Chapitre 44 : Cette ligne
Le Prédateur s'était installé face à elle. L'attablée était donc silencieuse, mais cela ne dérangeait pas Jade. Depuis sa dispute avec sa mère, elle était furieuse et, pour se calmer, essayait de penser à d'autres choses. Comme Aurélie et Luhan. Comme Nao et le Dido. Comme ce 19 décembre 2 338. Ou comme Matthew qui suivait absolument partout Jacob. Le fantôme semblait nerveux et affolé. Il se tenait à ses côtés, une main sur son épaule, comme pour le retenir de faire quelque chose.
Soudain, le Prédateur se leva. C'était à la fois un excellent plan et un concours de circonstances. Il n'avait pas besoin de feindre, il était lui-même.
Jade remarqua du coin de l'œil un lycéen sursauter. A l'instar de tous les autres, elle attendit avant de faire quoi que ce soit. Elle se décala un peu pour apercevoir le malchanceux. L'adolescent aux cheveux blonds tremblaient déjà.
—Tu as exactement trente secondes pour me le donner.
Le coupable sursauta une nouvelle fois et balbutia des mots que même Jade ne comprit pas. Elle se demanda si cela paraitrait suspect aux yeux du Prédateur si elle se décalait maintenant.
—Je n'ai rien... répéta l'accusé.
Nicolas serra les poings s'approcha dangereusement. Jade décida de s'éloigner. Ceux assis aux alentours prirent la même décision. Cela allait mal finir. Très mal.
—Je déteste les mensonges. Donne-moi ces papiers.
Chaque lettre fut détachée, au point de faire trembler Jade. De quels papiers parlaient-ils ? Dans quel but les voler ? Et, surtout, comment était-il parvenu à les lui dérober ? Le progue était méticuleux.
Le suspect recula, terrorisé. Nicolas balaya donc son repas, renversa son plateau et réitéra sa demande.
—Ton sac, ordonna-t-il.
—Non !
C'était un cri de désespoir, mais le progue n'avait pas besoin de son approbation. Il arracha lui-même le sac, libéra la table de son contenu et y déversa les affaires du malheureux. Celui-ci tenta bien de l'en empêcher, mais il était trop faible et finit à terre. Il dévisageait avec horreur les mouvements brusques du Prédateur.
Jade serrait les poings, révoltée. Etait-ce ça que le progue voulait qu'elle devienne ? Il n'était pas un Mavois, juste un civil. Son vol méritait la prison, pas l'humiliation. Elle tenta de se rappeler de son nom en le dévisageant, mais rien ne lui venait. Puis un dossier glissa devant lui. Le progue était trop concentré sur ce qu'il y avait sur la table et plusieurs objets avaient de toute façon atterris au sol. Le cœur de Jade s'accéléra. Elle jeta un œil autour d'elle. Les spectateurs s'éloignaient toujours plus et Matthew poussait son frère toujours plus loin. Elle resta une seconde, fit un pas en avant. Ses jambes faillirent céder en apercevant les quelques premières lignes.
Hart Hannah...
La suite lui était illisible. La Mavoise avança donc d'un pas, obnubilée par les quelques mots. La pièce n'était qu'un bourdonnement sourd. Plus rien n'existait, hormis cette ligne. Pourquoi le nom de sa sœur était-il cité ? Pourquoi et comment le Prédateur avait-il fait sa découverte ? Le cœur battant, elle se concentra sur les quelques mots.
Hart Hannah, détruite par Malsi Rachel.
Jade crut défaillir, suffoquer, mourir. Ce n'était pas « capturée » ou « tuée » ni même « assassinée », mais détruite. Comme si Hannah avait représenté un immense danger pour la population. Comme si les progues, par ce geste, avaient fait taire une des plus grandes menaces.
Trouve qui l'a abattue. lui avait dit Nao. Elle n'avait pas besoin de chercher plus, la vérité était là, juste sous ses yeux. Elle la chercha frénétiquement dans la salle. C'était un besoin vital, une nécessité absolue. Que ferait-elle alors ? Elle n'y pensait pas vraiment. Il lui fallait plonger son regard dans celui qui avait annihilé sa sœur aimée. Il lui fallait voir ce qu'Hannah avait vu avant de mourir. Il lui fallait détruire ce qui avait détruit son modèle. Mais Rachel préférait le fond de la cantine, elle ne l'aperçut donc pas.
Ce fut ce qui lui sauva la vie.
L'Inconnu aux mille visages quitta précipitamment les lieux. Elle courut jusqu'aux toilettes et vomit. Elle avait été si proche de celle qui avait remis toute sa vie en cause. Jade se rappela son regard, le jour de son arrivée, et l'animosité dans sa voix, Rachel la détestait avant même de lui parler. Etait-ce parce qu'elle l'avait reconnue ? César lui-même avait soutenu qu'elles se ressemblaient toutes deux.
Jade s'appuya sur le lavabo, incapable de se redresser. Malsi Rachel. Le nom tournait en boucle dans sa tête. Elle était censée le découvrir après des recherches, mais on venait de lui tendre l'information. Elle n'était préparée à rien. Elle savait ce qu'elle souhaitait faire, pas ce qu'elle devait faire. Elle n'avait jamais cherché l'assassin de sa sœur. A ses yeux, ce n'était qu'un progue parmi tant d'autre, une mort parmi tant d'autres. Jamais elle n'aurait pu supposer qu'il s'agissait de Rachel. Cela changeait absolument tout. La progue détenait le secret de sa mort, les circonstances exactes, les derniers mots d'Hannah.
La Mavoise eut l'impression qu'un poids s'écrasa sur elle, dévorée par la haine et la curiosité. Il lui serait aisé d'abattre Rachel, sans qu'elle ne s'y attende, sans qu'elle ne puisse s'y préparer. Jade se priverait néanmoins des réponses dont elle avait besoin.
—Jade ?
La douce voix d'Aurélie envahit l'espace et elle apparut à la porte. Son regard bleu était peiné. Elle avait agi sans y réfléchir.
—Ça va ? questionna la plus petite.
Elle hésita à poser une main sur son épaule, finit par le faire. Elle aurait souhaité ce soutien-là, quelques années auparavant. Jade se raidit et chercha une explication à sa folie.
—Le Prédateur l'a arrêté, informa Aurélie.
L'Inconnu aux mille visages serra les dents. Peu lui importait son sort.
—Les cours vont reprendre.
Aurélie s'inquiétait. Le comportement de Jade allait lui créer des problèmes.
—Je sais, souffla la Mavoise.
Si le progue revenait dans la salle, elle devrait s'y trouver. Sans quoi, il chercherait à comprendre son attitude. Il reviendrait dans sa maison chercher des explications. Cette fois, il ne repartirait pas sans Jade. Il était impensable de raconter la vérité.
Pour le moment.
—Il m'a vue ?
—Non.
Aurélie secoua la tête. Elle, elle avait lu la ligne de ce dossier. Et bon Dieu ce qu'elle comprenait Jade ! Aurélie éprouvait ce même dégoût face au Prédateur.
—Tu vas pouvoir retourner en cours ?
Jade se redressa. Elle devait feindre l'ignorance depuis des années, elle devait continuer encore. L'identité du meurtrier ne devait pas tout changer. Elle était capable de passer outre.
—Je n'ai pas le choix.
Quelque chose passa entre elles, une compréhension mutuelle.
—Moi non plus, je ne l'ai pas eu, confia Aurélie.
Elles hochèrent la tête de façon unanime et quittèrent les toilettes. Jade avança la tête haute et le visage fermé. Ses allers-retours nocturnes à la bibliothèque avec la visite du Prédateur l'avaient épuisée. Elle avait eu un moment de faiblesse, mais mentir était son quotidien depuis des années. Les habitudes étaient coriaces.
Ainsi, elle revint à sa vieille routine. Je n'ai pas le droit de pleurer. Je n'ai pas envie de pleurer. Je suis forte. Je suis l'Inconnu aux mille visages.
Lorsque l'illustre progue vint s'asseoir à sa droite, elle lui jeta à peine un œil. Elle était au-dessus de lui, d'eux. Ils étaient des ignorants et des simplets, ne connaissaient rien à la vie. Rien à la douleur.
—Tu as l'air de vouloir tuer quelqu'un, affirma Nicolas.
Oh, c'était le cas. Jade désirait ardemment tirer sur ses cheveux bruns que Rachel exposait si fièrement. Elle les tirerait si fort que la progue basculerait légèrement sur sa chaise. Jade, son visage au-dessus du sien, lui soufflerait alors avec toute sa rage Ça fait mal ? avant de la relâcher brutalement.
—Ah, oui ? Tu n'as pas fait exprès de le provoquer à côté de moi ?
L'Inconnu aux mille visages ne craignait pas les progues, ni leurs questions. Elle était sûre d'elle.
—Je suppose que ça fait partie des petits imprévus, relança-t-elle.
Plus rien ne l'effrayait en cet instant.
—Ce n'est que le début.
Le Prédateur avait simplement oublié que le monde ne tournait pas autour de lui. Cet événement marquait la fin, plutôt qu'un début.
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