Chapitre 32 : Visite de Calis
La situation lui échappait, elle n'aimait pas cela. L'inexplicable avait forcément une cause. Elle ne pouvait pas s'imaginer des voix dans son esprit.
Elle parvint à sa chambre. Elle n'avait fait que trois pas qu'elle se figeait.
—Bonsoir.
Quelqu'un avait réussi à s'introduire chez elle. Ce quelqu'un était posté derrière elle. Ce même quelqu'un, Jade le connaissait pour l'avoir déjà rencontré. Ainsi, avant même qu'elle ne se retourne, elle sut qu'elle trouverait un chat au pelage noir avec une tâche blanche. Ce n'était pas sa forme animale que Jade trouva, mais bien Ga-Eul, avec ses cheveux noir corbeau et ses prunelles brunes, sa peau mate et ses lèvres fines, son mètre soixante-sept et sa taille élancée.
Jade cligna des yeux, cessa de respirer une seconde. L'intruse la paniquait. Jamais elle ne s'était attendue à recroiser sa route. Jamais elle ne l'aurait dû. Ce jour-là, elle avait commis une folie, elle ne pouvait pas réitérer l'expérience, ni aller plus loin.
—Je suis Ga-Eul.
L'Inconnu aux mille visages resta silencieuse tout en se flageolant. Elle aurait dû faire des recherches à son propos, connaître ses dons et son histoire. Elle n'avait rien fait. Son cœur battit un peu plus fort, craignant la suite des événements. Que lui voulait-elle au point d'avoir attendu son retour ? Comment l'avait-elle retrouvée ? Et surtout, pour quelle raison ?
—Tu te souviens de moi ? interrogea la Mavoise.
Difficile de l'oublier au vu des circonstances : Jade ne s'était jamais faite prendre en otage. Elle ne bougeait toujours pas et, à mesure que les secondes s'égrenaient, son visage lui parut familier. Comme si ce n'était pas leur première rencontre, comme si sa voix ne lui était pas étrangère. Elle se souvint d'un ton plus aigu, plus paniquée, sans parvenir à comprendre vraiment.
—Oui, souffla finalement l'Inconnu aux mille visages.
—J'ai survécu grâce à toi.
Avait-ce été le bon choix ? Soudain face à cette question, Jade ne sut pas. Elle s'était laissée prendre, avait obtenu les secondes nécessaires à sa fuite. Que pensait la Mavoise de tout cela ? Pensait-elle la sauveuse proche de Galila ? Estimait-elle qu'elles soient similaires ? Elle était en terrain inconnue et cela ne lui plaisait pas. Voilà deux ans qu'elle contrôlait parfaitement sa vie.
—Merci.
La gratitude qui vibra dans son ton bouleversa Jade. C'était si simple comme mot, pourtant, il signifiait tellement pour les leurs. Avant, dans ce temps où l'Inconnu aux mille visages rayonnait, elle y avait constamment droit. Parfois, ce n'était qu'un hochement de tête, à d'autres des effusions de larmes de joie. Elle apportait la vie, là où la mort rôdait. Qu'était-elle devenue ?
—Ma peur était réelle.
Ga-Eul lui sourit, consciente de ce fait.
—Tout comme ton invitation à agir, rebondit-elle.
Jade fronça les sourcils, voulut reculer, se retint une seconde.
—Sous mon apparence féline, je peux communiquer par la pensée. Je t'ai entendue ce jour-là, alors que tu t'éloignais de moi. Tu as été incroyable.
—Je ne perçois pas toutes les pensées, juste celles qui me sont adressées, ajouta précipitamment Ga-Eul.
Elle semblait irradiée de bonheur, comme si elle avait trouvé la perle qu'elle cherchait depuis des années. Jade se souvint des propos de César « Ta différence, tu dois apprendre à la masquer. » Et si Calis la percevait, cette différence ? Cette aura que la jeune femme ne contrôlait pas ?
—Pourquoi être là ?
Ses battements de cœur résonnaient à ses oreilles, appréhendant la suite.
—Pourquoi m'avoir aidée ? rétorqua l'intruse. Tu avais compris ce que j'étais, tu aurais dû t'enfuir, tu es restée.
Quelle réponse Jade avait-t-elle à lui soumettre ? Elle avait paniqué, mais l'avait choisi. Elle avait fait preuve d'un sang-froid dont elle n'aurait pas dû être capable. Tout dans la situation était contre elle. Enfin, à ses yeux. Calis se réjouissait de ses raisons, c'était pour cela qu'elle était partie à sa recherche, qu'elle avait piégé le progue. Le fait que tous deux se connaissent n'était pas passé inaperçu, elle s'en était servie pour retrouver sa piste. Calis la suivait depuis des jours.
—Je ne sais pas.
C'était de loin la réponse la moins risquée. Ni un oui, ni un non. Juste son instinct qui l'avait guidée, bien que cela allait plus loin.
—J'ai compris le danger qu'il y avait, j'ai agi.
Ni plus, ni moins. Pas d'arrière-pensées, pas de ralliement à une quelconque cause.
—Bien que tu sois proche du Prédateur ?
Jade ne put s'empêcher de grimacer. « Proche » n'était pas le terme qu'elle employait pour décrire ce qui les unissait.
—Personne n'est plus dangereux que lui, rétorqua l'Inconnu aux mille visages.
—Pourquoi ?
Ga-Eul en avait bien conscience. Il représentait une menace pour ses semblables. Il était orgueilleux, sûr de lui, et à juste titre. Le Prédateur excellait dans son domaine. Une civile n'avait en revanche pas à le redouter.
—Parce qu'il n'est pas humain...
C'était un murmure, comme si Jade blasphémait en prononçant ces mots. Calis fronça les sourcils, attendant la suite. Jade ne développa cependant pas.
—Tu es une progue ?
Elle connaissait déjà la réponse : elle avait fait ses recherches.
—Non, ni son amie. Nicolas n'aime que lui, ne croit qu'en lui, n'obéit qu'à lui.
Ga-Eul eut une grimace de dégoût. Le Prédateur était parfaitement décrit.
—Alors, qu'est-ce qui vous unit ? Il a été familier avec toi.
Arrogant aussi. L'intruse l'avait constaté de ses yeux : le progue s'évertuait à ne pas trop la quitter des yeux.
—Il a fait de moi son jouet, admit enfin Jade. Il teste mes limites, me nargue, me provoque, m'utilise. Il m'a choisie pour le divertir, il se fiche que je sois une civile.
—Si je te proposais un moyen de te le battre, sans t'exposer, accepterais-tu ?
—Non.
Jade était sûre d'elle, autant que le jour où elle avait, pour la première fois, refusé de partir en mission, deux ans plus tôt. Elle pressentait le danger de cette proposition si parfaite en apparence. Aucune action, aucune parole ne pouvait rester dans l'ombre éternellement. Personne n'était une machine, l'erreur était naturelle. Rester cacher irait un temps, pas pour toujours. Avec le Prédateur sur son dos, Jade ne pouvait pas risquer de mener des actions.
—Pourquoi ? s'enquit Ga-Eul.
C'était incompréhensible à ses yeux. Devant le Prédateur, Jade avait osé l'aider. Devant son regard, elle s'était jouée de lui sans paraitre regretter. Refuser ? Calis n'y avait même pas songé.
—Parce que je veux vivre.
Ce qui la poussait à se lever le matin était obscur, mais Jade souhaitait voir un nouveau jour se lever. C'était sa certitude. Sans quoi, sa vie se serait arrêtée à la mort de sa sœur.
—Si tu changes d'avis, enfonces-toi dans la forêt samedi soir. Je t'y attendrai.
Ga-Eul y croyait, car la nuit porte conseil, n'est-ce pas ?
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