Chapitre 50 : Mission

C'était impressionnant à quel point le monde pouvait rapidement changer. Jade le découvrait chaque jour un peu plus en se rendant à la Lulyco. Jacob continuait de s'éloigner, mais depuis son ralliement aux progues, Luhan et Aurélie lui adressaient à peine une salutation. Elle les comprenait d'une certaine façon : son adhésion était soudaine et le Prédateur ne la quittait plus d'une semelle.

Ce jour-là, une semaine après son combat contre Rachel, Jade était conviée à sa première mission. Elle quitta rapidement les cours et découvrit les locaux des progues en effervescence. L'endroit était bruyant et les visages radieux. Swen, à l'accueil, ne faisait pas exception.

—Impatiente ?

Il s'était habitué à Jade, aussi facilement qu'il respirait. Peut-être bien qu'elle menait des sorties nocturnes, en attendant, elle prenait son travail à cœur et y prenait plaisir. Sa bonne humeur déteignait sur lui.

—Je ne sais pas, pour être honnête. J'ai toujours vu les convois sur les écrans, jamais en vrai.

Elle se mordit les lèvres tout en s'accoudant au comptoir. Une part d'elle se réjouissait : elle était à nouveau capable de feindre être quelqu'un d'autre.

—C'est impressionnant, mais sans risque. Tu n'auras qu'à suivre le mouvement et une fois arrivés au Morcème de Lonie, une équipe vous prêtera main forte.

Ce qui l'inquiétait surtout était l'intervention de Galila. Comment pourrait-elle garder son sang-froid si l'un de ses anciens coéquipiers débarquaient ? Elle n'arrivait pas à se retirer cette option de la tête.

—Tu l'as déjà fait ? questionna-t-elle.

Le Prédateur ne lui donnait que peu d'informations, ce qui était logique : il n'avait pas confiance en elle. Swen était plus bavard.

—Non, jamais. Je préfère les bureaux.

—Hé, la menteuse, viens par là ! lança Rachel de l'autre bout de la salle.

Son entente avec son progue préféré l'agaçait au plus haut point. Jade avait dans sa main la moitié des collègues, alors qu'elle n'exerçait que depuis une semaine. C'était frustrant.

—A plus tard, sourit la nouvelle.

Elle avait déjà revêtu l'uniforme et attendait qu'on lui fournisse des armes. Elle avait pris garde à cacher sa réticence d'approcher le Dédra aussi près de son corps, elle n'avait cependant pas le choix. C'était l'équipement indispensable d'un progue.

—Tiens, ton arme, l'informa Rachel en lui tendant.

Jade s'en saisit fermement avant de la passer dans la boucle de son ceinturon. Un courant électrique la traversa une seconde, puis disparut. Son pouvoir se tut également, elle ne ressentait plus aucun crépitement. C'était étrange de ne plus les percevoir. Un instant, Jade en fut soulagée. Elle était normale à présent.

—Pour une Mavoise, tu as l'air heureuse d'en emmener à l'échafaud, lui souffla Rachel.

Jade ne releva pas. A ses yeux, elle était soit une ennemie, soit une menteuse. Elle était les deux à la fois.

Le Prédateur donna le signal de départ et les progues assignés à la mission se mirent en route. Le fourgon transportait quatre êtres anormaux. Chacun des prisonniers étaient enchaînés avec du Dédra et incapable de se mouvoir seul.

Jade se trouvait dans une des voitures l'encadrant. Nicolas et Rachel dans deux autres. Cela la rassurait de ne pas être collée, elle se sentait moins oppressée.

—On ne sera pas attaqué tant qu'on ne sera pas à la campagne. Sans habitation, nous sommes des cibles faciles, lui expliqua l'un de ses collègues dans la quarantaine.

C'était le plus vieux, car il était le seul à avoir des rides et sa peau était plissée à certains endroit.

—Tu n'as pas dit « si », remarqua Jade.

—C'est pas une hypothèse. Depuis le temps, on connait qui ils sauvent et qui ils laissent crever. T'as vu l'insecte aux yeux violets ?

La Mavoise secoua la tête. Elle était restée éloignée des prisonniers et ne comptait pas les approcher. Le souvenir de l'exécuté ne l'avait pas encore quittée.

—Il profitait de son poste d'enseignant pour recruter des partisans de Galila, expliqua Paul. Il doit en savoir des tonnes à leur propos. Le Fantôme laissera pas filer une taupe pareille.

Jade fut frappée par la différence des termes employés. Pour les progues, ce n'étaient que des « taupes », pour Galila, des « amis » à sauver. Si le sauvetage était impossible, il arrivait qu'on fasse oublier au Mavois certains détails. Si cet enseignant possédait bien des informations compromettantes, alors Jade avait un problème : Julta ou Jilta serait potentiellement de la partie. Tous deux possédaient le don d'oubli.

—Faut pas te biler ! lança la troisième progue de la voiturette. Leur chef fait jamais le déplacement et ses larbins sont à des niveaux différents.

Leur mépris lui procura une frisson. Les Mavois partaient toujours avec la consigne de ne pas sous-estimer leurs ennemis. Eux s'en moquaient.

—Avec le Prédateur, aucun Mavois peut nous terrasser, surenchérit Paul.

—Sauf peut-être l'Inconnu aux mille visages, nuança le plus âgé.

C'était ce que Jade avait pensé très fort. Si elle avait fait partie de cette mission sauvetage, peut-être qu'elle aurait pu faire la différence. Mais elle était là, dans le camp ennemi, pour une raison égoïste.

—Ben, franchement, il fait le mort depuis deux ans. Il a dû crever dans un coin.

Edouard secoua la tête et Jade en éprouva une pointe d'inquiétude. Son pseudonyme n'avait pas été oublié.

—Un gars de sa trempe ne meurt pas dans un coin. Il meurt sur le champ de bataille.

Jade se demanda depuis combien de temps son collègue exerçait son métier. Il semblait bien plus aguerri que les autres. Avait-il connu le temps où les justiciers du peuple peinaient à recruter ? Avaient-ils connu les moments de gloire de Galila ?

—Hé, vieux papi, t'as oublié ceux qui finissent dans les Morcèmes. C'est pas ce que j'appelle un champ de bataille, ricana la progue.

Puis, des secousses prirent l'objet roulant et la course s'arrêta.

—Pas trop choqué, les petits jeunes ? s'enquit Edouard, un rictus aux lèvres.

—Pff, qu'est-ce que tu crois ? On est prêts, commenta Eloïse.

Enfin, Jade ne l'était pas. Son cœur tambourinait fort à ses oreilles. Jamais elle ne s'était demandée ce qu'éprouvait les passagers lors de ses arrêts forcés. C'était beaucoup moins plaisant que de l'extérieur.

Suivant le mouvement, elle quitta le véhicule, sa Pita sortie de son cache. Ses doigts frémissaient, mais elle ignora ce désagrément. Dans le ciel, un Mavois volait, Jade ne le connaissait pas, ni celui qui était dans ses bras. Elle en repéra deux autres, de l'autre côté du fourgon. Elle ne put s'empêcher d'être soulagée : aucun ne lui était familier.

L'Inconnu aux mille visages rejoignit sa faction et se positionna comme un entraînement. Un premier cercle entourait le fourgon, puis quatre groupes étaient placés en losange devant eux. Rachel et ses trois coéquipiers étaient postés sur le toit.

De là où se tenait Jade, elle avait l'impression que le temps s'était suspendu. Les assaillants étaient sans doute actifs, cherchant la meilleure approche. C'était ce qu'elle aurait fait aussi. Un autre frémissement la gagna, mais pour une toute autre raison cette fois-ci. Pour la première fois en deux ans, elle se rendit compte que les missions lui manquaient. L'action lui manquait.

—Ne tire que si aucun de nous n'est proche, lui rappela Paul.

Inutile de le répéter : Jade ne maitrisait pas le tir. Elle n'avait jamais utiliser d'armes et une semaine était trop court pour cela. En revanche, elle pouvait déstabiliser les Mavois. Elle faillit grimacer. Même s'ils étaient des inconnus, il s'agissait de semblable.

Non.

Elle était progue, plus une civile, plus une Mavoise. Pas tant que Rachel ne serait pas six pieds sous terre.

La seconde suivante, une ogive fut lâchée du ciel. Jade ferma les yeux.

—La barrière ne fonctionne pas que sur les dons, rit le vieux papi.

L'Inconnu aux mille visages se sentit stupide. Puis l'ordre de riposter fut donner et les tirs commencèrent. L'aisance de ses semblables confirma à Jade qu'ils n'étaient pas novices et surtout bien préparés. Il lui semblait pourtant percevoir deux attaques différentes, comme si les explosions n'étaient pas les seules. Elle s'obstinait à fixer la barrière, la même que celle des Morcèmes. Si les Mavois souhaitaient gagner, c'était le boitier qu'il fallait anéantir. Malheureusement, il était dans le fourgon.

—Pourquoi nos tirs traversent la barrière ? s'interrogea Jade. Leurs attaques sont stoppées.

Elle ajouta pour elle-même que dans les arènes, l'intérieur était hermétique à l'extérieur. Tout le contraire d'ici.

—Secret d'Etat, répondit Eloïse.

Ce n'était pas satisfaisant. C'était à cause de l'apparition de ses barrières mobiles que Jade avait perdu Maya. L'un d'eux s'était sacrifié pour les autres. En deux ans, les Mavois avaient-ils découvert un moyen de la contourner ?

Une balle siffla près de l'oreille de Jade et ricocha sur le blindage derrière elle. Eloïse mit pied à terre.

—Saletés de rats, jura le Prédateur.

Jade observait la blessure saigner et le sang-froid de sa collègue. Elle n'hurlait pas. Mavois et progue n'étaient réellement pas entraîner de la même manière. Puis elle reporta son attention sur l'endroit d'où était parti le projectile.

—Ils ont récupéré nos armes, souffla-t-elle.

Si aucune attaque Mavoise ne passait, mais celle des progues, oui, il fallait s'en servir.

—Brillante conclusion, cracha le Prédateur en levant les yeux au ciel. Rachel, ramène-toi. On va les abattre.

La progue le rejoignit, comme si le saut n'était qu'une futilité. Jade loucha sur ses chaussures, qui n'étaient pas des talons. Ainsi, elle les abandonnait pour les missions de transfert.

—J'adore quand tu dis ça. Si l'un d'eux est en contact avec le Dédra, ils doivent toujours être par là-bas.

—Si on reprend nos Pita, ils meurent tous.

Le Prédateur s'approcha alors de Jade.

—Regarde-bien comment ils finissent, lui souffla-t-il à l'oreille.

—Escouade 4, avec nous, ordonna Rachel.

Ils quittèrent alors la barrière pour foncer droit devant eux.

Seul le Mavois volant réchappa au massacre.


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