Chapitre 26

J'ai l'impression de réapprendre à marcher. Parler aux inconnus me terrifient alors que je n'avais pas pour habitude de stresser pour si peu. Mon père me tient un bras, comme si j'allais tomber alors que ma mère préfère rester distante. Je sais que cela ne fait pas bonne figure de me voir sortir d'un hôpital pour fous.

On m'a redonné trop de libertés d'un seul coup, j'ai peur d'en faire mauvais usage. A l'intérieur, j'avais retrouvé la sérénité que je me connaissais. Je savais que personne n'allait me faire de mal, bien que les premières nuits furent plutôt compliquées, plus pour les infirmiers que pour moi.

Je ne sais pas si je suis prête à ressortir. J'ai l'impression de n'avoir pas touché à la liberté depuis un moment. C'est comme une drogue, quand on la possède, on ne veut plus s'en séparer, on en prend toujours plus jusqu'à en devenir malade. J'imagine que j'en étais arrivée à ce stade.

-Il faut faire taire cette histoire, m'explique ma génitrice en montant dans la voiture. Des rumeurs se racontent déjà. Tu vas rester à l'intérieur un petit moment puis tu diras que tu étais en voyage.

J'attache ma ceinture à l'arrière puis me concentre sur les paysages qui défilent. Mon absence de réponse, qui signale ma désapprobation, ne la démonte pas pour autant.

-J'inviterai les voisins pour faire une fête de retrouvaille en ton honneur.

-Je ne veux pas mentir. C'est interdit.

-Je m'en fiche de ce qu'ils t'ont appris. Ce n'est pas les bisounours. Sais-tu comment nous avons accès aux locaux de la ville ?

Elle me fait taire d'un geste de la main. Mes réflexions l'énervent pourtant ce sont bien eux qui m'ont emmené là-bas. Maintenant que tout le monde me pense guérit, car finalement ce n'était qu'une sorte de virus parasite, je peux recommencer à être la petite fille modèle qui adore ses études, son travail et planifie le mariage et les enfants au bout de trois semaines de relation.

-Je ne veux pas aller à la maison.

-Tu ne peux pas rester seule, me dit mon père d'une voix calme.

Disons plutôt qu'on m'en a interdit.

-Je pourrais rester chez Chiara.

-Elle ne pourra pas tout le temps être chez elle à te surveiller, continue-t-il.

-Léonie viendra quand elle partira.

-Cesse de faire l'enfant, tu nous as assez causé d'ennuis. Désormais nous reprenons la relève, m'assène ma maternelle suivi d'un soupir agacé.

Je me tasse dans mon siège en me demandant comment je vais m'adapter à cette vie. Revoir mon frère ne va pas aider à aller mieux. Mais paraît-il qu'il faut accepter les excuses d'autrui et pardonner. Je lui pardonne. Je t'aime.

Je n'ai pas le temps de retracer son visage ni de réentendre ses mots d'amour que la voiture se gare dans l'allée de la maison. Je reconnais de suite la façade entourée de graviers, de haies et de verdure. Comme si je n'étais jamais partie.

Devant l'entrée, Paul attend, un bras sur les épaules de sa petite amie. Je remarque tout de suite leur sourire et leurs yeux pétillants. Visiblement, ils vivent une vraie romance. Ne pas transmettre la haine. J'inspire et avance vers lui, laissant mon père se charger de mes bagages.

-Bonjour Emilie, comment te sens-tu ?

-Bien, fatiguée. Et toi ?

-En pleine forme. Tu peux te reposer. Ca te dit de venir avec moi en ville cet après-midi ? J'ai une furieuse envie de faire les boutiques mais Paul a déjà des obligations.

Je hoche la tête, pas très sûre que ce soit une bonne idée. Par réflexe, j'observe ses bras. Elle n'est pas toi. Lorsque je relève les yeux, mon frère me regarde avec de mauvais yeux qui s'adoucissent quand Agnès tourne sa tête vers lui.

Je passe près de lui en contractant tous mes muscles. Il me faut une force incommensurable pour arriver à lui montrer dos sans avoir peur qu'il me prenne par surprise. Je jette un coup d'œil à mes mains, mes ongles pourraient être si agréables. Mais je me retiens. J'essaye de me persuader que c'est parce que je suis suffisamment forte pour résister mais au fond je sais que c'est seulement parce qu'ils sont à côté.

Ils n'ont clairement pas besoin d'encore assumer mes bêtises. Je remonte donc mes manches, fière d'avoir des bras blancs, sans tâche rouge.

-Voilà, de retour à la maison, signale mon père sur un ton mi accueillant, mi pressé.

Il se détourne et part à son bureau sans me jeter un coup d'œil pour voir si je suis heureuse. Il a laissé tous mes sacs en bas des escaliers et je dois me débrouiller pour tout monter.

-Besoin d'aide ?

La voix chaleureuse de mon frère me fait sursauter. Je laisse tomber ma valise qui s'écrase sur le sol et mon corps s'apprête à suivre le même chemin quand il me rattrape. Ses mains sont sur mes hanches, à côté de là où il les mettait autrefois. Je me relève aussitôt et pars loin de lui.

-Je peux t'aider.

-Je vais prendre l'air, annoncé-je laissant mes valises dans l'entrée.

-Tu ne peux pas sortir seule, m'arrête Paul alors que ma main a déjà enclenché la poignée.

-Je viens avec toi !, réplique sa fiancée.

Elle attrape son sac à la volée et nous voilà dehors.

-Je te comprends, moi aussi j'ai parfois besoin de me vider l'esprit. Alors, raconte moi tout. Tu devrais être heureuse de rentrer, qu'est-ce qui te tracasse ? Un garçon.

Oh oui un garçon, plus homme que garçon à vrai dire.

-Non, non. C'est simplement étrange de me retrouver ici.

-Et avec Liam ?

Pourquoi insiste-t-elle ? N'a-t-elle pas compris que je ne veux pas en parler ? Elle est pourtant psychologue.

-Je ne l'ai pas revu.

Et je dis vrai. Au début, j'avais envie de brûler sa maison et heureusement qu'ils ne me laissaient pas sortir, sinon j'aurais commis un meurtre. Désormais, j'angoisse à l'idée de le revoir. Il sait bien trop de choses à mon sujet.

-Tu n'en as pas envie ?

-Pas vraiment.

En fin de compte, je me suis rendue compte qu'il fallait que je coupe les ponts avec cette vie, qu'il fallait que je parte pour de bon. J'étais bien plus heureuse dans le sud, loin de tout ce passé. Je m'en tiens à mon plan, je disparais bientôt.

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