Chapitre 51 : Les progues sont prêts

Jade ne savait pas quoi, mais elle le sentait : quelque chose se préparait à la Lulyco. Les échecs de Galila revigoraient tout le monde, y compris le Prédateur. Il n'était pas présent ce matin-là, à sa place habituelle. Si une mission le retenait quelque part, elle aurait été au courant. Ce qui signifiait que cette mission aurait pour terrain de jeu la Lulyco. Cela ne lui plaisait absolument pas.

—Les roues du destin vont s'arrêter, murmura Matthew.

Jade le chercha du regard, mais il s'était déjà évaporé. Son regard se posa alors sur l'extérieur et elle se figea. Pas un chat ne se promenait. L'heure approchait donc.

En effet, Nicolas était presque prêt. L'évacuation se déroulait sans accro et sans panique. Il n'avait rien laissé au hasard, du nombre de progues présents aux différentes réactions possibles de Luhan, en passant par celles de Jade. Dans quel camp irait-elle ce vendredi-là ? Elle l'avait déjà impressionné en affrontant la mort de ses semblables, il en attendait davantage encore.

—Tous les progues sont à leur poste, lui annonça-t-on à l'oreillette.

Il acquiesça en se mettant lui aussi en position. Seules trois classes avaient encore lieu : la sienne, celle de Luhan et celle d'Aurélie. C'est vers cette dernière qu'il se rendit. Aujourd'hui sonnait son heure de gloire.

Rachel était postée dans les broussailles, attendant le signal. Elle ne partageait pas l'enthousiasme de son coéquipier. Pour elle, Luhan n'était pas l'Inconnu aux mille visages. Il manquait de sang-froid, de discrétion et de prudence. Plus que cela, ce Mavois devait avoir un feu dans ses pupilles : celui de la rébellion et de l'injustice. L'étudiant, lui, n'éprouvait rien de tel. Il vivait simplement sa vie. Cependant, personne ne contredisait le Prédateur, elle l'avait bien compris.

Le progue était persuadé que son absence de deux ans avait changé le Mavois au point qu'il ne recherche que la paix. Luhan était donc le candidat idéal.

La sonnerie retentit et Aurélie sortit dans le couloir. Le Prédateur n'eut pas besoin de parler pour que l'espace soit déserté.

La jeune femme sentit ses mains devenir moites et les mots quittèrent son esprit. A la posture du progue, elle sut que cette fois il ne la laisserait pas repartir. Le Prédateur avança d'un pas vers elle, le regard flamboyant de satisfaction. Aurélie pria de connaître un autre jour.

—Réponds à ma question : où t'ai-je croisée ?

Il se fichait pas mal de la réponse. Il devait simplement la retenir suffisamment longtemps pour que Luhan fasse son apparition.

Aurélie ouvrit la bouche, tenta de nier, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Elle recula d'un pas, puis d'un autre. Le mur l'arrêta.

—Où ?

L'air lui manqua soudain et elle haleta, comme si un réel coup lui était porté. Les images l'assaillirent brutalement. Le sourire désolé de son frère, les mots des progues, le regard du Prédateur, leur fierté, leur insistance, leur victoire. Aurélie eut la nausée et se tint au mur.

—Je ne le répéterai pas une quatrième fois, prévint le Prédateur.

La civile leva le regard vers lui. La lueur de la folie y luisait, et elle comprit. Si Aurélie désirait vivre, elle n'avait qu'un choix : celui de fuir. Ainsi, ses jambes se mirent à courir, tandis que son esprit appelait à l'aide.

« Il va me tuer. »

Luhan accéléra le rythme de ses pas. Il peinait à respirer, comme s'il pressentait la suite. Il ne doutait pas de ce message. Pas une seule seconde. Le désespoir transparaissait dans chaque syllabe prononcée. Aurélie avait besoin de lui, et tout de suite. Il se concentra sur les âmes présentes autour de lui. Celle de son amour se distinguait des autres par la crainte qui s'en dégageait, et par le démon qui la suivait. Luhan connaissait depuis longtemps celle du Prédateur : une âme aussi noire que la nuit. Les rares instants de lumière qu'il avait perçus lui étaient si éphémères qu'il doutait les avoir perçus.

Luhan courait sans s'arrêter, sans se préoccuper de son souffle ou des couloirs vides. Il avait promis à Aurélie de ne jamais l'abandonner, il comptait tenir cette promesse. Quitte à tout perdre.

Le Prédateur l'attendait dans la cour, sous l'érable. Aurélie était devant lui, tremblante. Elle pleurait et souhaita se jeter dans ses bras lorsqu'elle l'aperçut. Le progue la retint d'une simple pression à l'épaule.

—Qu'est-ce que vous lui voulez encore !

Le regard voilé, Luhan ne discerna pas le mouvement de recul d'Aurélie. Cette expression, elle l'avait déjà vue chez son frère. Elle n'annonçait qu'une perte de contrôle.

—C'est toi que je veux, souffla le progue. Reste gentiment là où tu es, les mains en évidence.

—Pour quel motif ?

Luhan s'approcha, il n'avait rien à se reprocher. Pas encore.

—Est-ce que j'ai besoin de préciser ? ricana le progue. Ne fais pas l'innocent.

L'accusé fronça les sourcils, il ne comprenait pas. Si le Prédateur l'estimait Mavois, pourquoi ne lui passait-il pas simplement les menottes aux poignets ? Pourquoi se servir d'Aurélie ? C'était démesuré comme réaction.

—Reste où tu es et lève ces mains, répéta Nicolas.

Délicatement, il sortit la lame qu'il avait préparée. Doucement, il la posa sur la gorge d'Aurélie.

—Tu ne voudrais pas qu'elle soit abîmée, si ?

Luhan serra les dents. Non, il ne le souhaitait pas. A la moindre ouverture, il en profiterait cependant. Aurélie était terrorisée et cela lui suffisait. Il n'avait rien à perdre dans sa vie, sauf elle. Enfant unique, il n'avait pas de frère ou sœur sur qui compter et ses parents étaient trop embrigadés pour le soutenir une fois sa nature révélée. Si Aurélie disparaissait, il n'avait plus rien.

Une seconde, Nicolas hésita encore. Avant de lancer l'assaut, il devait être certain que son adversaire abandonnait. S'il déployait ses forces ici, nombre d'entre eux allaient mourir. Une seconde, l'idée que tout était trop facile le saisit. Avant d'abdiquer, Luhan aurait dû utiliser ses dons. S'il en usait ici, il pouvait gagner. Il balaya cependant ses doutes car, dans cet endroit, seul lui représentait un intérêt. Il avait épluché la vie de tous les autres sans y trouver un quelconque intérêt. Ils étaient banaux, sauf Luhan.

Et, durant ce laps de temps, Jade les aperçut de la fenêtre. La lame brillait, elle n'eut donc aucun doute sur ce qui se produisait. Elle balaya alors les conseils des progues venus les retenir dans la salle et courut dans les couloirs. Elle n'avait pas d'armes, pas de plan. Mais c'était absurde. Luhan n'était pas comme elle, pas lui. Elle arrivait à la dernière intersection, lorsqu'elle rencontra Jacob. Le regard paniqué, lui aussi courait. Tous deux s'arrêtèrent net.

—Quelqu'un va mourir aujourd'hui, lâcha-t-il.

Jade se demanda qui d'Aurélie ou de Luhan mourrait. Elle tenta de compter le nombre de progues convoqués, c'était trop pour un simple Mavois. Le Prédateur se chargeait seuls de ceux-là. Sa bouche s'assécha, tandis qu'une partie de la situation se frayait un chemin dans son esprit. Elle chercha Matthew, toujours sur les traces de son frère, mais il n'était pas là.

—Je n'ai que deux dons : voir les fantômes et... une espèce de sixième sens qui m'indique la disparition d'un proche.

Jade se décomposa. Le mort devenait une évidence. Etait-ce pour cette raison que Matthew n'était pas présent ?

—Tu ne pourras pas l'aider.

—Toi oui, peut-être ? lui retourna-t-il. Reste en dehors de ça, progue.

Jacob s'élança vers les portes du bâtiment. Jade le suivit de quelques secondes. Le premier n'emprunta pas le chemin direct vers Luhan, mais contourna la bâtisse, afin de venir du dos du Prédateur. S'il n'était pas vu, il pouvait éloigner Aurélie. Luhan redeviendrait ainsi paisible.

Il arriva au moment où l'assaut fut donnée. Tous étaient focalisés sur le suspect, personne ne le vit s'approcher. Lorsque le Prédateur nota le craquement des branches et ses pas rapides, il pointa sa lame dans son dos.

L'ouverture que Luhan attendait. De façon précise et foudroyante, il pointa un doigt dans leur direction. Le feu répondit à son appel et fila droit sur l'illustre progue.

Tous retinrent leur souffle durant une seconde.

Une fraction de seconde.


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