Chapitre 30 : L'ultimatum

10 fixait le plafond de sa cellule, le cœur en compote. Nao était arrivé trois ans auparavant, jamais il n'avait cessé d'espérer retrouver sa liberté. Sa seule crainte était de l'affronter lui, la poule aux œufs d'or du Morcème. Nao savait qu'il n'en réchapperait pas, qu'il n'essaierait pas même. Ses pensées avaient toujours été très claires à ce propos. 10 revit son hésitation, ses dents serrés, son poing, ses paupières closes pour rester maître de lui-même. Nao avait résisté à sa colère, à son indignation, à son impuissance, puis il avait cédé. Il lui était impossible de rester spectateur. Amanda et lui s'étaient rencontrés dans cet endroit maudit. Grâce aux dons du plus fort, ils avaient pu converser, se connaître, s'aimer en silence. Attachés l'un à l'autre, Nao n'avait pas pu la regarder si proche de ce progue. Les Mavois étaient la peste, le choléra, mais ce justicier du peuple avait posé sa main sur la cuisse d'Amanda. La dangerosité des êtres anormaux fluctuaient selon leurs envies.

10 ferma les paupières, pour ne pas pleurer. Les caméras braquaient sur lui en permanence l'en dissuadait depuis son arrivée, pourtant, il peinait à y faire encore attention. La situation était profondément injuste. Tout l'était dans cet endroit.

Le prisonnier serra les poings. Si seulement il parvenait à briser cette barrière de Dédra ! Il serait enfin libre. Jamais plus il n'aurait à ôter la vie de camarades. Il rêvait de retourner dans sa vie d'avant, quand sa seule préoccupation était la prochaine mission à accomplir. Ses coéquipiers étaient-ils morts à présent ? Capturés ? Découverts ? Quand lui ne pensait qu'à survivre, à quoi pensaient-ils, à l'extérieur ? Etait-on déjà persuadé qu'il avait rejoint l'au-delà ?

Il observa un instant sa main. Il sentait le pouvoir couler en lui, cherchant un moyen de se libérer des chaînes du matériau rouge. C'était à cause de lui qu'il était enfermé, à cause de lui qu'il continuait de vivre, portant le poids de la culpabilité. Il était l'espoir du Morcème, sans même savoir s'il était capable de le sauver.

10 se redressa sur son lit, des échos de voix se faisaient entendre. Il s'y attendait, n'ayant pas encore été puni pour son acte insensé lors de son combat de la veille. Il patienta donc, le regard river vers la porte noire. Cette dernière s'ouvrit sur quatre progues, ce qui lui fit froncer les sourcils. Il y a bien longtemps qu'ils avaient cessé de l'escorter à plusieurs.

Cinq ans auparavant, sans ses pouvoirs, le Mavois avait été faible. Il avait toujours compté sur eux, jamais il ne s'était entraîné au corps à corps. Il avait eu ses dons et son intelligence, cela lui suffisait. A présent, c'était bien différent. Il n'en usait cependant pas, guettant le moment propice pour cela. Il n'aurait qu'une chance.

—Debout, ordonna le progue aux cheveux blancs.

Le prisonnier s'exécuta sans rien y redire. Il se laissa encercler par les forces ennemies et guider à travers les couloirs. Très vite, numéro 10 comprit où il était emmené. Ce chemin, il ne l'avait foulé qu'une seule fois, mais jamais il n'avait pu l'oublier. La première route qu'il avait empruntée dans ce sinistre Morcème était gravée en lui.

Le Tiran le convoquait.

Après cinq années loin de son bureau, il y était convié. Il l'avait rencontré dans sa cellule, avait goûté à ses poings, à ses ceintures, à ses rires, mais les mots y étaient rares. Si 10 n'avait pas été battu, un destin plus funeste l'attendait à présent.

La porte noire fit son apparition. Les douloureux souvenirs de son arrivée assaillirent l'esprit du Mavois et, pour la première fois depuis cinq ans, il ressentit la peur. Que lui avait-on réservé ?

Ils pénétrèrent dans la pièce. Celle-ci n'avait pas changé en cinq ans, tout comme son occupant. Le même rouge flamboyant pour ses cheveux, le même sourire espiègle, vainqueur. Il croisait les mains, adossé contre sa chaise de bureau. Il se savait en position de force.

—Cela fait bien longtemps, 10.

Le prisonnier serra les dents tandis qu'il était jeté devant le meuble rouge. Il garda la tête basse, se souvenant des règles de cette pièce.

—Oh, peut-être préfères-tu que je te salue avec ton véritable nom ?

Qu'il réponde oui ou non, le Tiran s'en tiendrait à ce qu'il avait prévu. Son seul objectif consistait à rappeler sa situation et son infériorité à l'être anormal.

—T'en souviens-tu au moins ? relança le chef des lieux. Après tout ce temps, cela doit être difficile.

10 serra les poings, haïssant sa condition tout autant que leurs regards supérieurs. Il était piégé et n'avait aucun pouvoir sur la situation.

—N'ai-je pas perdu le droit de l'employer ? rétorqua-t-il.

Il ne souhaitait pas réentendre son nom, pas maintenant, pas dans cette position. Il était fier d'être né, fier de qui il avait été. Il attendait de briller à nouveau pour le prononcer, car il était porteur de souvenirs. Chaque fois qu'il claquait dans son esprit, il réentendait les rires de ses amis, de sa famille, de ses coéquipiers. C'était douloureux.

Le Tiran quitta son poste pour s'accroupir devant l'insecte à mater. La situation ramena numéro 10 à son arrivée. Il s'était préparé à ce lieu, il en connaissait tant sur les Morcèmes ! Pourtant, la réalité l'avait clouée sur place. L'enfer était un euphémisme concernant sa détention. Personne ne le retrouverait, personne ne le sauverait. Ni lui, ni les autres. Leur seule chance de survie était la rébellion.

—Sais-tu ce que j'en pense ? questionna le chef.

—De notre identité ?

Certainement les pires abominations.

—Je te laisse faire une suggestion, lui retourna le personnage aux cheveux rouges.

—Nous aurions dû avoir des noms d'animaux ? tenta 10.

—Vous n'auriez pas dû en avoir, cracha le progue.

Fort de sa supériorité, il agrippa les cheveux blonds du prisonnier.

—Vous devriez être éliminé dès la naissance, sans même pouvoir respirer une goutte d'air.

Le jeune homme eut envie de rire. Les Mavois étaient haïs par une espèce encore plus vils qu'eux. Le Tiran n'avait aucune considération pour la vie, il ne valait rien et du Mavois ou du progue, celui qui méritait la mort n'était pas le premier.

Brusquement, la chevelure dorée fut relâchée. Le justicier du peuple revint s'asseoir sur son fauteuil.

—Vois-tu, je réfléchis depuis longtemps à un moyen de te stopper. C'est dans ce dessein que j'ai invité le Prédateur entre ces murs.

Numéro 10 retint sa respiration. Son fol espoir venait d'être réduit en cendres. Pendant ces quelques secondes, il avait cru n'être convoqué que pour de simples broutilles. Des banalités sans conséquences. Il n'était pas prêt pour la suite. Ne pouvait pas même se l'imaginer.

—Hélas, ta souffrance aura seulement tenu ton audace quelques jours en cage. J'ai donc dû faire preuve d'encore plus de créativité.

De cruauté, aurait voulu rectifier le Mavois.

—Ma grande ingéniosité provient entièrement de 64, tragiquement décédé, j'en conviens.

Nao. L'être anormal serra les dents. La voix tranchante comme l'acier, dure comme la pierre, n'avait de place pour aucune compassion ni indifférence. Cette mort, il s'en délectait presque.

—J'ai visionné de cette place même le déroulement de cette anomalie.

L'imaginer sourire derrière l'écran donna à numéro 10 l'envie de vomir. Nao avait souffert, avait eu des sentiments. Ils étaient bafoués par cette mesquine attitude.

—J'ai remarqué un élément très important : vos visages graves. Ton visage grave.

Il leva légèrement le menton, eut un sourire démoniaque et croisa ses mains devant lui.

—Cette barrière ne sera plus jamais ta cible, car mes restrictions t'y obligeront.

Lentement, il se leva.

—Je sais que tu souhaites mourir, te libérer de ces chaînes.

Oui, le Mavois était las de tout cela. Mais cette mort lui avait rappelé ce pourquoi il était là. Ce pourquoi il continuerait de se battre.

—Malheureusement, j'ai besoin de toi dans cet endroit.

Le progue dépassa 10.

—Voilà quel somptueuse mise en garde j'ai conçu pour toi : la première fois que tu t'y risquera à nouveau, un Mavois mourra. La deuxième fois que tu te frotteras à la barrière, deux Mavois mourront. Devines-tu ce qui se passera à la troisième ? susurra le bourreau.

Le prisonnier avait le regard grand ouvert, la gorge sèche et son estomac prêt à se retourner. Les coups lui paraissaient une délicieuse torture en comparaison de ce futur.

—Trois Mavois mourront. Âgés, jeunes, enfants, qu'importe leur vie en cet endroit, ils disparaitront. Et pourquoi ? Parce que tu les auras condamnés.

Numéro 10 se releva, animé par une colère sourde. Il n'avait plus peur.

—Vous m'écœurez.

C'était un souffle, mais le poids de ces mots étaient lourds. Indescriptibles.

—Tu nous traites de monstres, d'erreurs de la nature, mais le véritable monstre, c'est toi. De nous deux, tu es le plus minable.

Le Tiran l'ignora et fit un geste aux gardes. Sitôt, ils vinrent l'encadrer, l'empêchant de se mouvoir correctement. Ce n'était pas pour le trajet aller que l'être anormal avait été si bien gardé, mais bien pour le retour. Le chef des lieux connaissait sa poule aux œufs d'or, il s'attendait à une excès de rage.

Numéro 10 fixa de longues secondes l'abomination rouge. Perçut l'animal caché sous ces traits. Grava avec encore plus de force ce visage. Il le tuerait de ses mains.

—Je te haïs, articula-t-il lentement alors qu'il était traîné à l'extérieur.

—Une mort par tes mains ou plusieurs à cause de toi, lui rappela froidement le Tiran. Ne te trompes pas dans ton choix, car je tiens toujours mes promesses.

Et la porte se ferma.


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