Chapitre 4 : Une aiguille d'avertissement

La cloche avait sonné l'heure du déjeuner, mais personne n'avait osé bouger le moindre orteil. L'ordre du Prédateur avait été clair : le premier qui sortait était mort. Ce n'étaient pas des paroles en l'air. Il n'avait peur de rien, il était prêt à tout.

Assise à côté de lui, Jade réfrénait les tremblements de ses mains. Il était quelque chose, ce type. Agissait-il instinctivement ou tout était-il orchestré ? Son ton, sa posture, son attitude. Tout était fait pour mettre la classe mal à l'aise, comme si chacun d'eux était un Mavois.

Nicolas posa ses mains sur la table, poussa sa chaise en arrière et, lentement, se leva. Il se posta face à la salle, devant le tableau blanc qui faisait parfaitement ressortir sa silhouette. Tout dans ses gestes était contrôlé, envoûtant, effrayant. Il était doté d'une assurance prédatrice, et aimait l'effet qu'il produisait chez les autres.

Il ne se priva pas d'un sourire.

Les mains de Jade se stoppèrent, comme frappées par la foudre. Elle avait eu deux heures pour y réfléchir, pour se convaincre. Il avait fallu de quelques secondes pour qu'elles obtiennent naturellement les réponses. L'un était un symbole pour le peuple, l'autre pour les Mavois. L'un d'eux devait donc disparaitre. Cette évidence la frappait. Même si elle n'était rien, dans cette salle de classe, elle ne pouvait pas simplement rester spectatrice de ses agissements. Même si tout pouvait basculer, elle ne pouvait plus rester passive.

Il y avait eu cette photo, avec ces sourires.

Le pari était risqué, les enjeux colossaux, mais Jade était prête. Voilà cinq ans qu'elle avait rejoint les rangs de Galila, à la fois le nom du siège des Mavois et le nom de l'organisation qui les protégeait. Cinq ans, c'était tellement long. Jade avait eu le temps de changer d'avis un nombre incalculable de fois. Sa vision de la situation avait beaucoup évolué, elle aussi. Jusqu'ici, elle était effrayée de voir son nom s'affichait sur ses panneaux géants, dans la rue. Elle était effrayée que l'Inconnu aux mille visages n'ait plus de sens.

C'était terminé.

Que valait ce nom face à la cruauté de son adversaire ? Que valait sa vie personnelle face aux horreurs de son ennemi ? Plus rien. Elle avait perdu ses amis, sa famille. Survivre ne valait pas la chandelle.

Le Prédateur s'assit confortablement sur le bureau du professeur, au centre de la pièce. L'enseignant, lui, s'était déjà tapi dans un coin de la pièce. Il n'aimait pas les problèmes. Les prunelles vertes se mirent à dévisager chaque étudiant, semblant s'attarder un peu plus sur celles de Jade. Elle ne baissa pas le regard, mais quelle horrible sensation était-ce de se faire lorgner si ouvertement ! Finirait-il par remarquer son grain de beauté, là, dans son cou ? Et celui de son oreille droite, qui donnait l'illusion d'une boucle d'oreille ? Ces deux petits éléments de rien du tout le conduirait-il à l'identifier en tant que l'Inconnu aux mille visages ? Jade veillait à les camoufler, car il s'agissait de caractéristiques qu'elle ne pouvait effacer, qu'importe l'apparence qu'elle revêtait. Elle n'était pas à l'abri d'une erreur.

—Je laisse cinq minutes aux deux Mavoises pour se dénoncer, tonna le Prédateur. Passer ce délai, je n'accorderai aucune pitié.

La certitude qu'il y avait trois Mavoises dans la salle fut la seule chose qui ne fit pas perdre la tête à Jade. Le regard assuré, elle les gardait sur son ennemi. Elle n'aimait pas sa façon de jouer avec les nerfs. Quoi qu'il arrivait, Nicolas n'aurait aucune pitié. Sa réputation le précédait et tous en était conscient.

Rachel soupira, agacée. Leur façon de procéder était décidément diamétralement opposée.

—Je déteste tes jeux débiles, lâcha la progue en s'appuyant sur le dossier de sa chaise.

Dans ses mains, elle agitait un stylo. Elle hésitait à chercher les deux Mavoises elle-même et à les trainer à ses pieds. C'était tout ce qui l'animait de toute façon : voir cette étincelle de supplication. Rachel préférait la rapidité et l'efficacité. Plus vite le monde était débarrassé d'eux, mieux c'était.

Nicolas haussa les épaules avec désinvolture. Dans cette pièce, sa collaboratrice était la seule qui puisse lui mettre des bâtons dans les roues. Mais il aurait le dernier mot. Il l'avait toujours.

—Tu nous fais perdre du temps, insista la progue.

Une nouvelle fois, son interlocuteur haussa les épaules. Il n'avait que faire de ses objections. Lui, ce qu'il aimait, c'était le tableau devant ses yeux : ces dizaines d'étudiants, la tête basse qui priait de ne pas subir sa colère. Et ces deux Mavoises qui tremblaient au fond de la pièce. Ou... peut-être que ce qu'il apprécia le plus durant ces quelques minutes fut l'attitude de Jade. Cette détermination dans son regard, ses poings serrés. Arriverait-il à la faire céder ?

—Encore quinze secondes, informa-t-il en dodelinant sa tête.

Il balançait ses pieds et n'en paraissait que plus démoniaque. Son petit jeu mettait à rude épreuve les nerfs de Jade. Cette attente était insupportable, sa désinvolture davantage. Et Rachel qui tapotait frénétiquement son stylo sur sa table n'aidait en rien. Le son, régulier, irritait Jade. C'était un peu comme un sablier qui comptait les secondes restantes avant la fin.

—Arrêtez ça.

Ah, voilà que les choses commençaient à être intéressantes ! Nicolas contint un sourire avant de réagir.

—Pardon ? s'enquit-il.

Toutes les têtes se tournèrent vers Jade, à présent debout. Il était trop tard pour faire machine arrière, car elle venait de défier ouvertement l'autorité du Prédateur. Même Rachel l'observait, son stylo posé sur son cahier.

—En quoi votre provocation est utile ?

Les poings serrés, la respiration calme, Jade ne se démonta pas face au rictus du progue. Ce dernier bondit sur ses pieds, tel un félin. La jeune femme se répéta qu'avoir peur, c'était semer le doute.

—En quoi ton intervention l'est-elle ? cracha le justicier du peuple.

Bien sûr, sa réaction ne servait que les deux être anormaux. La cible changeait de direction et peut-être pouvaient-elles espérer s'en sortir.

Ou pas.

—Nous perdons du temps et les Mavoises souffriront bien assez capturées. Vous êtes progues, pas nous. On se fiche pas mal de la manière dont ces faux humains sont attrapés.

Doucement, il s'avança vers elle, se posta juste devant son corps. Elle ne baissa pas la tête.

—Qui suis-je ? l'interrogea l'être supérieur.

—Le Prédateur.

—Qui es-tu ?

—Personne.

—Bien. Assis-toi dans ce cas.

Sa mâchoire était contractée, ses mains tremblaient de fureur. Il y avait pourtant un semblant de plaisir derrière ces réactions.

—Vous mêlez des civils à votre travail. Si ces deux Mavoises nous prennent en otage, que ferez-vous ?

Même en tant que citoyenne, Jade pouvait avoir du pouvoir.

Rachel se mit à sourire, puis à applaudir en se levant.

—Brillant ! s'exclama-t-elle.

Bien évidemment, elle se fit foudroyer par le regard vert de son acolyte.

—Brillant ? répéta-t-il incrédule.

—Que ferais-tu si elles se soulevaient maintenant ?

Rachel s'avança un peu plus. Elle avait presque envie qu'une rébellion éclate pour mettre cet idiot en difficulté.

—Tu ne contrôles pas tout, Prédateur, chuchota-t-elle au creux de son oreille. Certains ne sont pas effrayés par toi...

Elle s'incluait dans ces personnes. Il avait une horrible réputation, mais la motivation de Rachel pouvait tout surpasser.

Jade la trouva tout aussi dangereuse, bien que le progue dégageait quelque chose de plus bestial.

—Je les attends, murmura-t-il en retour.

Seule la voisine avait compris les propos, les autres étaient trop éloignés. Elle prit soin de graver dans un coin de sa tête que ces deux-là, ils ne s'aimaient pas.

Soudain, Nicolas recula et se posta devant le tableau. Rachel sourit.

—J'aime voir la peur, les tremblements du corps, les larmes qui coulent. Personne ne peut me contredire sur le fait qu'il s'agit là de la destinée de ces pourritures.

Cette fois, il braqua son regard sur les deux Mavoises. Juste assez longtemps pour apercevoir leur surprise lors de la piqûre. En effet, dans un mouvement vif et précis, il avait lancé deux fines aiguilles en leur direction. Le Dédra qui les composait ne passait pas inaperçu pour les Mavois.

Pas même pour Jade.

Car s'il avait visé les deux victimes, il n'avait pas omis de viser l'effrontée. Elle aussi devait connaitre la terreur d'être démasquée.

—Bien, ceux qui ont obtenu mon petit cadeau sont priés de se lever. Tout de suite.

Jade était déjà debout et les deux Mavoises du fond obtempèrent. Leur résiliation faisait peine à voir aux yeux de Jade.

—Maintenant, vous vous avancez.

Son ton, autoritaire et menaçant, en fit tressaillir bon nombre. Le Prédateur ne se préoccupait pas de ces cibles, il observait sa souris, l'invitant silencieusement à faire de même. Jade était cependant une civile et n'avait nullement l'intention de lui obéir de cette façon. Cette aiguille, c'était un avertissement. Elle allait le prendre en considération, sans s'avouer vaincue.

Sans rien quémander de plus, Nicolas passa les menottes de Dédra aux poignets des concernées, puis quitta la pièce sans un dernier regard. Il n'en avait pas besoin, car sans peine, il percevait que toute l'attention était centrée sur lui. L'invaincu progue.

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