Chapitre 47 : Brisé

Le progue le trainait à travers les couloirs. 3 333 suivait docilement, parce qu'il savait pertinemment où il était conduit et surtout pourquoi. Seules ses visites à 10 méritaient ce traitement. Ses mains étaient un peu moites, car il appréhendait les prochaines minutes. Le prisonnier repassait en boucle les termes qu'il allait employer.

Tue-les. Tue tes adversaires. Tue-les, ou nous mourrons tous.

Cela sonnait à la fois fort et désespéré. C'était un peu de cette façon que 3 333 se sentait. Il avait l'impression de pouvoir affronter le monde, tout en le suppliant de le délivrer. C'était douloureux d'assister à tous ses soins, car les mêmes visages finissaient par revenir.

La porte fut ouverte, le Mavois poussé à l'intérieur. Ses yeux s'écarquillèrent et ses poumons se vidèrent en un souffle. Hallucinait-il ? Etait-ce réellement lui, numéro 10 ? Il peinait à y croire tandis qu'il avançait avec prudence. Oh, ce n'était pas ce sang sur son corps ou cet œil presque fermé, violacé. Non, ce qui perturbait 3 333, c'étaient ses larmes, sur les joues du patient.

Numéro 10 pleurait.

Le soigneur le rencontrait souvent dans cette pièce, entendait régulièrement les rumeurs à son propos, jamais, oh grand jamais, le Dido n'avait versé la moindre larme. Il avait grimacé, soupiré, serré les dents, mais pleurer ? Ce verbe n'existait pas dans son vocabulaire. Alors le voir là, aussi anéanti, cela dépassait l'entendement de 3 333.

—Pourquoi ? chuchota-t-il, le cœur en morceaux.

Il prenait des risques en s'adressant au condamné de vive voix, mais le Mavois ne pouvait pas attendre. C'était trop soudain pour son esprit.

10 eut un mouvement de tête, il avait perçu l'écho d'une voix familière, mais la souffrance inhalait tout le reste. Sa tête retomba.

—Pourquoi ? répéta alors 3 333.

Sa voix avait tremblé sous le coup de l'émotion. Son modèle, le modèle du Morcème, pleurait tandis que ses paupières s'abaissaient. Il était désemparé, au bord du précipice. Survivrait-il à ce jour ? 3 333 en douta soudain. L'ère du Dido semblait toucher à sa fin.

Le temps fila dans un silence glacial. Le soigneur s'attelait à sa tâche : l'œil violacé disparut, tout comme les égratignures sous les traces de sang.

—Dis-leur que je suis désolé. Dis-leur que je suis désolé, répéta numéro 10.

Une fois, deux fois, trois fois, dix fois. C'était une litanie de sa part, il était incapable de s'arrêter. 3 333 le fixait sans comprendre, sans savoir comment réagir. Qu'avait vécu 10 pour en arriver là ?

—Pour quoi ? interrogea-t-il doucement.

A la porte, le progue souriait. Il entendait parfaitement les mots prononcés, les mots tant attendus. Un sourire se dessina sur ses lèvres : il était impatient de transmettre la nouvelle.

—Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? relança le Mavois.

Mais le Dido continuait de parler sans faire attention à ces propos. 3 333 ne s'était pas attendu à ce que la douleur soit morale et non physique. Ainsi, il choisit d'endormir son patient. De cette façon, il ne ressentirait rien et peut-être que ses rêves lui permettraient d'oublier pour un temps. 3 333 priait que ce ne soit pas des cauchemars qui le hanteraient.

Plusieurs minutes plus tard, il termina. Une seconde, il stoppa sa main. Réveiller son camarade ne lui apparaissait pas comme une bonne idée. Les coups n'étaient jamais parvenus à le briser, pas plus que la mort de Nao. Son regard était devenu plus vitreux, mais 10 était encore déterminé. 3 333 ne comprenait pas ce qui le brisait.

Le soigneur secoua la tête et toucha délicatement son bras. Ce fut le réveil le plus doux que le Dido connut à l'intérieur de ces murs. Durant une seconde, il crut même être rentré chez lui, dans sa maison de toujours. Un instant, il se sentit bien, puis les chaînes se rappelèrent à lui et le désespoir remplaça tout autre sentiment. Ses idées étaient cependant plus limpides et il se mit à envier 3 333. Qu'aurait-il donné pour ne plus jamais entrer dans une arène ? Qu'aurait-il été prêt à commettre en ce but ? Tout et n'importe quoi, il devait l'admettre. Il rêvait de pouvoir entrer dans une pièce, poser ses mains sur un blessé, le soigner et puis... et puis les enchaîner. Le Dido parviendrait-il à nouveau jusqu'à la Prémisse ? Il en doutait. Il avait perdu.

« Dis-leur que je suis désolé. »

3 333 secoua la tête et retira sa main. Cette phrase sonnait encore désespérée et il était toujours aussi perdu. A qui devait-il transmettre ce message ?

« Pour qui te sens-tu désolé ? »

Aucune réponse ne vint, même lorsque 3 333 fut tiré hors de la pièce.

Le trajet lui semblait plus long que d'habitude, comme si les geôliers trainaient des pieds. 3 333 fronçait les sourcils, car cette attitude était aux antipodes de leur habitude. Chaque seconde comptait à leurs yeux. L'ambiance du Morcème était également différente : les couloirs étaient bondés, les progues souriaient grandement et cela sonnait comme le calme avant la tempête.

La tempête, elle vint d'un justicier du peuple lambda. Son arrivée stoppa tout mouvement, toute pensée cohérente. Ses équipiers étaient on ne peut plus ravi.

—Les quatre Mavois exécutés devant 10 ont bien été brûlés.

Cela n'avait pas été un cri, pourtant, les propos résonnèrent comme tels. Ils furent un déchirement, un ouragan, une forme d'apocalypse. Des Mavois s'écroulèrent au sol, d'autres se mirent à pleurer, d'autres encore secouèrent la tête. Les réactions étaient multiples et diverses. Toutes avaient cependant le point commun d'être désemparée. Et, parmi toute cette agitation soudaine, un progue fixait 3 333. Oh, celui-là passa totalement inaperçu aux yeux du prisonnier. Il ressassait cette phrase.

Il comprenait le Dido si bien à présent.

—Avance, lui ordonna-t-on.

Ses jambes refusaient de lui obéir. Elles, elles souhaitaient faire demi-tour et hurler au patient qu'il n'avait rien à se reprocher. La cruauté des progues n'était que leur responsabilité. Ils prenaient plaisir à les anéantir. Ce que 3 333 les haïssait, eux et leurs regards méprisants !

—Avance !

Il serra les poings et obtempéra. Il n'avait finalement plus besoin de convaincre le Dido de tuer son adversaire, la poule aux œufs d'or le ferait de son propre chef à présent. Les progues avaient trouvé sa faiblesse, 10 allait s'éteindre, tout autant que la rébellion. Comment se révolter alors que leur leader n'y croyait plus ? Pourtant, tandis que 3 333 déambulait dans les couloirs, il perçut les légers hochements de tête et ces flammes, qui dansaient dans les regards.

10 était perdu, mais pas les autres. Eux étaient capable de raviver l'étincelle du Mavois. 3 333 se jura d'essayer, lui aussi.


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