Chapitre 40 : La photo

Ce matin-là, Jade s'était levée sans a priori. La situation à la Lulyco était calme : le Prédateur laissait Luhan et Aurélie tranquilles. Il les observait de loin, mais n'intervenait pas. Il semblait de côté. Son esprit était donc plus libre.

Elle avait passé les cinq dernières nuits à la bibliothèque de Galila, recherchant sans cesse des informations sur la nuit du 19 décembre 2 338. Il y avait des quantités astronomiques de données, mais elle-même ne savait pas ce qu'elle cherchait. Si la mort d'Hannah recelait bien un secret, un indice devait se trouvait quelque part dans ces pages.

Une fois habillée, prête à prendre son petit-déjeuner, elle descendit à la cuisine. Son esprit était un peu brumeux, parce qu'elle dormait peu. Ainsi, lorsqu'elle aperçut le morceau de papier au sol, elle n'y fit pas attention. C'était une simple tâche blanche dans son décor. Elle mordit dans ses tartines avec appétit, but son chocolat chaud avec envie, fit rebondir ses mains sur ses joues pour se réveiller un peu, puis se leva. Cette fois, l'insignifiant objet la happa toute entière. Elle reconnaissait la fine écriture d'Hannah, même si elle n'en distinguait pas les termes exacts.

Comment cette photo pouvait-elle se retrouvait là, au milieu du chemin ?

Jade jeta un œil autour d'elle, puis se baissa et prit l'image entre ses doigts. Son souffle se coupa et la tête lui tourna. Elle rêvait encore, elle avait passé trop de temps éveillé et faisait un rêve étrange. Pourtant, elle sentait la papier lisse sous ses doigts.

La photographie qu'elle tenait était celle cachée sous le bureau de sa sœur. Ses parents n'y mettaient jamais les pieds. Donc c'était impossible. Elle observa une nouvelle fois l'image : Hannah avait toujours les cheveux bruns courts et Jade des cheveux plus longs. La première avait les yeux ouverts, la seconde fermés. Il y avait de la neige partout.

Les clichés se ressemblaient en tout point.

L'Inconnu aux mille visages n'avaient cependant pas le loisir de vérifier. D'une parce qu'elle devait se rendre à la Lulyco. De deux parce qu'elle risquait de compromettre sa cachette si ses parents ne l'avaient pas trouvée. De trois, parce qu'elle était simplement figée. Quoi que ses parents aient fait, la trouver là était un avertissement ou un test.

Jade inspira profondément pour s'éviter de pleurer. Avant, sa mère pouvait passer des heures à la coiffer, à discuter, à rire. Après la disparition d'Hannah, tout avait été différent. Ses parents s'étaient éloignés d'elle. Ils ne prenaient désormais que de rares nouvelles et passaient du temps à la regarder avec mépris. Comme s'ils savaient. ne cessait de penser Jade. C'était cependant impossible, n'est-ce pas ?

Par précaution, Jade reposa l'image où elle l'avait trouvée. Sans apercevoir derrière la fenêtre de la cuisine, sa mère et son regard noir.

Bien sûr, cette photo n'était pas un hasard, ni anodine. Jade le découvrirait cependant plus tard, de façon surprenante et désagréable. En attendant, elle se rendait à la Lulyco, les pensées empoisonnées par cette découverte.

Son détachement et son regard dans le vide ne passèrent pas inaperçus aux yeux du Prédateur. Il fronça une bonne partie de la journée les sourcils, parce qu'il la laissait justement libre pour lui donner de faux espoir. Elle devait donc rayonner. Il avait cependant d'autres préoccupations avec Luhan et sa greluche. Depuis leur altercation, ils semblaient plus unis que jamais et se voyaient à chaque interclasse. Nicolas n'avait donc plus de moment opportun pour isoler la fille, c'était agaçant. Il décida de les suivre, après la fin des cours.

C'était le parfait moment selon Matthew.

La menace du progue était écartée, la Lulyco presque déserte et Jade toujours présente. Ainsi, il lui souffla de se rendre au gymnase. Il savait qu'elle suivrait ses ordres, parce qu'elle avait rencontré Nao. Les fantômes lui étaient donc plus familiers et sa curiosité l'emporterait. De son côté, Matthew rejoignit son frère à l'intérieur du bâtiment. Il le retiendrait aussi longtemps qu'il le faudrait.

Jade ouvrit la porte sans se poser de questions. La voix qui la harcelait lui cassait les pieds et, si Nao lui était visible, elle espérait enfin pouvoir mettre un visage sur ces phrases lancées à la volée.

Elle hésita une seconde lorsqu'elle perçut la voix de Jacob. Il semblait agacé, tout en se retenant d'élever le ton.

—J'ai compris, Matthew. J'ai vraiment compris.

Il serrait les points, en faisant face à son frère décédé. Le sourire de ce dernier l'alarma et il se retourna vers Jade, qui avait avancé.

—Jacob ? interrogea-t-elle.

Il la détestait, mais Jade pensait enfin comprendre pourquoi. Ce qu'il exécrait n'était pas tout à fait sa personne, mais l'intérêt du Prédateur à son égard. C'était logique : Jacob était un Mavois. S'approcher de Jade le rapprochait inexorablement de son ennemi.

—Qu'est-ce que tu fiches là ? lui retourna-t-il.

—Je l'ai guidée jusqu'ici, répondit Matthew.

Jacob se retint de se retourner vers lui pour le fusiller du regard. Il ne s'attendait pas à la question de Jade.

—Pourquoi ?

—Tu...

Jacob s'horrifia de la situation. Matthew ne lui avait pas fait cela, n'est-ce pas ? Il ne venait pas de lui montrer sa nature ?

—Je les vois aussi, les fantômes.

Il était parfaitement inutile de nier : Jade avait bien saisi que tous deux se parlaient et se connaissaient. Peut-être que lui apporter la preuve qu'elle était de son côté l'aiderait à l'accepter parmi eux ?

—Et là, celui qui est derrière toi me donne des ordres depuis plusieurs jours.

Jacob se demanda s'il pouvait paraitre plus horrifié encore. Son frère agissait sur le monde des vivants. Si sa mise en garde semblait en accord avec sa non-existence, le Mavois douta que manipuler Jade le soit. Matthew n'essayait que de renforcer son mauvais pressentiment. Quel prix paiera-t-il pour cela ?

—Matthew, de ce que j'ai saisi.

—Son frère, précisa le fantôme.

—A quoi tu joues ? explosa le cadet. Tu m'as mis en garde durant des semaines ! Tu m'as fait juré de ne pas m'en approcher, alors putain, à quoi ça rime ça !

S'il était encore en vie, Matthew aurait eu le droit à quelques coups. Jacob était furieux. Seul lui pouvait comprendre son plan, et seul lui le connaitrait.

—Approche-la, souffla le frère. Discute quelques instants avec elle. Et comprends pourquoi tu dois t'éloigner d'elle.

Alors, Jade s'avança d'elle-même. Elle n'avait pas plus de réponses, mais si le frère souhaitait protéger Jacob, il devait y avoir quelque chose qui lui échappait. Sa propre sœur viendrait-elle la voir ? Avait-elle choisi de rester sur Terre sous cette forme ? Egoïstement, Jade le souhaita de toutes ses forces.

Jacob eut le souffle court et la chair de poule. C'était amplement suffisant.

—Tu...

—Ne dis rien ! le coupa l'ainé.

—Je suppose que notre relation ne s'améliorera pas, soupira Jade.

—Je ne compte pas rester dans les parages, lorsque le Prédateur t'arrêtera.

Il n'en aura pas l'occasion. se dit Jade. Elle s'enfuirait avant.

—Je ne compte emmener personne avec moi, sourit-elle tristement.

Oh, ça elle n'en savait rien ! Matthew secoua la tête. Elle n'emmènerait personne si elle ne s'approchait de personne. Or, il semblait qu'il était déjà trop tard. Néanmoins, Matthew accepta l'idée de l'aider, un peu. Elle n'avait pas tenté de convaincre Jacob de se rallier à elle, c'était beaucoup à ses yeux.


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