traces qu'elle avait laissées étaient autant visibles dans le paysage que dans le cœur des gens.

Le jeune homme marcha en direction de la zone industrielle.

« Si vis pacem, para bellum » disait le proverbe : si tu veux la paix prépare la guerre. Lorsque l'humanité avait signé l'arrêt des conflits internes, tout le monde était aux anges. ''Une époque nouvelle'' disaient certains. ''Une humanité unifiée'' disait d'autres. Un monde sans armes... c'est vrai que cela pouvait faire rêver l'Humanité toute entière depuis des générations.

Une erreur monumentale oui.

Trois générations après avoir enterré les armes, une faille dimensionnelle apparue en Angleterre. En Écosse précisément. Sur le coup personne n'avait compris ce qui se passait. Le gouvernement Anglais encore moins que les autres. Mais la tentative d'invasion avait commencé.

Les chimères qu'on les appelait. Du moins c'était le nom que leur donnaient la plupart des gens.

Manuel n'avait jamais vu de chimères autre part que dans des livres d'histoire, des photos et sur quelques vidéos. Mais ce qu'il avait vu et lu lui suffisait.

Les chimères pouvaient prendre toutes sortes de formes. Généralement, elles avaient des aspects de créatures légendaires, ou bien d'hybrides sortis tout droit de l'imagination d'un savant fou , une force herculéenne, une résistance hors normes et des pouvoirs terrifiants. Raison de la création des AMC.

AMC, trois lettres qui signifiaient : Armure Mobile de Combat.

A l'origine, c'étaient des armures pour les zones sinistrées, catastrophes naturelles, accidents chimique ou nucléaires. Elles mesuraient généralement trois à quatre mètres de haut et la plupart ressemblaient morphologiquement aux hommes. Lorsque les chimères apparurent, face aux pertes énormes dues au besoin de réapprendre à se battre, ces armures furent utilisées pour protéger les pilote/combattant des attaques de chimères. Les résultats, bien que inférieurs aux attentes furent satisfaisant et permirent une reprise en cinq mois de l'Angleterre notamment autour de la zone de faille.

Pendant les deux ans qui suivirent toutes les ressources naturelles, scientifiques, et techniques du monde furent fixées au point de la faille. Le but était de la comprendre, de savoir qui étaient les chimères et, surtout de leur fermer le passage le plus vite possible.

L'union sans conflit.

Puis l'union dans le conflit.

Manuel arriva à la casse. Il dépassa le gardien avec un signe de la main. Connu par ce dernier pour être un client régulier, il passa sans soucis, ni demande particulière sur ce qui était recherché. Il vit alors l'antiquité russe de ses yeux, assise contre une voiture, elle portait des traces de griffures et le bras gauche de l'armure était manquant. Le matériel russe n'était pas connu pour ses performances exceptionnelles ; en revanche, sa fiabilité n'était plus à prouver.

Ça tombait bien : Manuel récupéra des roulements à billes, un bloc énergétique, la main restante de la machine, un lot de cartes d'automates, et le bloc mémoire.

Il paya à la caisse de la casse, sans chercher à négocier le prix : les pièces ici récupérées l'arrangeaient bien.

Sur le chemin du retour il repensa encore à ce conflit, lorsque la faille fut refermée, personne ne sait véritablement comment, les chimères avaient déjà essaimé partout dans le monde. Elles avaient causé des dégâts incommensurables, sans compter les pertes en vies humaines. Des villes entières avaient été rayées de la carte, leurs habitants exterminés. En y réfléchissant, l'Humanité était passé proche de l'extinction : de dix milliards d'habitants, on était passé à deux milliards. Les chimères ne faisaient pas de prisonniers, et rares était les personnes à les avoir croisé sans en payer le prix. Aujourd'hui, on ne voyait plus de chimères, mais, on savait où elles étaient : des zones entières du monde n'étaient plus habitées. Dans ces endroits, la nature avait repris ses droits. Les hommes lançaient souvent des expéditions pour tenter d'en déloger les terribles créatures, et, par la même occasion, reprendre possession des lieux.

Chemin faisant, il arriva devant chez lui. Le bâtiment avait été construit à la va vite après la guerre. A l'époque, le nombre de réfugiés était énorme. Et les besoins étaient tels que les bâtiments de l'époque avaient plus eu pour but de protéger des intempéries que de faire dans l'esthétique. C'était une bâtisse faite sur deux étages, au rez-de-chaussée un garage, la boulangerie familiale et, entre les deux, l'entrée de l'appartement. Une partie du toit du garage aurait dû servir pour un balcon, mais il n'avait pas été terminé : il manquait toujours la rambarde.

Il frappa à la porte.

Une femme aux yeux vert et aux cheveux roux un peu bouclés et vêtue d'un tablier vint ouvrir.

« - Bonjour mon chéri tu vas bien ? demanda-t-elle en ouvrant la porte. Ce faisant, elle découvrit la prothèse mécanique qui remplaçait son bras.

- Bonjour maman. Papa a dit qu'il rentrerait tard ce soir.

- Ah ? Tu te prépares ? Ta sœur ne va pas tarder, on va manger.

- Je préférerais attendre papa, après tout, demain on est dimanche on se fiche de l'heure à laquelle on se lève.

- Comme tu veux »

Le regard de Manuel se posa sur le bras de sa mère. La prothèse partait de l'épaule, elle avait les proportions d'un bras naturels et, sur l'avant-bras, toujours cette plaque d'enluminures gravées. Il avait huit ans quand il l'avait faite pour la fête des mères. A l'époque il trouvait que la plaque qui s'y trouvait plus tôt était moche. Il avait entendu une seule fois comment sa mère avait perdu son bras, mais l'histoire était gravée dans sa mémoire.

Lorsque les chimères avaient attaqué Clermont-Ferrand peu après la fermeture de la faille, ses parents et sa sœur avaient tenté de fuir la ville par la route, sa mère étant enceinte. Une chimère volante arriva en sens inverse sur l'autoroute, et avec ses serres avait déchiré le toit de la voiture comme s'il ce n'était que des feuilles de papier, emmenant avec elle une partie des sièges et le bras de sa mère. Son père, blessé lui aussi, réussit à conserver le contrôle du véhicule et trouva peu après un camp de l'armée. Les premiers soins leurs furent apportés et les militaires lui posèrent un bras artificiel. Les techniques de clonages permettaient depuis quelques années de remplacer les membres manquants, malheureusement, l'armée en campagne ne disposait ni du temps pour faire le clonage, ni des ressources matérielles nécessaires, quant à l'hôpital de la ville, il fut réduit en cendre dans les premières heures de l'attaque. Le bras devint du provisoire qui dure.

Manuel monta les escaliers qui menaient au-dessus du garage, en haut, à sa gauche, deux pièces, une donnant sur le potager à l'arrière et l'autre sur la baie vitrée et le balcon pas fini ; à droite, deux autres pièces, la première, était la chambre de ses parents et la seconde, le salon-cuisine-salle à manger.

Il ouvrit la porte de la chambre de sa sœur, qui donnait sur le potager. Un lit deux places, un bureau et une quantité non négligeable de matériel informatique empilé ça et là. La lampe de bureau était encore allumée. Il sortit les cartes d'automates récemment récupérées et les posa sous le halo de lumière crée par la lampe. Il ferma la porte en sortant.

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