Chapitre 41 : Traitrise

Les cheveux bruns coupés en carré lui donnaient un air très strict. Les rides autour de ses yeux prouvaient son âge. La femme inspirait profondément, face au QG des progues. Elle connaissait son devoir. Elle avait fermé les yeux de nombreuses années, mais elle ne le pouvait plus. Pas après ça. Si Mme Hart n'avait jamais eu de réelles preuves, il lui avait paru évident, ce matin-là, qu'elle en tenait une. Elle n'avait pas pu filmer, parce qu'elle se préoccupait davantage de son cœur qui se brisait en petits morceaux.

Sa fille, sa si jolie fille, était une Mavoise.

Cette vérité l'empêchait de dormir depuis des semaines, des années même. Ses doutes lui causaient nombre d'insomnies et, ironiquement, ces mêmes troubles du sommeil lui avaient permis d'éclairci quelques éléments. Mme Hart avait déjà affronté la révélation de cette inconnue, il lui fallait désormais vivre une deuxième trahison. Ce qui la préoccupait le plus n'était pas tellement la vérité qui éclate, mais le fait de s'apercevoir vivre avec deux monstres depuis toujours. D'abord cette inconnue, et maintenant Jade. Enfin, ne devrait-elle pas la nommer cette deuxième inconnue désormais ? Elle allait le devenir ce soir, tandis que des progues l'accueilleraient dans son lit. Mme Hart avait déjà prévu de leur ouvrir leur porte et de faire du bruit pour couvrir leur pas. Elle était prête à dénoncer ce démon qui s'était glissée dans sa maison.

Ainsi, elle inspira profondément puis pénétra dans le quartier général des progues. C'était la première fois qu'elle venait ici et fut admirative de ce décor splendide. L'endroit grouillait de vie et de sourire. Les héros aimaient leur devoir. Elle s'approcha de l'accueil et pensa à tout le dégoût que lui inspirait les Mavois. Elle faisait le bon choix.

—Je suis venue... dénoncer l'un des leurs, chuchota-t-elle.

Le progue remonta ses lunettes, puis se saisit d'un bloc-notes et d'un stylo. Il avait attaché ses cheveux en un chignon parfaitement réalisé, mettant ainsi son visage fin en avant.

—Déclinez votre identité.

Son ton était neutre et Mme Hart hocha la tête pour elle-même. Elle était là où elle devait être. Il lui semblait pourtant qu'une voix lui soufflait de faire demi-tour.

—Sabrina Hart, demeurant au 45 Long-Pierre, à Dali. Cheffe d'une agence de voyage.

Le justicier du peuple fronça les sourcils. Ce nom lui disait quelque chose, mais il ne parvenait pas à se souvenir pourquoi. Il secoua la tête. Il devait se concentrer sur sa mission.

—Qui venez-vous dénoncer ?

—Ma fille.

Les mots achevèrent de briser sa voix et ses espoirs. C'était fait, plus aucun retour en arrière n'était possible.

Rachel déboula au comptoir à ce moment précis. Sa journée avait été extrêmement longue. Depuis que Nicolas laissait Jade en paix, il ne se passait plus rien. Elle était lassée. Swen, le beau progue de l'accueil, était son meilleur remède. Elle aimait sa timidité et son sérieux. Il était si innocent ! Et Rachel savourait cette innocence, beaucoup trop rare à son goût parmi les bruts qui se rendaient sur le terrain.

A sa vue, Swen retrouva la mémoire : Rachel évoquait souvent une Hart. Elle l'exécrait.

—Bonjour, madame. Notre meilleur atout prend bien soin de votre demande ? questionna-t-elle en souriant.

Mme Hart sursauta légèrement. Les petites rondeurs de l'arrivante lui semblaient décalées par rapport à la réalité du métier. Cependant, tous les progues ne courraient pas après les Mavois. Swen, par exemple, était chargé d'accueillir les civils et de prendre en compte leurs informations.

—Toujours aux petits soins ! Mme Hart est venue faire son devoir.

Le regard de Rachel s'illumina. Elle adorait aussi Swen pour sa façon subtile de transmettre les messages.

—Oui, je...

Mme Hart n'acheva pas sa phrase. Elle se sentait mal à l'aise face à leur regard. Que pensaient-ils à son sujet ? Ils devaient tant la haïr de n'avoir rien vu !

—Il est toujours difficile de faire ce genre de choses, mais ici nous côtoyons nombres de civils qui n'ont jamais rien compris. Vous êtes libre de parler.

Alors Mme Hart sourit chaleureusement à la progue. Ses cheveux ondulaient un peu sous l'effet de la climatisation et cette petite femme lui semblait soudainement parfaitement à sa place, dans ce bâtiment.

—Je suis là pour ma fille. Elle ne fait pas son devoir.

—Swen, Nicolas est-il dans son bureau ?

Le prénom ne dit rien à la maman. Elle ne se tenait pas informée des nouvelles, plus depuis Hannah. Les images lui rappelaient sa vue aveugle, la prenaient à la gorge.

—Non, lui répondit le concerné.

Nicolas apparut lui aussi dans le hall. Il était agacé, parce que sa filature d'Aurélie n'avait rien donné. Luhan l'avait raccompagnée puis était rentré chez lui. C'était d'un ennui harassant.

—Mais il vient de franchir la porte.

La justicière du peuple et la dénonciatrice se tournèrent vers l'entrée.

La première impression de la mère de famille était aux antipodes de ce qu'elle avait ressenti en rencontrant Rachel. Même si elle n'était pas Mavoise, elle déglutit. Le progue aux cheveux bruns était terrifiant. Pas l'ombre d'un sourire ne résidait sur son visage fermé. Ses sourcils n'étaient pas froncés, mais sa posture inspirait la défiance. Mme Hart eut l'impression d'être une naine face à un géant.

—Ah, toujours au bon moment ! s'extasia Rachel. Je pense que nous pouvons personnellement accueillir cette charmante dame.

Nicolas posa son regard sur la civile et s'étonna.

—Elle est venue donner des informations sur sa fille, ajouta sa coéquipière.

Le ton mielleux aurait fait pâlir Jade, pas Mme Hart. Elle fut pleinement convaincue d'avoir bien agi. La voix avait d'ailleurs disparu.

—Eh bien, ce sera fort intéressant, je suppose.

Le Prédateur ne se préoccupa pas de la femme d'âge mûre et se rendit aux ascenseurs. Rachel la pria de les suivre et la civile obtempéra. Le justicier du peuple ne lui accorda aucun regard, tandis que la progue lui souriait chaleureusement.

Ils entrèrent dans le bureau et s'installèrent. Rachel préféra rester debout aux côtés de la dénonciatrice.

—Bien, je vous écoute.

La coéquipière leva les yeux au ciel. Même dans cette situation, il la plaçait à l'extérieur de la situation. C'était d'une puérilité sans nom !

La maman sortit la photo de son sac. Ses mains tremblaient un peu.

—A droite, c'est Jade. A gauche, elle n'existe plus. Elles étaient très proches et Jade n'a jamais réagi comme elle le devait. Elle a pleuré toute la nuit à l'annonce. Je me doutais bien qu'elle ne l'oubliait pas, mais...

Ses doigts cessèrent de s'agiter. Il fallait que la vérité soit faite.

—Je pensais que c'était tout. J'ai retrouvé la photo dans de vieilles affaires et l'ai déposée dans la cuisine. Jade l'a trouvée et l'a remise au même endroit, sans la jeter.

Ceci expliquait donc son étrange comportement du jour. Cependant, les informations n'étaient pour le moment pas inédites. Mme Hart ne faisait que confirmer ce que le Prédateur soupçonnait déjà.

—Elle n'a pas d'amis, n'essaie pas de s'en faire. Elle nous regarde avec mépris. Et... elle sort la nuit. Son lit est vide de longues heures.

Ah, voilà qui titillaient les deux progues ! Où se rendait donc la souris ?

—Je ne l'ai jamais vue... faire des choses bizarres, mais je suis certaine qu'elle est de leur perfide espèce.

Le Prédateur sourit grandement. Les parents de Jade paraissaient sous un nouveau jour : un jour qui mettait à mal la prétendue civile.

Il décroisa les bras et avança légèrement son corps vers elle. Le timing était absolument parfait.

—Nous la surveillons depuis un moment, que diriez-vous de nous aider ?

La maman hocha la tête. Elle ne demandait que ça. Il fallait détruire le démon, l'empêchait de proliférer.

—Alors, vous allez faire exactement ce que je vous dis.

Et la maman scella le destin de sa fille.


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