Chapitre 21 : Briser la barrière

La porte s'ouvrit en un fracas qui aurait réveillé un mort. Pas numéro 10. Lui, il ne sursauta même pas. Les entrées magistrales, il connaissait. Malheureusement, il était également conscient de leur signification : quelqu'un mourrait d'ici quelques heures. Il se renfrogna tandis que son corps se mouvait. Le Mavois connaissait le Morcème depuis un sacré paquet d'années à présent, il avait automatisé bon nombre de gestes et même de paroles. Ses mouvements étaient lents, contrôlés. Il prit la peine de s'asseoir sur le bord de son petit lit avant de se lever.

Numéro 10 ne s'habituait cependant pas à la mort.

Il la donnait pourtant si souvent, si régulièrement. Chaque fois, il lui semblait que ses doigts tremblaient, que sa conscience vacillait. Qu'il se perdait. C'était aussi douloureux que la première fois.

Le Mavois fit face au progue chargé de l'escorter jusqu'à la Prémisse, la salle de préparation. L'envie d'enfoncer une lame de feu dans le ventre de cet individu l'effleura. Très vite, le Dédra vint lui rappeler qu'il n'était qu'un prisonnier et l'amertume remplaça la colère. Sans ce fichu matériau à ses chevilles, il aurait pu raser le Morcème en un tour de main. Il avait l'espoir fou, qu'un jour, ce ne soit plus un rêve. Après tout, il parvenait déjà à communiquer par pensées, il lui suffisait de progresser toujours plus.

—Dépêche-toi ! asséna son ennemi.

Il serrait les dents, se retenait de taper du pied. Sa main le démangeait également. Cependant, face à ce progue, il y avait numéro 10. La poule aux œufs d'or du Morcème. Le Mavois ne pouvait pas être abimé avant son combat, pas alors que des centaines de regards allaient se poser sur lui. Pas alors qu'il allait leur faire gagner plusieurs milliers d'euros.

Numéro 10 soupira et tenta d'accéder à cette demande. Il n'en avait pas envie, car il se savait en position de force. Ces quelques minutes de route étaient son instant de gloire, de pouvoir. Les murs gris n'avaient plus de secret pour lui, il connaissait le chemin par cœur, comme tant d'autres. Il pouvait arpenter les couloirs les yeux fermés sans se perdre. Ce qu'il décida de faire. Il ferma les yeux, devina la direction qu'ils prendraient la seconde suivante. Un semblant de sourire se dessina sur ses lèvres, qu'il regretta sitôt.

—Ah ! Je vois que tu prends plaisir à te dégourdir maintenant ! ricana le progue.

Son sourire fana. Bien sûr qu'il aimait sortir de sa cellule, pouvoir véritablement marcher. Néanmoins, le prix à payer était trop élevé. Depuis son arrivée, la règle n'avait pas changé : tuer ou être tué. Sa gorge se noua en se rappelant qu'il était toujours celui qui ôtait la vie. Il avait connu les affrontements sanglants, ceux où chacun craignait pour sa vie et ne connaissait rien de l'autre. Ce temps était cependant révolu, car sa popularité n'était plus à faire. Les anciens l'admiraient d'être toujours là, les nouveaux le vénéraient pour cela. Il peinait de plus en plus à le supporter, car comment affronter leur regard lorsqu'il leur faisait pousser leur dernier soupir ? Certains ne maitrisaient pas même leurs dons ! Cela arrivait lorsque la fatigue des combats s'emparait de numéro 10, les progues lui envoyaient alors des combattants faibles ou instables.

Agacé par sa lenteur, le justicier du peuple finit par tirer le Mavois. Evidemment, le premier était impatient d'assister au combat, à ce spectacle haut en couleur. Peut-être avait-il même parié ? Numéro 10 le souhaita. Lui seul savait que le match ferait perdre des milliers d'euros au Morcème. Il avait tenté par trois fois de briser la barrière, ce soir-là serait la quatrième. Il s'était calmé après sa punition, souhaitant endormir les soupçons. A présent, il allait reprendre son combat à lui. Pour lui, pour eux, pour tous ces prisonniers, il se devait de persévérer. C'était son unique raison d'être dans cette prison.

Les pas résonnaient dans le couloir désert, accentuant l'angoisse du combattant. Chacun dans sa cellule avait conscience que le prochain duel était le sien. Aucun d'entre eux ne pouvait circuler durant l'heure précédant ses combats, pour éviter des alliances soudaines. Numéro 10 les trouvait bien stupide de penser qu'une désertion pouvait les en empêcher. Il y avait d'autres endroits, d'autres moments, d'autres moyens.

Enfin, la porte leur fit face. La poignée couleur or et la spirale de la même teinte rappelaient aux condamnés la richesse qu'ils ne posséderaient plus. Celle-là fut abaissée et le prisonnier poussé brutalement.

La Prémisse était une pièce peu chaleureuse. Une unique chaise en bois était installée en son centre et le sol était blanc. Les murs, eux, se teintaient de rouge. Le rouge du Dédra. Une porte se trouvait à l'autre bout de la pièce, presque invisible.

Le Mavois s'assit, le regard droit devant lui. Un autre progue entra alors, une seringue à la main. Cela n'effrayait plus numéro 10. Ses effets et son objectif lui étaient depuis longtemps familier. Ainsi, ce fut calme qu'il attendit la piqûre dans son cou. La seconde suivante, il ferma les yeux et le noir emplit son esprit. Ce ne fut pas un doux rêve qui l'envahit, mais la sensation étrange qu'on lui volait une partie de sa vie.

A son réveil, numéro 10 avait quitté la Prémisse et le Passage lui faisait face. Il détestait cet endroit autant qu'il détestait la pièce rouge. La première rappelait leur condition de Mavois, celle-ci leur rappelait leur situation. Ils devaient combattre, un beau spectacle, dont ils devaient respecter les codes. Derrière numéro 10, la paroi de Dédra l'empêchait de rebrousser chemin, la seule issue possible était donc le combat, la mise à mort. Excepté pour sa personne. Il possédait une carte que les autres n'avaient pas. Alors, ce fut sans crainte ni désespoir, qu'il s'avança vers la lumière.

L'arène était parsemée de verdure, quelques arbres s'y trouvaient. La barrière, infime, luisait et laissait visible les spectateurs dans les gradins. Alignés, parfaitement attachés à leur siège, ils observaient la scène de leurs grands yeux avares. Ils souhaitaient du sensationnel, de l'incroyable. Ils allaient être déçus, car numéro 10 n'allait rien donner de tout cela.

Il avisa son adversaire. Malgré sa petite taille, il semblait robuste. Il ne présentait aucun signe apparent de blessures, ce qui signifiait que les organisateurs souhaitaient un véritable match. Numéro 10 se retint de se moquer. La sentence était sans doute son seul frein. L'acte qu'il s'apprêtait à commettre lui vaudrait bien assez.

« Je ne vais pas combattre. » annonça par l'esprit 10.

« Je m'en doutais. Tu espères réellement y parvenir ?

— Oui. »

L'échange se stoppa. Numéro 10 se tourna vers les gradins. Il inspira, se concentra et s'élança contre la barrière, la main en avant. Le feu jaillit, la surface lisse s'ébranla, mais rien ne se brisa. L'attaque disparut dans un nuage de fumée tandis que, pour la quatrième fois, le public était évacué et les combattants endormis. Numéro 10 n'avait toujours aucune information supplémentaire sur cette matière. Il avait beau la frapper de toutes ses forces, rien n'était efficace. L'espoir ne le quittait cependant pas.

Malgré les coups, malgré la souffrance, il parviendrait à briser la barrière.

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