Chapitre 23 : Le passé s'en mêle
La sonnerie retentit alors que je suis allongée dans ma chambre avec mes écouteurs. Je n'ai pas la musique à fond, ce qui me permet d'entendre ce qui se passe autour de moi. Ma flemme, immense, me pousse à ne pas me mouvoir, laissant ma sœur ouvrir.
—Jade tu pourrais aussi bouger ton cul de temps en temps ! s'écrie-t-elle en descendant les marches pour accomplir la tâche que je ne souhaite pas effectuer.
Je souris en m'imaginant son exaspération. J'adore l'embêter ainsi. Et puis, je suis la petite sœur, c'est à elle de montrer l'exemple, pas à moi !
Plusieurs minutes passent. J'ai bien entendu la porte s'ouvrir, pas se refermer. Je n'entends pas de discussion. Plus de discussion. Je commence à m'inquiéter. Ils ne peuvent pas se faire face sans parler, si ? La panique montant en moi, je décide de descendre au rez-de-chaussée, vérifier que tout va bien pour Hannah.
Arrivée à la porte d'entrée, je remarque ma sœur s'appuyant à celle-ci, sans bouger. Elle semble complètement ailleurs, loin d'ici. Dans sa main droite, elle serre une rose rouge.
Depuis quand Hannah reçoit-elle des roses ? Qu'est-ce que cela signifie ?
—Hannah, l'interpellé-je doucement, ça va ?
Elle se retourne prestement, me sourit avec conviction, me répond qu'il n'y a pas de problème. Elle peut duper ses amis ainsi, pas moi. Son sourire est faux, son affirmation un mensonge. Qu'a-t-elle donc ? Pourquoi ne veut-elle pas m'en parler ? Qui était-ce ? Je m'inquiète, pourtant, je lui rends son sourire et classe l'affaire. Hannah sait se débrouiller, mieux que moi, mieux que personne. Elle doit déjà avoir réglé le problème.
Quelques jours passent.
Il ou elle -même si je doute que ce soit une fille, quelle fille offrirait des roses ?- est revenu plusieurs fois. C'est devenu de plus en plus régulier, et je m'inquiète davantage pour cela. A chaque fois, j'ai l'impression que ma sœur est de plus en plus désespérée, de plus en plus sombre. Il lui devient difficile de rire avec entrain, de sourire avec joie et de converser avec moi. Je ne comprends pas. Si ces visites la minent tant, pourquoi garder les roses jusqu'à ce qu'elles ne fanent ? Si ses sentiments sont partagés, il lui suffirait de les accepter. Si ce n'est pas le cas, il lui suffit de jeter les fleurs.
Je me tourne de côté sur mon lit. Je fixe le mur gris, m'imaginant mes pensées qui s'y écrivent. Cela m'aide à réorganiser les événements et mes suppositions. Si Hannah me laisse sans réponse, il n'y a qu'une explication : le problème n'est pas de mon âge.
Je grimace, en me disant que si elle avait connaissance de ma véritable nature, elle oublierait bien vite nos deux ans d'écart. Il y a longtemps que je ne peux plus me permettre d'agir comme les autres. Malgré ma confiance en elle, je ne peux pas m'y résoudre. Dans un coin de ma tête, flottent les règles de la société. La famille renie le membre mavois.
La sonnette est soudainement actionnée. Je ne bouge pas dans un premier temps. Dois-je aller ouvrir ? Je me replonge dans mes souvenirs des derniers jours : chaque visite était destinée à Hannah. J'hésite donc. Et si c'était lui ? Ma sœur n'est pas là, que lui dirais-je ? Aurais-je quelque chose à lui dire ?
Une deuxième sonnerie me convaincs de me rendre à la porte. Prudemment, je tourne la clé pour ensuite abaisser la poignée. Mon cœur bat vite, appréhende l'inconnu que je découvrirai. Se stoppe net.
Une rose.
C'est tout ce que je vois. Une rose rouge, comme celle que tenait Hannah il y a quelques jours. Le destinataire s'est-il trompé ou m'adresse-t-il un message ?
Le soir-même, j'attends ma sœur dans la cuisine, assise en bout de table, de sorte à avoir une vision sur la porte de la cuisine. Je sais qu'elle passera par ici. Sur la table, j'ai posé la rose. Et le mot qui l'accompagnait.
Confiance ou pas. Prête ou non. Elle doit m'en parler, maintenant. Elle n'a plus d'autre choix, car il m'a impliquée.
Lorsqu'elle rentre, elle me salue joyeusement avant de voir la fleur. Son visage se ferme instantanément. Elle me regarde surprise, pense certainement que j'ai fouillé ses affaires pour comprendre. J'en serais capable, mes principes ne m'en empêchent pas, mais je ne l'ai pas fait. Il m'a poussée à lui parler. Avec ces mots : "Fais-lui changer d'avis."
—Il a déposé cette rose avec le petit mot, cette après-midi. Il savait que tu n'étais pas là. Qui est-il ? Que te veut-il ? Quel est le problème ?
Hannah soupire avant de tirer une chaise et de s'y asseoir. Mon cerveau a le temps de s'imaginer toute sorte d'explication, de la pire à la plus stupide, avant qu'elle ne prenne la parole.
—Il m'aime.
De tout ce que je venais de penser, cette idée ne m'a pas traversé l'esprit. Il l'aime et alors ? L'amour, ce n'est pas censé être merveilleux à nos âges ?
—Et moi aussi, ajoute-t-elle. Voilà le problème.
Estomaquée. Je crois que c'est ce qui convient le mieux pour décrire mon état. Ils s'aiment, et c'est un problème ? Il faut m'expliquer ! Cela éclaircit néanmoins son mot. Je dois la convaincre de sortir avec lui. Je ne suis pas certaine d'en être capable. Si Hannah peut me faire me faire oublier mes choix, moi, je n'ai qu'une influence restreinte sur la sienne.
—Tu ne dois pas comprendre pour quelle raison, je le sais. Ça te paraît absurde et stupide, mais je ne peux pas être avec lui.
Non, effectivement je ne comprends pas. Elle qui me fait un discours argumenté depuis le début de l'année pour que je sorte avec Youngjae, elle refuse d'être avec celui qu'elle aime ? Il n'y a pas de logique.
Il n'y avait pas de logique.
—Si tu me dis que c'est impossible, je te crois.
J'ai confiance en elle, une confiance inébranlable. Ni le temps, ni les événements ni même ma nature ne remettront en cause ce fait. Il y a cependant des limites.
—Mais j'ai besoin de savoir pourquoi.
Hannah soupire en passant une main sur son visage. Elle me donne l'impression d'être fatiguée, comme si elle ne dormait pas depuis plusieurs jours.
—
Plus aucune trace d'épuisement.
—Quelle conséquence ?
—Jade, ne cherche pas à en savoir plus, s'il te plaît. Lui et moi ne pouvons pas être ensemble, c'est tout. D'accord ?
Je la fixe, espérant qu'elle cède, qu'elle me donne davantage de précision, mais son visage suppliant me fait abdiquer. J'abandonne et monte dans ma chambre. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et montent le volume à fond. Hannah n'a pas suffisamment confiance en moi.
Ça fait mal.
* * * * *
Encore une fois, le ding-dong de la sonnette résonne dans la maison alors que je suis seule. J'ai l'impression que cela forme une boucle qui ne va pas s'arrêter. Depuis que j'ai vu ma sœur devant cette porte, c'est devenu habituel.
Je descends et ouvre la porte, certaine d'y trouver une rose. Je n'aurais pas dû.
Un jeune homme dans la vingtaine, cheveux noirs et légèrement relevés, se tient face à moi. Il n'a pas besoin de parler pour que je sois certaine qu'il s'agisse de celui qui offre les roses à ma sœur. Elle ne m'a rien dit à son sujet, elle ne l'a même plus évoqué depuis le mot. Elle s'est complètement fermée à propos de cela, me laissant perplexe et cela m'attriste. Je lui dis tout.
Mon premier réflexe est de vouloir fermer la porte, mais l'inconnu a anticipé ma réaction et placé son pied à l'intérieur de la maison. Je me retrouve donc obligée de lui parler.
—Ecoute-moi cinq minutes.
Cinq minutes ? C'est bien court. J'ai l'impression que ma conscience faiblit, j'ai envie d'accéder à sa demande. Et puis, c'est comme un électrochoc et ma force mentale revient.
—Non. Je n'ai pas cinq minutes à t'accorder. Si t'as des soucis avec ma sœur, c'est avec elle que tu dois voir. Laisse-moi fermer cette porte maintenant.
J'ai envie d'obtenir toutes les pièces du puzzle, cependant la peur me saisit soudain. Je ne sais pas pourquoi je ressens ce sentiment, mais il est présent et je lui obéis. C'est comme si... une voix familière me l'intime. « Eloigne-toi de lui. » Voilà ce qu'elle m'ordonne.
—Elle ne t'a rien dit ? Elle ne t'a pas parlé de moi ? questionne-t-il balayant mon souhait.
Il semble surpris et triste. Pourquoi ? S'il me fait peur, il doit être dangereux. Si cette voix me dit de m'éloigner, il doit être dangereux. Alors pourquoi serait-il triste ? Est-ce un masque ? Ment-il ?
—Je sais qui tu es, mais je me mêlerai pas de ça. Débrouillez-vous ensemble.
Hannah me tient à l'écart et je lui fais confiance.
—Tu sais ce que nous... commence-t-il avant qu'un cri ne le stoppe, celui de ma sœur.
—Qu'est-ce que tu fais là ! Je t'ai dit ne plus venir ! Je t'ai dit de ne pas l'approcher !
Elle s'est avancée en même temps que ces mots sortaient de sa bouche. Sa voix, ses gestes, sa posture, tout en elle me semble en colère et menaçant. Comment un changement si soudain est-il possible ? Je ne l'ai jamais vue ainsi. A-t-elle deux personnalités ou ne me montre-t-elle pas l'intégralité de qui elle est ?
Sans que je n'aie le temps de réagir, elle entraîne celui qu'elle aime avec elle, loin de la maison. Je ne comprends pas, je ne sais pas. Je suis perdue. Je finis par refermer la porte. M'efforçant d'oublier ce qui vient de se produire. Je ne veux pas m'en souvenir. Ni aujourd'hui. Ni demain. Je ne veux plus jamais ressentir la dangerosité que j'ai perçue en elle. Jamais.
Elle ouvrit les yeux.
Son cœur battait rapidement, des perles de sueur coulaient sur son front, son dos était humide. Le souvenir de sa sœur était violent, brusque, comme forcé. Ses mains accrochaient les draps. Les images terrifiaient Jade. Chaque émotion, chaque pensée, chaque geste, chaque sensation, elle avait absolument tout ressenti, comme si cinq ans ne s'étaient pas déroulés.
Puis elle avisa l'ombre à côté d'elle.
Sa respiration se coupa une seconde. Que faisait-il là, en plein milieu de la nuit ?
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