Chapitre 46 : Marché conclu

Le bip résonnait avec force dans la chambre. Les paupières closes, Jade dormait d'un sommeil lourd, sans rêve ni réel repos. Les médicaments l'assommaient pour le moment, et il valait mieux. Les coups avaient laissé de nombreuses marques sur son corps.

A son chevet, Reiss Nicolas patientait. Il était installé sur une chaise, les jambes croisées. Le visage fermé, il serrait sa mâchoire. Même s'il avait pu faire comprendre à Rachel son erreur, ses mains le démangeaient toujours. Il était tellement en colère ! Jade n'aurait pas dû l'apprendre de cette façon, ni par sa bouche à elle. Il voulait avoir ce privilège. Il devait avoir ce privilège. Rachel avait tout ruiné.

En attendant, il souhaitait s'assurer que Jade survive à la nuit. Il repensa à sa mère et à ses sorties nocturnes. Il avait du mal à trouver une raison cohérente aux trois éléments. Pourquoi Jade n'avait-elle pas dévoilé sa nature ? Comment y était-elle parvenue ? Rachel n'avait pas retenu ses coups. A ses yeux, elle n'avait pas affronté une civile, mais une Mavoise. Et Jade s'était relevée, avait réussi à se défendre.

C'était incroyable.

Nicolas n'appréciait pas Rachel, mais il reconnaissait ses talents. Jade l'impressionnait aussi à sa manière. Il haïssait les Mavois, les Traîtres y compris. Il les voyait comme des moyens d'écraser les autres, sans leur faire pleinement confiance. Cependant, il espérait faire de Jade une Traître. Il n'avait jamais vu personne se battre de cette manière. Ni être animée par tant de rage de vivre. Elle ferait des ravages dans les rangs ennemis.

Le Prédateur secoua la tête. Il délirait. La place de Jade était derrière une porte, privée de toutes ses libertés. Qu'importaient ses désirs et sa volonté.

La porte fut prudemment ouverte. Tous savaient que le progue était resté dans cette chambre. La rumeur circulait dans tout l'hôpital et les spéculations allaient bon train. Nicolas leva le menton lorsque l'infirmier entra.

César était mal à l'aise. Il n'avait jamais réellement approché les progues et le Prédateur n'était certainement pas un bon entraînement. Sous son œil attentif, il prit les constantes de Jade et s'arrêta un instant sur l'écran qui indiquait ses battements de cœur. Il les estima un peu lents. Cependant trop près du progue, il ne pouvait se risquer d'utiliser ses dons et la soulager de façon bien plus efficace.

—Le bilan est mauvais ? interrogea nonchalamment Nicolas.

César sursauta en posant son regard sur lui. Il ne semblait pas inquiet, au vu de ses jambes croisées et de son manque d'expression. Jade n'était pas en danger, mais son état était préoccupant.

—Il s'améliore.

La guérison pouvait être accélérée si César parvenait à poser sa main sur son bras. Il n'osait cependant pas se risquer à ce geste, car il lui paraissait être observé à la loupe. C'était désagréable, presque angoissant. Comment Hannah avait-elle fait face à cela ? Comment Jade y était parvenue ? L'infirmier peinait toujours à imaginer son combat.

—Pourquoi cette inquiétude dans ce cas ?

Un sourcil haussé, le Prédateur l'observait. Il n'avait pas rêvé ses lèvres tombantes.

—Ce n'est pas aussi rapide qu'espéré.

Le Prédateur acquiesça. Guérir rapidement lui aurait semblé surnaturel. Rachel avait beau paraître folle et clémente, ses coups étaient précis. Il était donc évident que son jouet resterait alité plusieurs jours.

—Vous n'êtes pas surpris ? se risqua César.

Le progue était trop calme à ses yeux.

—Non. Ce n'était pas un combat de civils.

L'infirmier hocha la tête, puis quitta la pièce. Il s'autorisa une grande inspiration, avant de se pincer les lèvres. Il aurait aimé pouvoir soulager Jade et sortir le progue de la salle. Si souffrante, son aura resterait-elle contrôlée ? La situation était alarmante, il était cependant impuissant. Un instant, il resta encore devant la porte close. Ensuite, il reprit son travail, se préparant chaque seconde à ce que l'alarme retentisse.

# # # # #

Bien des heures plus tard, lorsque le jour eut cédé à la nuit, le regard de Jade s'ouvrit. Sa respiration était sifflante et ses membres la faisaient souffrir. Elle tenta de bouger ses doigts, mais ce seul effort fit couler les larmes. Elle n'espéra pas réussir à parler. Elle n'en éprouvait de toute façon pas l'envie. Sa mère l'avait trahie. C'était aussi douloureux que de la voir sécher ses larmes juste après l'annonce. Que lui restait-il, si même sa famille la reniait ? A quoi bon rester dans l'ombre et survivre ? A quoi bon se soulever ?

—Réveillée ?

Jade sentit le stress l'envahir et les bips se firent plus insistants. Le Prédateur fut ravi de son petit effet.

—Je m'attendais à un accueil plus chaleureux, puisque sans moi tu finissais enterrée.

La Mavoise n'en avait aucun souvenir. Elle le crut cependant sur parole. Jamais elle n'aurait pu se défendre après cette révélation. En un instant, sa raison de vivre avait été mise à mal. Elle s'était accrochée à ses parents. A cette routine. Désormais, elle ne pourrait plus jamais leur faire confiance. Elle n'était pas même en sécurité chez elle.

—Rachel est de l'autre côté du mur.

Un rictus déforma ses lèvres et ses doigts se soulevèrent une brève seconde. Le Prédateur en sourit une nouvelle fois. Ce regard, il l'appréciait. Le diriger contre des Mavois l'aurait davantage satisfait, mais le progue pouvait s'en servir.

—Je devrais t'arrêter, tu sais. Ta maman nous a fournis des preuves suffisantes pour un test.

Sans preuve irréfutable sur sa condition de Mavoise, le Prédateur ne pouvait pas la malmener comme les autres. Les civils au service de Galila n'avait pas droit au même traitement que les monstres. Ils restaient des citoyens, ils devaient donc être interrogés en forme. Jade patienta alors qu'il poursuive son discours.

—Hannah devait être un modèle à tes yeux pour t'empêcher de les détester. Est-ce pour elle que tu sors la nuit ?

Jade continuait de le fixer avec férocité. Elle fut soulagée de ne pas pouvoir répondre de vive voix. Qu'aurait-elle pu répondre ?

—Je te propose quelque chose de plus amusant qu'une pauvre cellule. Rejoins les progues, chuchota-t-il.

Hormis les Traîtres, aucun Mavois n'était capable d'arrêter les siens. Ils s'identifiaient bien trop aux regards larmoyants et aux supplications. Jade ne parviendrait donc pas au bout de la formation. Le Prédateur lui donnait un peu d'espoir, puis il la briserait à son propre jeu.

L'œil de Jade parut plus vif, plus intéressé. Rejoindre l'ennemi, elle en avait toujours rejeté l'idée. Cependant, il y avait Malsi Rachel. Il y avait ces mots qu'elle avait lus. Jade n'était pas assez forte pour la battre, mais si elle les rejoignait, si elle suivait leur entraînement, alors elle pourrait l'écraser à son propre jeu.

—Si...

Articuler ce mot lui procura un tiraillement douloureux. Jade devait cependant poser sa condition.

—... j'acc...epte... tu me... livreras... le... progue... qui a... tué Hannah ?

Le rire du justicier du peuple résonna fortement dans la chambre. Jade était prête à sacrifier les siens pour sa sœur, c'était inespéré ! Nicolas aimait cette façon de penser : égoïste et forte. Elle faisait écho à la sienne. Lui n'avait cependant pas la chance d'être devenu ainsi pour une si noble cause que la famille. C'était à cause d'elle, qu'il était impitoyable.

—Tu l'aimais plus que ta propre vie ? questionna-t-il.

—Oui.

C'était tout ce qu'il restait à Jade. Cette vengeance. Pour l'instant, elle s'en contenterait. Elle réfléchirait plus tard à quoi faire, à quoi s'accrocher. Pour quel objectif vivre.

—Eh bien, soit ! Rejoins-moi et je te dirai qui t'a pris ta sœur.

Nicolas ne s'attendait pas à cette tournure, mais elle le ravissait au plus haut point. Il souriait encore en quittant la chambre, tandis que Jade, à présent seule, pleurait. Le mal la rongeait de l'intérieur. Dans cette pièce, elle fit le deuil de ceux qu'elle chérissait encore et accepta sa solitude.


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