Chapitre 5 : Petite discussion amicale

La journée si banale n'était pas encore terminée. Personne, surtout pas le Prédateur, ne pouvait laisser passer un tel affront. Il fallait un peu secouer sa souris, lui faire comprendre qui était le chat. Qui tenait sa vie entre ses mains.

Il déjeuna tranquillement, sans se hâter. Il déposa son plateau avec nonchalance et attendit juste à la sortie de la cantine. Personne ne pouvait le rater une fois la porte battante passée. Lorsque sa cible montra le bout de son nez, il bondit. Elle eut l'intelligence de se décaler sur le côté pour laisser le passage libre.

—Pourquoi être intervenue ce matin ? grinça-t-il.

Jade, qui s'attendait à ne pas s'en sortir aussi facilement, sursauta tout de même. Il nota sa réaction, qui était en sa faveur.

—Parce que vous avez impliqué des innocents. Elles auraient pu se défendre.

Sa voix était partie dans les aigus, bien qu'il s'agissait de sa dernière crainte. Les deux Mavoises n'étaient pas suffisamment puissantes pour réellement mettre à mal le Prédateur.

—La petite souris a eu peur ? la nargua-t-il.

Jade écarquilla les yeux, voilà qui était on ne peut plus clair. Le jeu avait commencé, et les deux participants étaient informés.

—Je suis une citoyenne, moi.

Elle se le répéta, pour ne pas l'oublier au cours de la journée. Ce serait une erreur fatale, car rien n'échappait au progue.

—Avancer dans ce cercle ne t'a pas effrayée, mais ça, oui ?

Comment s'en sortira-t-elle ? se demanda Nicolas. La différence d'attitude semblait n'avoir qu'un seul facteur : sa présence.

—Des dizaines de progues se trouvaient là, armés eux, avança-t-elle. Elles auraient pu faire tout et n'importe quoi dans cette salle de classe.

Elle marquait un point, même s'il ne l'avouerait jamais. Il avait besoin de croire qu'il pouvait tout régler par lui-même. Il avait toujours réussi jusqu'à présent.

—Vous êtes entraîné, contrairement à nous. Notre vie était en danger, alors oui, je suis intervenue. Et je ne regrette pas.

Même si elle était parfois montrée du doigts dans les couloirs ou que l'on chuchotait à son passage.

—Même avec cette aiguille ? susurra-t-il.

Jade fronça les sourcils sans le quitter des yeux. Elle hésita une seconde sur sa réponse. N'était-ce pas aller trop loin ?

—Même avec cette aiguille, confirma-t-elle.

Le col de son t-shirt fut fermement saisi, un regard noir lui fut jeté. Une première ligne venait d'être franchie. Elle s'efforça de ne pas déglutir. C'était trop tôt.

—JE suis progue, tu es civile. Le pouvoir, c'est moi qui l'ai. En toute circonstance, que tu penses avoir raison ou non. Apprend qu'il y a une différence entre l'intérêt et l'insolence. L'aiguille grossira dans le cas contraire.

Sa fierté était touchée de plein fouet. Son égo surdimensionné était ébranlé par une femme. Une inconnue. Une moins que rien. Il était peut-être plus aisé de le toucher que ce qu'estimait Jade. S'il suffisait de mettre à mal son autorité, ce serait rapide.

—Il n'y a qu'une vérité, la mienne, insista-t-il.

Encore une seconde, elle soutint son regard. Puis elle baissa les yeux. Il n'y avait pas la place au dialogue, c'était reçu cinq sur cinq.

Ainsi, le progue relâcha son col et se recula. Il s'appuya nonchalamment contre le mur tout en continuant son observation. Il n'en avait pas terminé avec Jade.

Personne n'eut l'audace de passer entre elle et lui. Tous les passants les contournèrent, ou firent un détour. La présence du Prédateur et de son intervention du matin avait déjà fait le tour de l'établissement. Des plus jeunes aux plus âgés, tous étaient au courant. Les réactions étaient diverses et variées. D'ici quelques jours, les idées seraient fixées et le Prédateur saurait qui étaient ses alliés et ses ennemis.

—Tu n'as pas obéi à mon ordre.

—Vous m'avez piquée pour me mettre en garde. Sinon, c'est dans cette cour de récréation que vous m'auriez arrêtée.

Le progue sourit. Il aimait savoir ce qui se racontait sur lui. Il était vrai qu'il n'aimait pas laisser filer les Mavois sans dommage. Néanmoins, de temps à autre, il se faisait plaisir. Jade n'avait pas encore compris qu'il l'avait choisie. Tant mieux, ce serait d'autant plus amusant !

—Exact.

Jade se tut et patienta. Mais aucun autre mot ne suivit et elle s'en inquiéta d'autant plus. Que percevait le Prédateur pour ne pas la libérer ? Qu'espérait-il de sa part ? Encore un peu d'audace ? Cette option lui paraissait bien trop risqué. La jeune femme avait déjà bien tiré sur la corde. Combien de personnes ne baissaient pas simplement les yeux au passage du progue ? Combien franchissaient les limites de leurs conditions de civils face à lui ? Peu, c'était une évidence.

—Qu'as-tu ressenti face à cet insecte ? relança enfin le Prédateur.

Les yeux bleus s'agrandirent. La question était surprenante, déstabilisante. La conversation pouvait prendre de multiples chemins, certains terriblement dangereux. Jade marchait désormais sur des œufs.

—Hormis de l'exaspération, rien. Qu'aurais-je dû ressentir ?

La phrase présente sur toutes les affiches en ville lui vint en mémoire. « Ils ne sont rien ni personne. Ainsi, aucun sentiment ne leur revient. » Elle aussi, elle y avait cru de longues années. Chaque soir, de sa naissance à ces cinq ans, on lui avait répété que les Mavois étaient dangereux, qu'il fallait fuir. Mille histoires sordides lui avaient été contées pour l'effrayer et l'éloigner le plus possible de ces êtres particuliers. Jade assimilait vite, un parfait petit robot à cette époque. Elle y croyait à toutes ses absurdités. Et puis, elle avait découvert ses pouvoirs et tout avait changé pour elle. En cachette, elle avait remis en cause toutes ces connaissances en même temps qu'elle apprenait à gérer cette partie d'elle-même.

—Face à lui, l'as-tu craint ? Une fois lancée, faire demi-tour t'a-t-il effleuré l'esprit ?

—Oui, il s'est jeté sur moi.

Jade fronçait les sourcils, ne comprenant pas l'intérêt de tout cela. Souhaitait-il vérifier qu'elle respectait bien les règles ? Il devait savoir que tout le monde y était entraîné.

—Et oui, je regrette de m'être avancée. Sans vous, je ne serais plus là.

—Sans toi, sa souffrance serait déjà terminée.

Etait-ce donc son but ? Faire dire à la jeune femme qu'elle avait aimé le voir désespéré ? Oh non, le Prédateur allait un peu plus loin que cette simple idée.

—Dans tous les cas, il mourrait. Si la torture ne les détruise pas, les Morcèmes le font à la place.

Nicolas secoua légèrement la tête. Les citoyens étaient si sots parfois. Beaucoup mourraient en effet sous les coups, les privations ou bien de désespoir. Cependant, certains faisaient preuve d'une étonnante résistance. Nicolas en avait quelques exemples en tête, des exemples qui l'enrageaient instantanément. Il ne comprenait pas ce système, cette absence de mesure contre ces montres. Plus longtemps les Mavois survivaient, plus leur force s'accroissait. Le progue était persuadé qu'un jour cela finirait en rébellion, bien que les prisonniers puissants étaient très rapidement séparés.

—Une mort rapide est un cadeau pour eux, n'est-ce pas ?

Son interlocutrice acquiesça, entrevoyant cette fois l'aboutissement de cette conversation.

—Une mort trop douce pour ces êtres méprisants, lâcha-t-elle.

Son ton fit vibrer la haine du Prédateur contre ces erreurs de la nature. C'était exactement là où il souhaitait en venir. Il garda cependant dans un coin de sa mémoire ses yeux emplis de peine. Tout ne correspondait pas. Qu'importe, le jeu venait seulement de débuter.

Il sourit. Il allait tenter une dernière carte.

—Rejoins nos rangs.

La bouche grande ouverte, les yeux écarquillés, les sourcils haussés, Jade n'essaya pas de camoufler sa surprise. Etait-ce une invitation ou un ordre ?

—Obtiens un siège à la Palqua, insista le progue.

Tout son être hurlait que ce choix était impossible à accepter. Pour obtenir un siège à la Palqua, il fallait non seulement arrêter les Mavois, mais également en tuer. Elle ne pouvait pas devenir une Traitresse, ces Mavois travaillant pour le gouvernement. Aucune offre n'était capable de lui faire franchir cette limite. Ce passage de l'autre côté.

—La Palqua ? répéta-t-elle incrédule.

Nicolas grava son expression dans sa mémoire. Pour lui, cet objectif avait toujours été commun. Comme on annonce souhaiter du chocolat, il avait toujours clamé viser les étages de ce bâtiment. Cinq ans auparavant, il y était parvenu, devenant ainsi le plus jeune progue de l'édifice. Depuis, il avait gravi quatre étages. Plus que quatre et le sommet était à sa portée.

—C'est absurde d'y penser, déclara Jade en secouant vivement la tête.

—Rachel y a obtenu sa place en six mois.

Cela faisait presque grincer les dents du Prédateur. Sa rapide ascension lui causait parfois des migraines. Comment cette femme avait-elle réussi cet exploit ? D'autant que les portes du quatrième étage lui avait directement été ouvert. Il avait dû batailler, lui, plus qu'aucun autre. Malheureusement pour lui, ce n'était ni une question d'âge, ni une question de réussite, ni même d'effort. La véritable raison de cet acharnement était un secret bien gardé du Boss.

—Je ne suis pas Rachel. Je suis désolée.

Nicolas sourit, hocha la tête puis quitta le couloir vide. Ce n'était que partie remise. Il aimait obtenir ce qu'il désirait et si Jade n'était pas une ennemie, elle devait devenir une alliée. Nicolas en était persuadé, cette étudiante lui serait utile d'une façon ou d'une autre.

Ou il l'éliminerait sans un remord.

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