Chapitre 57 : Question de temps
Sa vue était floue lorsque Jade reprit connaissance. Ses mains étaient liées dans son dos, attachées à une chaise. La chaise sur laquelle elle était assise. Ses pieds subissaient le même sort, par mesure de précaution. La pièce était composée de deux assises, c'était tout.
Jade avait du mal à mettre de l'ordre dans ses idées. Elle n'était certaine que d'une seule et unique chose : la situation était catastrophique. Dans cet endroit, il n'y avait que peu d'espoir de retrouver la lumière. C'était l'avant-dernière étape : le lieu où tout se dénuait.
Les oreilles sifflantes, Jade ferma les paupières. Elle n'avait jamais expérimenté leur moyen d'endormissement, mais ce n'était pas de simples pilules. L'effet était désagréable et perdurait longtemps. Ses sens étaient brouillés et, malgré tous ses efforts, ses doigts tremblaient. Elle devait pourtant raisonner de façon rationnelle. Le pouvait-elle cependant dans pareil endroit ? En aucune façon. Le mot mort se glissait bien trop dans son esprit. Il s'ancrait sur sa chair et faisait péniblement battre son cœur. Elle voulait vivre. Elle devait vivre. Comment ? Elle n'en savait rien.
Une chaise fut tirée derrière elle et elle frissonna. Le bruit était certes désagréable, mais l'identité du nouvel arrivant bien davantage. Le Prédateur apparut dans son champ de vision. Pour la première fois, il ne souriait pas. Il n'avait plus besoin de l'arborer : ici, tout était plus simple. La pièce suffisait à angoisser n'importe qui. Ajouté à cela sa présence à lui, les Mavois avouaient en quelques secondes.
Nicolas plaça le dos de la chaise face à Jade et s'y assit. Il posa sa tête sur ses bras, eux-même posés sur le dossier, puis plongea ses pupilles dans celles de son jouet. Dégoût, haine, certitudes. Jade eut l'impression de lire un livre ouvert. Elle frissonna une nouvelle fois. Un instant, elle avait cru que le Prédateur la préserve. Elle avait été sa coéquipière pour quelques jours. C'était néanmoins stupide ne serait-ce que de le penser.
—Ton sang est déjà parti au labo, ce n'est qu'une question de temps.
Jade jeta un œil à son bras, mais c'était vain. Dans son état, rien n'était clair. Alors, c'était ainsi qu'elle allait finir ? Capturée si aisément, si facilement ? Ce n'était pas digne de l'Inconnu aux mille visages. Que pouvait-elle cependant faire, le Dédra contre sa peau ?
—Ah oui ? eut-elle l'audace de prononcer.
—Je sais qui tu es, Hart Jade.
Répugnance, autorité et certitude se percevaient à travers sa voix. Nicolas savait qui était Jade. Cette phrase n'avait pas le même sens pour la Mavoise : il ne connaissait rien de son réel visage. L'Inconnu aux mille visages était toujours libre à ses yeux. Quel dommage qu'il soit si ignorant...
—Tu as fait des recherches, non ? lança-t-elle.
Le Prédateur serra sa mâchoire. La rébellion était de trop. Mais, parce qu'elle était parvenue à le divertir, il se contrôla. Quoi qu'il arrivait : son ADN parlerait et, cette petite anomalie, ce petit gêne en trop, lui coûterait la vie. Il était sûr de lui, car même si Jade n'avait pas fait étalages de ses dons il le percevait.
—Plus pour toi que les autres. Hannah devait être aussi ridicule que toi. Tu ne crois pas ?
Jade serra sa mâchoire. Ce n'était définitivement plus Nicolas face à elle, mais le Prédateur, ce progue impitoyable qui tuait aussi vite qu'il marchait. Il frappait là où la douleur serait la plus vive, sans prendre de gant, sans hésiter. Il était un parfait robot du gouvernement.
—Davantage encore, répondit Jade. Elle ne m'a rien dit, mais ma sœur brillait et amenait les foules à elle. Elle n'est pas partie en pleurs.
—C'est pour cela que tu ne supplies pas ?
Il serra les poings. Ce genre de scénario l'horripilait au plus haut point. Ce monstre aurait dû disparaître définitivement, et non vivre à travers les souvenirs. C'était tout ce qu'ils méritaient.
—Je n'ai pas de raison de le faire.
Jade ne parvenait pas à le formuler à voix haute. Elle s'était pourtant préparée, mais rien ne venait. Dans son esprit dansaient encore les flammes de l'espoir.
—Oh, vraiment ? Tu sors la nuit pour prendre l'air, peut-être ?
—Ma sœur se rappelle à moi. Alors, oui, je marche.
—En évitant les caméras ?
Bien sûr, il avait consulté les archives. Il était aisé de se faire prendre, mais Jade connaissait leur emplacement.
—Oui.
—Alors que ta sœur s'est faite prendre par elles ?
Jade se redressa. Insinuait-il avoir des images de sa mort ? Elle stoppa sa respiration et réfléchit à vive allure. Supporterait-elle les images ?
—Hannah n'était pas si bête, je ne te crois pas.
Le progue se leva calmement, appuya sur un bouton à côté de la vitre et, là, sous le regard ébahi de Jade, Hannah apparut. Son pantalon noir était banal, mais Jade reconnut son t-shirt : il était marqué d'un L, pour liberté.
Hannah était figée, comme si elle attendait quelque chose, ou quelqu'un. Puis, elle s'écarta soudain, tandis que l'écho d'une balle retentissait.
—Qu'est-ce que tu me veux ? questionna-t-elle.
Une seconde passa encore sans que rien ne change. Ensuite, la réponse fendit l'air tandis que le lasso était lancé.
—Te tuer.
Le souffle de Jade se stoppa. La voix de Rachel était limpide, telle qu'elle la connaissait aujourd'hui.
Sans difficulté, Hannah s'écarta et l'attaque rebondit sur le sol. Rachel apparut alors sur l'écran et Jade serra les dents à s'en faire mal.
—Je t'avais promis de t'apporter son nom, susurra le Prédateur dans son dos. Alors le voici : Malsi Rachel est celle qui a ôté la vie à ta sœur bien-aimée.
Jade ne quitta pas l'écran, car Hannah souriait en coin. Elle ne semblait pas aux portes de la mort, loin de là. La victoire paraissait inscrite sur sa peau.
Une nouvelle fois, Hannah se décala sur la droite, tandis qu'une autre balle sifflait. Rachel se figea alors et la Mavoise s'approcha calmement. Sa main se parait de feu, une flamme aiguisée, prête à trancher. Lentement, elle l'approcha du cou. La progue ne montrait aucun signe de riposte.
—Tu n'es pas assez forte pour me tuer, asséna Hannah.
Une barrière se dressa entre les deux combattantes. La Mavoise chancela, les yeux écarquillés. Avant qu'elle ne pose la moindre question, elle fut enfermée dans une autre barrière et Rachel fut libérée.
—Je n'ai jamais dit être seule.
Le cœur de Jade s'emballa. La vidéo n'était pas achevée, mais l'espoir renaissait : pour le moment, Hannah était capturée. Derrière elle, Nicolas souriait. Rachel dépassait toutes ses espérances.
A l'écran, elle avança vers la Mavoise, pointa son arme sur sa tempe.
—Je ne supplierai pas, riposta Hannah.
Ses mains contre la barrière, elle comprenait qu'il lui était impossible de sortir. Ses attaques s'évaporaient à son contact. Son visage serein, elle donnait l'impression d'accepter la mort.
—Je n'en attendais pas moins de la Pierre Illusoire, chuchota Rachel.
—Ni moi de l'Etoile Montante.
La progue tiqua au surnom, comme si elle avait été destinataire d'un message personnel. A la surprise de Jade, la Pita s'éloigna de sa sœur. Rachel la rangea dans sa poche et sortit à la place un petit objet rectangulaire.
—C'est une mort convenable, n'est-ce pas ?
—La meilleure qui soit, répliqua Hannah.
Le briquet tomba alors.
Jade hurla, sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Brûlée vive. Sa sœur avait été brûlée vive.
—Où est-elle ?
Chaque mot était accentué, prononcé avec force et détermination.
—Je t'autoriserai à la voir si tu avoues enfin être l'une des leurs.
—Je préfère mourir que mentir.
—Le résultat...
—... sera négatif, le coupa-t-elle.
Bien sûr, c'était faux. Jade en avait conscience. Cette marque sur ce gène serait là, il n'y avait pas de doute. Cependant, cette voix lui avait dit de nier, elle lui obéissait.
La gifle partit sans que Nicolas ne s'y attende. Il avait commis une erreur pour Luhan, la seule depuis sa promotion en progue, Jade ne pouvait pas en être une autre. Pas de façon si rapprochée. Sinon, quelles implications aurait-ce sur sa réputation ? Bien trop. Il tomberait de la tour, sans parvenir à amortir sa chute. Il n'était pas à son apogée, il le savait. Alors, il ne s'était pas fourvoyé.
—Gifle-moi tant que tu veux, tu n'obtiendras rien de plus.
Nicolas serra les poings. Il sommait Rachel de se dépêcher un peu plus, car il lui tardait d'utiliser le Dédra sur sa personne.
—C'est bête, hein ? le nargua-t-elle. Sans preuve que je sois des leurs, tes joujoux doivent rester cachés.
Son poing s'écrasa sur son visage. Jade papillonna des paupières tout en secouant la tête, pour chasser les points noirs. Puis, elle sourit.
—On ne te pardonnerait pas une deuxième folie.
Nicolas contracta sa mâchoire. Jade visait juste, et c'était la plus grande de ses victoires. Elle était déjà tombée sous les coups de Rachel, elle n'était pas effrayée par ceux de l'illustre progue.
—Vas-y, sors-les.
—Tais-toi.
—J'ai hâte de pouvoir annoncer à tout le monde que tu es cinglé.
Quelle expression afficherait-il lorsque le verdict tomberait ? Serait-il encore plus enragé de l'avoir crue ?
Le Prédateur frappa. Les mots n'avaient plus l'autorisation d'être exprimés. Le sentiment d'être la souris le prenait aux tripes, et il détestait cela. Ce n'était pas lui. Ce n'était plus lui. Il était le fort, le puissant. Alors, il laissa de côté sa prudence et sa maitrise. Rien ne comptait plus hormis ce sentiment de domination.
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