— Sacré séance aujourd'hui. Je suis rincée !

— Viens avec moi plus souvent à la salle, bichette et tu seras moins épuisée avec les cours de body combat.

Je lui tends une bouteille d'eau et une barre énergétique. La connaissant, Lou est sortie du lit tardivement et n'a pas dû manger avant de venir. Elle s'affale sur le canapé à côté de la porte des vestiaires.

— Oh non, pitié ! Une séance de torture par semaine, c'est bien assez.

Je lui laisse quinze minutes de répit. Elle a tenu jusqu'au bout sans se plaindre, c'est une première.

Je profite de ce temps pour observer la salle et discuter avec les filles sur les différents appareils de sport. Je rencontre suffisamment d'hommes dans mon travail pour ne pas avoir à en côtoyer pendant mon temps libre. Ils ont tous la même idée en tête, me mettre dans leur lit, malheureusement pour eux ils n'ont pas les moyens de s'offrir l'accès à mon corps.

Aucun homme n'a réussi à réveiller le moindre intérêt à mes yeux, à part peut-être la montagne de muscle de l'été dernier. Si nous avions passé une semaine de vacances ensemble, j'aurais certainement succombé à son charme rustre. Il dégageait une force de caractère et une confiance en lui, rarement vue. La distance qu'il mettait entre nous m'intriguait, d'autant plus que ses regards disaient tout le contraire. Avant de quitter Lanzarote, je n'ai pas résisté à l'envie de lui donner ma carte de visite. J'aurais voulu qu'il m'appelle quand il commencerait son chantier à Lyon, mais il ne l'a pas fait.

Pas étonnant ! T'as passé ton temps à parler. Il ne pouvait pas en placer une. Les hommes veulent être valorisés, pas écouter une écervelée.

— Wouhou ! Alice ! Tu étais dans la lune ? À qui pensais-tu ?

Lou jubile de me surprendre à rêvasser. C'est compréhensible, je ne le fais jamais. J'avance, agis et me pose peu de questions.

— À un grand roux baraqué.

Rien ne sert de mentir, elle est tenace et ne lâche jamais le morceau, autant lui révéler toute la vérité sans attendre.

— Je croyais qu'il ne fallait pas espérer le moindre signe d'un homme, qu'ils sont juste bon pour la baise et encore pas tous, qu'ils-

— OK, j'ai compris. Mais ne retourne pas mes propos contre moi. Nos situations sont complètement différentes. Rappelle-moi, combien de fois tu es tombée amoureuse d'un client le mois dernier ?

Son sourire s'est évanoui et elle est partie bouder sur un tapis libre. J'aurais peut-être dû y mettre un peu plus les formes. Lou est très sensible et c'est un véritable cœur d'artichaut. Les hommes gentils et attentionnés la charment à tous les coups. J'essaye de la sortir de cet engrenage qui lui a valu bien des problèmes, comme se retrouver à faire le trottoir.

Je me souviens de notre rencontre cinq ans plus tôt.

☆☆☆

En attendant mon taxi, je croise le regard d'une jeune femme mignonne malgré sa tenue légère et ses cheveux colorés. Son look ne laisse aucun doute sur son activité. C'est une travailleuse de la rue et rares sont celles qui font ce métier par plaisir ou choix, comme moi. La sélection des clients est une option que peu de filles ont. Même si je n'envie pas leurs conditions, je n'ai pas le pouvoir de toutes les aider. Pourtant quelque chose dans son attitude me pousse à engager la conversation.

— Salut ma belle. T'es nouvelle ? C'est la première fois que je te vois dans le quartier.

Elle tremble, serre son sac d'une main contre sa poitrine et m'empêche d'approcher de l'autre. Tout son corps exprime la peur, ses yeux noisettes ne font pas exception.

— C'est ton coin ? Je suis désolée, je ne voulais pas marcher sur ton territoire. Je m'en vais.

Quand elle se tourne, j'aperçois une bande de peau marquée par les équimoses, entre sa mini jupe et son débardeur moulant. Mon empathie la retient.

— Non, attends ! Est-ce que tu as mangé quelque chose ce soir ?

Au moment où elle m'apprend n'avoir avalé aucune nourriture solide de la journée, le taxi se gare à notre hauteur et je l'invite à s'y installer. Je n'ai pas pour habitude de m'occuper des animaux blessés, pourtant ce soir c'est instinctif. Je ressens ce besoin de la protéger.

Après avoir indiqué l'adresse de l'hôtel-restaurant où j'ai rendez-vous au chauffeur, je reporte mon attention sur cette fille au style atypique.

— Je m'appelle Lana et toi ?

— Lou.

— C'est très mignon tout comme toi.

Malgré la pénombre, je la vois rougir.

— Tu es vraiment à croquer et tu ne devrais pas traîner dans la rue. J'ai un rendez-vous avec un client au restaurant. Si tu es d'accord, je vais l'appeler pour le prévenir que je ne serais pas seule. S'il accepte, tu mangeras avec nous, sinon je te trouverai un endroit tranquille et au chaud. Ce soir, tu es libre de choisir le meilleur chemin pour vivre ta vie.

☆☆☆

Ce soir-là, je rencontrais aussi Miguel pour la première fois. Il avait accepté la présence de ce petit bout de femme à sa table. J'ai conclu un accord avec mon client répondant à ses attentes tout comme nos limites respectives, et je me suis donnée pour mission de prendre soin de Lou.

Notre métier n'est pas simple. Les prédateurs rôdent et nous devons être prêtes à nous défendre psychologiquement et physiquement. L'entraide est primordial, je dois rattraper ma bêtise. Soignant mon approche, je la rejoins et commence à m'étirer. Elle change de position me tournant le dos.

— Loulou, excuse-moi. Ce n'était pas contre toi. Je ne sais pas si je dois m'énerver contre lui d'avoir oublié mon numéro, ou contre moi et mes principes de ne pas coucher pendant mes vacances.

Même si ses épaules se relâchent, la communication visuelle n'est pas encore rétablie. Je la connais assez pour entrevoir une lueur d'espoir.

— T'étais avec Matthéo, hier, non ?

La simple mention de son coup de cœur du moment me vaut toute son attention et son sourire.

— Oh oui, c'était merveilleux ! Il avait son beau costume bleu marine que j'aime tant. Tu sais celui qui lui fait la même carrure que Toriko et un cul à se damner !

Je n'ose pas l'interrompre au nom de ce Toriko, certainement l'un de ces personnages de manga qu'elle affectionne. Souvent, je me demande d'où vient notre amitié. Nous n'avons pas les mêmes centres d'intérêt et un mode de vie diamétralement opposé. Elle aime l'agitation du centre ville lyonnais, le théâtre de Guignol et la glace à la fraise, alors que je préfère le calme de la banlieue, l'opéra et le sorbet citron basilic.

Une seule chose nous rapproche, cette irrésistible envie de liberté. Nous voulons vivre comme nous l'entendons. Chaque jour apporte son lot de surprises et de nouvelles expériences.

— Au fait, j'ai croisé Carrie, tout à l'heure. Elle m'a proposé un plan avec un groupe d'entrepreneurs. Je ne sais pas encore si j'accepte.

— Je sais que cette fille est ton amie, mais ses copines et elle, je ne les sens pas. Méfie-toi. Ne t'embarque pas dans un truc foireux. Je veux que tu me tiennes au courant. Les plans à plusieurs sont difficiles à gérer.

— Tu en organises bien, toi ?

— C'est vrai, mais je connais les hommes que je convie à mes gang bang. Tout est cadré et ils savent qu'ils doivent respecter les règles sous peine d'être rayés de mon carnet d'adresses. Pour les orgies, c'est différent. Tu ne maîtrises rien. En plus, un homme dans un groupe qu'il côtoie régulièrement veut souvent montrer aux autres sa supériorité, par sa taille, ses performances ou pire sa brutalité.

J'aime la gente masculine, sinon je ne ferais pas ce métier, mais leur besoin de domination et de pouvoir doit être pris au sérieux. Je choisis notamment mes clients parmi les puissants qui n'ont rien à prouver aux autres. Lou se laisse séduire par des profils plus gentils. Ce sont les pires. Ils cachent leur côté sombre derrière leur bienveillance.

J'en ai fait les frais, avant de devenir escorte. Jamais plus quelqu'un ne me dira comment je dois m'habiller ou me comporter. Jamais plus je ne serai inférieure à un homme. Ils peuvent me désirer, mais je suis libre d'accepter leurs sollicitations ou non. Certains clients pensent avoir les rênes de nos ébats. Ils se trompent. J'ai tous les pouvoirs. Je les guide exactement là où je les veux.

Lou n'a pas cette force de discernement. Avec mes cinq années d'étude en psychologie, je m'y connais en analyse de comportement humain.

— Tu passes à l'appart après ? J'ai envie d'une soirée filles manucure et sushi.

Je sens dans sa voix qu'elle a besoin de vider son sac. Sous son apparence joyeuse et ses cheveux roses (multicolores dans l'épilogue), elle cache sa véritable nature. Les confessions sont rares. Je la laisse s'ouvrir à moi quand elle en ressent l'envie. Je dois lui proposer une date rapidement au risque qu'elle se renferme.

— J'aurais bien voulu, mais j'ai rendez-vous avec Hector. Il tient à m'emmener voir un championnat de free fight. Demain, par contre, on peut passer la journée ensemble à se faire les ongles, des soins et des massages.

Elle accueille ma proposition avec beaucoup d'enthousiasme, puis m'interroge sur mon programme.

— C'est le truc avec les combats dans des cages ?

— Je crois bien que c'est ça. Apparemment, ce sera surtout des combats entre amateurs.

— Mais attends, Hector, c'est le vieux qui aime te regarder te toucher. Il veut que tu le fasses en public ?

— Non, ce n'est qu'un voyeur qui veut observer toutes les facettes de mon plaisir. Il compte sur le déferlement de testostérone pour augmenter mon état d'excitation. Je n'ai pas voulu le contredire, mais j'ai des doutes. Les hommes bodybuildés huilés et couverts de sang ça ne m'excite pas du tout. 

Sans lecteurs, il n'y a pas d'auteurs.

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Maintenant que les présentations sont faites avec Lou. Que pensez-vous d'elle? Que vous inspire la relation entre Alice et Lou?

A samedi prochain pour un nouveau chapitre pour assister au combat :)

PS1: le chapitre d'aujourd'hui est un 1er jet que je n'ai pas eu le temps de relire. La réécriture du Tome 2 des Démons d'Isa me prend tout mon temps, mais je ne voulais pas rater ce rendez-vous avec vous. Dès que je le pourrais, ce chapitre sera mis à jour.

PS2: Le personnage de Lou me plaît énormément, à tel point que j'imagine déjà sa romance.