1er texte concours d'écriture de @Soooppphhhiiiaaa
PREMIER TEXTE, CATEGORIE FANTASIE 5000 MOTS :
"Sortir de l'encadrement de toile, qui me protégeait de la vision de mes amis au regard embué à quelques mètres, fut bien plus difficile que je ne me l'étais imaginé. Je tâchai de garder le regard droit, porté sur les épaules de celui qui me précédait.
Mais lorsque celui-ci se hâta de quitter le rang, les joues humides, je dus m'arrêter pour supporter la douleur qui me serrait le cœur à cet instant. L'homme se précipita au travers de la foule et une femme se jeta dans ses bras, sanglotant amèrement. Les yeux écarquillés, je remarquai que la moitié de son visage avait été consumé par les flammes et que son bras droit était soutenu par un épais bandage. Elle ne pouvait donc pas combattre.
Je dus me contenter de respirer lentement, refusant de m'abandonner aux larmes. Cette image me ramenait directement à Sinna. Et pourtant aujourd'hui, tout nous séparait.
Mais le souffle me manqua lorsque je fus percuté de plein fouet. Je baissais les yeux, ruisselants de larmes, et vit que Jeane me serrait étroitement dans ses bras, les larmes roulant silencieusement sur ses joues. George la succédait, lui plus lent. Il nous amena auprès de lui et nous serra contre son large buste. Je pouvais sentir son cœur battre la chamade, sa respiration se hacher sous les coups des pleurs. Les yeux écarquillés, je peinais à respirer, le souffle coupé par la douleur qui me serrait les entrailles et la gorge.
Je ne connaissais ces deux-là que depuis un an à peine. Et pourtant ils étaient là tout ce qu'il me restait. Ils étaient mes meilleurs amis.
-J'voulais qu'on soit dans la même escouade, se plaignit Jeane en reniflant bruyamment, sans pour autant nous lâcher.
-Vous êtes séparés tous les deux aussi ? murmurai-je, la voix rauque.
George haucha la tête, sans cependant répondre.
-On se retrouvera après, leur promis-je d'une faible voix, m'écartant de leur étreinte à contrecœur.
-Juré craché ? répliqua Jeane, le regard sévère.
-Juré craché, répéta George pour conclure la conversation, respirant lentement pour se calmer.
Je reculai, et la voix grave de la commandante de mon escouade me héla. Lançant un dernier regard aux deux Erkaïns, je tournai les talons et détalai vers le camion. L'attente ne fut pas longue ; ils rangèrent tout d'abord les caisses d'artillerie et d'armes, puis ils nous firent signe de monter. Nous nous serrâmes sur le banc et quelques secondes plus tard, les lourdes portes étaient refermées.
Je fus secoué tout le long du trajet dans un noir quasi complet, entouré de l'odeur écœurante de la transpiration et de la chaleur corporelle des molosses qui m'entouraient. Ils avaient le regard braqué sur une chose que seuls eux pouvaient voir.
Je n'étais habituellement pas inquiet dans ce genre d'endroit confinés où l'on était tous entassés et secoués pendant plusieurs heures consécutives. Pourtant cette fois-ci, le cœur me monta à la gorge et je fus pris d'intenses vertiges, que je cachais tant bien que mal en me cramponnant au frêle banc de bois et en gardant férocement les yeux fermés. Les muscles tendus, je me contentai d'attendre que les secondes passent, lentes et douloureuses. Je refusai l'accès à mes pensées aux souvenirs qui voulaient déferler en moi comme une vague puissante et dangereuse. Je n'étais pas en état de repasser ma vie entière. Une vie, qui malgré toutes mes plaintes, n'avait été au final que comblée de rires, certes parfois légèrement difficile mais cela n'était rien par rapport à ce que je vivais actuellement. Rien par rapport à ce que vivaient les soldats de guerre jour après jour.
-Hey, Kenfu, t'es constipé ou quoi ?
J'ouvris brusquement les yeux, les muscules bandés, comme prêt à frapper. Alors que je cherchais du regard l'insolent qui avait rit de mes peurs, je vis luire dans l'obscurité deux yeux jaunes amusés.
-Bort ! m'exclamai-je, surpris, toute colère oubliée.
Il eut un sourire sombre, dévoilant ses affreuses dents cariées.
-Eh ouais, Jack et moi, on te colle aux fesses on dirait.
-Tu as l'air stressé, s'amusa ce dernier en se relevant d'une sieste, les bras croisés sur sa large poitrine.
Je levai les yeux au ciel, renfrogné.
-Sans blague. Je cours vers la mort et je ne suis pas du tout stressé !
Les deux pouffèrent silencieusement.
-Tu verras, une fois là-bas, c'est plus facile, me rassura Jack, compatissant.
-Ouais, renchérit l'autre. Au moins t'es pas coincé à l'hôpital à te morfondre pour savoir si tes proches vont s'en sortir ou pas.
J'écarquillai les yeux, horrifié. J'avais oublié de passer voir Morgan ! Ma gorge se noua de nouveau. Une impression étrange tenait mon pouls précipité : j'avais l'impression que j'avais rencontré l'enfant il y a de ça une éternité, que tout avais changé depuis. Et pourtant, seulement un an s'était écoulé. Mais rien n'était pareil, et là était tout le problème.
Jack et Bort se rendormirent, et je tentai sans succès de faire de même, terrorisé.
*
Nous ne nous stoppâmes que quatre heures plus tard. La lumière m'aveugla lorsque les portes s'ouvrirent, tandis que nous descendions de la même façon que nous étions montés, les uns calés derrières les autres. Mais à peine mes pieds furent-ils posés sur la douce terre meuble que je fus accueilli par l'odeur salée de la brise marine. Une dizaine de camions tels que le nôtre s'alignaient sur le littoral, à une centaine de mètres de l'océan qui déferlait de puissantes vagues sur le sable d'or.
Les commandants nous chargeâmes d'un sac chacun et désignâmes quelques uns d'entres nous pour porter les caisses d'explosifs, sur lesquels on avait écrit en gros et en gras : ATTENTION, DANGER DE MORT pour prévenir des accidents.
Puis, les camions rebroussèrent chemin et on nous entraîna, au pas de course, sur le petit sentier broussailleux qui serpentait du haut de notre perchoir jusqu'à la plage. Jack et Bort me talonnaient, et leur souffle court que je sentais jusque sur ma nuque me motivait à poursuivre. Au moins n'étais-je pas seul. Je relevai la tête quelques fois pour observer le paysage, prenant conscience à ces instants qu'il était possible que je n'en revois pas de mon vivant. Les rares arbres, poussés par le vent, se plantaient à l'horizon et le long de la colline bordant le sable. Le ciel se couvrait d'un gris cotonneux, comme si les nuages eux-mêmes souhaitaient participer à la bataille. L'humidité présente dans l'air indiquait qu'une pluie ne tarderait à se joindre à la fête.
Nous poursuivîmes notre course sur la bande de sable doré, minuscules dunes qui s'étendaient jusqu'à l'horizon. Les petits grains secs s'engouffrèrent dans mes chaussures, et nos démarches se retrouvaient bancales sur ce sol irrégulier et mou.
Lorsqu'enfin le sable se fut mouillé et dur, nous pûmes marcher à notre aise. Je regardai, le regard vide, les empreintes se former derrière nous. Les yeux plissés, l'idée que quelqu'un puisse les voir, tel qu'un ennemi, me fit frissonner. Mais je n'en fis rien. Après tout, je n'allais pas courir jusque la colline pour arracher une branche et effacer nos traces. De toute façon, cela prendrait bien trop de temps.
Les chaloupes, trainées sur le sable, hors des crocs dévorants des rouleaux d'écume, nous attendaient. Ils chargèrent les caisses, et nous dûmes pousser l'embarcation sur quelques mètres. Les muscles bandés, je m'enfonçais dans l'eau sans rechigner. Voilà une chose qui ne me ressemblait pas : obéir aux ordres. Moi qui avais toujours détesté cela, je me retrouvai à présent à suivre les commandes de guerre à la lettre.
Une fois le canot en place, nous sautâmes à l'intérieur et je flanchais, les yeux écarquillés ; ça n'était pas stable du tout. Ce pourquoi je me dépêchai à m'asseoir, les mains serrées sur le maigre rebord. Alors que deux d'entre nous agrippaient les rames pour nous presser jusqu'au navire, j'observai les flots danser sous notre maigre plancher de bois. Je passais la main un instant, profitais de la caresse glaciale des remous légers. Mais lorsque les vagues se firent plus grandes, alors que nous nous éloignions du littoral, je dus me cramponner à la maigre planche qui me servait de siège. Je craignis que nous chavirions, et pourtant, l'embarcation teint bon.
Le vaisseau de guerre apparut alors dans le brouillard, et lorsque nous nous postâmes à son flanc, tout petits à côtés de cet imposant navire, une échelle de cordes nous tomba sur le nez. Le ventre noué, je grimpais lentement. Une main me proposa son aide à l'extrémité de l'échelle, mais je la dégageai d'un mouvement sec et bondis sur le ponton.
Je m'avançai de quelques pas pour laisser la place aux suivants, balayant les alentours de grands yeux écarquillés. Tout comme sur la place au camp des réfugiés, camions et soldats s'attroupaient un peu partout. Le pont de béton ruisselait d'eau, reflétant le ciel macabre qui n'allait sûrement pas tarder à nous déverser ses torrents de pluie. La commandante nous laissa quartier libre pour la traversée, histoire de se reposer un peu avant la bataille.
Je m'assis donc sur une caisse de transport, placée à côté du bas-côté. Je regardais, las et nostalgique, les vagues bercer notre immense bateau de guerre. A vrai dire, je n'avais même pas conscience du plan échafaudé par Kaï et Aïru. Lors de la réunion qui nous avait amené à trouver l'idée, nous n'avions réglé que les grandes parties du plan. A présent nous étions mené à la baguette sans même savoir où et comment. Je réprimai un frisson : je détestais cela.
Nous fûmes embarqués sur le porte-avion, et dès lors je pus m'énerver contre cette frustration, ce sentiment d'impuissance qui me tenait le cœur. Tandis que l'on déchargeait les caisses, je prit la direction du plat-bord opposé en frappant furieusement le sol des talons, véritablement enragé. Soudain, le sol se déroba sous mes pieds : les yeux écarquillés, je vis le monde chavirer et mon dos heurter le béton détrempé avec douleur. Le souffle coupé, je me redressai lentement, peinant à retrouver mes esprits : je balayais les environs du regard et me rendis compte que les soldats qui m'entouraient se pliaient de rire à ma vue. Je levai les yeux au ciel, terriblement honteux : cette mauvaise chute m'avait décrédibilisé bien plus encore que de m'enfuir en tapant des pieds.
Je me relevai en titubant maladroitement, une grimace toujours affichée au visage. Pourquoi était-ce toujours les chutes les plus bêtes qui nous causaient le plus de mal ?! Je tirai la langue à plusieurs des soldats qui riaient non loin, mécontent et boudeur.
Je repris mon chemin en prenant cette fois-ci garde à ne pas tomber une nouvelle fois. Je longeai le bas-côté, la mine sombre, jusqu'à atteindre l'endroit opposé exact où je me tenais quelques instants plus tôt. J'avais conscience que ce n'était là qu'un caprice de nourrisson et pourtant, je m'y cramponnais férocement.
-C'est au rebord que tu devrais te cramponner, si tu veux pas encore te casser la gueule, pouffai-je pour moi même en m'installant sur quelques vieilles caisses laissées là.
Les yeux plongés à l'horizon, je revis défiler ma chute et soudain, sans pouvoir m'en empêcher, j'éclatai d'un rire fou. Le visage dans les mains, incapable de m'arrêter, je laissais les soubresauts me chatouiller le ventre et me plier en deux. Qu'il était bon de rire ! Je gardai les yeux fermés, levés vers le ciel, et je sentis alors la pluie déferler d'un coup sur mon visage. Surpris, je sursautais d'abord avant de me calmer, un sourire étalé sur les joues.
Ma vie était un foutu bordel et pourtant, je riais. Je ne contrôlais absolument rien, tout partait et s'en allait dans toutes les directions sans qu'elles en aient le moindre sens.
Et pourtant.
Et pourtant je riais, sans la moindre explication possible.
Mais lorsque le ciel s'empourpra et déversa une cascade de petites gouttes translucides sur mes joues, tel un torrent de larmes éternelles, toute trace de cette joyeuse folie s'évapora.
Je rouvris les yeux, le sourire envolé, comme fondu aussi vite qu'un glaçon au soleil. Même après mes innombrables expériences du danger, mes habitudes à frôler la mort, j'étais toujours un bel enfoiré.
Je serrais les dents, le menton baissé, retenant à présent mes véritables larmes. Il y avait tant de choses que je regrettais. Peut-être aurais-je dû avouer mes sentiments à Sinna. Peut-être aurais-je dû profiter du vivant de ma mère. Peut-être aurais-je dû pardonner mon père.
Je relevai subitement la tête, ravalant un sanglot. Si l'un de mes proches laissait la vie dans cette bataille, sans que je ne puisse une dernière fois le serrer dans mes bras, lui dire que j'étais désolé, jamais je ne pourrais me le pardonner. Je n'y survivrais d'ailleurs probablement pas.
Et si je venais à mourir ?
Les Mondes seraient finis.
Par ma faute.
Pourquoi la Prophétie m'avait-elle désigné moi ?
L'idée que mon véritable but était de préserver Phoenix de mon Dragon me traversa soudain. Était-ce moi le véritable danger qui déployait son effroyable ombre sur ce Monde ?
Pour la première fois de ma vie, j'espérais de tout cœur me tromper.
*
L'attente fut longue et interminable. Les secondes n'en finissaient plus, et ce paysage morne finit par me remplir d'une lassitude infinie. Je n'avais qu'une hâte, celle que le navire de guerre stoppe enfin sa course sur les flots pour préparer son retour à Stellarium, armé jusqu'aux dents.
Je finis ainsi par tomber endormi sur les caisses ; mes paupières s'étaient fermées d'elles-mêmes, incapables de supporter davantage le vent houleux qui les bridait et la fatigue qui les embrasait douloureusement.
Lorsque mes yeux se rouvrirent enfin, épuisés et flous, je pris le temps d'étudier les environs ; bercés par les flots, le lourd bruit des moteurs ne se faisait en revanche plus entendre. Nous étions arrêtés !
Je me redressai précipitamment et fus un instant pris de vertiges. Mais je me levai sans attendre une seconde et titubai au centre du pont. Je pris cependant mon temps, par crainte de subir une nouvelle chute humiliante et douloureuse.
Là étaient rassemblés tous les soldats, tournés vers une chose que je ne pouvais pas voir. Je me frayai un chemin parmi la foule et aperçus enfin les commandants qui nous faisaient face, toisant chacun d'entre nous durement.
-Bien, commença l'un, du nom de Richard. A présent que nous sommes suffisamment loin pour que l'ennemi ne nous voit pas, nous allons attendre le signal allié.
-Lorsqu'il arrivera, poursuivit la commandante de ma troupe, nommée Gaëlla, nous filerons vers le camp des Changers.
-Ils auront probablement des avions de guerre et des bombes, nous avertit le troisième et dernier commandant, qui disait s'appeler Paul. Il faudra être vigilant et toujours regarder là-haut.
Inquiet, je m'imaginai sans mal ce funeste tableau : les bombes livrées tout droit sur notre plateforme, placée bien à découvert. Le sang qui giclait, mon corps étendu au milieu de la pagaille...
-Mais nous avons aussi des avions, protesta Jack.
-Tu dis vrai, acquiesça Gaëlla. C'est pourquoi toi et ton copain Bort mèneront les troupes aériennes. Ce porte-avion en contient suffisamment pour en fournir un à chacun de vous.
-Pas la peine m'dame, sourit Bort. Jacky et moi on vole ensemble.
Je coulai un regard dans leur direction et eu un sourire triste en voyant les deux amis échanger un sourire complice. George et Jeane me manquaient.
-D'accord, approuva Paul. Alors emmenez les autres et préparez vous à décoller.
Une masse imposante de soldats se détacha du groupe et détala au pas de course vers leur machines.
-Bien, poursuivit Gaëlla d'une voix grave, pour les autres, vous devrez embarquer sur des chaloupes pour rejoindre la terre.
-Mais on sera des proies faciles ! m'exclamai-je, indigné, sans pouvoir m'en empêcher.
Les regards, surpris, se tournèrent dans ma direction.
-Tu as une autre solution, peut-être ? railla la commandante, exaspérée.
Je gardai un instant le silence, les yeux écarquillés et effaré par la situation.
-Ce n'est pas à moi de concevoir les plans, je vous signale, répliquai-je.
-Bien, alors voilà qui met un terme à la conversation !
-Mais vous ne comprenez pas ! m'emportai-je, à présent mené par la colère qui grandissait en moi. Ils n'auront qu'à nous tirer dessus depuis la plage et nous tomberons comme des mouches ! Et si nous ne mourrons pas ainsi, les bombes se chargeront du reste !
Cette fois-ci, ce fut le silence qui accueillit mes paroles.
-On pourrait...
Mais je fus brutalement coupé ; tous les regards virèrent dans une seule et même direction, alertés par un bruit assourdissant.
-Le signal ! s'époumona Richard en pointant le feu d'artifice du doigt, les yeux exorbités.
Le feu lumineux qui déchira le ciel fit sursauter tous les soldats présents sur le pont ; en l'espace de quelques secondes, ils furent tous éparpillés aux quatre coins du pont, la mine dure, comme habitués à l'adrénaline soudaine de l'instant.
Gaëlla me bouscula et je tombai au sol, hébété. Le porte-avion s'élança de nouveau sur les flots, la pluie battant contre le pont et nos visages ruisselants. La terre à l'horizon s'élançait dans notre direction, gagnant du terrain à une vitesse folle.
Je sautais alors sur mes pieds, m'emparait de la rambarde sur le plat-bord et fixait l'île qui se rapprochait, les yeux exorbités. Je voulais entendre les Changers négocier avec Kaï, voir s'étaler sur le visage des miens un sourire satisfait et rusé.
Mais alors que je pus enfin distinguer la côte sablonneuse, je ne vis que l'or des grains mouillés refléter l'eau qui s'y déferlait. Pas d'armées, pas de camps des Changers, pas de troupes alliées. Nous accostâmes, inquiets, et Gaëlla nous mena vers l'échelle ; en rang bien serrés, je gardai la main crispée sur le fourreau de mon arme. Je dus cependant le lâcher lorsque je descendis à mon tour par l'échelle de cordes, à la suite des soldats et précédant d'autres.
Je sautais finalement à terre, le coeur battant, et soudain des cris me parvinrent ; les yeux écarquillés, mon escouade m'entraîna sur la colline, où nos pieds s'enfonçaient lourdement dans le sable. Gravissant précipitamment, nous suivîmes le sentier à toute allure. Les cris et explosions se rapprochaient.
De puissants avions nous doublèrent alors, et je fus soulagé de voir qu'ils étaient à nous. Les suivant sans la moindre hésitation, nous finîmes par dépasser une nouvelle colline. Je poussais alors un cri d'horreur, me stoppant net : là-dessous, où explosaient sang et cendres, la bataille faisait rage.
Je cherchai des yeux Sinna, George, Jeane, Kaï ou mon père mais je n'en vis aucun. Mon cœur manquait de quitter ma gorge, tant qu'il battait fort et tant que l'envie de dégobiller me prenait.
Gaëlla poussa un cri de guerre et s'élança sur les ennemis, qui, surpris, poussèrent des cris horrifiés.
Mais j'étais pour ma part incapable de bouger. Incapable de faire le moindre geste pour courir aider les miens.
Je sentis alors une présence s'arrêter à mes côtés, douce aura compatissante qui faisait un drôle de contraste avec le décor. Thiflea me prit la main et plongea ses yeux dans les miens :
-Il faut y aller.
Je la regardai un instant, les larmes au yeux. Une explosion nous fit sursauter, et un hurlement déchirant rappela que la mort nous guettait.
Mais n'était-ce pas une habitude, à présent ? Thiflea avait raison. Il fallait y aller. Car comme toujours, les Mondes avaient besoin de moi. Comme toujours, la guerre qui venait poindre à notre seuil réclamait qu'on la chasse.
Je relevai alors le menton, et pris d'un courage fou, m'élançai au cœur de la bataille qui déterminerait si, ou non, Phoenix tomberait dans la mort et le chaos.
Je poussai un hurlement de rage et enfourchai l'ennemi d'un coup d'épée bien placée : à mes côté, la jeune Humaine envoyait son coutelas valser à la tempe d'un Changer :
-Deux de plus, bien joué ! railla-t-elle avant de rouler au sol, percutée de plein fouet par un loup.
Mais je ne me préoccupai pas de Thilfea et fonçai droit sur un Aquass ; serpentant entre cadavres et combattants, je pris appuis sur mes jambes et bondis. Recouvrant mes membres de poils et allongeant le profil de mon crâne, j'étais en quelques secondes transformé en Panda-Roux, l'épée dans la gueule. Je tombai rudement sur les épaules de l'être turquoise et il se secoua avec une force surprenante ; je tentais de planter mes griffes sous sa peau aux reflets d'argent mais elles ricochèrent comme sur de la pierre et je gémis. Elle était bien trop dure à percer !
Le monde chavira et je m'écroulai au sol dans une roulade, la colonne vertébrale durement percutée. Même si je peinais à reprendre ma respiration, je dus me relever précipitamment car l'Aquass tendait son arc dans ma direction, le museau plissé de rage. Il décocha soudain sa flèche et je roulai au sol, les yeux exorbités ; comment abattre une créature aussi grande, dotée d'une peau plus solide qu'un roc ?!
-Tu n'as pas ta place sur Phoenix, Erkaïn ! rugit-il en abattant son arc sur ma truffe.
Violemment projeté en arrière, trente six chandelles se baladant devant mes yeux, je titubai sur le tapis de cendre, le souffle coupé. Je laissai le sang s'écouler de ma gueule ouverte, goutter sur la terre couleur nacre.
Il fallait que je me relève. Je ne pouvais pas déjà tomber, mettre une patte à terre ; je ne pouvais pas laisser l'Aquass m'abattre.
Je lâchai un grognement de douleur, mêlé de rage et de détermination, puis bondis sur mes pattes, esquivant de justesse le coup porté sur ma colonne par mon ennemi. Je roulai au sol, agrippai mon épée entre mes crocs pour de nouveau m'élancer sur le dos de la créature aquatique. Même s'il se démena de plus belle, tentant en vain de m'assoner un coup à l'aide de son arc, je tins bon ; puis, d'un cri rageur, plantai la pointe de métal au creux de son orbite droit. Il lâcha un gémissement aigu, douloureux, avant de tomber mort à genoux, le sang bleu nuit s'écoulant de son œil crevé.
Haletant, ruisselant de sang autant bleu que rouge, je me relevai difficilement, une grimace au visage. Il fallait poursuivre les combats ; et malgré mes pattes endolories et les vertiges qui me prenaient a chaque mouvement trop brusque, il me fallait abattre un ennemi de plus.
-Thiflea ? appelai-je, balayant les alentours d'un regard bref, soudain inquiet de ne plus revoir la jeune humaine.
Je me baissai juste a temps pour esquiver une flèche, les yeux écarquillés, puis me relevai d'un bond lorsqu'un loup dévoila ses crocs a quelques centimètres de ma truffe. Pris d'un violent sursaut, je me arcai pour éviter sa puissante mâchoire qui claqua à mes oreilles.
Il bondit ensuite pour me plaquer au sol, et ses griffes acérées se plantèrent au creux de mes épaules. Je lâchai un hurlement de douleur, et la rage m'envahit ; le Dragon mugissait dans sa grotte, désireux de la quitter. Mais me refusant à céder à la dangereuse créature, je dégainai mes griffes à mon tour pour lui lacérer le flanc.
Il lâcha un gémissement pitoyable et relâcha subitement la pression qu'il exerçait sur moi. Il bondit un mètre plus loin en glapissant, les crocs dévoilés et dégoulinants de sang.
Je sautai sur mes pattes pour me changer à nouveau en Homme ; je devais empoigner mon épée et lui enfourner en plein cœur.
La rage gagna ma gorge, m'arrachant un cri de guerre. Le Loup courba son échine, et d'un même mouvement brusque nous nous jetâmes l'un sur l'autre. Ses griffes me percèrent le torse, et aveuglé par la douleur, j'enfonçai férocement mon arme sous son épaisse fourrure. Il lâcha un râle rauque avant de s'écrouler mollement au sol, telle une poupée de chiffon, bien que ce soit un Loup.
Tout aussi tremblant que sanguinolant, je peinai à garder la tête droite. Même mon épée semblait soudainement peser une centaine de kilos en plus.
Kenfu !
Je relevai brusquement le menton, et mon cœur manqua un battement : elle m'avait semblé être la voix de Sinna. Les yeux fous, je pivotai dans tous les sens possibles, ma douleur et ma fatigue oubliée.
KENFU !
Mon poingt serra le manche de mon arme, et cette fois-ci, ce fut la douleur de l'idée de la perdre qui m'incendia. Je ne pourrais pas vivre, ni tenir sans elle. Elle ne devait pas mourir.
-KENFU !
Je virai brusquement à ma gauche, et mes yeux s'écarquillèrent comme mon sang se glaça. À une centaine de mètre, couchée sur un cadavre, Sinna épuisait ses dernières forces pour me héler. Même d'ici, je pouvais voir sa mine désespérée et son désarroi apparent. Qui était le cadavre sur lequel elle sanglotait ?!
Je vis Kaï étendu à quelques mètres. Mon cœur se serra : non, il ne pouvait être mort. Impossible...
Je me baissai juste à temps pour esquiver un éclat d'obus avant de plisser les yeux.
Cette fois-ci,je crus bien m'écrouler. Sinna était penchée sur un homme trapu, à l'uniforme de général de guerre.
Sans réfléchir, je bondis et détalai dans la direction d'Aïru.
Mon cœur battait au rythme de mes pieds qui foulaient le sol cendreux. J'esquivais et bondissais par dessus les cadavres sans leur accorder un regard : je gardai les yeux rivés devant moi, infaillible. Aïru ne pouvait pas mourir. Les larmes me montèrent aux yeux lorsque le souvenir de ma mère défigurée sous la tente me revint. Ma gorge se serra de douleur et je réprimai un sanglot.
Pas lui. J'avais besoin de mon père.
Je titubai maladroitement aux côtés de Sinna et m'écroulait à ses côtés, penché sur Aïru. Un imposant éclat d'obus se logeait au creux de sa poitrine, qui se soulevait à un faible rythme irrégulier.
Il abaissa ses yeux verts dans ma direction, au creux desquels se logeaient des perles de sang, et un faible sourire s'étira sur ses lèvres :
-Je suis désolé, Kenfu.
Il leva une main tremblante, que j'attrapai d'une poigne faible, sans énergie. Mon esprit se faisait vide, et seul sa vision ainsi meurtrie demeurait face à moi.
-Je dois te dire quelque chose, grimaça-t-il, faible.
Je n'esquissai pas un mouvement. Je vivais un cauchemar, c'était là la vérité. Tout ceci n'était pas réel...
-Si je vous ai abandonné, ta mère et toi, poursuivit-il, ses paroles lui arrachant un sanglot. C'était pour la Prophétie... pour Kaï... Ça devait être ainsi...
Je secouai négativement la tête, les yeux fermés. Les larmes roulèrent sur mes joues, amères, douloureuses, lentes. Et, inévitables, les souvenirs déferlèrent. Son rire, moqueur sous la tente tandis que nous trions les fruits il y a seulement quelques jours. Son visage qui avait fendu la lumière pour me hurler dessus à nos retrouvailles, et le monstre qui avait jailli pour la première fois. Sa mine détruite devant le corps de ma mère.
C'était un homme si bon, si courageux. C'était mon père, mon papa, et on me l'arrachait, à coup d'éclat d'obus et de cendres.
Je finis par rouvrir les yeux, le menton dressé vers le ciel. Ma poitrine convulsait sous les sanglots, et je n'entendais même plus les bruits aux alentours. J'avais si mal. Je l'aimais tant.
Je descendis le regard et vis les larmes de sang qui coulaient sur ses joues. Ainsi étendu, dans la cendre et la poussière, il paraissait si vieux. Si creusé, si faible, si frêle.
Il leva la main et essuya les larmes sur ma joue. Si elles furent très vite remplacées par de nouvelles, mon coeur s'en serra de douleur.
-Je t'aime, mon fils, sourit-il.
Je ne sus pas répondre. J'avais seulement mal. Il était là, et la lueur dans ses yeux faiblissait. Son fantôme me souriait, me réprimandait. Son passé me chantonnait une délicate berceuse.
-Je rêve d'un moment qui ne finit pas, sanglotai-je, le coeur meurtrit.
Il lâcha un pleur, sa main crispé sur la mienne. Il ferma les yeux, secoué de spasmes. Je fermai les yeux à mon tour et laissai la mélodie faire de sa mort un mirage. Je ne voulais pas voir. Je ne voulais pas qu'on m'enlève mon papa. Je ne voulais pas voir ses joues se creuser, sa tête flancher sur le côté, ses yeux vides fixer un point que seul lui pouvait voir.
-Je rêve d'une histoire sans fin, repris-je avec grande peine, Il suffit de croire à l'amour, il ne se cache pas bien loin.
La pression de sa poigne se relâchait.
Son air inquiet à ma sortie de l'hôpital, ces belles fleurs déposées sur ma table de chevet. Ses regrets, ses doutes, son absence qui avait creusé ce vide dans ma vie. Il était à l'origine de toutes mes douleurs, de toutes mes peines. Il était si fort, si courageux. Il était ce qu'il me restait, ce sur quoi je pouvais poser le regard pour me rattraper. Pour me ramener à la réalité. Il s'en allait, il quittait ce monde, emportant avec lui le reste de mon cœur en lambeaux.
-Je rêve de capturer le bonheur, et je rêve d'arrêter le Temps ! L'amour fait battre nos cœurs, depuis longtemps...
Les bruits se turent. Le champ de bataille n'existait plus.
Je rouvris les yeux, tremblant, et ma poitrine se déchira lorsque je vis son regard, vide, éteint, me fixer sans même me voir. Son faible sourire de mourant, d'un père éreinté par les regrets, d'un mari torturé par un amour impossible, gardé secret pour le bien des Huit Mondes.
Ses yeux verts qui n'avaient plus d'éclat, ses mains qui pendaient le long de son corps.
-Papa, gémis-je, secoué de sanglots, longs, douloureux, amères. Papa...
Mes membres étaient secoués de tremblements incontrôlables. Je sentis une main me frotter le dos, une tête se poser sur mon épaule alors que je lâchai un hurlement torturé. Le cri de mon coeur brisé. Le gémissement de mon regard brouillé de larmes devant sa mine pâle, devant le cadavre sanguinolant de mon papa. Je pleurai, je gémissais, torturé par la douleur, oppressé par la souffrance. Les larmes roulaient, me secouaient de spasmes.
Il était parti. A jamais.
Même le monstre se taisait. Plus rien n'existait, seule sa poitrine qui refusait de se soulever à nouveau, ses yeux vides. Son regard si terne. Sa bouche qui ne se rouvrirait jamais, qui ne s'étirerait jamais plus pour esquisser un rire.
Je vis Kaï tomber à mes côtés, mais les sanglots m'empêchaient de dire quoi que ce soit. Le vieil homme finit par flancher, lui aussi, pour gémir à son tour.
Je l'avais tant aimé. Et je n'avais même pas eu le courage de le lui dire, à ses derniers instants.
Je lâchai un énième hurlement, les yeux levés vers le ciel de nacre. La pluie, qui avait cessé, reprit de plus belle, et se joignit à mes larmes.
Elles savaient, le monde savait, tous savaient ce que je niai.
J'étais orphelin.
J'étais seul."
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