Chapitre 48 : Entrée chez les progues
Jade se préparait mentalement à franchir la ligne qu'elle s'était imposée. Bien qu'elle sache que c'était imprudent, elle ne voyait toujours aucun intérêt à geler Rachel ou à la foudroyer. Sa mort serait trop rapide pour en souffrir.
Elle serra les poings à s'en blanchir les doigts. Pour sa vengeance, elle devrait capturer des dizaines, peut-être des centaines de Mavois. C'était insensé, elle en avait conscience. Elle laissait son cœur décider, elle abandonnait les autres. Elle était cependant prête à l'assumer. Alors, elle quitta sa chambre et dévala les escaliers. Sa mère, assise au salon, bondit sur ses pieds et la dévisagea.
—Quand je rentrerai, je serai une progue, clama-t-elle.
Les yeux écarquillés de sa parente la laissèrent de marbre. Ce n'était pas de la surprise, mais de l'effarement. Mme Hart ne pouvait pas comprendre ce revirement, elle qui avait dénoncé son sang.
Jade claqua la porte en sortant et marcha d'un pas assuré. Lorsqu'elle parvint devant le bâtiment, elle en admira la façade. Elle tenta de deviner où se situait le bureau de l'illustre progue sans y parvenir, puis se décida à entrer.
A l'accueil, Swen retint son souffle. Le Prédateur l'avait prévenu de sa potentielle visite, dans les prochains jours, mais le progue n'y avait accordé aucun crédit. Mme Hart dénonçait sa fille, comment pouvait-elle arriver comme une fleur en ces lieux ?
—Bonjour, je peux vous aider ?
Il n'avait pas son chignon ce jour-là, mais une queue de cheval. Ses cheveux étaient donc à sa portée de main et il en saisit des mèches. Ce geste n'échappa pas à Jade. Elle fronça alors les sourcils, ce type la connaissait, au moins de nom.
—Le Prédateur doit m'attendre.
Le progue eut un temps d'arrêt. Personne ne pouvait le demander de cette façon, surtout pas une suspecte. Il serra un instant la mèche de cheveux capturée, avant de reprendre sa fonction.
—Et vous êtes ?
—Hart Jade.
Swen déglutit. Il ne se trompait donc pas. Il laissa tomber ses cheveux et se redressa. Le bouton d'urgence, à quelques centimètres de sa paperasse, semblait l'appeler.
—Appelait-le juste et prononçait mon nom, poursuivit Jade, il fera le déplacement.
Le chargé d'accueil approcha négligemment sa main du bouton, lorsqu'il avisa du mouvement derrière l'ennemie.
—Te voilà bien assurée, ma chère Jade.
Toujours au bon endroit, au bon moment. Jade se tourna lentement vers Nicolas. Le voir vêtu de son uniforme de progue lui fit un drôle d'effet. Il lui semblait différent, plus menaçant. La situation lui parut d'autant plus réelle et elle se répéta qu'elle n'était qu'Hart Jade.
—Tu serais déçu, si je devenais obéissante.
L'illustre progue sourit malicieusement. Le séjour à l'hôpital semblait lui avoir été bénéfique.
—Tu devras te plier aux exigences de notre fonction, prévint-il.
Jade sentit son cœur s'emballer. Elle parviendrait à mener à bien ses missions, car elle était plus déterminée que jamais.
—Je suis prête, annonça-t-elle.
Un rire échappa à son ennemi naturel. Peut-être. se dit-il. Il n'en restait pas moins qu'elle manquait d'un sentiment essentiel pour ce métier : la haine des Mavois.
Jade se retint de serrer les poings. A la place, elle se répéta ce que serait sa vie durant plusieurs semaines : Je veux être progue, je suis faite pour ça.
—Alors, commençons ton entretien.
Sans un mot de plus, ils dépassèrent l'accueil. Swen mordit sa lèvre. Il admirait son collègue pour ses victoires, mais cette visite des locaux lui semblait dangereuse. Il n'avait cependant pas les moyens de l'arrêter : Reiss Nicolas avait les pleins pouvoirs. Il retourna donc à sa besogne, non sans serrer sa mâchoire.
L'ascenseur ne fut pas emprunté. A la place, Nicolas et Jade s'enfoncèrent dans le couloir blanc. Aucune porte, aucun croisement n'attira l'attention du justicier du peuple. Jade, elle, tenta de retenir le moindre détail : du simple vase posé en décoration aux portes fermées à double tour. Elle entrait dans la gueule du loup et si cela tournait mal, elle devait trouver le moyen de s'enfuir rapidement.
Plus ils s'enfonçaient, moins le mobilier était coloré. Le bleu, le rouge, l'orange disparaissaient pour emplir l'espace de gris. Plus ils s'enfonçaient, moins les progues étaient chaleureux. Ils baissaient le regard et évitaient le Prédateur.
Enfin, une porte fut poussée. Ils empruntèrent l'escalier qui descendaient en colimaçon. L'atmosphère changea alors. Plus froide, plus oppressante. Jade frissonna. S'ils s'enfonçaient dans les profondeurs, leur unique destination étaient des cellules. Un autre couloir leur fit face, mais Nicolas poussa la première porte. Jade plissa les yeux tout en se convainquant que ce n'était pas un piège. Pourtant, il y avait une vitre de verre, une table et deux chaises.
—Une salle d'interrogatoire, précisa simplement le Prédateur.
Il s'assit et croisa ses mains. Prudente, Jade tira à son tour la chaise et lui fit face. Le silence était angoissant, mais elle tint bon.
—Trois étapes. Tu découvres la suivante en réussissant la précédente.
L'Inconnu aux mille visages hocha la tête. Le marché était clair.
—Je devrais te demander ton nom, ton âge et des précisions sur ta famille, mais je possède déjà toutes ces informations. Donc, voici ma première question : haïs-tu les Mavois ?
Ce n'était rien, comme affirmation : tout le monde le répétait depuis qu'il apprenait à parler.
—Oui.
L'illustre progue secoua la tête. C'était trop peu démonstratif.
—Haïs-tu les Mavois ?
Jade comprit. Elle pensa à Hannah, à sa joie et sa compassion. Elle pensa à sa mort, à sa probable agonie, à ses derniers mots. Elle pensa à Rachel, à son sourire, à son plaisir, à son sentiment de supériorité. A présent, elle était capable de l'affirmer, de le clamer, de le hurler.
—Oui, je suis prête à les dénoncer, à les assassiner, à les regarder pousser leur dernier soupir.
Cette rage qu'elle ressentait, elle la dirigerait vers les siens pour parvenir à ses fins.
—Comment ? questionna le justicier du peuple.
Les cheveux bouclés de Rachel lui vinrent en mémoire ainsi que son regard et ses lèvres.
—Une mort rapide et propre : une balle entre les deux yeux. Une mort lente et délicieuse : une torture longue et méticuleuse. Aucune échappatoire ne leur sera laissée. Ils méritent d'être écrasés.
Aucun abri ne sera suffisamment isolé pour que Rachel puisse échapper à sa mort.
Le Prédateur sourit et décroisa ses bras. Il sortit un boitier rouge de sous la table et le déposa entre eux deux. Il n'avait pas besoin de se retourner pour mettre en place la réelle première épreuve.
Jade fronça les sourcils. Ce n'était qu'un bouton noir, à quoi pouvait-il bien servir ? Il était insignifiant.
—Appuie sur le bouton, ordonna-t-il.
La Mavoise l'observa plus attentivement. Peut-être un détail lui avait-il échappé, mais non. Il ne s'agissait que d'un buzzer.
—Appuie sur le bouton.
—Pourquoi ?
Le sourire mauvais du Prédateur lui confirma que rien d'innocent ne pouvait résulter de ce geste. Elle approcha sa main du bouton, mais n'appuya pas. Elle attendait l'explication, sans comprendre qu'elle manquait la première épreuve : l'obéissance.
—Bien.
L'illustre progue était un peu déçu, bien que cette réaction correspondait à l'image qu'il avait de Jade. Il tâta sous la table, à la recherche de l'interrupteur qui rendrait transparent la vitre derrière lui. Les yeux écarquillés de Jade suffirent à lui signifier qu'il avait trouvé.
—Il mourra, annonça-t-il simplement.
Jade eut la nausée, tandis qu'elle se répétait les haïr. Si elle avait obéi, seul le corps lui aurait été montré.
—Comment ? se força-t-elle à quémander.
—Selon toi ?
La Mavoise s'attarda sur son semblable. Il n'était pas enchaîné, car il marchait d'un point à l'autre de sa cellule. Un bracelet de Dédra était cependant accroché à sa cheville et son regard passait d'un point à un autre. Il savait ce qui l'attendait.
—Du poison, se lança Jade. Il sera lancé dans la pièce et la remplira. Le Mavois n'aura aucune échappatoire, même s'il essaie de s'accrocher à la vie. La cellule est hermétiquement fermée et il ne pourra pas retenir sa respiration suffisamment longtemps pour vivre.
—Tu as de l'imagination.
Jade comprit qu'elle devait vérifier par elle-même son hypothèse. Ainsi, elle écrasa sa main sur le bouton. Le Mavois fit encore quelques pas avant de porter sa main à sa gorge. Sans un bruit, il tomba, son visage défiguré par l'horreur.
—L'asphyxie, conclut froidement l'Inconnu aux mille visages.
Elle se retint de serrer les poings. Et de pleurer. Elle avait conduit à l'arrestation de plusieurs de ses semblables, mais c'était la première fois qu'elle en tuait un. Elle n'avait pas réalisé avant cette seconde ce qu'elle devait réellement faire. Se salir les mains n'était pas si évident que cela.
—On s'habitue.
Tous les progues, ou presque, avaient connu ce moment. C'était humain. Ôter la vie était un sacrilège, il fallait encaisser la nouvelle puis tous réalisaient qu'un Mavois et un Homme, c'était différent.
Jade ne s'y habituerait cependant pas, car pour elle ils n'étaient qu'un.
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