Chapitre 7 : La naissance de 3 333

Tandis que le soleil déclinait, que Jade sanglotait seule dans cette immense maison, le Mavois capturé le matin-là parvenait dans sa nouvelle demeure. Enchaîné, pour éviter tout risque de fuite, il était à demi traîné. Le regard vide, il se laissait faire. Les couloirs étaient sombres, angoissants, tout autant que les cris étouffés perçus ci et là.

Lorsque les murs devinrent rouges, les geôliers se stoppèrent devant une porte noire. Ils s'annoncèrent et entrèrent dans le bureau.

Comme le protocole du Morcème de Farou l'exigeait, tous les nouveaux arrivants devaient être présentés au Tiran, le maître en ces lieux. Sa tignasse rouge contrastait avec l'intégralité de la pièce, noire. Quelques éléments du décor y échappaient, comme les poignées de certains meubles, le tapis et le bureau. Tout était cependant imaginé pour transmettre anxiété et peur.

Les accompagnateurs posèrent avec respect un dossier -son dossier- sur le bureau. Habitué, le Tiran le feuilleta en quelques secondes.

—Soin, création d'objets de petite tailles... hum...

Sérieux, il réfléchissait à sa prochaine annonce : le numéro que tous les Mavois attendait avec impatience. Ce numéro qui décidait de la valeur de l'insecte. Valait-il de l'or ? de l'argent ? du bronze ? ou des miettes de pains ?

—Pratiquais-tu un sport ou une activité un tant soit peu utile ?

Tout allait se sceller sur cette simple réponse.

Le jugé s'efforçait de rester droit, malgré la corde servant à le faire avancer. Malgré son impression d'être un animal, un chien en laisse. Il était humilié et n'avait qu'une envie : cracher au visage de tous ces gens. De tous ces êtres abjects. Malheureusement, il était le prisonnier, le faible, la chose. Il n'avait pas le droit à la contestation.

—Je t'ai posé une question, grinça le Tiran.

Son regard fit frémir le nouveau. Comme toujours, à quelques exceptions près.

—Je sais cuisiner, se décida-t-il.

Les progues rirent, tous en même temps, se moquant ouvertement de lui. De ce Mavois minable. De ce Mavois qui tremblait face à eux. Celui-là regretta d'être faible parmi les forts. S'il avait eu la puissance de l'Inconnu aux mille visages, de Calis ou bien même du Dido, il aurait pu les mettre à terre, tous. Il aurait pu être l'oppresseur, et non l'opprimé. Mais les choses étaient ainsi. Le destin avait distribué les rôles et lui n'avait eu que les restes.

—Qu'il est drôle celui-là !

Le Mavois serra les poings et trouva le courage d'affronter son regard brun.

—Baisse tes yeux, ordonna instantanément le maître du Morcème.

La rage s'emparait déjà de lui. Comment un nouveau pouvait-il se permettre cet affront envers lui, le roi en ces lieux ?

Le Mavois poursuivit sa défiance. Sa seule arme, son seul acte de courage dans cette pièce.

Le défié se leva en reculant brutalement sa chaise. Il se posta face à l'insecte. Ni angoisse, ni peur ne se lisaient sur son visage. Il n'était pourtant pas le plus grand. L'être inférieur mesurait bien cinq centimètres de plus que lui. Cependant, il les haïssait du plus profond de son être et il aimait faire souffrir. Il s'agissait là de son moteur, de sa vie.

Il frappa une fois au ventre. L'autre se plia en deux.

Son pied heurta un genou. L'autre tomba.

Il empoigna les cheveux. L'autre fut contraint de plonger son regard dans ses yeux bruns.

—Tu n'es rien. Tu ne mérites pas de vivre. Alors, ferme-là et obéis.

L'accusé déglutit, voulut reculer, mais ne le pouvait guère. Le message transmis, le Tiran regagna sa place, sourire aux lèvres. Il aimait avoir le pouvoir, dominer. Il ne rêvait pas de la place du Boss, ni même d'un bureau à la Palqua. Car ici, entre ces murs, il était le roi. C'était bien plus excitant que tout !

—Tu seras 3 333.

C'était décidé. Il avait d'abord songé à un nombre plus grand, mais cette petite étincelle de rébellion l'avait fait changer d'avis.

Ainsi, 3 333 naquit. Plus de noms, plus de familles, plus d'amis. Son existence passée était gommée, rayée des fichiers nationaux. Sa place au Morcème remplaçait tous ces besoins.

De la même manière qu'il était arrivé dans la pièce, on l'en sortit. A nouveau, on le traîna dans les couloirs, se préoccupant à peine de ses genoux écorchés ou de son souffle rapide. Les couloirs sombres laissèrent peu à peu place aux couloirs blancs. Juste blancs. La luminosité qui régnait ici faisait plisser les yeux, dérangeait également. Ce n'était pas un lieu de joie, mais de mort.

Enfin, les pas se stoppèrent face à une porte. La numéro 333. 3 333 se disait bien qu'il ne pouvait y avoir autant d'occupants ici. Une fois à l'intérieur de la pièce de neuf mètre carré, il fut jeté par terre.

—Cinq minutes.

Pour quoi faire ? s'interrogea le Mavois. Jusqu'à preuve du contraire, les prisonniers n'avaient aucune affaire, si ce n'étaient les vêtements qu'il portait au moment des faits. Tout le reste était perdu. Tout comme les liens familiaux.

Il se leva, jeta un rapide coup d'œil à l'endroit, puis reporta son attention sur le progue. Comme il ne bougeait pas d'un millimètre, il s'avança vers le lit. Difficile de s'avancer vers autre chose, il n'y avait que cela avec un petit chevet. Ce fut alors qu'il comprit l'échéance : il devait se changer. Sur le matelas, reposait une tenue blanche. C'était une combinaison avec deux poches et des boutons du haut vers le bas. C'était tout.

3 333 retint un instant sa respiration. L'uniforme était déprimant à souhait, malgré sa clarté. Il lorgna le progue.

—Deux minutes.

Il comprit qu'il allait devoir se changer, là, tout de suite. Dans cette prison, la pudeur n'existait plus, ni l'humanité. Les yeux lui picotèrent face à cette réalité qu'il avait pourtant chassée de son esprit. Avant, il était empli d'espoir et de joie de vivre. Même s'il était capable de faire apparaître ce couteau pile au bon moment, sa faiblesse le rassurait. Il espérait même devenir policier ! Progue était un peu complexe de par sa nature, mais le grade inférieur était à sa portée. Secourir les civils d'un cambriolage sans magie, régler les problèmes de voisinages et tous ses petits traquas sans histoires de dons, il le désirait. A présent, il n'avait plus d'avenir.

Rapidement, 3 333 se changea et le progue le traîna à l'extérieur. Sa poigne ferme fit ravaler les larmes du Mavois. Il allait pleurer, mais pas devant son ennemi. Non, il ne pouvait décidément pas leur offrir ce cadeau.

Cette fois, la porte était large et possédait deux battants. On entendait des pas, des froissements de tissus, des ustensiles, mais pas une seule voix. Rien. Le cœur du nouvel arrivant se mit à accélérer, d'autant plus à son entrée dans les lieux.

La pièce était grande, soixante mètres carrés au minimum, et haute de plafond. Aucune fenêtre n'existait, ni lustre. La lumière semblait venir de partout à la fois et 3 333 ne put s'empêcher de trouver ce fait fascinant. La surface était partagée en rectangle régulier. Parfois, un lit simple d'hôpital s'y trouvait, parfois seule une chaise composait l'espace. Leur point commun : un Mavois tantôt assis, tantôt debout. Tous s'affairaient à leur tâche.

3 333 comprit avant même d'obtenir les explications du progue.

—Ton nouveau travail, l'informa le geôlier en le faisant s'asseoir à une chaise.

Les blessés arrivaient par une autre grande porte. En file indienne, la circulation était réglementée et fluide. Tous avaient le regard baissé, des blessures multiples et variées. Le nouveau ne put s'empêcher de grimacer face à certaines entailles ou fractures.

Sans un mot de plus, son premier patient arriva. Puis le second. Puis le troisième. Ils s'enchaînèrent à une vitesse constante, qui fit frémir le soigneur. Tout semblait orchestré au millimètres près. A intervalles réguliers, certains Soigneurs étaient escortés à l'extérieur puis revenaient. 3 333 attendit ce moment avec impatience, parce qu'il avait envie d'aller aux toilettes, mais la parole était proscrite en ces lieux. Une fois son tour venu, il ne parvint pas à uriner. Même pour cela, l'intimité des Mavois étaient des termes inconnus.

Lorsqu'il n'eut plus de magie, plus la force de garder les yeux ouverts, il fut reconduit dans sa chambre. Il n'eut pas l'énergie pour gagner son lit et resta là, sur le sol froid à rêver de prairie et de ciel bleu.

Et ce n'était que le premier jour.

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