Chapitre 5 - Alice


Ce repas s'étire en longueur. Ils ne cessent de parler de sport, de coup de poings et de tactiques défensives. Je pourrais participer à la conversation, mais je préfère les observer, surtout Liam. Cet été, il était avare de paroles. Ce soir, il semble dans son élément et j'étudie chacune de ses intonations de voix, chacune de ses mimiques. Il est réellement fascinant.

J'ai hâte de passer à la suite de la soirée. Liam sortant de la douche m'a fait perdre mes mots. C'était un spectacle saisissant. Je revois encore cette petite goutte d'eau glisser dans ses cheveux, tomber sur son épaule imposante, dévaler son torse musclé, puis suivre les sillons de ses abdominaux. Avant qu'elle ne disparaisse sur la serviette nouée basse sur ses hanches, je l'ai récupéré. Je l'ai touché. J'ai touché Liam et ne pouvait plus m'arrêter. Seul son regard l'a pu. Il semblait vouloir lire en moi, décrypter mon âme et je ne lui cachais rien.

J'ai bien cru que nous allions nous embrasser, j'en mourrais d'envie, pourtant j'ai tout gâché en mentionnant Hector. Il a cessé de m'accorder son attention. Je m'agace moi-même de ma capacité à parler sans réfléchir. J'aurais fait une piètre psychologue. Finalement, j'ai eu raison de changer d'orientation professionnelle.

— Dis-moi mon garçon, quel âge as-tu ? Tu sembles avoir de nombreuses années d'expérience.

— C'est un moyen détourné pour dire que je suis vieux ? rigole-t-il.

Hector s'esclaffe à son tour et je ne peux m'empêcher d'essayer de deviner l'âge de Liam. Les rides aux coins de ses yeux sont légèrement marquées. Je ne lui donnerai pas plus de 50 ans, 45 peut-être.

— Vieux, non, se rattrape Hector. Je pourrais être ton père, par contre, dans ce sport, tu dois être parmi les anciens.

— C'est vrai qu'il y a de plus en plus de minots, mais il va me falloir encore cinq ans avant d'égaler le record de longévité de Randy Couture.

— Il avait quoi ? 47 ans ?

Alors que Liam acquiesce et explique les défaites qui ont mis fin à la carrière du combattant, je fais le calcul dans ma tête, m'excusant intérieurement de l'avoir vieilli. Le temps passé sur les chantiers quelque soit la météo a dû marquer sa peau plus vite que celle des bureaucrates.

Je me perds à imaginer cet homme imposant dans un minuscule box au milieu d'un open space. Un éléphant entouré de petites souris. Je me retiens de rire à cette vision. Cependant, le comique de situation s'efface rapidement au profit de Liam en costume. Je suis persuadée que ça lui irait aussi bien que son jeans et son gilet à grosses mailles qu'il porte. Son look est simple, comme l'homme. Il n'essaie pas d'impressionner ou d'attirer l'attention. Je crois que c'est cette modestie qui m'attire inlassablement vers lui, à moins que ce soit ma curiosité à l'égard de ses silences.

À force de le détailler et d'interpréter ses gestes, j'en oublierai presque mon objectif pour cette fin de soirée. Même s'il a répété plusieurs fois non, je ne m'avoue pas vaincue. L'instant suspendu que nous avons vécu à proximité des douches, me laisse penser que nous partageons des envies similaires. Il a lâché sur le restaurant, je compte bien l'entraîner dans la chambre d'hôtel.

Si j'analyse la situation dans le vestiaire, je pense que ce sont mes mains sur lui qui ont précipité sa réponse positive. Il semblait incapable de résister à l'attraction. Décidant de tester ma théorie, j'établis le contact qui se solde par un échec cuisant.

À l'instant où ma main s'est posée sur sa cuisse, il s'est levé, prétextant une envie pressante. Il me fuit, j'en suis persuadée et ça me contrarie bien plus que ça ne le devrait, si bien qu'Hector le remarque.

— Lana, tout va bien ? Tu es bien silencieuse ce soir, ça ne te ressemble pas. Le repas ne te plaît pas ? Il y a un problème avec Liam ?

— Ça va, ne t'inquiète pas. J'essaye de trouver un moyen pour qu'il nous suive dans la chambre après le repas. J'aimerais t'offrir ce cadeau.

— Tu le fais pour moi ou pour toi ?

Son petit sourire en coin me confirme qu'il a compris mes réelles motivations. Je lui expose alors mon plan d'action, consistant essentiellement à le toucher aussi souvent que possible.

— C'est un peu léger, laisse-moi t'aider. Nous aider. J'aime beaucoup ce garçon, et je suis convaincu que vous allez m'offrir un spectacle des plus plaisants.

Avant qu'Hector puisse m'en dire davantage, Liam revient des toilettes suivi de près par le serveur venant récupérer nos commandes pour le dessert. Certaine d'arriver à brûler les calories tout à l'heure, je ne résiste pas au thé accompagné de ses cinq gourmandises : panacotta fraise, tarte au citron, macaron pistache, financier, crumble aux pommes. Fidèle à ses habitudes, Hector choisit la tarte aux pommes normandes. Quant à Liam, il préfère s'abstenir. Dès que le serveur tourne le dos, Hector passe à l'offensive.

— T'es sûr de ne rien vouloir de plus ? Un café ou un digestif ?

— C'est gentil, mais si je veux continuer de botter le cul des gamins dans la cage, je ne peux faire aucun écart.

— Le whisky à l'apéritif était recommandé dans ton régime sportif ? ne puis-je m'empêcher de le contredire.

— Du calme les enfants, nous réprimande Hector.

[NdA: Ils se défient du regard, plongent dans les yeux l'un de l'autre, regard noir de Liam qui s'adoucit et un tic rictus qui apparaît sur ses lèvres et Alice pose sa main sur la sienne]

— Liam, Lana t'as expliqué ses raisons pour continuer la soirée avec nous, laisse moi t'expliquer pourquoi ce moment est important pour moi. Tous les mois, je retrouve Lana dans ce même restaurant, nous discutons puis nous finissons dans la même chambre d'hôtel. Je m'installe sur une chaise dans un coin de la pièce et Lana se déshabille devant moi. C'est une très belle femme, mais jamais je ne poserai les mains sur son corps. Si je le faisais, j'aurais l'impression de tromper mon Odette chérie.

Hector est ému, parler de sa femme est toujours douloureux pour lui. Il l'aime d'un amour sans faille. Certaines seraient capables de tuer pour obtenir cet amour qui dépasse l'entendement et toutes les lois de la nature.

[NdA: Liam manque de faire tomber sa chaise, claque sa serviette sur la table et fait mine de partir]

— Et ton Odette, elle accepte vos rendez-vous ? À sa place, je serais contre. Quand on aime sincèrement quelqu'un, on la respecte, jamais on ne la trompe.

— Tu n'y es pas du tout mon garçon, rassieds toi et écoute la suite de mon histoire. Odette est partie, elle a fait une mauvaise chute sur une plaque de verglas. Elle ne s'est jamais relevée. Depuis cet accident improbable, je suis veuf. Elle me manque terriblement. C'était la personne la plus aimante que je n'ai jamais connu.

Hector marque une légère pause avant de reprendre.

— Nous avons vécu pendant plus de quarante ans ensemble. La vie n'était pas toujours au beau fixe et nous avions une méthode infaillible pour régler nos conflits : les câlins sous la couette. Odette n'était pas la dernière pour la bagatelle, au contraire elle était toujours partante. Mais comme dans tous les couples, il arrivait que nos libidos ne soient pas en phase, alors nous laissions l'autre seul dans la maison à sa petite affaire. Je me souviens d'un jour où Odette était rentrée du marché avec une cassette du vidéo club. Elle me l'avait tendu en me disant : "Ça fait deux jours que tu m'énerves, regarde ce film et fais ce que tu as à faire. Tu seras moins chiant après."

Hector sourit en repensant à ce souvenir.

— C'était de la pornographie. Te rends-tu compte ? Ma femme était allé exprès chercher une vidéo pour moi, puis était repartie se promener. Ne voulant pas la décevoir, j'ai obéis. C'était la première fois que je voyais un film de ce genre. D'habitude, je me contentais des magazines et de mon imagination, ça a été une révélation. Je suis devenu un vrai cinéphile du genre, il nous arrivait d'en regarder ensemble de temps en temps. Quand elle est décédée, je n'avais plus le goût de rien. Ce n'est qu'en rangeant le grenier l'année dernière que j'ai retrouvé les magazines et les cassettes. J'aurais pu me contenter de ça, pourtant j'avais besoin de parler, de rencontrer quelqu'un. Les petites vieilles que je rencontrais étaient très gentilles et toujours aux petits soins avec moi, mais ça ne me suffisait pas. Et c'est après une recherche sur internet que j'ai croisé la route de Lana.

Il pose sa main sur la mienne et la tapote. Hector m'avait raconté son histoire la première fois que nous nous étions vus. Elle me touche toujours autant, pourtant je reste persuadée que la vie de couple n'est pas pour moi. Je préfère donner du temps à des hommes reconnaissant qui ne m'étouffent pas. J'aime ma liberté de mouvement. Personne ne me dicte ce que je dois faire, comment je dois me comporter, ni à quel moment.

Je suis heureuse comme je suis. Je donne un peu d'amour aux hommes qui en ont besoin et qui reconnaissent ma valeur. Hector fait évidemment partie de cette catégorie.

— Depuis cette fameuse rencontre, Lana est devenue mon film pornographique. Elle danse pour moi, se caresse. Son plaisir devient alors le mien. Si tu la voyais faire et l'entendais, crois moi que tu voudrais qu'elle recommence encore et encore.

Ses paroles sont flatteuses et me donnent envie de me surpasser tout à l'heure. J'espère que les compliments de mon client aideront Liam à franchir le pas ce soir. Malheureusement, quand je l'observe, je le sens de plus en plus distant ce qui m'inquiète pour la suite. Tentant de réitérer la technique des vestiaires pour le ramener vers moi, je pose ma main sur son genoux. Incapable de se tenir tranquille, elle glisse sur sa cuisse que mes doigts massent. Sous le tissu de son jeans, j'apprécie le muscle qui se contracte au rythme de mes caresses. Alors que j'essaye de toucher de plus en plus de surface, Liam me stoppe et éloigne ma main.

Quant à Hector, il continue son monologue, imperturbable.

— Chaque rendez-vous que nous nous fixons est différent. Je découvre à chaque fois une nouvelle facette de la sensualité de Lana. Tantôt observateur silencieux, tantôt maître du jeu, nous nous guidons dans l'exploration de son corps. J'admire ses gestes, leurs intensités. Parfois, elle me laisse diriger ses mouvements et c'est un régal de te frustrer Lana.

Je râle pour la forme, pourtant j'aime quand il joue avec moi de cette manière. Et j'ai l'impression que Liam est plus attentif aux descriptions d'Hector.

— Le mois dernier, j'ai demandé à Lana de ramener des accessoires. Je ne suis pas inculte en la matière, mais je ne soupçonnais pas qu'il existait autant de formes, de textures et d'objets différents.

— Qu'avez-vous expérimenté ? murmure Liam qui semble presque plus surpris que nous par sa question.

Profitant de son trouble, je liste de façon exhaustive les jouets utilisés, tout en reprenant mes caresses sur sa cuisse. Je prends un malin plaisir à lui décrire en détail les sensations de chacun. Tandis que j'allais aborder le réglage des pinces tétons, il se racle la gorge.

— Dois-je comprendre que ce soir, je suis votre jouet ?

— Non, mon garçon. Ce soir je t'offre une nuit avec Lana. J'étais en train de regretter d'avoir changé nos plans habituels, mais dès qu'elle t'a vu entrer dans la cage, elle s'est enfin intéressée au combat. Je voulais susciter l'excitation chez Lana et c'est une autre idée qui a germé dans mon esprit. Si tu l'avais vu, à ce moment-là. Elle suivait chacun de tes coups, tremblait quand tu en prenais un. Et c'est là que je vous ai imaginé ensemble, vous donnant l'un à l'autre. Vous êtes beau tous les deux et j'ai l'intime conviction que vous saurez vous compléter à merveille. Grâce à vous, je vais vivre mon plus grand fantasme : assister à des ébats en direct. Je sais que ma demande peut être déstabilisante, mais j'aimerais que tu y réfléchisses pendant que je vais régler.

Tandis que mon client s'éloigne en direction du comptoir, Liam se lève et l'expression de son visage me fait craindre le pire.

— Cette histoire était très touchante. Tu remercieras Hector pour le repas, mais je ne vais pas rester plus longtemps.

Même si je suis abasourdi par ce que j'entends, je ne m'avoue pas vaincue et tente une dernière approche que j'espère fructueuse.


Sans lecteurs, il n'y a pas d'auteurs.

Cliquez sur l'étoile pour permettre à d'autres lecteurs de découvrir cette histoire.


A samedi prochain pour un nouveau chapitre :)

PS: le chapitre d'aujourd'hui est un 1er jet que je n'ai pas eu le temps de relire. La réécriture du Tome 2 des Démons d'Isa me prend tout mon temps, mais je ne voulais pas rater ce rendez-vous avec vous. Dès que je le pourrais, ce chapitre sera mis à jour.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top