Chapitre 35 : L'Aura
Il attendait, comme chaque soir depuis sa sortie. Il s'installait autour de sa table, une tasse de thé à la main. Tandis que César buvait, les souvenirs se rappelaient à lui. La silhouette d'Hannah, son rire, sa puissance et son intelligence. Elle l'avait repoussée avec force, l'avait évitée. César n'en gardait pas moins de bons souvenirs. Hannah lui avait également beaucoup parlé de sa petite sœur, de son regard lumineux et de ses idées loufoques. Il avait beaucoup ri. A présent, la cadette se rapprochait davantage de l'ainée.
Il ne savait pas quand Jade lui rendrait visite, mais César savait qu'elle le ferait.
Il n'avait pas de mal à imaginer ses pensées tourbillonner et ses questions, sans réponses, la pousser à changer d'avis. Il avait vu luire la curiosité dans son regard, si différent et pourtant si semblable à celui qu'il avait perdu.
—Me voici, Solli César.
Il stoppa son mouvement, sa tasse restant à portée de lèvres, puis cligna des yeux. Au vu de leur conversation passée, il s'était attendu à ce qu'elle frappe à la porte, pas qu'elle se téléporte directement sur la chaise face à lui.
—Discutons.
Le Mavois hocha la tête tout en posant son thé. Le moment était solennel. Bien qu'il ne souhaitait pas mentir à Jade, il savait qu'il y serait contraint. Certains secrets devaient rester bien gardés. Il l'avait juré.
—D'abord, je voudrais revenir sur ton histoire d'aura. Qu'est-ce que c'est exactement ?
Le rêve de cette nuit perturbait toujours Jade, mais la voix était revenue, plus insistante. Elle soupçonnait que ce soit lié à cette aura dont elle ne savait encore rien.
—Tu ne cherches plus à me faire croire en ta civilité ?
—Ma venue est une preuve suffisante, non ?
Hannah lui avait fait confiance et, même s'il ne lui en inspirait aucune, Jade lui laissait sa chance. Elle pariait tout sur sa relation passée avec sa sœur et les quelques souvenirs qu'elle avait.
—Une démonstration sera plus efficace, plaida César.
Ainsi, il retira son contrôle et laissa Jade percevoir son aura. Ce n'était pas bien difficile, car le contraste entre l'avant et l'après était flagrant : la Mavoise ressentait comme un poids qui s'abattait sur elle. Son instinct lui soufflait de déguerpir face au danger soudain. Puis cela s'arrêta et Jade secoua la tête. Tous ces mystères pour si peu !
—C'est une perte incontrôlée de pouvoirs ? interrogea-t-elle.
—Exactement. En fonction de ta puissance et de ta situation, ce que tu perçois peut varier : danger, inconfort, envie d'aider, confiance. Nous sommes plus sensibles à cela que... les autres.
César n'avait pas pu employer le terme « Homme ». Lui-même se considérait toujours comme tel. Il était simplement un humain aux capacités plus développées.
—Beaucoup la confondent avec l'instinct ou un pouvoir de divination. Personne ne peut deviner notre nature, tout le monde la perçoit en revanche.
Jade n'était pas dupe, elle comprenait aisément à qui il faisait référence : l'illustre et l'incroyable Prédateur. César n'avait pas oublié qu'il avait fait venir l'ambulance des progues pour sa personne. Il lui rappelait que ce n'était pas sans danger. L'Inconnu aux mille visages le savait bien !
—Plus on devient puissant, plus l'aura est importante. La tienne a déjà dû t'attirer des ennuis.
La voix inconnue résonna dans son esprit et Jade hocha la tête. Il fallait qu'elle s'en débarrasse, et vite.
—Comment tu parviens à l'étouffer ? interrogea-t-elle.
—La maitrise de soi.
Jade pinça ses lèvres. Elle n'avait jamais eu une grande patience, ni plus jeune, ni maintenant. Rester des heures assises sans rien faire la rendait folle.
Elle se souvenait de son enfance, lorsqu'Hannah rentrait plus tard qu'elle à la maison : Jade se postait devant le miroir et usait de ses pouvoirs pour prendre mille et une apparences. Pour ses missions, ce n'était pas un problème, mais quand elle était simplement Hart Jade, l'histoire n'était plus la même. Faire disparaitre son aura allait donc être plus difficile que prévu.
—Il te faudra prendre conscience de ton pouvoir, le ressentir à chaque seconde qui passe.
—Hannah, elle en était capable ?
Jade se souvenait de son admiration, parfois incompréhensible, envers son aînée. Elle se rappelait de certains moments étranges comme si une force la poussait à obéir. L'aura en était responsable, non ?
César eut un sourire triste. Si sa bien-aimée en était capable ? Evidemment, pardi. Elle était la meilleure qu'il connaisse ! Elle n'avait plus besoin de penser, ni de ressentir, ses pouvoirs se terraient naturellement au fond d'elle-même. Elle ne craignait rien, ni personne. Et, pourtant, elle avait succombé. C'était incompréhensible à ses yeux : Hannah pouvait repousser qui elle souhaitait, quand elle le désirait. Il ne croyait pas à cette mort contre un simple progue de bas étage. L'ennemi avait dû l'acculer, la priver de ses dons d'une quelque façon que ce soit.
Une autre hypothèse dormait dans son esprit, il refusait cependant d'y croire. C'était atroce, comme vérité.
—Je n'ai jamais ressenti son pouvoir sans qu'elle ne m'y autorise. C'est elle qui m'en a parlé, ce jour-là, lorsque tu m'as ouvert la porte. C'est à cause de cette perte de pouvoir qu'elle refusait notre amour.
Cela aurait trop de conséquences pour lui, comme pour moi. avait-elle dit un jour à sa sœur. Etait-ce ce dont parlait Hannah à ce moment-là ? Estimait-elle que les risques d'être découverts devenaient trop importants ? Mais si sa maitrise de cette faiblesse était si importante, pourquoi le craindre ? Quelque chose échappait à Jade.
—Sa vie, raconte-la moi.
Jade n'avait que la version idolâtrée de sa sœur, de cette civile qui prenait soin d'elle comme personne. Son modèle n'en était peut-être pas un, et la jeune femme sentit sa gorge se nouer. Elle n'était pas prête à ce genre vérité, mais n'aurait pas d'autres occasions.
Un doux sourire s'afficha sur le visage de César. Son regard devint lointain et il se mit à conter sa vie, comme si elle n'était pas terminée.
—Vers dix ans, Hannah a rejoint Galila. Elle s'est faite un nom, comme s'il lui suffisait de respirer pour cela. Elle détestait le Fantôme qu'elle se refusait d'approcher. C'était réciproque, puisqu'elle n'obéissait pas à ses ordres.
Que lui inspirait le chef de Galila pour provoquer pareille réaction ? Jade ne l'avait pas croisé depuis longtemps, deux ans à vrai dire, mais elle se rappelait de chacune de ses rencontres avec cet individu. Il lui semblait venir d'un autre monde, d'un autre temps. Il semblait au-dessus de tout, comme transcendant. Nombre de fois, il avait deviné ses agissements futurs, bien que les résultats lui étaient inconnus. Sinon, il l'aurait empêchée de partir en mission, deux ans auparavant.
—Hannah, contrairement aux apparences, n'agissait pas sans réfléchir, mais ne respectait que peu l'ordre des missions. Elle ne considérait jamais les autres comme des amis et préférait la solitude pour ne pas dépendre des autres. Ses missions étaient des sauvetages, pour la plupart. Elle se faisait respecter, bien qu'elle tentait tout pour se faire oublier. C'est ainsi que son pseudonyme La pierre illusoire est né. La même année, elle a quitté Galila.
Pourquoi ? s'interrogea Jade. Le Fantôme pouvait être malaisant, mais jamais il n'avait eu un quelconque comportement suspect. Il chérissait les Mavois et son organisation. Une fois qu'on y entrait, en sortir nous paraissait stupide.
Jade mordit l'intérieur de ses joues. C'était exactement ce qu'elle avait fait deux ans auparavant. Elle n'avait pas officiellement reconnu partir, mais n'était plus apparue là-bas. Ses missions lui avaient paru vides de sens.
—Elle agissait de façon égoïste sans que la population ne la repousse. Ça la rendait folle. Elle avait ce besoin absurde de s'effacer.
César fronça les sourcils. Il était vrai que cela semblait viscéral à Hannah. Elle s'en inquiétait souvent, presque constamment et ne lui avait jamais fourni d'explications.
—Même sans Galila, elle est parvenue à se faire des alliés. Elle ne sauvait plus de Morcèmes, mais s'attaquer aux fourgons.
—C'est comme ça qu'elle est morte ?
Oh, combien César aurait aimé ! Il aurait compris sa tragique disparition, aurait pu tourner la page et se tourner vers l'avenir. Cependant, ce n'était pas le cas. Le Mavois de vingt-huit ans restait ainsi bloqué dans son passé.
—Non, malheureusement. Elle a été abattue dans une ruelle un soir d'hiver.
Jade fronça les sourcils. C'était la version des progues, et elle n'y croyait plus. Pas en sachant qu'Hannah était populaire, pas en sachant qu'elle était puissante, pas en sachant que personne n'avait mentionné sa mort. Elle n'osa néanmoins pas le contredire, car son regard s'était voilé plus que de raison.
C'était un mystère pour elle : César, après cinq ans, l'aimait toujours. Jade, qui ne parvenait pas à aimer quiconque, avait du mal à le concevoir. L'amour se tarissait si aisément dans ce monde de petits soldats.
—Si j'étais resté, si je ne l'avais pas écoutée, Hannah serait encore parmi nous.
César serra les poings et la mâchoire. Cette pensée ne l'avait jamais quittée jusqu'alors. Il se sentait coupable de son décès. S'il avait agi de son propre chef, s'il ne lui avait pas accordé sa confiance aveugle, Hannah aurait pu continuer de sourire.
Jade le comprenait douloureusement. Elle aussi, si elle avait fait des choix différents, elle aurait été capable de sauver sa grande sœur. Si elle avait fait part de ses pouvoirs, Hannah aurait-elle combattu à ses côtés ? Aurait-elle pu sauver l'autre ? Auraient-elles déjà vaincu le Prédateur ? Elle se surprit à souhaiter inverser les rôles. Qu'importe comment, qu'importe le prix. Hannah aurait dû vivre, et elle mourir. Jade n'était pas une héroïne, ni un modèle. Elle était un pion qui obéissait au Fantôme. Elle était une imbécile, une honte en comparaison de sa sœur. Une perdante. La cause, sa cause, celle qui la poussait à se lever chaque matin, elle l'avait déjà abandonnée dans son esprit. Elle ne méritait pas son titre d'Inconnu aux mille visages.
—Tu n'es pas responsable, souffla-t-elle.
Chacun avait choisi sa route, tous deux s'étaient simplement trompés. Cela faisait mal. Même si Jade ne se sentait pas capable d'accepter cette réalité, elle souhaitait au moins essayer de libérer César de ce fardeau.
—Si Hannah était plus forte que toi et n'a pas réussi à s'en sortir ce soir-là, comment tu aurais pu changer quoi que ce soit ? Elle ne t'aurait pas laissé mourir de toute façon.
Oh, ça, César en était persuadé. Hannah ne voulait laisser mourir personne, quitte à mourir à leur place.
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