Chapitre 34 : Son choix
La porte ouverte sur un fracas, les couloirs gris, les pas trainants, la Prémisse et son injection, numéro 10 ne gardait que peu de souvenirs de ces éléments. Son trajet était flou, tout était flou depuis sa visite chez le Tiran. Là, debout dans le Passage, il ne savait toujours pas quel serait choix, quel devait être son choix. Tuer l'adversaire ou tenter de détruire la barrière ? La mort de Nao avait désordonné ses pensées, le Tiran les avait rendues incompréhensibles.
Il passa une main sur son visage, tandis que le Dédra luisait de sa couleur rouge. Il se souvint de cinq ans auparavant, lorsque sa plus lourde décision n'impliquait que sa liberté. Qu'il était bon ce temps-là ! A présent, il devait choisir entre la mort ou... la mort.
Il retira sa main et fixa le matériau rouge, comme s'il était capable de le faire disparaitre à tout jamais. Sans cette chose, il détruirait cet endroit. Cette frustration grandissait en lui, le prenait aux tripes.
Tout autant que la haine.
Jamais il n'en avait que connu de telle et, de plus en plus souvent, il lui arrivait de s'y perdre. Le poids de ses actes lui pesait, chaque jour davantage. Il était devenu un monstre parmi les monstres.
Numéro 10 secoua la tête et s'avança. Il devait cesser ses sombres pensées. La lumière de l'arène l'éblouit une seconde. Cette fois, il n'y avait ni arbres, ni végétations, seulement du sable fin. Et puis, bien sûr, la barrière : ses ondulations, ses contours fins ; les gradins, avec ses spectateurs et leur siège surélevés. Au milieu de tout cela, à l'opposé du Mavois, se tenait son adversaire.
La jeune fille avait de jolis yeux noisette et une chevelure en or. De loin, numéro 10 estima sa taille à un mètre soixante. Elle était menue et paraissait mal à l'aise. La gorge de 10 s'assécha. Le Tiran jouait-il avec lui ? Le mettait-il à l'épreuve ? Pourquoi choisir un faible adversaire pour son premier combat ? Il lui semblait entendre d'ici les réclamations des spectateurs, perdant une fois de plus leur mise et les frottements de main des progues, qui savaient à l'avance.
Ce monde est bien pourri, se dit numéro 10.
Le gong annonçant le début du combat retentit. Aucun des deux combattants n'amorça le moindre pas, le moindre mouvement. Ils se fixaient simplement. Puis les larmes se mirent à couler sur les joues rebondies de la Mavoise. Aussitôt, 10 plongea dans ses pensées. Elle était désespérée, pas d'être tuée, mais de tuer. 578 ou plutôt Agathe, découvrit numéro 10, ne maitrisait pas ses dons. Elle était donc incontrôlable.
La poule aux œufs d'or serra les dents. En dehors de ses murs, dans un autre monde, dans un autre temps, il aurait pu l'aider. Il aurait pu lui apprendre à ne pas laisser ses pouvoirs la submerger. Il était cependant dans cette arène, dans ce monde, dans cette époque. Il devait combattre ou mourir.
« Je suis désolé. » s'excusa-t-il juste avant de fondre sur elle.
Il faisait son choix : sa vie, pour en sauver plusieurs. Dans sa main droite, une lame de vent apparut. Dans sa main gauche, une boule de feu. Il lança la seconde, et s'arrêta brusquement. Juste devant lui, la foudre venait de s'abattre. Il leva les yeux vers le plafond, mais aucun nuage n'était visible. Il comprit alors l'absence de végétation : un feu aurait pu se déclarer et les réduire tous deux en cendres.
Agathe le regardait les yeux ahuris, la respiration sifflante. Elle avait pensé à se protéger, rien de plus. Elle n'avait pas voulu ça, elle ne le voulait toujours pas. Elle souhaitait quitter cet endroit, revoir sa famille, rire avec son petit frère et flirter avec son petit-ami. Elle pleura de plus belle, et la foudre s'intensifia.
Parce que son adversaire ne maitrisait pas son don, numéro 10 était dans une mauvaise posture. Les pensées lui permettaient d'apprendre les stratégies adversaires avant leur mise en place, couplées à son esprit stratège, le Mavois était redoutable. C'était grâce à ce don, dont il n'avait pas informé les progues, qu'il était parvenu à survivre cinq ans.
Il évita de justesse un éclair qui lui frôla le bras, recula une nouvelle fois pour en éviter un second, sauta sur sa droite, atteignit la limite de l'arène. Il percevait plus que jamais la détresse de son adversaire, son incapacité à se calmer, à réfléchir calmement. Son désir ardent de vivre.
Sa décision se fissura.
Il se souvint de ce qui l'animait, la première fois qu'il s'en était pris à la barrière. Les progues l'obligeaient à donner la mort selon leurs règles, il cherchait un moyen de la contourner. La barrière avait été là, comme toujours. Il avait donc agi. Et maintenant ? Il devait recommencer à obéir, à tâcher ses mains de sang. Y'avait-il seulement encore un espace blanc sur sa peau ?
Numéro 10 roula sur le côté, lança une bourrasque vers sa camarade. Celle-ci se déséquilibra et chuta. Plus que jamais, il remarqua sa jeunesse et sa maladresse.
Il ne pouvait la tuer, malgré les menaces, malgré les morts que cela engendrerait. Il ne pouvait s'y résoudre. Il ne supportait plus la mort.
« Arrête, je t'en prie... » la supplia-t-il.
Les attaques de foudre continuèrent de s'abattre dans l'espace clos. 10 cherchait un moyen de la rassurer : un geste, un mot, un souvenir. Il régnait cependant un tel chaos dans l'esprit de la jeune fille qu'il avait du mal à se concentrer.
Alors qu'un autre éclair lui frôlait la jambe, il trouva. Le souvenir était récent, le jour de l'éveil de son don. Elle se trouvait dans un jardin, avec sa sœur ainée. Agathe venait tout juste de libérer son pouvoir et son père avait failli se retrouver six pieds sous terre. L'ainée était face à elle, les mains sur les épaules, le visage grave et en pleurs. Promets-moi de ne faire de mal à personne. lui soufflait-elle.
Numéro 10 lui envoya son propre souvenir à l'esprit. La seconde suivante, le calme régna dans l'arène.
« Je ne veux pas te tuer », lui expliqua-t-il.
« Moi non plus », sanglota la plus jeune.
Le plus fort des deux inspira profondément. Il y aurait un mort, peut-être deux, mais ce ne serait pas son corps le coupable. Pas cette fois. Dans un coin de sa tête, en revanche, il savait que son âme était responsable. Il choisissait leur destin.
Calmement, loin de ce qu'il ressentait, il se tourna vers la barrière, à l'endroit où les spectateurs se tenaient. C'était son petit plaisir, l'instant où il se réjouissait de la peur. Il leva la main gauche, le feu, et la main droite, le vent. Certains spectateurs sourirent, amusés de sa détermination, d'autres, ceux qui venaient pour la première fois, pâlirent. Il s'encouragea lui-même, puis aperçut du coin de l'œil Agathe.
—Ils te tueront, lui murmura-t-il.
—Je préfère que ce soit eux, que toi.
Numéro 10 hocha la tête. Il ne serait pas responsable de cette mort-ci. Egoïstement, il fut soulagé.
—Imagine la forme de ton attaque, sa direction, sa vitesse, sa consistance et sa force. Tout doit être clair dans ton esprit. N'attend pas la perfection, il te faudrait des années pour ça.
Numéro 578 hocha la tête. Puis, comme s'ils n'étaient qu'un, le feu, le vent et la foudre s'abattirent sur le mur indestructible. Tous trois furent absorbés et disparurent. Le même résultat, inlassablement. Pourtant, 10 ne désespérait pas, un jour, il briserait cette protection qui le narguait.
L'alarme retentit, un bruit aigu, désagréable et la salle fut évacuée en quelques secondes à peine. Quelques spectateurs râlèrent, agacés de cette fin grotesque. Le Morcème rembourserait les mises, mais qu'importait. Ils s'étaient déplacés pour rien.
10, lui, souriait à sa voisine.
—Tu as réussi, la complimenta-t-il.
Elle lui sourit encore avant que le gaz ne soit libéré et qu'ils tombent comme des mouches.
Toujours la même méthode. ne put s'empêcher de se dire le Mavois.
« J'espère que tu survivras. » lança-t-il à Agathe avant de sombrer.
A son réveil, il sera pour une fois dans sa chambre, vivant, entier. Mais, Agathe, elle, disparaitra des registres du Morcème, comme si elle n'avait jamais existé.
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