Chapitre 4 - Liam


L'eau glacée de la douche m'aide à endormir la douleur. J'ai pris cher dans le dernier round. Je ne savais pas qu'une tortue pouvait frapper aussi fort. Je vais encore arriver avec des bleus sur le chantier la semaine prochaine, les gars ont l'habitude, mais j'étais censé épauler Paul le nouveau commercial pour faire visiter l'appartement témoin aux futurs acquéreurs. Avec ma gueule amochée, ils font tous fuir. Avec son look de premier de la classe, il sera plus à même de donner confiance aux clients. Il est encore jeune et ne saisit pas toutes les subtilités de la construction, mais tant pis, il va devoir se débrouiller seul.

"C'est quand on est seul face au danger qu'on apprend à s'adapter." Mon paternel me répétait tout le temps cette phrase, lorsqu'il me faisait monter sur le ring. Je l'ai détesté pour ça et pour plein d'autres raisons, pourtant je dois bien avouer que sa technique douteuse m'a permis d'encaisser bien plus que je ne l'aurais imaginé.

— Hey, le renard ! m'interpelle un homme en frappant sur la porte de ma cabine de douche. Arrête de te branler, y a une meuf un peu vieille, mais super canon qui veut te parler. Dépêche-toi avant qu'on te la pique !

Je ne préfère pas répondre à cette provocation, me doutant que les gars ont prévu une connerie. Je suis rodé avec mon équipe d'ouvriers qui travaille sur le chantier. Depuis que Didier leur a dévoilé mon choix d'abstinence lors d'une soirée un peu trop arrosée, ils profitent de la moindre occasion pour me chambrer. ça m'apprendra à confier des éléments de ma vie à mes amis. Aucun n'est capable de garder un secret pour lui.

J'ai cru qu'en tant qu'enquêteur, Alex pourrait en garder un, mais non, il a vendu la mèche sur ma rencontre avec Alice aux Canaries. Maintenant, c'est Isa et sa bande de fouines qui ne me lâchent plus.

Je reste encore sous l'eau froide pour m'enlever l'image de la pipelette brune. C'est à cause d'elle si j'ai pris un coup de poing dans le sternum. Pendant la pause entre les rounds deux et trois, j'ai cru la reconnaître dans le public, ça m'a sorti de ma concentration et la tortue en a largement profité.

Il m'arrive de l'imaginer sous la douche de temps en temps, quand je m'astique. à d'autres moments, je m'autorise un tour sur son site internet d'escort qui était noté sur sa carte de visite. Son portfolio est une mine d'inspiration pour mes séances de plaisir solitaire. Cependant, je n'arrive pas à chasser de mon esprit tous ces hommes qui se paluchent comme moi devant les photos de son corps dénudé. ça me met en rage et c'est pire quand je pense à ceux qui la touchent. Je me dois de me sermonner régulièrement.

Elle est libre de disposer de son corps comme elle l'entend et si ça l'excite de savoir que des mecs salissent leur écran en s'imaginant la sauter, ça n'est pas ton problème. Elle ne t'appartient pas et ne t'appartiendra jamais. Tu as renoncé aux femmes et leurs problèmes depuis longtemps. Tu n'as aucune raison de rompre ton pacte et encore moins avec une escort.

Fort de ma nouvelle volonté, je sors la tête de sous le jet d'eau. C'est à ce moment-là que je prends conscience de l'agitation inhabituelle qui règne dans les vestiaires. Les gars auraient dû partir pour aller fêter leur victoire ou oublier leur défaite en charmante compagnie.

Tout en me séchant rapidement, je tends l'oreille. En plus de mes hallucinations visuelles de la soirée, je crains d'en avoir d'autres auditives qui se confirment à l'instant où elle prononce mon prénom.

— Liam ? T'es là ?

Je ne devrais pas lui répondre, pourtant sa voix mal assurée m'en dissuade. Elle m'a habitué à plus de confiance en elle. Que lui arrive-t-il ? La réponse ne tarde pas à se faire entendre.

— Allez ma jolie, laisse le tranquille. C'est pas son truc les belles femmes comme toi. Par contre avec moi, je te garantie que ça va être l'éclate.

— Dégage gamin, interpellé-je le minot alors que la porte de ma cabine claque contre la paroi.

Ce petit con n'a même pas la présence d'esprit de reculer. Au contraire, il insiste et caresse la joue d'Alice, qui semble incapable de bouger, du revers de la main.

— J'ai dit DEGAGE ! Sinon je te casse les doigts et tu ne pourras plus jamais combattre dans la cage.

J'appuie mes paroles d'une contraction des pectoraux et de quelques pas dans sa direction. La technique d'intimidation semble fonctionner puisqu'il s'éloigne la queue entre les jambes. Du coin de l'œil, je m'assure qu'il ne revienne pas et reporte mon attention sur Alice.

— Toi aussi dégage. T'as rien à faire ici.

Alors que je m'attendais à un enchaînement de paroles sans queue ni tête de sa part pour justifier sa présence, rien ne vient. Elle reste immobile, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, seule sa respiration rapide me prouve qu'elle est bien vivante. J'ai beau claquer plusieurs fois des doigts sous son nez, elle est impassible comme hypnotisée. Je lui saisis alors le visage prêt à lui mettre une gifle, mais ce n'est pas nécessaire. Mon toucher lui a rendu la mobilité. J'observe sa main se mouvoir de son flanc à mon ventre. Elle se pose délicatement sur moi. à rester impassible, je joue un jeu dangereux. Voilà bien trop longtemps que je n'ai pas laisser une femme me toucher de cette manière. Je devrais m'éloigner avant de subir un douloureux retour à la réalité, mais j'en suis incapable.

Ses doigts redessinent la forme de mes abdominaux, puis elle appose ses deux paumes qu'elle remonte lentement. Elles découvrent la dureté de mes pectoraux, la force de mes biceps et lorsqu'elles testent la rugosité de ma barbe, je me perds dans la contemplation de ses iris vertes aux nuances de bleu, à moins qu'elles soient bleues avec des touches de vert. Je ne les avais jamais admirés d'aussi près.

Je crois avoir perdu la notion du temps et de l'espace. Seuls les battements de ses cils, révélant ses yeux, comptent. Ce n'est que lorsque nos nez se frôlent que je m'aperçois que nous avons franchi une sphère trop intime. Mais au lieu de remettre de la distance entre nous se sont ses lèvres d'un rouge intense qui m'attirent. Je voudrais les faire miennes.

Avant que je ne commette l'irréparable, elles bougent, me ramenant instantanément à mes résolutions.

— Liam, mon client aimerait t'inviter au restaurant.

Ces mots sont un électrochoc, un coup de défibrillateur directement dans le cerveau. Je recule d'un bond. Je ne peux rester à proximité. Alice est nocive pour mon équilibre émotionnel. Je dois la sortir de ma tête, elle doit disparaître. à défaut de pouvoir téléporter son corps hors de ma vue, je me concentre sur une tâche plus mécanique et utile : m'habiller. Dans mon sac, j'attrape mon boxer et l'enfile à la va-vite. Un peu trop vite. Le coup au sternum de la tortue et la rage dans ma poitrine se mélangent. Le pic de douleur m'arrache un grognement. Je retiens une grimace et m'asseois sur le banc. Il faut que je me calme.

Qu'est-ce qui te prend, mec ? Ressaisis- toi ! T'es en manque ou quoi ? Te laisse pas avoir par cette femme, elle ne vaut pas mieux que Myriam. Elle est même pire que ton ex, elle a fait de son caractère volage son métier.

Les coudes sur les genoux et les mains sur mon crâne, je chasse de mon esprit les images de mon ex-femme dans les bras de mon ex-meilleur ami et associé. Malheureusement, elles sont remplacées par celles d'Alice avec d'innombrables hommes sans visage. Le regard fixé au sol, je tente de remettre de l'ordre dans mon esprit, mais des escarpins rouges entrent dans mon champ de vision.

Lorsque ses doigts glissent dans ma tignasse rousse et l'agrippent pour que je relève la tête vers elle, je sais que je suis perdu.

— J'aimerais beaucoup que tu acceptes la proposition de mon client, alors je vais t'expliquer les grandes lignes de notre fin de soirée. [Tu devras m'appeler Lana.] Tu vas nous accompagner dans un bon restaurant où Hector a ses habitudes. Nous allons discuter, enfin vous allez surtout discuter tous les deux. Il a envie d'écouter tes anecdotes de combat. Pour ma part, c'est la fin du repas qui m'intéresse le plus. Hector veut nous regarder coucher ensemble.

Je manque de m'étouffer avec ma propre salive et tousse fort. La main d'Alice frictionne alors mon dos.

— Désolée, je ne voulais pas te choquer. J'oublie parfois que la plupart des gens ont une sexualité basique. Non pas que ce soit mal. Une majorité s'en contente, mais les autres ont besoin d'explorer plus de facettes, découvrir de nouvelles sensations ou tout simplement leur corps et les réactions de leurs partenaires.

Alors qu'elle continue de m'expliquer les différentes formes de sexualité qu'elle a croisé, je me redresse pour m'habiller entièrement. Il faut que je m'échappe d'ici. Je suis dans un monde parallèle. Je ne dois pas tomber dans le piège qu'Alice me tend. Si seulement elle connaissait mes kinks*, elle s'économiserait de nombreuses paroles inutiles. Quoi qu'il en soit, je me dois de refuser sa proposition. Je ne veux pas replonger là dedans. Les plaisirs sont trop grands et addictifs. Ils nous laissent croire que le bonheur est possible. On s'investit davantage dans la relation, mais c'est une perte de temps car les partenaires finissent par ne plus nous respecter. Ils partent avec un autre.

— Alice, ça suffit. N'insiste pas, c'est non.

— Oh s'il te plaît ! Viens au moins au restaurant. C'est Hector qui régale. Tu ne seras pas déçu, la cuisine est vraiment bonne. Et tant pis pour la suite de la soirée, oublie ce que je t'ai dis.

— C'est toujours non, répondis-je sèchement en fermant mon sac de sport.

Malheureusement, elle ne lâche pas l'affaire et saisit mon bras à deux mains pour m'empêcher d'ouvrir la porte.

— S'il te plaît, c'est vraiment quelqu'un de bien. Je suis sûre que vous allez bien vous entendre. Ne m'oblige pas à te supplier à genoux.

Alors que je devrais continuer sur ma ligne de conduite, ma bouche accepte la proposition sans mon accord. Son regard m'a happé et j'ai bien peur qu'il me mène à ma perte.


*"sexualité kink" désigne une sexualité qui sort de l'ordinaire et se revendique hors norme, par opposition à la sexualité dite conventionnelle et socialement acceptable. Elle implique des fantasmes sexuels et des pratiques jugés déviants.

Sans lecteurs, il n'y a pas d'auteurs.

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Vous vous attendiez à cette proposition de la part d'Hector? Et ces retrouvailles entre Alice et Liam, vous a plu?

A samedi prochain pour un nouveau chapitre :)

PS: le chapitre d'aujourd'hui est un 1er jet que je n'ai pas eu le temps de relire. La réécriture du Tome 2 des Démons d'Isa me prend tout mon temps, mais je ne voulais pas rater ce rendez-vous avec vous. Dès que je le pourrais, ce chapitre sera mis à jour.

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